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Théorie de la firme
Fondée sur la connaissance et sur l'idée d'évolution de l'entreprise, certains auteurs[1] ont mis en avant la théorie autrichienne de la firme en complément de l'approche schumpetérienne, de la théorie modulaire de la firme et de l'entreprise réseau. Avant cette approche, il existait plusieurs grandes tendances d'organisation [2] industrielle [3], notamment celles qui prennent en compte le processus de décision[4], les droits de propriété[5] et les ressources[6]. L'approche autrichienne, dans sa nouvelle orientation, s'attache plus à l'aspect stratégique et aux relations d'échange analysées par les disciplines du marketing[7], de la publicité et du macromarketing[8] ainsi que les nouvelles théories de la finance de l'entreprise intégrant la notion d'incertitude[9] dans les actifs de l'entreprise, thèmes qui sont plutôt discutés dans les départements de sciences du management (Greg Young, Robert Jacobson) que de ceux des sciences économiques et de sciences politiques.
Introduction à la théorie autrichienne de la firme
L'apport de l'école autrichienne à la science du management est relativement récente. Il faut remonter au début des années 1990 pour voir apparaître les premiers signes dans des écrits spécifiques et académiques. Peter Dickson, est l'un des premiers à s'y intéresser. Cet auteur développe une théorie de la rationalité concurrentielle qui suppose que le succès de la firme dépend de la rationalité procédurale imparfaite des responsables marketing de l'entreprise. Peter Dickson intègre des éléments de la théorie économique de la psychologie d'Herbert A. Simon avec la théorie de l'information de l'école autrichienne afin d'étayer théoriquement la science du management.
La théorie behavioriste de la firme, de son côté, cherche à comprendre comment les organisations agissent efficacement en partant du postulat d'un commandement hiérarchique de l'organisation et de l'apprentissage (réactif) de l'organisation. L'école autrichienne prend en compte, à la fois, les contraintes organisationnelles et d'environnement impliquant des adaptations de comportement et d'apprentissage des collaborateurs à l'intérieur de la firme. Mais, elle n'en fait pas une mesure irréductible. L'école autrichienne tient compte également de l'approche cognitive des membres de l'entreprise, et particulièrement des flux d'informations qui transitent à l'intérieur et à l'extérieur par l'intermédiaire des collaborateurs (intégrés ou non).
L'analyse autrichienne rejoint la théorie des coûts de transaction sur l'importance des coûts de marché pour expliquer la présence des entreprises. Les apports de Friedrich Hayek et de Ronald Coase visent à considérer le marché et la firme comme des mécanismes de coordination. L'entrepreneur est un découvreur de ressources subjectives. Mais, les deux auteurs diffèrent dans leurs fondements. Pour le premier, il s'agit de la connaissance dispersée et pour le second, les coûts de transaction. Des connaissances dispersées signifient des connaissances différentes, et lorsqu'elles sont très différentes, elles ne sont pas facilement gérables dans la même organisation. L'école autrichienne n'a pas une vision analytique dans un monde de décision fermée où les coûts seraient des coûts objectifs. Pour les autrichiens, les coûts sont subjectifs. Cette position les distingue des théoriciens des droits de Propriété de l'école de Chicago qui recherchent comment la richesse est distribuée efficacement.
L'école autrichienne prend en compte les Droits de propriété pour comprendre l'émergence de l'organisation. Elle s'attache à la justice et au respect de la dotation (entitlement) et au développement de la richesse, non pas en fonction de l'équité de la répartition de cette richesse, à un moment du temps "t". Il s'agit d'une analyse évolutionniste où l'organisation est davantage analysée comme un process[10] et donc une organisation dynamique et non pas statique.
Elle est prête à comprendre les blocages aux changements. Comme la théorie de l'agence, les économistes autrichiens prennent en compte l'asymétrie d'information en renforçant leur analyse sur les concepts de connaissance tacite (Michael Polanyi) et d'informations action (Israel Kirzner) sans devoir focaliser toute son attention sur la résolution des problèmes d’asymétrie. La firme n’est pas considérée comme un répertoire de connaissances mais comme un processeur de connaissances[11] car l'analyse autrichienne ne confond pas information et connaissance. L’accent est donc mis sur la dynamique de création des connaissances et sur la coordination de savoirs dispersés et non pas uniquement sur la seule problématique d’allocation de la « ressource connaissance ». Dans le cadre étroit du traitement de l'information dans la prose de décision, la théorie conventionnelle traite le propriétaire ou le gestionnaire des petites entreprises comme d'un décideur économique rationnel. Par exemple, il doit avoir accès à toutes les informations financières avant de s'engager dans une activité. Brian Gibson (1993)[12] propose d'associer à la prise de décision conventionnelle, l'idée de l'action intentionnelle chère à l'école autrichienne. Cette interprétation alternative, précise-t-il, est plus appropriée pour le développement de la théorie de la gestion financière dans les des petites entreprises.
Avec des jeunes chercheurs ingénieux, comme Nikolai Wenzel et Anthony Evans, la théorie autrichienne s'intéresse de plus en plus à la théorie constitutionnelle de la firme en faisant le lien entre la théorie contractualiste des institutions et la théorie cognitive de Friedrich Hayek. Alors que ces auteurs prennent leur source dans la théorie du Public Choice de James Buchanan et de Gordon Tullock et d'Adam Gifford, une autre branche d'origine française[13] s'appuie sur la théorie institutionnaliste du juriste, libéral et catholique, Maurice Hauriou. Cette dernière approche se concentre beaucoup plus sur l'existence de pratiques (routines, règle de conduite) qui réalisent les liens entre organisation et institution.
Autre point de démarcation, l'école autrichienne intègre de plus en plus une vision réaliste de la gestion de la firme. Alors que la plupart des économistes, qui s'intéressent à l'entreprise, ont leur attention portée sur la coordination, l'échange ou la production de richesses, les auteurs autrichiens se positionnent davantage dans l'angle de vision interne de l'entreprise. Pour beaucoup de managers, la gestion stratégique des ressources humaines est encombrée par des problèmes quotidiens de réglementation du Droit du travail (arbitrage des conflits par les Prud'hommes, privilèges des syndicats, implications du monopole de la sécurité sociale, etc.). Sylvester Petro peut être considéré comme le premier des auteurs autrichiens à traiter de l'analyse du Droit du travail. Il s'écarte d'une analyse néo-classique des relations entre le capital et le travail pour en faire devenir définitivement un sujet de la théorie générale autrichienne qu'il verse au compte de l'analyse de la firme. Aujourd'hui, Walter Block continue cette orientation d'analyse.
Critique d'une théorie de la firme sans conflit
Dans une économie de marché en équilibre, dans le modèle de Léon Walras, toute forme de mauvaise coordination ou de conflit est retirée ex ante puisque chaque agent a recueilli toutes les informations qui lui est nécessaire pour obtenir un résultat effectif égal à celui qu'il attendait. Dans le monde walrassien, tous les agents doivent être d'accord ex ante sur toutes les variables pertinentes :
- Comme la structure de l'information est complète, le temps est hors de propos et les termes de l'échange sont toujours connus des agents ex ante. les conflits d'intérêts et les problèmes connexes pour faire respecter les termes des transactions ne remontent pas à la surface car ils peuvent être résolus par un contrat sans coût de long terme ". L. Basile et P. Casavola[14]
Trop souvent, les économistes ou les théoriciens en organisation (sociologues) ont considéré le conflit comme un élément négatif et d'échec. La tentation fut d'éliminer les conflits par la réglementation (Traitement des conflits sociaux par une vision de l'échange entre dominant/soumis, d'une domination du bon sur le "méchant", de l'oppresseur sur l'oppressé) ou par le jugement qui va se contenter d'un compromis et donc laisser une amertume d'insatisfaction de la chose jugée aux deux parties. Hors, ces démarches conviennent aussi à éliminer la diversité des individus qui est essentielle à l’évolution institutionnelle de la société et à la performance des organisations. Comme le précisait Mary Parker Follett, « Le conflit n’est pas nécessairement l’expression brutale et coûteuse d’incompatibilités, mais un processus normal par lequel des différences précieuses pour la société s’affirment et font progresser tous ceux qui sont concernés » [15]. C'est pourquoi elle proposait de sortir de ce cadre domination-compromis en élargissant le problématique du conflit à l'intégration des intérêts des parties en présence.
Le modèle du marché néo-classique ne représente pas très précisément le comportement réel des entreprises. Il est courant que les entreprises qui font des affaires ensemble pendant une période prolongée recherchent la stabilité face à l'incertitude (de l'avenir et sur le comportement des autres). Elles établissent des relations relativement durables avec un aspect moral clair. Ces relations de commercialisation sont régies par des critères d'équité et de fortes attentes de confiance et d'abstention vis-à-vis de l'opportunisme[16]. Ces entreprises abandonnent donc l'autonomie et adoucissent la concurrence pour saisir une opportunité de certitude sans qu'il y ait des contrats entre elles[17].
Les théoriciens autrichiens de la firme montrent la capacité de coordination du marché par le biais des entrepreneurs (Tyler Cowen, Jerry Ellig, Peter Lewin) à la fois dans le management interne de l'entreprise que dans ses effets sur le marché global. Ils rejoignent l'approche de Friedrich Hayek et d'Israel Kirzner sur la tendance à l'équilibre du marché ou équilibration. Friedrich Hayek considère que les règles de conduite sont des "subsidiaires" aux commandes des cadres supérieurs dans l'entreprise, ces règles remplissent les vides laissés par les commandes. Ce genre de règles est donc différent de l'ordre spontané et abstrait que l'on rencontre sur le marché mais n'en est pas étranger, elles en sont conjointes. Les individus adoptent un comportement en respectant des règles qui doivent correspondre aux exigences de l'organisation. Il n'est pas possible de croire que toutes les règles satisfont à la situation. Il faut joindre aussi à l'analyse de la firme les auteurs contemporains utilisent les outils de la théorie autrichienne. Cependant ceux-ci utilisent trop souvent la fonction entrepreneuriale comme outil d’analyse afin de découvrir la nature et les frontières de la firme sans développer hélas une véritable théorie de l’activité entrepreneuriale.
Annexes
Notes et références
- ↑ Nicolai J. Foss, Pierre Garrouste, Peter G. Klein, Stavros Ioannides, Richard Langlois, Brian Loasby, Desmond Ng, Frédéric Sautet, Ulrich Witt
- ↑ On associe souvent au mot « organisation » le dessin d’un organigramme dans le cadre d'une entreprise. Lorsque le mot organisation est associé à l'industrie, on fait référence à l'ensemble du marché ou à une partie de celui-ci.
- ↑
- La théorie néo-classique de concurrence pure et parfaite. Jusque dans les années 1970, la théorie théorie néoclassique de la firme était la théorie dominante, à savoir qu'elle considérait qu'il existe des économies d'échelle (ou d'envergure) qui justifient que les activités de production dépassent une certaine taille pour être efficace et qu'elles sont donc concentrées au sein d'une même entreprise plutôt que dispersées entre plusieurs producteurs.
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- John Maurice Clark, 1955, "Competition: Static Models and Dynamic Aspects", American Economic Review, Vol XLV, May
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- La théorie des marchés contestables (William J. Baumol, J. C. Panzar et R. D. Willig)
- La théorie de l'organisation industrielle de l'école de Chicago-UCLA (Harold Demsetz, Yale Brozen, Sam Peltzman)
- La théorie des jeux de la nouvelle organisation industrielle (Jean Tirole)
- ↑ * La théorie behavioriste ou néo-rationaliste ou théorie comportementale de la firme (Chester Barnard, Herbert A. Simon, James G. March, Richard M. Cyert) est centrée sur la résolution des problèmes par le traitement de l’information.
- ↑ Théorie de la firme selon les droits de propriété:
- La théorie du nœud de contrats (Armen Alchian, Harold Demsetz, Eugene Fama)
- La théorie des coûts de transaction (Ronald Coase, Oliver Williamson)
- La théorie des contrats incomplets (Oliver Hart)La logique est la suivante : le titulaire d’un droit de propriété conserve le contrôle résiduel d’un bien, aussi il doit pouvoir résoudre les différends qui résultent de l’incomplétude des contrats. La concentration de la propriété des actifs affectés à la production au sein d’une unité permet une réduction des coûts de transaction. Cette concentration confère alors à l’entreprise une autorité sur ces ressources. L’entreprise détient finalement un pouvoir de contrôle qui lui permet de combler les lacunes des contrats et d’empêcher les comportements opportunistes.
- ↑
- La théorie du management par les capacités : Capabilities based View (Richard Langlois, David J. Teece, Paul J. Schoemaker)
- La théorie du management par les ressources : Resource based View (Edith Penrose, Karel Cool, Ingemar Dierickx, Robert M. Grant, Shelby D. Hunt, S. A. Lippman, Joseph T. Mahoney, Richard Rumelt, Margareth A. Peteraf, Birger Wernerfelt)
- La théorie du management par la connaissance : Knowledge based View (Jay B. Barney, Robert M. Grant, Bruce Kogut, Alanson Minkler, Ikujiro Nonaka, Udo Zander)
- ↑ Wroe Alderson, Richard P. Bagozzi, Donald F. Dixon, Philip Kotler
- ↑ Le macromarketing est l'étude des institutions de marché et les relations entre les institutions commerciales et les autres institutions sociales. Donald F. Dixon, un de ses représentants
- ↑ Vendre est l'objectif de l'entreprise mais cela peut devenir vite problématique dans une approche de gestion de la trésorerie de l'entreprise. Il existe des décalages entre le moment où l'entreprise engage son processus de vente et de production avec le moment où elle sera payée. La lettre de change et l'affacturage permettent de gérer cette incertitude. L'incertitude est encore plus forte lorsque le client s'avère douteux ou défaillant. Elle augmente encore plus en fonction de la structure par taille des contrats de vente. La vente à un "gros" client peut engendrer un volume d'incertitude élevé chez l'entreprise et gêner sa dynamique de développement. Ce frein est est évident si, dans l'historique des ventes, l'entreprise ou les responsables ont déjà connu un problème de trésorerie marquant. Par exemple, une vente de 100 k euros margée à 10% nécessite un chiffre d'affaires compensateur de 1 million d'euros en cas de défaillance pour couvrir cette incertitude. Les responsables de l'entreprise doivent donc gérer le risque client sans tomber dans une prudence excessive qui les feraient renoncer trop facilement à des collaborations commerciales fructueuses envisageables. La pratique de prises des garanties vient combler cette incertitude.
- ↑ Tor Hernes s'est intéressé à l'organisation en tant que process en s'appuyant sur le philosophe Alfred North Whitehead, sur les sociologues, Niklas Luhmann, Bruno Latour, et sur les théoriciens en organisation, Karl Weick et James G. March mais sans effectuer malheureusement, à ce jour, de liens avec la théorie autrichienne.
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Voir aussi
- Todd H. Chiles
- Tyler Cowen
- Jerry Ellig
- Nicolai J. Foss
- Pierre Garrouste
- Stavros Ioannides
- Peter Lewin
- Brian Loasby
- Richard Langlois
- Desmond Ng
- Frédéric Sautet
- Fu-Lai Tony Yu
- Ulrich Witt
Liens externes
- (en) [pdf]"The Theory of the Firm: Coasean Misconceptions and Austrian Solutions", working paper de Per Bylund
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