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Théorie du nœud de contrats
Appliquée à la firme, la théorie des droits de propriété permet de concevoir l’entreprise comme une agrégation de personnes avec un ensemble de contrats qui établissent une certaines structure de relations contractuelles. L'expression "nœud de contrats" est attribuable à Michael Jensen, comme traduction de l'expression "contracting nexus" et non à Ronald Coase comme il est trop souvent enseigné. La théorie des coûts de transaction a certes inspiré la théorie du nœud de contrats mais elle s'en diffère fortement. Oliver Williamson, pour sa part, s'est appuyé sur l'analyse de Ronald Coase. Mais, il tend à s'éloigner, pour partie, des analyses originelles de Ronald Coase. Il minimise l'opposition entre les coordinations marchandes et hiérarchiques. Notamment dans ses travaux les plus récents, Oliver Williamson aborde les entreprises comme un nœud de contrats où les employés et les employeurs sont appréhendés comme des fournisseurs et des clients. La définition de l'entreprise en tant que nœud de contrats se trouve dans Michael Jensen et William Meckling, "Les coûts de l'agence et la théorie de la firme" (1976). Ils notèrent que les relations contractuelles sont l'essence même de l'entreprise, non seulement avec les employés, mais avec les fournisseurs, les clients, les créanciers, etc. Et, que la plupart des organisations sont simplement des fictions juridiques qui servent de nœud pour un ensemble de relations contractuelles entre les individus.
La production jointe et le nœud de contrats
Dès 1972, Armen Alchian et Harold Demsetz conçoivent l’entreprise au travers du prisme du travail en équipe. Les diverses ressources appartiennent à différents propriétaires. Mais ces ressources sont réunies pour les besoins de la production. les fournisseurs de ressources sont intéressés à former des coalitions en raison des gains qui en résultent. En contractant avec une entreprise (en coopérant), ils augmentent la productivité de leurs ressources, ce qui leur promet un retour sur investissement meilleur qu'une autre utilisation, soit en autonomie, soit avec une autre entreprise.
Les auteurs font référence aux notions d’exclusivité et de transférabilité qui permettent de résoudre les problèmes d’information incomplète et du risque moral d’une production en équipe. Pour ces auteurs, le contrôle au sein d’une firme ne diffère pas d’un marché de contrats établis entre deux personnes. Les contrats ont un rôle d'instrument juridiques afin de faciliter les échanges volontaires. Cependant, l'entreprise n'a aucun pouvoir discrétionnaire d'édicter des lois qui s'imposent à tous, elle n'a pas d'autorité absolue, elle n'a pas d'action disciplinaire différente des contrats ordinaires signés entre deux personnes sur le marché.
L’apport central de cette théorie est de tracer les frontières de l’entreprise de manière assez nette, à la limite des contrats. La firme est au centre des accords contractuels par lesquels les parties s’engagent dans la production jointe[1]. Mais, dans une production en équipe, il est difficile de séparer la contribution individuelle de chacun. Par conséquent, un principe de contrôle doit être arrêté. L'acteur central est le créancier résiduel. Il organise l'observation du comportement des différents co-contractants afin d'éviter des comportements de tricherie. Il peut modifier les membres de l’équipe de production. Il a la capacité de céder son statut de contractant résiduel.
La relation d'agence et le nœud de contrats
La théorie du nœud de contrat représente la firme comme un ensemble de contrats (nexus of contracts) fondée sur une relation d’agence avec le principal et l’agent. Le problème des coûts de transaction et du contrôle de l'agence existe pour tous les contrats de l'entreprise. Comme le soulignent Michael Jensen et Meckling, ces deux théories sont donc liées. L'entreprise est définie comme un "nœud de contrats" spécifique entre les détenteurs des facteurs de production (le capital et le travail) et leurs « clients ». Dans cette perspective, la firme est donc perçue comme un système particulier de relations contractuelles, elle est un nœud de contrats interindividuels.
Les contrats étant incomplets par nature, le principal doit mobiliser des processus et des instruments de contrôle qui permettent de vérifier le comportement de l’agent et de l’inciter à œuvrer dans le sens de ses intérêts et d’exercer ainsi une gouvernance appropriée.
Extension de la relation contractuelle standard
La firme est un ensemble de contrats explicites ou implicites entre les titulaires de ressources nécessaire au fonctionnement de l'entreprise. La notion contractuelle est étendue au-delà de ceux liés à la fonction de la production (visant les contrats avec les employés) pour inclure l’ensemble des contrats établis entre l’entreprise et son environnement (clients, fournisseurs, créanciers…) ainsi que dans la répartition des revenus générés par les biens ou les services produits. La notion de contrat s’entend différemment de son acception juridique. Dans le cadre de cette théorie, la firme n’est ni une entité, ni une chose capable d’être possédée. Pour ne pas succomber à la réification méthodologique, les auteurs prennent soin de bien noter que l'entreprise est une fiction légale qui comprend un jeu de relations contractuelles qui établissent des droits et des obligations. L'entreprise est simplement une forme de fiction juridique qui sert de lien pour contracter des relations.
Dans l'idée de la théorie du nœud de contrats, il y a la notion d'un processus contractuel au fur et à mesure de l'évolution de l'entreprise. Les droits de propriété sur les biens sont crées, modifiés, transférés et terminées. Le contenu des contrats est négocié par chacune des parties du contrat.
Dans la théorie néo-classique de la firme, il n'existe pas de conflit. Parker, dans la théorie du management avait déjà introduit cette notion de conflit bénéfique dans l'organisation. La auteurs de la théorie du nœud de contrat, cependant, avertissement du potentiel des divergences d’intérêts entre individus. Ces conflits d'intérêts menacent les relations de coopération et sont inducteurs de coûts qui réduisent les gains potentiels.
Implications de la théorie du nœud de contrats
La solution proposée par la théorie de l'agence est de contrôler les conflits d'intérêt, autrement dit de créer des coûts d’agence. Une relation d’agence est définie comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) s’arrange(ent) avec une ou plusieurs autres (l’agent) afin de prester pour son compte une ou plusieurs activités.
La théorie de l'agence suppose deux conditions : les hypothèses d’un univers incertain et d’une information asymétrique. L'incertitude implique que les contrats sont incomplets sinon les clauses contractuelles pourraient tout spécifier explicitement. Sans asymétrie informationnelle, une partie pourrait observer et vérifier que l’autre exécute correctement le contrat.
Pourtant, la théorie du nœud de contrats infère l'idée qu'aucun droit de contrôle n’est accordé aux autres parties, puisque tout est prévu dans les différents contrats. Dans la théorie du nœud de contrats, les agents sont censés maximiser leur propre fonction d’utilité et ils sont capables d’anticiper rationnellement l’incidence des coûts d’agence.
Les agents concentrent leurs efforts sur trois coûts :
- les coûts de contrôle (coûts supportés par le principal pour s’assurer que l’agent agisse dans le sens de ses intérêts),
- les coûts de dédouanement (coûts supportés par l’agent pour signaler au principal qu'il agit conformément à ses intérêts)
- les coûts résiduels (coûts équivalant au coût d’opportunité).
Dans la théorie néo-classique, la propriété des actifs tangibles détermine l’entreprise. Dans l'approche de la théorie du nœud de contrats, au lieu de voir l'entreprise comme une entité indépendante ou une propriété des actionnaires, l’entreprise est perçue comme une somme d’individus unis dans un réseau de contrats. L’idée d’une recherche de la seule maximisation de la richesse des actionnaires comme objectif est remise en cause.
Les critiques de la théorie du nœud de contrats
Dire que nous devrions concevoir l'entreprise comme un nœud de contrats pour certaines intentions, c'est différent que dire que les entreprises ne sont tout simplement qu'un nœud de contrats. La négociation de tous les contrats est difficilement praticable dans l'entreprise, soit parce qu'il y a des coûts de transaction infranchissables, soit il existe des règles d'autorité publiques qui empêche la libre négociation privée. Il est difficile de mesurer la mesure dans laquelle les théoriciens de la contractualisation de la l'entreprise déplacent leur métaphore dans le domaine de la vérité littérale. Certes, la plupart des auteurs contractualistes reconnaissent qu'une société ne peut pas être constituée par contrats. Cependant, la théorie est souvent décrite en abrégé comme s'il s'agissait d'une description positive.
En s'appuyant exagérément sur la théorie de l'agence, la théorie du nœud de contrats introduit de force la présence d'un mandataire, dont les règles pervertissent partiellement le système ou excluent en totalité toute libre négociation.
Une réification méthodologique de la firme fait prendre le risque de concevoir les contrats comme des procédures virtuelles et fictives sans humanisation des relations. Une relation contractuelle inter-individuelle sous l'angle de l'atomisme méthodologique limite la capacité de la théorie à rendre compte des formes complexes et émergentes des règles de conduite au sein de la firme institutionnelle. Dans une vision plus liée à l'école autrichienne d'économie, l'entreprise est régie non seulement par des principes mécanises mais aussi, sinon encore plus par des développement organiques.
En s'écartant légèrement de la théorie des coûts de transaction des auteurs néo-institutionnels, les notions d'autorité, de hiérarchie et de pouvoir entre individus s'effacent peu à peu. Les divergences et les conflits d’intérêts ne sont gérés que par des accords librement conclus. Or, les notions de domination et de pouvoir doivent être prises en considération[2]
Annexes
Notes et références
- ↑ La notion de production jointe semble différente de celle qui est intégrée dans l'analyse de l'école socio-technique où il est question d'optimisation de la production jointe entre les facteurs humains et la technologie, à l'aide de l'approche systémique des organisations
- ↑ "Les asymétries entre agents et entre groupes ne concernent pas que l’information, les oppositions d’intérêts ne se résolvent pas toujours par des poignées de main mais aussi parfois par des coups de poing (pour ne pas en dire plus !)" B. Coriat et O. Weinstein, « Les nouvelles théories de l’entreprise », Livre de poche, 1995, p106
Bibliographie
- 1989,
- William W. Bratton, Jr., "The "Nexus of Contracts" Corporation: A Critical Appraisal", Cornell Law Review, Vol 74,
- Lewis A. Kornhauser, "The Nexus of Contracts Approach to Corporations: A Comment on Easterbmok and Fischel", Columbia Law review, Vol 89
- 1999, Melvin A. Eisenberg, "The Conception That the Corporation is a Nexus of Contracts, and the Dual Nature of the Firm", Journal of Corporation Law, Vol 24
- 2002, Stephen M. Bainbridge, "The Board of Directors as Nexus of Contracts", Iowa Law Review, Vol 88, n°7
- 2011, Matthew T. Bodie, Grant M. Hayden, "The Uncorporation and the Unraveling of 'Nexus of Contracts' Theory", Michigan Law Review, Vol 109, n°6, pp1127-1444
- 2012, C. R. T. O’Kelley, "Coase, Knight, and the Nexus-of-Contracts Theory of the Firm: A Reflection on Reification, Reality, and the Corporation as Entrepreneur Surrogate", Seattle University Law Review, Vol 35, n°4, pp1247-1269
Articles connexes
- Théorie de la firme selon les droits de propriété
- La théorie du nœud de contrats (Armen Alchian, Harold Demsetz, Eugene Fama)
- La théorie des coûts de transaction (Ronald Coase, Oliver Williamson)
- La théorie des contrats incomplets (Oliver Hart)