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Droit naturel

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Un droit naturel est la conception du droit commun à tous les Hommes dérivant de la nature même des êtres. Ainsi, les droits naturels de l'Homme sont des droits qui viennent du fait qu'il est un humain, indépendamment de sa position sociale, de son ethnie ou de tout autre considération.

Définition et contexte du droit naturel

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Le droit naturel, parfois aussi appelée Loi naturelle, est considéré comme le premier fondement des inclinations et qualités humaines dont le contenu peut être appréhendé par les actions et relations entre les Hommes.

Qu'est-ce que la nature (phusis, natura) ? Pour les Anciens il s'agit d'un principe du mouvement, la natura latine signifie naissance, formation, croissance, nous pouvons ainsi parler d'un ordre naturel des choses. Il est important d'entendre ici par nature ce qui est un principe ou capacité de mouvement et de repos spontanés, ce qui de nos jours est devenue une notion confuse ou floue. Puisque le droit naturel demande un éclaircissement relatif à son sens d'origine, il existe en effet un obscurcissement et une difficulté à le cerner en le plaçant dans un contexte contemporain. Il a toujours existé de fait une évolution dans son acceptation, et même plusieurs sens se sont ajoutés rendant sa compréhension difficile.

Une des difficultés rencontrées n'est pas tant de savoir si la nature existe, mais de concevoir dans la définition du droit un aspect dit naturel ; il ne s'agit pas d'un droit de la nature, d'une séparation entre nature et culture, ni une soumission aveugle aux lois physiques de la nature, il s'agit plutôt de voir que le droit naît des actions et conduite des Hommes, et que par conséquent nous pouvons tirer une connaissance à partir de la nature des choses.

Il est couramment admis de nos jours que les normes de droit sont instituées par la seule volonté des Hommes en général, ou par les autorités juridiques en particulier, par convention en général ou par l'absolutisme de la loi en particulier. Dans ce sens, l'existence d'un domaine d'« ordre naturel » est complètement inconcevable et sa voie abandonnée. Nous envisageons trop aisément, à tort ou à raison, l'idée d'une nature extérieure à l'Homme. Il est devenu très difficile pour l'esprit contemporain de reconnaître, dans toute association humaine, que la distinction entre le juste et l'injuste est fondée sur le droit naturel.

Actuellement, une grande majorité voit dans le droit l'expression de la volonté exclusive des législateurs, les lois et les règles sont posées par l'autorité d'une entité généralement située au-dessus de toute société. Nous apprenons très tôt, dans l'enseignement scolaire, que toute application de loi s'effectue dans les tribunaux selon les règles en vigueur, mais aussi que la condition naturelle des Hommes est un état sauvage de domination du fort sur le faible. Par conséquent, le brouillard épais qui s'est installé sur les opinions au sujet du droit naturel nous fournit quelques explications sur sa perception principalement négative : jugé comme une tentative de réaliser un mythe idéaliste ou idéologique, aussi comme un droit hypothétique avec peu ou sans valeur, il ne peut constituer une base stable réglant convenablement les rapports conflictuels entre les Hommes.

Le droit naturel englobe à la fois deux dimensions, la conscience morale des individus animée par la raison intime de chaque Homme, et, l’appartenance de l'Homme à un cosmos plus large, l'intégrité humaine. Même si le rationalisme moderne a voulu mettre entre parenthèses la sagesse créatrice, nous avons toujours à notre disposition la vertu de prudence nous permettant de ne jamais renoncer à l’idée que tous les Hommes sont liés aux mêmes droits naturels. Une troisième dimension est ici introduite, la prudence bonne conseillère, car c'est elle qui ordonne bien les pensées et les actes. La valeur du droit naturel, son amplitude, ses effets ou ses causes, sa nécessité et sa réappropriation peuvent être déduits de certains principes.

« De même que le vrai et le faux, la conséquence et la contradiction se jugent sur ce qu'elles sont, et non sur une preuve extérieure ; ainsi la constance de la raison dans la direction de toute la vie, ce qui est la vertu, et l'inconstance opposée, ce qui est le vice, ont leur fondement dans leur nature même. »
    — Cicéron, De legibus

Le droit naturel, en tant qu'ordre régulateur et normatif, est accessible et se découvre grâce à un processus de connaissance naturelle, propre au caractère perfectible des êtres humains, ceci indépendamment des lois en vigueur, quel que soit le système législatif, ne dépendant d'aucune volonté particulière, politique ou coercitive. Le droit naturel ne s'identifie pas à l'arbitraire humain, même s'il peut être découvert malgré l'imperfection de la nature humaine.

Dans un sens plus moderne, ce terme désigne la conception individualiste et rationnelle du droit, défendue notamment par les libertariens, découlant d'un minimum de droits « non négociables » à partir desquels est ouverte la possibilité de résoudre les conflits, objet principal de la justice. La plupart des théories libérales reposent également sur le droit naturel.

On parle de jusnaturalisme pour désigner toute théorie du droit naturel.

Remarque importante

Dans les écrits de certains auteurs comme Hobbes[1], Spinoza[2] ou Stirner[3], sont assimilés au droit naturel les concepts hypothétiques de droit de nature, les droits dont l'Homme dispose à l'état de nature ou comme condition naturelle des Hommes. Ces concepts sont parfois associés également à la loi du plus fort ou la loi de conservation de soi. Pour Nietzsche ou Stirner, il n'y a pas de droits naturels : le droit n'est que la reconnaissance des forces réelles, un résultat de rapport de forces.

Nous employons ici le terme de droit naturel dans un sens différent, devenu le sens courant, celui d'une théorie de la justice qui n'est pas liée à l'état de nature.

Histoire du droit naturel

Les origines

La conception classique du droit naturel est celle qui prévaut dans l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge. Le « ius naturale », possédant un contenu normatif, nous provient de la pensée juridique romaine. À l'époque, il existait complémentairement le « ius gentium » et le « ius civile », le premier en rapport avec toutes les nations civilisées et le second en rapport à une communauté en particulier, dans les limites de la cité. Le mot Jus dérivé de l'ancien latin Jous est marqué par une idée à caractère religieux et moral, il est devenu ultérieurement synonyme du droit qui existe dans les choses humaines. Du mot Jus dérive aussi le mot Jurare (Jurer) qui signifie le fait de dire la vérité en invoquant un témoignage supérieur à l'Homme, ce qui engageait par serment. Le mot Lex quant à lui se rattache à l'idée de la loi écrite. Toute proposition de loi romaine était affichée et rendue publique par écrit.

La notion romaine du ius naturale se différencie du concept de droit naturel contemporain, pour les Romains il est le droit que la natura enseigne à tous les êtres animés, comme un droit commun à tous les êtres vivants. Selon Aristote, la justice politique se distingue en justice naturelle, qui a partout la même force ne dépendant pas des opinions, et la justice légale dépendante des lois et coutumes établis par les communautés humaines.

Considérant que « la nature ne fait rien en vain », ou qu'elle « agit en vue d’une fin », ce n'est donc pas par hasard que l'Homme est ce qu'il est, être doué de raison lui permettant d’agir intentionnellement en vue d’une fin consciente, de distinguer le bien et le mal, le juste et l'injuste. Toujours selon Aristote, l’Homme est par nature un animal politique, cela signifie que toute organisation humaine représente une continuité, elle est établie en vue d'une fin.

Concernant la justice, Aristote entend comme naturelle « une règle de justice qui a la même validité en tout lieu et qui ne dépend ni de notre assentiment ni de notre désapprobation ». Ainsi Marc-Aurèle reconnaît dans ses Pensées avoir reçu du péripatéticien Claudius Severus « l'idée d'un état juridique fondé sur l'égalité des droits, donnant à tous un droit égal à la parole, et d'une royauté qui respecterait avant tout la liberté des sujets ». Pour Cicéron, il s'agit d'« une seule loi éternelle et invariable, valide pour toutes les nations et en tout temps ». On néglige trop souvent l'importance et l'influence de la philosophie grecque sur la pensée juridique romaine, les idées romaines de droit ou de justice sont imprégnées d'idées philosophiques :

On commença à concevoir que le droit existant, matérialisé par les lois et les coutumes, n'est que l'image imparfaite (donc perfectible) d'un droit naturel d'origine divine, en ce sens qu'il tient à la nature même de la création et appartient à l'ordre du monde. Des facultés que possède l'être humain, il en est une, la raison, qui le met à même de comprendre ce plan de la création, et le droit, comme la morale, doit donc être fondé en raison : à la limite, tout le droit est déductible a priori de principes abstraits, que dégage la philosophie. Ce qui entraîne immédiatement une grave conséquence : la raison, faculté humaine par excellence, est universelle, et le droit, s'il en émane, doit lui aussi être universel dans ses applications comme dans ses principes. Il cesse d'être lié à une cité particulière, à tel ou tel groupe d'Hommes, pour s'étendre à l'humanité entière. Au regard de la raison, il n'y a plus ni citoyens ni pérégrins, ni hommes libres ni esclaves, mais des êtres ayant des exigences semblables. (Pierre Grimal, La civilisation romaine, 1960)

Pour les Stoïciens, le droit naturel s'inscrit dans le principe d'ordre de l'univers (le logos). Pour Aristote, au contraire, le droit naturel n'est pas invariable. Il se traduit dans la loi positive, reflet de l'état de la société. Il a une fonction critique vis-à-vis de la loi positive, il fonde l’autorité des lois (le droit positif) lorsqu'elles sont justes. « Que l’équité est éternelle, qu’elle n’est pas sujette au changement, et la loi commune non plus ; car elle est conforme à la nature ; les lois écrites, au contraire, changent souvent ». Aristote, Rhétorique - Chapitre XV

Leo Strauss (Droit naturel et histoire, 1953), expose l'histoire du droit naturel remontant jusqu'à la tradition de la philosophie classique, depuis Socrate, passant par Platon, Aristote, les Stoïciens et les juristes romains. La loi naturelle stoïco-chrétienne jusqu'à la philosophie médiévale et Thomas d'Aquin se distingue ensuite du droit naturel profane moderne. La conception traditionnelle avait été une doctrine essentiellement conservatrice tandis que la vision moderne devint une doctrine révolutionnaire; c'est Hobbes, puis Locke, qui opèrent la rupture vers le droit naturel moderne, émancipé de la théologie comme de toute prétention téléologique.

Le droit naturel moderne, fondé sur la raison

Les Scolastiques, mais aussi Saint Thomas d’Aquin, vont préluder les théories modernes du droit naturel : tout droit d'origine humaine reste subordonné aux préceptes du droit divin, ce dernier est considéré comme partout et toujours le même, mais il s'appréhende par la raison humaine, par la nature rationnelle humaine. Pour Thomas d'Aquin, la loi naturelle est l’inscription de la loi divine dans la nature humaine.

Au XVIe siècle, au début de la soumission de l’Amérique, alors que l’esclavage disparaît en Europe pour réapparaître sur l’autre rive de l’Atlantique, Bartolomé de Las Casas et l'école de Salamanque affirment le principe de l'unité du genre humain : l’individu naît a priori libre, et non esclave ; il naît libre et doit demeurer libre. À la même époque, tandis que sévissent les guerres de religion, apparaît la notion de liberté de conscience, et la séparation de la philosophie et de la religion, rangée au rang d’une opinion.

En politique, le droit naturel pose des limites aux prétentions du pouvoir en place : Jean Bodin peut ainsi affirmer qu’en monarchie « les sujets obéissent aux lois du monarque et le monarque aux lois de nature, la liberté naturelle et la propriété des biens demeurant aux sujets ».

Pour Kant, le droit naturel repose uniquement sur des principes a priori, la raison que tout Homme peut connaître a priori. Pour lui, le droit naturel est un principe régulateur disposant d'un rôle critique, c'est le droit de l'Homme naturel, il l'oppose au droit positif qui émane de la volonté d’un législateur. C'est un droit naturel inné de liberté, une propriété de l'Homme à être libre, un droit rationnel inscrit dans l'humanité indépendant de tout système de droit public. Le droit naturel kantien transcende le droit établi, il permet de le juger.

Dans une démarche qui n’est pas politique, mais philosophique, Kant essaie de fonder une morale individuelle sur la raison seule. Le même acte peut selon l’intention qui y préside être moral ou immoral. Comment donc trouver un principe objectif et pratique qui nous dicte la « bonne » façon d’agir ? Kant trouve la réponse dans l’impératif catégorique, norme éthique suprême : « agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en même temps toujours valoir comme principe d’une législation universelle. » Un comportement ne pourrait donc être qualifié de juste que s'il est universalisé. Une autre formulation de cette éthique pourrait décrire l'ambition de l'éthique libérale : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen. »

Bien qu’on retrouve dans l’impératif catégorique les caractéristiques vers lesquelles tend le droit naturel (universalité, nécessité, objectivité), cette morale personnelle est trop rigoureuse pour tenir lieu de droit (ainsi elle interdit le mensonge ou le suicide). En effet il s’agit d’une norme éthique, personnelle bien que potentiellement universelle (car rationnelle), mais qui ne peut être imposée de l’extérieur.

En revanche, une norme juridique doit servir à évaluer une action indépendamment de l’intention qui la motive (qui n’est de toute façon accessible qu’au sujet agissant lui-même) ; elle peut être imposée par la contrainte. Le droit naturel pose ainsi les conditions de possibilité de la vie en société. Pour Kant, le droit naturel de l’Homme se résume à la liberté (« la liberté est l'unique droit originel revenant à chaque Homme en vertu de son humanité »), et la vie sociale implique « la limitation de la liberté de chacun à la condition de son accord avec la liberté de tous, en tant que celle-ci est possible selon une loi universelle. »

Droit naturel et individualisme

Avec Locke, l’orientation individualiste apparaît : c’est l’individu qui est la source de toute action, l’agent moral qui pense, perçoit, choisit et agit. Le droit naturel est la reconnaissance par l’ordre politique des droits personnels naturellement possédés par chacun.

Le XVIIIe siècle voit un développement politique très conséquent de la pensée de Locke :

  • la révolution américaine : selon Thomas Jefferson, tous les Hommes sont créés égaux ; ils sont dotés de certains droits inaliénables (vie, liberté, propriété et recherche du bonheur). Le but d’un gouvernement est uniquement d’assurer ces droits. Il ne faut pas confondre les droits politiques (qui peuvent être garantis par une Constitution) et les droits naturels, qui ne peuvent être abolis (c'est le sens du IXe amendement à la Constitution des États-Unis).
  • la Révolution française, avec la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le texte fondateur le plus libéral qu’ait connu la France, qui affirme explicitement les droits naturels (cependant, le terme de droit naturel disparaît des Constitutions françaises à partir de 1795).

À partir du XIXe siècle, sous l’influence tant du positivisme, de l’utilitarisme que des théories socialistes, on assiste à une relative éclipse du droit naturel. Bien que la notion de droit naturel reste en filigrane dans la pensée libérale, de nombreux libéraux préfèrent parler d’État de droit (Hayek : Rule of Law) plutôt que de droit naturel, et se contentent de développer une philosophie politique qui réduise les prétentions du droit positif (Frédéric Bastiat : la loi ne doit être que l’expression du droit de légitime défense), ce qui est une façon détournée de « faire » du droit naturel.

Au XXe siècle, c’est l’explosion des « droits à ». Ainsi, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, promulguée par les Nations unies en 1948, donne une longue liste de droits dont l’Homme est supposé disposer. Pour les libéraux, il s’agit de faux droits, arbitraires, octroyés aux uns aux dépens des autres, alors que le droit naturel est universel par définition. Il est urgent de revenir aux Lumières et aux sources du droit naturel.

La conception contemporaine, libertarienne, du droit naturel

Le droit naturel, aussi bien dans sa première acception (religieuse) que dans les prolongements laïques qui l’ont suivi, s’est formé en opposition au droit positif, souvent arbitraire, injuste, voire tyrannique, et qui, l’histoire l’a suffisamment montré, n’est trop souvent que l’expression de la loi du plus fort, en dépit de l’encadrement constitutionnel dans lequel on a pu l’enserrer.

À la différence du droit positif, le droit naturel n’édicte que des normes négatives car il s’agit uniquement pour chacun de respecter les droits de l’autre, donc de « ne pas faire » ce qui est illégitime. Ce n’est donc pas une collection précise de règles ou de lois comme en connaît le droit romain ou le droit français (Code civil, Code du commerce, Code pénal…), ni une jurisprudence comme en Common law, mais simplement une « axiomatique normative » (selon Hans-Hermann Hoppe et François Guillaumat), un cadre juridique, destiné à entourer l’action de chaque individu et à permettre de régler les conflits possibles sur une base présumée commune à tous les Hommes, la raison. Il n’est pas question d’aller dans le détail et de donner une liste explicite et exhaustive de règles en découlant et utilisables dans la vie quotidienne.

Rothbard, avec son œuvre majeure, L'Éthique de la liberté, pose le droit naturel comme fondation du libertarianisme, en se situant dans le prolongement de la tradition réaliste aristotélicienne et thomiste. Pour lui, le droit naturel est déduit de la nature essentielle de l’Homme (raison, conscience, capacité à opérer des choix). Vie, liberté, propriété, sont par nature sous le contrôle direct ou quasi-direct de la personne, ce sont des aspects d’elle-même, de sa nature. Cette « nature » est examinée de façon réaliste, comme sujet possible d’observation rationnelle et de réflexion, non comme un concept métaphysique ou religieux existant depuis toujours (nul besoin de présupposer une nature humaine intangible et invariante).

Les droits individuels sont conformes à la nature de l'Homme : certes, il est un animal social, mais pas au point que sa vie n'ait de sens que dans et par la société, comme l'abeille dont la vie est inséparable de celle de la ruche.

Le lien entre droit naturel et éthique est étroit : le droit naturel apparaît comme une éthique objective et universelle, c’est « l’éthique de l’espèce humaine » ; violer un droit naturel est donc immoral. Le droit naturel d’une personne doit être distingué de la manière dont elle l’exerce, qui relève de l’éthique privée et à ce titre peut être jugé (subjectivement) « moral » ou non.

Rothbard parle aussi, dans un sens plus large, de la loi naturelle, comme étant l'ensemble des règles que l'Homme est capable de découvrir par l'usage de sa raison - dont le droit naturel, censé participer d’un ordre moral objectif. Dans un cadre rationaliste, la loi naturelle reflète la conformité à la nature des choses : ainsi il est naturel pour l’être humain de manger de la viande ; le fait que certains puissent juger cela immoral (du point de vue de leur éthique personnelle ou religieuse) n’y change rien, et interdire ce fait « de nature », qui ne lèse personne, va contre la loi naturelle, et est donc immoral.

En réalité, la loi naturelle ne devrait pas s’opposer à l’éthique personnelle, car les valeurs fondées sur elle sont universelles, communes à tous les Hommes, et sont censées entrer d’emblée dans l’échelle des valeurs subjectives de toute personne dotée de sens moral.

A contrario, le droit positif exprime un ordre artificiel, instauré par les États et les politiciens, imposé sur un territoire donné, reflétant un ordre social qui n’est pas nécessairement en accord avec le droit naturel.

L'analyse libertarienne des relations sociales, fondée sur le droit naturel, est en fait révolutionnaire : elle met à jour les oppressions dont sont victimes les personnes, la principale étant l'oppression étatique, qui s'exerce par l'impôt, la conscription, la guerre, les lois liberticides, les monopoles d'État, la « solidarité » forcée, etc.

Toutefois, la mise en œuvre du droit naturel doit être cohérente avec le principe de non-agression. L’action politique (visant à réduire le pouvoir des Hommes de l’État), l’éducation, la diffusion du message libertarien, les contradictions propres à l’étatisme contemporain, telles sont les perspectives qui, selon les libertariens, devraient conduire vers la complète reconnaissance des droits de chacun. Bertrand Lemennicier dresse une liste de moyens conformes à l'éthique libertarienne : La légitime défense ou le droit de résistance à l'oppression, le combat des idées, l'action collective avec des mouvements abolitionnistes (contre l'esclavagisme d'État), la désobéissance civile, le droit d'ignorer l'État.

D'autres partisans du droit naturel, tels Leo Strauss (non libertarien), sans remettre en cause le paradigme étatique, estiment que le droit naturel est indispensable comme garde-fou ou comme modèle idéal, de par sa capacité à motiver et à justifier la critique des droits positifs.

Hayek et l'aspect cognitif du droit naturel

Hayek adopte une position originale qui ne considère le droit ni comme naturel et rationnel (vue jusnaturaliste) ni comme une construction humaine (vue positiviste), mais comme une donnée objective qu'il analyse selon une méthode évolutionniste :

« Assurément, l’on ne peut valablement représenter les règles de juste conduite comme naturelles au sens de parties d’un ordre externe et éternel des choses, ni comme implantées en permanence dans une inaltérable nature humaine, ni même au sens que l’esprit humain est ainsi constitué une fois pour toutes qu’il lui faille adopter ces règles de conduite précises. En revanche, il ne s’ensuit pas que les règles de conduite qui en fait guident l’Homme doivent forcément résulter d’un choix délibéré fait par lui ; ni qu’il soit capable de former une société en adoptant n’importe quelle règle qu’il décide de poser ; ni que ces règles ne puissent pas lui être procurées sans qu’intervienne une volonté personnelle, et donc avoir en ce sens une existence « objective ». L’on soutient parfois que seul ce qui est vrai universellement peut être regardé comme un fait objectif, et que tout ce qui est spécial à une société particulière ne peut pas être tenu pour tel. Mais cela n’est pas inclus dans le sens ordinaire du mot « objectif ». Les vues et opinions qui façonnent l’ordre d’une société, aussi bien que l’ordre résultant de cette société même, ne dépendent nullement d’une décision personnelle quelconque, et souvent elles ne se laisseront modifier par aucun acte d’autorité spécial ; en un tel sens, il faut les regarder comme un fait qui existe objectivement. Par conséquent, les résultats de l’agir humain qui ne sont pas provoqués par un dessein humain peuvent être pour nous objectivement donnés. »
    — Friedrich Hayek, Droit, Législation et Liberté

D'après Patrick Simon, l'apport majeur de Hayek au droit naturel est qu'il a découvert l'aspect cognitif d'une règle de droit naturel. Hayek explique que la connaissance humaine progresse quand il y a plusieurs règles en concurrence : chacune de ces règles incorpore et transmet avec elle de l'information. En se transmettant, elles véhiculent avec elles toutes les expériences que pendant des siècles les gens ont connues en appliquant cette règle. Au contraire, quand une règle de droit naturel est transformée en loi impérative, la mémoire qu'elle portait est tuée, elle n'est plus transmission de connaissance et d'information. Ainsi, par essai et erreur, les Hommes améliorent leur connaissance, adoptent des règles de plus en plus libérales, en dépit des régressions et des erreurs que font les Hommes politiques, sanctionnées par la main invisible qui résulte des choix individuels :

Le droit naturel comporte et favorise de multiples processus d'auto-régulation et de correction des erreurs. C'est grâce aux erreurs que, dans la nuit de l'ignorance et du doute, les Hommes progressent. (Patrick Simon)
Dans la démocratie libérale, la loi ne saurait se réduire à la volonté et aux caprices d'une majorité d'un jour. La loi ne peut être que le produit de procédures complexes où s'inscrit l'héritage accumulé d'une longue histoire juridique et culturelle. (Alain Madelin)

L'histoire du droit naturel deviendrait ainsi l'histoire de la liberté.

Cette façon de voir est contestée par les jusnaturalistes libertariens, qui ne voient pas en quoi un processus de découverte des règles de justice permet d'aller vers plus de justice. Pour certains (comme François Guillaumat), Hayek est un théoricien du droit naturel qui curieusement ne se reconnaît pas comme tel. Pour d'autres, Hayek ignore le monopole de la justice ou l'influence des groupes de pression, et son relativisme social le rapproche des positivistes et des utilitaristes :

Le droit, pour Hayek, est un ensemble de règles abstraites, métaconscientes, dont une petite partie a été codifiée, souvent de manière défectueuse. Les droits de l’Homme en sont un exemple. L’inconvénient, dans cette justification par Hayek de l’émergence d’un droit naturel par un processus historique, est évidemment son utilitarisme ultime. Les règles sélectionnées par l’Histoire ne sont pas justes en soi mais justes parce qu’elles sont utiles à l’accroissement de la population humaine. Il y a donc chez Hayek un noyau d’incohérence, malgré toutes les magnifiques analyses qu’il nous offre, et une certaine tendance historiciste : une règle abstraite et spontanée (non décrétée) est justifiée parce qu’elle a permis à la population qui l’a adoptée de s’accroître. Bien entendu, Hayek ne s’en tient pas là. Mais toutes ses justes analyses sur l’évolution culturelle ne conduisent pas logiquement à donner une légitimité éthique au libéralisme. (Marc Grunert]
Malheureusement, il ne semble pas avoir remarqué les différences entre un marché, lequel présuppose la « liberté et l'égalité dans l'argumentation justificatrice » et une société où des groupes divers emploient tous les moyens à leur disposition, y compris le pouvoir législatif et règlementaire, pour former les opinions, les pratiques et les règles dominantes. Il n'a pas remarqué la différence entre une procédure de découverte des règles de juste conduite et une procédure pour découvrir les règles sociales qui sont efficaces du point de vue de ceux qui exercent la prépondérance de l'influence et du pouvoir dans la société. Il n'y a que ceux qui confondent la justice et l'efficacité sociale qui puissent rester aveugles à la confusion conceptuelle qui se cache derrière la tentative alambiquée de Hayek pour justifier son libéralisme classique par une théorie de l'évolution sociale. (Frank van Dun)

Pour Frank van Dun, Hayek raisonne en économiste par analogie avec la découverte des prix d'ajustement du marché et des méthodes d'organisation optimales suivant les circonstances. La conception hayékienne n'est pas acceptable, car elle pose « l'opinion socialement dominante » comme « source infiniment variable du Droit »[4], alors que « le droit est un ordre objectif fondé sur la nature des choses, et non un ordre de conventions fondé sur la volonté dominante ou régnante de la société. » La conception de Frank van Dun repose sur l'éthique de l'argumentation (proche de l'éthique de la discussion de Habermas) : le droit est un « ordre des personnes » fondé sur le discours, la relation verbale, puisque la parole, (ratio, logos) est l'élément le plus caractéristique de la personne naturelle.

Applications du droit naturel

Le droit ayant été confisqué par les États sous la forme du droit positif, le droit naturel n'est plus considéré par ces derniers comme une base juridique admissible. Par le passé, les juges étaient conscients de la relativité, des incohérences et des déficiences du droit positif. Ainsi, Émile Faguet[5] distingue un mode de jugement en équité (hérité de l'Ancien Régime) et un mode de jugement selon la loi, en regrettant que ce dernier mode (le seul légal) aboutisse à l'irresponsabilité morale des magistrats. En Russie tsariste, on pouvait choisir d'être jugé selon la loi (по закону) ou selon la conscience (по совести) ; le terme de loi (закон) désigne aussi le code d'honneur que respectent les voyous (вор в законе : « voleur légitime », désignant un prince des voleurs bien supérieur à un simple voyou, блатной). Comme le disait John McCarthy : « L'honneur entre brigands est l'ancêtre de tout honneur. »

En revanche, dans le domaine du droit international, où prévaut une situation d'anarchie (au sens originel du terme : il n'y a pas d'instance suprême), la pensée de plusieurs théoriciens du droit naturel (Grotius, Alfred Verdross...) a servi à élaborer des normes juridiques qui s'appliquent aux relations internationales (par exemple le droit d'ingérence ou la neutralité). Le concept de jus cogens semble relever aussi du droit naturel, bien que la propriété en soit curieusement exclue. Les partisans du droit naturel y voient une confirmation de la possibilité de disposer de bases juridiques rationnelles non édictées par des institutions coercitives. Il y a même eu des spéculations de la part des scientifiques quant au droit à appliquer en relation avec des peuples extraterrestres[6]...

Le droit naturel subsiste cependant dans le concept libéral d'État de droit et de Rule of Law, qui limite le pouvoir de l'État au nom de principes supérieurs.

Un tribunal arbitral est une conséquence directe du contrat et des effets d'un contrat. Le tribunal arbitral procède donc également du droit naturel.

Plusieurs théoriciens notent que les organisations dites criminelles, comme la mafia, appliquent une forme de droit naturel :

«  Non seulement nous voyons [la mafia] appliquer une justice anarcho-capitaliste, mais il est clair aussi que son code comporte une théorie bien construite de justice proportionnée. Dans un monde où l'idée que la punition doit correspondre au crime a été abandonnée, idée pour laquelle combattent toujours les théoriciens libéraux, il est réconfortant de voir la mafia appliquer en pratique la proportionnalité des peines. »
    — Murray Rothbard

Les principaux thèmes

Toute théorie du droit naturel explore nécessairement les thèmes suivants :

  • Égalité, ou isonomie : le droit s’applique de la même façon pour tous, condition nécessaire pour que puisse exister la justice, garante de l’ordre social. Un droit naturel est universel (il s’applique potentiellement à tous les Hommes), réciproque (il ne constitue pas un privilège réservé à certains), légitime (il est immoral de le violer).
  • Liberté : valeur principale du droit naturel, qu’on l’exprime comme indépendance de l’individu, autonomie de la personne, droit à ne pas être contraint, protection de la sphère privée, inaliénabilité de la volonté, propriété de soi-même, droit de sécession (individuel ou collectif), droit à ne pas être emprisonné arbitrairement (habeas corpus), etc.
  • Responsabilité : être libre suppose qu’on puisse répondre de ses actes ; chacun étant libre, sa liberté est limitée naturellement par celle des autres.
  • Droit à la vie : entendu, non pas comme un droit à l’assistanat, mais comme l’interdiction d’attenter à la vie d’une autre personne (le « tu ne tueras point » du Décalogue, qu'on retrouve dans tous les codes juridiques antiques) et le droit de se protéger d’une agression (légitime défense).
  • Propriété : le droit pour chacun de disposer à sa guise de ce que son propre effort et son action ont produit, dans la limite des droits légitimes d’autrui.
  • Individualisme : à la base, seul l’individu est sujet de droit. Toute entité collective (association, entreprise, syndicat, église…) est légitime tant qu’elle n’est pas coercitive envers ses membres ni envers les autres.

Réprobations, objections et oppositions au Droit naturel

Le Relativisme

Si le relativiste défend l'idée qu'aucune norme ne peut être au-dessus des autres, au nom de l'égale validité de toute norme, alors il n'y a aucune possibilité de trouver un critère nous permettant de prendre nos distances vis-à-vis de certaines normes, les juger et les écarter. Les Hommes ne trouvant plus les principes ou critères adéquats pour juger de la justesse de leurs actions, le seul fondement leur servant de guide est celui de l'« égale tolérance » à l'égard de n'importe quelle préférence ou orientation.

S'il existe une pluralité de systèmes, variables selon la culture, la religion, la géographie ou la conscience historique, le relativiste affirme que par là aucun système éthique ne peut être fondé sur un critère fixe et unique. C'est pourquoi il est devenu semblablement acceptable que la notion de personne humaine soit variable selon certains contextes, car le produit relatif d'une éducation ou d'une culture en particulier.

D'ailleurs, nous pouvons réduire la thèse relativiste à l'affirmation que le droit naturel ne peut être possible en présence d'une grande variabilité de conceptions sur la nature humaine, par conséquent nous ne pouvons pas acquérir une connaissance pleine et certaine sur le droit naturel. Mais si nous pouvons découvrir que les problèmes fondamentaux restent toujours les mêmes, alors le fait de pluralité d'opinions ne constitue pas une objection sérieuse, d'autant plus qu'il n'est pas nécessaire l'existence d'un accord commun et unanime de toute l'humanité pour dégager un horizon stable et certain. L'hypothèse d'un accord démocratique, ou tout autre type de solution arbitraire, pour résoudre le problème relativiste n'invalide aucunement les principaux principes du droit naturel. Après tout, le nazisme et le communisme avaient aussi leur propre système de valeurs. Le relativisme, on peut le constater, régit effectivement le droit positif instauré par les États, mais cela n'invalide pas le concept de droit naturel.

Leo Strauss critique ce qu'il appelle le conventionnalisme, à savoir l'opinion selon laquelle le droit et la justice n’ont aucun fondement dans la nature, que les « choses justes » diffèrent d’une société à l’autre :

«  Montrer que les conceptions de la justice ont varié n'est pas prouver l'inexistence du droit naturel ou l'impossibilité de le connaître. Cette diversité, on peut la comprendre comme la diversité des erreurs qui, loin de réfuter l'existence de la vérité unique, l'impliquent au contraire. [...] il est parfaitement possible que le droit naturel informe, pour ainsi dire, la diversité infinie des conceptions de la justice et des lois, ou autrement dit, qu'il soit à la racine de toutes les lois. »
    — Leo Strauss, Droit naturel et histoire, 1953

Le Positivisme juridique

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L'Utilitarisme juridique

Pour les tenants de l'utilitarisme aucun acte est proprement désintéressé, toute action est approuvée ou désapprouvée selon le principe d’utilité. Obéissant à la loi des peines et des plaisirs le principe d’utilité fixe les normes d'action, qu'elle soit morale ou politique, et les règles de gouvernement d'une société.

L'intérêt des individus est, selon l'optique utilitariste, le miroir de la somme des intérêts de ce qui constitue l’intérêt de toute la société. Partant d'un principe universel, utilitaire, celui-ci vise le bénéfice de toute la communauté, le bien moral est celui qui sert l'intérêt du plus grand nombre sans écarter la poursuite des motifs et intérêts personnels, il s'agit de les harmoniser. Dans ce sens le droit regarde le gouvernement des intérêts, le rôle de la législation.

« Pourquoi ce zèle à proclamer ces droits comme certains, comme imprescriptibles, comme inaliénables ? C'est qu'on ne les a trouvés nulle part, dans aucune législation, pas même dans la plus petite république. Moins ils sont en existence, plus on fait de bruit pour persuader qu'ils ont toujours existé ». Jeremy Bentham, Sophismes anarchiques

Pour Jeremy Bentham le droit naturel est une espèce de talisman, une créature chimérique, une métaphore utilisée par des charlatans. Pour lui un droit n'est droit qu'une fois reconnu par un gouvernement, il devient réel dans les mains d'un gouvernement. Bentham rejette effectivement le jusnaturalisme du XVIIIe siècle, la doctrine des droits de l’Homme, où il décèle les incohérences et contradictions. Pour lui les droits de l'Homme n'offrent aucune garantie d'être applicables, d'une part à cause de l'imprécision de certains concepts, des maximes sans précision, tout en se présentant infaillibles et incontestables, d'une autre part, la déclaration des droits de l'Homme propose des buts qui n'ont aucun effet pratique, au mieux elle repose sur une confusion d'idées, au pire elle repose sur un fanatisme rendant tout système de droits impossible.

Même si l'utilitarisme benthamien n'admet pas la notion de droit naturel, certains utilitaristes reconnaissent toutefois que des lois peuvent être injustes. John Stuart Mill distingue ainsi le droit légal et le droit moral :

«  C'est toujours pour la même raison, semble-t-il, qu'on regarde comme injuste une loi, aussi bien qu'une violation de la loi. Il s'agit, dans les deux cas, d'une violation du droit de quelqu'un ; ce droit, ne pouvant être dans le premier cas un droit légal, reçoit un nom différent ; on l'appelle droit moral (moral right). »
    — John Stuart Mill, L'utilitarisme, chapitre V

Dans la conception anarcho-capitaliste utilitariste (par exemple celle de Vers une société sans État de David Friedman), il n'y a pas besoin de droit naturel : les sociétés de protection et les tribunaux auxquels elles sont liées proposent sur le marché un certain nombre de législations différentes. C'est le client qui assure ainsi le succès d'une législation sur une autre. Ce n'est pas forcément contradictoire avec le concept de droit naturel : s'il existe vraiment un tel droit, toutes ces législations devraient in fine converger vers lui, à quelques détails près qui ne seraient qu'affaire de convention ou de procédure.

Le darwinisme social

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L'irrationalisme

La raison est considérée comme contre nature, car inférieure aux instincts et aux impulsions animales ; l'Homme véritable obéit à ses instincts primordiaux plus qu'à sa raison. Ce à quoi Ludwig von Mises répond que « la raison, qui est le trait le plus caractéristique de l'Homme, est elle aussi un phénomène biologique. Elle n'est ni plus ni moins naturelle que n'importe quel autre trait de l'espèce homo sapiens, tels que la station debout ou la peau sans fourrure. »

Le collectivisme

Pour Frank van Dun, le droit est un ordre objectif fondé sur la nature des choses, et non un ordre de conventions fondé sur la volonté dominante ou régnante de la société.

La société est vue comme une entité supérieure devant laquelle les droits individuels doivent s’effacer. Frank van Dun décrit de la façon suivante les bases du droit positif socialiste :

  1. les individus appartiennent à la société, qui a donc le droit de les contraindre à obéir à ses prescriptions ;
  2. la société doit s’occuper des individus, car ceux-ci sont incapables de gérer correctement leurs vies et leurs propres affaires.

Pour les libéraux, personnifier sous un concept collectif (classe sociale, nation...) un ensemble d’individus différents et attribuer à cette entité des droits distincts est abusif : la société n’est pas une personne, elle ne peut disposer de droits ni être responsable, sauf à nier les droits de l’individu et à confier la direction de la société à des « guides » éclairés qui se feront ses interprètes (ou ses grands prêtres, ou ses bourreaux).

L'Anarchisme collectiviste

L'anarchisme collectiviste refuse le droit positif étatique, mais ne met pas la propriété au rang d’un droit naturel au même titre que la liberté, alors que pour le libéralisme les deux sont inséparables, la liberté ne pouvant exister sans la propriété, qui participe du domaine d’action légitime de l’individu.

Le Subjectivisme

Le droit naturel moderne est parfois accusé de refléter un subjectivisme juridique, et de constituer une idéologie des droits de l'Homme laxiste et permissive, par opposition au droit naturel classique tombé en désuétude après le Moyen Âge‎, la loi selon la conception judéo-chrétienne remplaçant progressivement le droit romain (confusion entre loi et droit). Pour Michel Villey, c'est l'hégémonie de la bourgeoisie qui aboutit à cette conception où le droit n'est plus de nature relationnelle, liée au corps social, mais découle d'une nature humaine antérieure au droit. Les auteurs libertariens réfutent cette critique en rejetant ce prétendu subjectivisme, en montrant les aspects objectifs de la propriété et de l'agression, et en dénonçant les faux droits subjectifs.

Théoriciens du droit naturel

Les controverses autour de la conception libertarienne du droit naturel

  • La notion de nature humaine : une critique fréquente portée sur le droit naturel est qu’il reposerait sur la croyance en une nature humaine préexistante, donnée une fois pour toutes. Or, précisément le droit naturel moderne, par opposition au droit naturel classique dérivé de la théologie, n’affirme pas le caractère absolu d’une nature humaine dérivant de la Nature avec une majuscule (vision des Anciens) ou établie par Dieu (vision chrétienne du droit naturel). Il ne postule pas une essence de l'Homme qui précèderait son existence. Il se contente, par une approche philosophique réaliste, de partir des caractéristiques humaines constatables pour établir le droit naturel, qui n’est pas une idée platonicienne, mais fait l’objet d’une recherche rationnelle. Dire que la nature d'un Homme diffère de la nature d'un animal ou d'un minéral exprime une évidence et n'implique pas qu'il existe une quelconque essence de l'Homme. Le croyant peut souscrire au droit naturel moderne, conforme à ses convictions ; en revanche le droit naturel n’implique pas quelque croyance préalable que ce soit – mais il ne devrait pas non plus, en théorie, être en contradiction avec les préceptes qui fondent les différentes religions.
  • Le droit naturel, réduit à une idéologie libertarienne ou libérale : c’est la critique relativiste. Plutôt que d’idéologie, les libertariens préfèrent parler, à propos de leur conception du droit naturel, d’axiomatique normative : normative, car sa finalité est bien d’établir des normes de vie en société, des règles sociales ; axiomatique, car un tel droit se démontre à partir de concepts de base qui, eux, ne peuvent qu’être admis sans démonstration, car sans ces concepts (tels que liberté, propriété, responsabilité), aucune vie sociale n’est pensable.
  • Le domaine du droit naturel : à quel sujet s’applique-t-il ? À tout être humain, certes, mais qu’en est-il de l’enfant, du handicapé, du dément ? Ont-ils des droits équivalents à ceux d’un adulte en pleine possession de ses moyens ? Et l’embryon a-t-il des droits équivalents à ceux de la femme qui le porte (voir l’article sur l’avortement) ? Parmi les libéraux, certains soutiennent le caractère absolu du droit à la vie, d’autres insistent sur l’importance de l’autonomie et de la rationalité, affirmant qu’un être entièrement dépendant ne saurait avoir de droit (de même que, selon Rothbard, « les animaux auront des droits quand ils viendront les demander »).
  • Les conflits de droits : a-t-on le devoir de garder sur un bateau un passager clandestin ? doit-on porter assistance à une personne en danger s'il est possible de le faire sans se mettre soi-même en danger ? Certains libertariens considèrent que de telles obligations portent atteinte à l’inaliénabilité de la volonté humaine et instaureraient un devoir d’assistance qui deviendrait rapidement illimité ; d’autres mettent en garde contre l’abus de droit ou dénoncent le manque de proportionnalité entre faute et peine.
  • Les cas à la marge, pour lesquels il est difficile de trancher : le bateau coule et il n’y a pas assez de places dans les canots de sauvetage. La plupart des libertariens admettent dans ce cas le droit du premier occupant, mais est-ce vraiment juste ? « Les femmes et les enfants d’abord » est-ce plus juste ? Certes, le droit ne peut se fonder sur les cas limites, pas plus qu’il ne saurait envisager les circonstances particulières qui peuvent rendre tantôt légitime tantôt illégitime une action.
  • L’État et la loi peuvent-ils garantir le droit naturel ou lui sont-ils forcément ennemis ? La souveraineté de l'État sur les biens et la vie de ses sujets peut-elle coexister avec les droits individuels, voire en être la garantie ? Libéraux et libertariens s’opposent sur le sujet, et parmi les libertariens, minarchistes et anarcho-capitalistes s’opposent également entre eux.
  • La propriété est-elle un droit naturel ? Certains libéraux de gauche et la plupart des anarchistes, même s’ils sont partisans du droit naturel, ne le pensent pas et excluent la propriété du droit naturel, ou limitent sérieusement la portée de ce droit (en particulier, il y a dissension quant aux conditions de première appropriation des biens naturels). Cependant, on ne peut imaginer une vie sociale sans propriété (ne serait-ce qu’une propriété collective). Remettre en question la propriété en tant que droit naturel, c’est occulter le caractère historiquement individualiste du droit naturel pour privilégier une approche collectiviste ou utilitariste, propre à remettre en question un autre droit naturel fondamental, la liberté.

Citations

  • « Les préceptes du droit sont de vivre honnêtement, de ne faire tort à personne, et de rendre à chacun ce qui lui est dû. » Les Institutes, Justinien
  • « Rejeter le droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. Or, il est évident et parfaitement sensé de parler de lois et de décisions injustes. En portant de tels jugements, nous impliquons qu'il y a un étalon du juste et de l'injuste qui est indépendant du droit positif et qui lui est supérieur: un étalon grâce auquel nous sommes capables de juger du droit positif. » (Leo Strauss)
  • « Contrairement au positivisme juridique et aux diverses formes d’historicisme, le droit naturel fournit, en morale et en politique, une loi supérieure permettant de porter un jugement sur les édits des Hommes de l’État. Le droit naturel, loin d’être conservateur, est extrémiste, il recherche nécessairement la société idéale. « Le libéralisme, expliquait Acton, tend vers ce qui doit être, sans égard pour ce qui est ». Selon Acton, « on ne doit reconnaître aucune autorité au passé sinon dans la mesure où il est conforme à la morale ». » (Murray Rothbard)
  • « La loi vraie est la raison juste en accord avec la Nature ; elle est d'application universelle, invariable et éternelle ; elle invite au devoir par ses commandements et détourne du mauvais chemin par ses interdictions. Les lois ne seront pas différentes à Rome ou à Athènes, et elles ne différeront pas d'un jour à l'autre : une seule loi éternelle et invariable sera valide pour toutes les nations et en tout temps. » (Cicéron, De Republica)
  • « Le principe du droit naturel est le juste dans son unité, autrement dit, l’unité des idées du genre humain concernant les choses dont l’utilité ou la nécessité est commune à toute la nature humaine. » Giambattista Vico, Scienza nuova
  • « Le droit naturel s'entend de deux manières. D'une part, il s'agit d'un produit de l'ordre spontané, d'une loi naturelle qui se découvre par un processus de développement spontané du droit à la manière de la Common Law britannique. D'autre part, le droit naturel anarcho-capitaliste se réfère aussi à un ensemble de principes fondamentaux – des principes lockéens chez Rothbard – accessibles à la raison et sur la base desquels peut ensuite s'arranger le développement spontané des règles de droit. Autrement dit, le développement du droit relèverait de la jurisprudence des tribunaux privés qui découvriraient la loi et corrigeraient le droit coutumier à la lumière des principes rationalistes du droit libertarien. De là, selon Rothbard, résulterait un « code de lois » dérivé à la fois du droit coutumier et de l'éthique rationaliste libertarienne. » (Pierre Lemieux, L'Anarcho-capitalisme)
  • « Un droit est un principe moral qui définit et sanctionne la liberté qu'une personne a d'agir dans un contexte social. Il n'existe en ce sens qu'un droit fondamental (tous les autres ne sont que ses conséquences ou ses corollaires) : le droit d'un Homme de posséder sa propre vie. [...] Ce qui signifie le droit de faire tout ce qui est nécessité par la nature d'un être rationnel pour le maintien, la promotion, l'accomplissement et la réussite de sa propre vie. » (Ayn Rand)
  • « L’état de nature est régi par un droit de nature qui s’impose à tous ; [...] nul ne doit léser autrui dans sa vie, dans sa santé, sa liberté et ses biens. » (John Locke, Second Traité du gouvernement civil, II)
  • « Le droit naturel ou l'ordre de convivialité [...] se caractérise par la coexistence des Hommes en tant qu'individus distincts et séparés. Par conséquent, il est possible de faire distinction de façon objective entre les actes qui respectent l'existence distincte et séparée de chaque autre personne et les actes qui ne la respectent pas - le vol, l'escroquerie, la violence contre les personnes et leurs biens, etc. En revanche, nier la réalité du droit naturel, c'est nier la réalité des êtres humains et de leurs existences distinctes et séparées. Alors, les distinctions entre les personnes ne pouvant être conçues que comme des distinctions artificielles et conventionnelles, la justice est mise à la dérive. La distinction entre acte juste et acte injuste devient alors tout à fait arbitraire. » (Frank van Dun)
  • « Le droit naturel, ce sont des règles spontanées de juste conduite, qui s'opposent à des règles impératives qu'on est contraints de suivre. Un exemple classique : dans le Code civil vous avez un texte qui dit qu'on est responsable des dommages causés par sa faute ; c'est une règle qui existerait même si elle n'était pas écrite dans un code, parce qu'elle est éternelle et avant qu'elle soit écrite en 1804 elle a existé pendant des siècles et des siècles. Une telle règle ne fait qu'exprimer quelque chose d'évident, qui existait déjà. » (Patrick Simon)
  • « Le droit naturel des Hommes diffère du droit légitime ou du droit décerné par les lois humaines, en ce qu'il est reconnu avec évidence par les lumières de la raison, et que par cette évidence seule, il est obligatoire indépendamment d'aucune contrainte ; au lieu que le droit légitime limité par une loi positive, est obligatoire en raison de la peine attachée à la transgression par la sanction de cette loi, quand même nous ne la connaîtrions que par la simple indication énoncée dans la loi. » (François Quesnay, Le droit naturel, chap 2)
  • « Le concept de droit naturel, contre lequel toute la jurisprudence moderne a réagi, est la conception rationaliste pervertie qui interprétait le droit naturel comme une construction déductive de la raison naturelle plutôt que comme le résultat imprévu d'un processus de croissance dans lequel le test servant à déterminer ce qui est juste n'est pas la volonté arbitraire de quiconque, mais la compatibilité avec tout un système de règles héritées mais partiellement désorganisé. » (Hayek, « Le résultat de l'action humaine mais non d'un dessein humain », Essais de philosophie, de science politique et d'économie)
  • « Vous qui avez perdu la notion de ce qu’est un droit, vous qui hésitez dans une fuite stérile entre l’affirmation que les droits sont un don de Dieu, un cadeau surnaturel reposant sur la foi, ou que les droits sont un don de la société, qu’il faut arracher à son désir arbitraire, apprenez que les droits de l’Homme ne découlent ni de la loi divine ni de la loi sociale, mais de la loi de l’identité. A est A ; et l’Homme est l’Homme. Ses droits sont les conditions d’existence requises par sa nature pour sa propre survie. » (Ayn Rand, Atlas Shrugged, Discours de John Galt)
  • « Celui qui part de l'idée préconçue que la notion du droit doit être positive, et qui ensuite entreprend de la définir, n'aboutira à rien ; il veut saisir une ombre, poursuit un spectre, entreprend la recherche d'une chose qui n'existe pas. La notion du droit, comme celle de la liberté, est négative ; son contenu est une pure négation. C'est la notion du tort qui est positive ; elle a la même signification que nuisance - læsio - dans le sens le plus large. Cette nuisance peut concerner ou la personne, ou la propriété, ou l'honneur. Il s'ensuit de là que les droits de l'Homme sont faciles à définir : chacun a le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à un autre. » (Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena)
  • « Les notions de tort et de droit [...] sont évidemment indépendantes des législations, et les précèdent ; il y a donc un droit purement moral, un droit naturel, et une doctrine pure du droit ; pure, c'est-à-dire indépendante de toute institution positive.  » (Arthur Schopenhauer, Le fondement de la morale)
  • « La loi n'est pas la source des droits de l'Homme, elle doit en être la codification. Elle en résulte. Le législateur ne crée pas du droit de l'Homme à volonté, et les véritables droits de l'Homme sont antérieurs à la loi. Aucune loi ne saurait les abolir, pas plus que les créer. Les droits de l'Homme se constatent, dit justement Bertrand de Jouvenel dans Du Pouvoir ; ils ne s'inventent pas. » (Jean-François Revel)
  • « Le droit naturel est l'ensemble des normes indépendantes de tout droit positif et supérieures à ce dernier, elles ne tirent pas leur dignité de règlements arbitraires, mais à l'inverse elles légitiment la force obligatoire du droit positif. Le droit naturel est donc le terme générique pour les normes qui ne sont pas légitimes en vertu d'une législation légitime, mais en vertu de leurs qualités immanentes. C'est la seule forme spécifique et conséquente de légitimité qui puisse subsister quand les révélations religieuses et la sainteté autoritaire de la tradition et leurs servants auront disparu. » (Max Weber)
  • « Les citoyens possèdent des droits individuels indépendants de toute autorité sociale ou politique, et toute autorité qui viole ces droits devient illégitime... Aucune autorité ne peut porter atteinte à ces droits, sans déchirer son propre titre. » (Benjamin Constant)

Informations complémentaires

Notes et références

  1. The right of nature...is the liberty each man has, to use his own power...for the preservation of his own nature ; that is to say, of his own life ; and consequently, of doing anything, which in his own judgment, and reason, he shall conceive to be the [best] means [thereto]. (Hobbes, Léviathan, chap. 14)
  2. « Par droit naturel j'entends donc les lois mêmes de la nature ou les règles selon lesquelles se font toutes choses, en d'autres termes, la puissance de la nature elle même ; d'où il résulte que le droit de toute la nature et partant le droit de chaque individu s'étend jusqu'où s'étend sa puissance ; et par conséquent tout ce que chaque Homme fait d'après la loi de la nature, il le fait du droit souverain (ou de droit suprême) de la nature, et autant il a de puissance, autant il a de droit. » (Spinoza, Traité politique)
  3. "C'est à moi de décider ce qui est pour moi le droit. Hors de moi, pas de droit. Ce qui m’« est juste » est juste. [...] L'homme naturel n'a qu'un droit naturel, sa force, et des prétentions naturelles : il a un droit de par sa naissance et des prétentions de par sa naissance. » (Max Stirner, L’unique et sa propriété)
  4. Droit naturel : débat Patrick Simon - Frank van Dun
  5. Émile Faguet, Le culte de l'incompétence, et l'horreur des responsabilités, 1910.
  6. Acrobat-7 acidtux software.png [pdf]Relationships with Inhabitants of Celestrial Bodies, Albert Einstein, Robert Oppenheimer
  7. Ray F. Harvey, 1937, "Jean Jacques Burlamaqui: A Lib�eral Tradition in American Constitutionalism", Chapel Hill: Univ. of North Carolina Press

Bibliographie

  • 1951, A. P. D'Entrèves, Natural Law. An Introduction to Legal Philosophy, Londres, Hutchinson's University Library
  • 1961, Michel Villey, Abrégé du Droit naturel classique, Archives de Philosophie du Droit, n°6, pp25–72
  • 1979, Richard Tuck, "Natural Rights Theories", Cambridge: Cambridge University Press
  • 1983, Michel Villey, Le Droit et les Droits de l'homme, PUF, "Questions", 1983, rééd. 1998
  • 1987, Russell Hittinger, "A Critique of the New Natural Law Theory", Notre Dame, IN: University of Notre Dame Press
  • 1992,
    • Charles Covell, "The Defence of Natural Law", New York: Palgrave Macmillan
    • Robert P. George, dir., "Natural Law Theory", Oxford: Clarendon Press

Voir aussi

Liens externes

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Utilitarisme Et Jusnaturalisme (for)
Droit Naturel : Construction Ou Découverte ? (for)
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