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Historicisme
L'historicisme, tel qu'il est souvent entendu dans les débats, est l'idée que l'histoire puisse permettre de prédire les événements futurs. Cette tendance à accorder une place prépondérante à l'histoire dans l'explication des faits humains est un courant philosophique important mais critiqué.
Définition de l'historicisme et analyse par Karl Popper
Le philosophe Karl Popper donne cette définition de l'historicisme dans Misère de l'historicisme (Plon, 1955) :
« Qu'il me suffise de dire que j'entends par [historicisme] une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de la prédiction historique leur principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les « rythmes » ou les « motifs » (patterns), les « lois », ou les « tendances générales » qui sous-tendent les développements historiques. »
Sa critique porte sur le fait que la représentation d'un tel développement de la Raison dans l'Histoire, non seulement est contradictoire en soi (si chaque époque révèle un particularisme qui doit être dépassé, la modernité est une telle époque), mais aboutit aussi à rendre relatives les figures historiques dans lesquelles la raison s'est montrée.
Le relativisme propre à l'historicisme tend à déconsidérer comme choses du passé les philosophies antérieures, pour ne privilégier que ce qui arrive en dernier. Non seulement l'historicisme est aliéné à la conscience historique, mais tend à faire le lit de l'idée selon laquelle les Modernes comprennent mieux les auteurs du passé, que ceux-ci ne se comprenaient eux-mêmes. Cette appréhension surplombante du passé, en tant qu'elle réinterprète l'histoire à la faveur des opinions du présent et sous le mode du relativisme, préfigure le nihilisme, et par sa distinction entre faits et valeurs, l'éclatement de la philosophie en sciences humaines.
D'après Karl Popper, le marxisme, sous la forme du matérialisme historique, est l'historicisme le plus abouti (hérité de Hegel), qui fait explicitement de la lutte des classes le moteur de l'histoire. En découle le totalitarisme socialiste tel qu'on l'a connu au XXe siècle : une petite élite prétend connaître les lois historiques qui régissent la société, en déduit des conséquences qu'elle proclame infaillibles (quitte à les modifier ensuite si la nécessité l'exige), et pose pour finir comme unique règle "morale" l'accomplissement de ses prédictions (par la violence et la loi du plus fort). Popper écrit ainsi :
« L'historicisme est tout simplement une idiotie, parce que c'est une tentative pour prévoir l'histoire future, alors que la caractéristique de l'histoire, c'est qu'elle nous met toujours devant une révolution imprévisible. (...) Je crois que (s'interroger sur le sens de l'histoire) est une erreur intellectuelle. Nous n'avons pas besoin d'un sens de l'histoire. nous pouvons admirer l'histoire, parce qu'elle est riche en faits dignes d'être admirés, en personnes merveilleuses. Et elle peut aussi nous enseigner de quoi nous devons avoir peur. Et parmi les choses dont nous devons avoir peur, il y a le "sens de l'histoire", parce qu'il nous entraîne toujours et exclusivement dans la mauvaise direction. »
— Karl Popper, La Leçon de ce siècle, 1993
L'historicisme selon Ludwig von Mises
L'économiste autrichien Ludwig von Mises s'intéressa aussi à l'historicisme de manière critique. Le chapitre intitulé « L'historicisme » de l'ouvrage Théorie et Histoire [1] de Ludwig von Mises commence par soutenir que la thèse fondamentale de l'historicisme est que, en dehors des sciences de la nature, des mathématiques et de la logique, il n'y a pas de connaissance autre que celle fournie par l'Histoire. L'historicisme prétend que l'étude du passé dévoile l'allure des choses à venir. Les historicistes, soutient encore Mises, prétendent être des historiens mais ne se contentent pas seulement des faits historiques, ils prétendent aussi pouvoir décrire l'inévitable futur qui va se produire en s'inspirant des prophéties élaborées par les méthodes métaphysiques de la philosophie de l'Histoire.
Les historiens ne prétendent pas savoir quoi que ce soit de l'avenir. Le déterminisme historiciste affirme « cela se passera quoi que vous puissiez faire pour l'éviter », il prétend qu'une voix intérieure lui a révélé la connaissance des choses à venir.
L'historicisme en économie (ou historisme)
L'historicisme, qu'il serait plus approprié d'appeler historisme, est aussi un courant de pensée économique qui a émergé en Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle, d'abord en Allemagne (l'École historique allemande) puis, de manière plus diffuse, en Grande-Bretagne et en France.
L'élément fédérateur de ce courant est un rejet successif de la méthodologie et des thèses de l'économie classique britannique dérivée de Ricardo (Nassau Senior, Sidgwick, Stuart Mill, John Elliott Cairnes) et du marginalisme (Léon Walras, Carl Menger, Jevons).
En France, l'école de la régulation, se réclame d'une filiation historiciste.
Citations sur l'historicisme
- « L'expérience historique, expérience de phénomènes complexes, ne nous présente pas des faits au sens où les sciences naturelles emploient ce terme pour désigner des événements isolés éprouvés par expérimentation. L'information fournie par l'expérience historique ne peut être employée comme matériau pour construire des théories et prédire des événements futurs. Chaque expérience historique est susceptible d'interprétations diverses, et en fait elle est interprétée de différentes manières. » (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
- « L'Histoire ne peut nous enseigner aucune règle, aucun principe ni loi d'ordre général. Il n'y a aucun moyen d'abstraire d'une expérience historique a posteriori de quelconques théories ou théorèmes concernant la conduite et les politiques humaines. Les données de l'Histoire ne seraient qu'une maladroite accumulation de faits sans liens, un monceau de confusion, si elles ne pouvaient être éclairées, distribuées et interprétées par un savoir praxéologique systématique. » (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
- « L'erreur que font les prophètes qui prétendent prédire le cours de l'histoire est qu’ils supposent qu'aucune idée nouvelle ne s’emparera de l'esprit humain, en-dehors de celles qu’eux-mêmes connaissent déjà. Hegel, Comte et Marx, pour ne nommer que les plus célèbres de ces devins, n’ont jamais douté de leur propre omniscience. Chacun était pleinement convaincu qu’il était l'homme élu par les puissances mystérieuses qui dirigent avec prévoyance toutes les affaires humaines, choisi par elles pour élucider l'évolution des changements historiques. Désormais, plus rien d'important ne pourrait jamais arriver. Il y avait plus besoin de réfléchir. Une seule tâche était laissée aux générations futures : arranger toutes choses selon les préceptes conçus par le messager de la Providence. De ce point de vue, il n'y a pas de différence entre Mahomet et Marx, entre les inquisiteurs et Auguste Comte. » (Ludwig von Mises, Theory and History)
- « L’historicisme est l’opinion selon laquelle toute pensée est fondée sur des présuppositions absolues qui varient d’une époque à l’autre, d’une culture à l’autre, qui ne sont pas mises en questions et ne peuvent être mises en question dans la situation à laquelle elles appartiennent et qu’elles constituent. » (Leo Strauss, Le problème de Socrate, 1970)
Références
- ↑ Ludwig von Mises, Théorie et Histoire, Chapitre 10 de la troisième partie, L'historicisme, traduction en français par Hervé de Quengo, [lire en ligne]
Bibliographie
- 1957,
- Karl Popper, "The Poverty of Historicism", [Misère de l'historicisme]
- Ludwig von Mises : Theory and History: An Interpretation of Social and Economic Evolution
- 1972, Eugene F. Miller, Positivism, Historicism, and Political Inquiry, American Political Science Review, Vol 66, n°3, Sept., pp796-817 (en)
- 1973, Georg C. Iggers, "Historicism", In: Philip P. Wiener, dir., "Dictionary of the History of Ideas", Vol II, New York: Charles Scribner’s Sons
- 1979, Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, ISBN 2020051362
- 1995, Georg C. Iggers, "Historicism: The History and Meaning of the Term", Journal of the History of Ideas, Vol 56, n°1, pp129-152
- 2011, Fredrick C. Beiser, "The German Historicist Tradition", Oxford: Oxford University Press
Voir aussi
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