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Inaliénabilité de la volonté humaine
L'inaliénabilité de la volonté humaine est un concept inspiré du droit naturel libertarien qui est présenté dans L'Éthique de la liberté de Murray Rothbard. Elle se comprend comme le fait que si les droits dérivés d'un droit fondamental (par exemple, la propriété d'une chose) peuvent s'échanger, on ne peut par contre aliéner en aucune façon les droits fondamentaux eux-mêmes, puisqu'ils sont consubstantiels à l'existence de chaque individu en tant qu'être humain.
En régime libertarien, la seule circonstance où une personne peut temporairement perdre un droit fondamental est celle où elle a violé ceux d'un autre individu. C'est le principe de justice du droit naturel : à toute action est associée une réaction égale et opposée.
Conséquences
Illégitimité de l'esclavage
L'esclavage est illégitime sous toutes ses formes, directes ou dérivées, pour les libertariens. Non seulement il est évidemment criminel d'enlever une personne pour en faire un esclave, mais même si une personne s'engage à obéir à un maître volontairement (esclavage volontaire, qui existait dans l'Antiquité), elle ne peut être obligée par la force de respecter cette obligation. Tout au plus peut-on la poursuivre pour violation de son contrat, ce qui ne peut donner lieu dans le pire des cas qu'à une dette.
Porte de sortie
Puisqu'on ne peut aliéner ses droits fondamentaux, aucun contrat ne peut être exécuté par la force physique. Ceci signifie que dans tout contrat il existe une porte de sortie ; si le contrat ne comporte pas de clause pénale fixant la dette générée en cas d'inexécution, c'est au juge d'évaluer le préjudice causé par la rupture de contrat.
Nature des dettes et des promesses
Une dette signifie simplement que le créancier a la possibilité de recouvrer la propriété éventuelle du débiteur pour compenser sa dette, et rien de plus. L'individu endetté au-delà de ses moyens vivra pauvre mais libre : contrairement à un voleur qui a, lui, commis une agression et donc violé un droit fondamental d'autrui, on ne peut absolument pas forcer un débiteur à travailler pour rembourser. Par conséquent, les créanciers sont économiquement incités à la prudence dans les prêts qu'ils consentent, et à remettre les dettes excessives : si une personne peut espérer régler sa dette elle travaillera pour le faire, alors que dans le cas contraire elle n'a aucun intérêt à faire plus que ce qui lui est nécessaire pour survivre.
De la même façon, on ne peut forcer quelqu'un à tenir les promesses qu'il fait (contrairement au contract enforcement du droit anglo-saxon), pas plus qu'on ne peut l'incriminer a priori en raison de promesses immorales ou illégales qu'il aurait faites (contrairement par exemple à l'article 433-2 du Code pénal français relatif au trafic d'influence).
Inaliénabilité du corps
Tout ce qui est matériellement et directement lié à une conscience rationnelle est du domaine de la personne et non de la chose. Ceci signifie que tout le corps est inaliénable. Il n'est notamment pas possible de vendre un organe définitivement tant qu'il n'a pas été extrait du corps. Tout ce qui touche à la manipulation physique du corps (don d'organes, vente d'organes, euthanasie...) n'est possible qu'avec le consentement de la personne concernée, révocable jusqu'à la dernière seconde. A contrario, ce qui a été extrait du corps avec le consentement de celle-ci devient une chose, une marchandise, aliénable par nature et qui peut donc être vendue. Par extension, tout ce qui est totalement intégré au corps, même s'il n'est pas de nature biologique (un pacemaker par exemple) devient inaliénable.
La position libertarienne est donc nettement plus souple que ce qui prévaut habituellement dans le droit positif étatique (par exemple en France l'article 1128 du Code civil empêche de conclure des conventions sur tout ou partie du corps humain, en tant que "chose hors commerce" ; en Suisse, la "Loi sur la transplantation" du 8 octobre 2004 interdit en son article 7 "de faire le commerce d’organes, de tissus ou de cellules d’origine humaine en Suisse ou à l’étranger, à partir de la Suisse").
Avortement et euthanasie
Une conséquence de l'inaliénabilité du corps est que l'on ne peut imposer d'aucune manière le respect d'un engagement qui implique le corps. Ainsi, il est toujours permis d'expulser le fœtus puisque nul ne peut imposer à autrui de garder quelque chose à l'intérieur de soi contre sa volonté, c'est l'évictionnisme. De même, l'assistance au suicide est permise avec l'accord de la personne concernée, mais cet accord est révocable à tout moment et l'on ne peut donc se retrouver dans la situation paradoxale où un contrat autorisant l'euthanasie pourrait être utilisé comme moyen de pression.
Critiques
Alors que la plupart des libertariens (George Smith, Randy E. Barnett, David Gordon, Richard Epstein, N. Stephan Kinsella, Jörg Guido Hülsmann) expriment une position proche de celle de Rothbard, Walter Block soutient que absolument tout est aliénable ("commodifiable", c'est-à-dire transformable en marchandise), cela au nom de la cohérence du libertarisme ; faute de quoi, selon lui, seraient interdits aussi bien le suicide, l'euthanasie, le masochisme, la peine de mort, la mise en danger de soi-même, le mariage indissoluble, etc. Cohérent avec ce point de vue, il défend également l'esclavage volontaire.
Recherche d'un fondement
Il est difficile de trouver un fondement absolument solide au concept d'inaliénabilité de la volonté humaine sans devoir invoquer une ontologie ni faire de la métaphysique - ce que font peut-être, sans s'en rendre compte, ceux qui approuvent ce concept, concept qui peut leur sembler "intuitivement justifié" sans qu'on ait besoin de philosopher davantage à son sujet.
La prescription purement rationnelle de Kant, d'agir de façon à traiter l’humanité, aussi bien dans notre personne que dans la personne des autres, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen, semble extrêmement contraignante et soumet l'aliénabilité à de très fortes conditions (de ce point de vue, elle pourrait proscrire jusqu'aux contrats de travail) !
Certaines options ontologiques et métaphysiques, comme le volontarisme, permettent d'expliquer ou de justifier l'inaliénabilité de la volonté. Par exemple, pour Arthur Schopenhauer, qui fait de la volonté la seule réalité véritable (sous le déguisement de la multiplicité phénoménale), l'inaliénabilité de la volonté résulte de l'unité transcendantale fondamentale de l'Etre. Cette inaliénabilité est violée quand la volonté se combat elle-même, ce qui produit la souffrance, tant chez la victime que chez le fautif (double preuve empirique de la réalité de cette violation) :
- Quant à l'auteur de l'injustice, cette idée naît en lui, qu'au fond lui-même et cette volonté manifestée dans le corps de la victime ne font qu'un ; qu'en dépassant les limites de son corps et de ses forces, c'est toujours la même volonté, en une autre de ses manifestations, qu'il a niée ; qu'enfin, s'il se considère en soi comme pure volonté, c'est lui-même que dans sa violence il combat, lui-même qu'il déchire ; — il sent, dis-je, de son côté cette vérité, il n'en a pas une notion abstraite, il la sent obscurément : et c'est là ce qu'on nomme le remords, ou plus spécialement le sentiment de l’injustice commise. (Le Monde comme volonté et comme représentation - Livre quatrième - § 62)
De là la différence essentielle entre par exemple le corps d'un être vivant et un objet matériel quelconque. Même si tous deux sont une forme d'objectivation de la volonté, l'un possède une conscience, et donc une possibilité de consentement et de souffrance, que l'autre n'a pas. La volonté, dès lors qu'elle est non agressive et non intrusive, doit être respectée à chaque instant où elle s'exprime, y compris quand elle semble se nier elle-même. Le primat idéaliste de la conscience permet de justifier l'inaliénabilité de la volonté, qui doit être libre de chercher à atteindre ses fins tant qu'elle n'entre pas en contradiction avec elle-même dans une autre de ses manifestations (agression).
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