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Analyse économique des institutions
L'analyse économique des Institutions (AEI) a pris naissance au sein de l'université de Chicago au début des années 60. Elle a reçu, par la suite, l'apport théorique de deux approches : la théorie des jeux[1] et l'école autrichienne d'économie.
Quel champ d'application attribuer à la science économique ?
Le domaine habituellement donné à la science économique est trop restrictif. L'économie ne s'applique pas uniquement et exclusivement au domaine marchand[2]. La définition, alors élargie, amène à étudier :
- les institutions économiques marchandes (marché, monnaie, entreprises) ou non (associations, famille)
- les institutions politiques territoriales (espace administratif, circonscription, enclave) ou non (syndicats, marché politique),
- les institutions juridiques (Juge, Droit, Réglementation)
Une même méthode, appliquée à toutes les disciplines, diminue les risques d'incompréhensions et de conflits. Si tous les chercheurs pratiquent l'individualisme méthodologique, alors tous aboutissent à des conclusions très proches. En économie, les keynésiens sont holistes d'emblée. Ils raisonnent avec de grands agrégats (le groupe des consommateurs par exemple). Les néoclassiques ont pratiqué l'individualisme méthodologique avec une rationalité économique des agents.
Une discipline ouverte et en pleine évolution
En 2005, Thomas C. Schelling en compagnie de Robert J. Aumann[3] ont reçu le prix Nobel d'économie pour leurs travaux sur la théorie des jeux. Le développement de cette dernière, avec des auteurs comme Robert Axelrod, Andrew Schotter, Robert Sugden, Edna Ullmann-Margalit, Viktor Vanberg, et le retour au premier plan de l'école autrichienne d'économie ont permis de mieux comprendre l'émergence des institutions (marché, contrat, propriété, monnaie) ainsi que leurs évolutions. Ils ont contribué à une connaissance rationnelle des comportements humains comportant des stratégies de négociations politiques et économiques. De la sorte, ils ont rapproché la science économique des autres sciences sociales.
L'économiste de l'école autrichienne, Friedrich Hayek, estimait qu'un bon économiste est un économiste qui ne s'intéresse pas uniquement à l'économie[4]. Pour cela, le chercheur doit laisser libre cours à sa curiosité épistémique, à son apprentissage permanent et au plaisir de la découverte et de s'efforcer à rencontrer des collègues dans d'autres disciplines : économiste, politologue, sociologue, juriste, historien, géographe, anthropologue ou philosophe. L'institution au sens de Hayek est davantage analysée sur le plan cognitif élargi. Alors que le rôle cognitif des institutions est attaché à la capacité humaine de gestion de l'information, le rôle épistémique s'étend à la capacité de l'individu, non seulement de traiter les informations qui lui parviennent mais également d'être à disposition pour s'orienter au moment de son choix vers l'acquisition d'informations qui sont externes à son cadre cognitif. Ce rôle épistémique peut être divisé en trois :
- Le rôle informatif, par lequel les institutions fournissent une information sur le comportement probable des autres individus (par exemple, la loi de l'offre et de la demande)
- Le rôle pratique, ce qui correspond à l'incorporation dans les institutions des connaissances tacites ou pratiques, transmis, par exemple, par les comportements d'imitation des règles de conduite (par ex, le système des prix)
- Le rôle cognitif des ressources subjectives fondamentales, par lequel les individus captent, perçoivent, trient, sélectionnent, organisent et interprètent l'information au travers des institutions dans lesquelles ils sont membres ou en voie de l'être (ex : le marché).
L'économie va à la rencontre de disciplines autrefois très proches comme la philosophie ou présentées jadis comme antonymes telle la culture. Aujourd'hui, l'éthique n'est plus écartée par les économistes (Est-ce que l'économie est indépendante de l'Ethique par Jack High). Don Lavoie, lui, a tenté, avant sa mort précoce, de rapprocher la culture et l'économie. Tyler Cowen l'a suivi dans cette voie.
Les domaines de recherche
Plusieurs voies de recherches relatives à l'analyse économique des institutions se sont développées depuis les années 60 :
- La Nouvelle Histoire économique : c'est une lecture économique des événements de l'histoire (Douglass North, Robert Fogel[5], Stanley Engermann). Robert Fogel et S. Engermann étudient les incitations positives et négatives pratiquées sur les esclaves dans les plantations et ils ont analysé la productivité différente entre les fermes du Sud des États-Unis avec esclaves et sans esclave.
- L'analyse économique des structures sociales. C'est une incursion de la science économique dans le domaine de la sociologie. Il existe une analyse économique de la famille, du mariage, du divorce, de la fécondité, du crime (Gary Becker, Isaac Ehrlich, David J. Pyle aux États-unis, Bertrand Lemennicier en France).
- L'analyse économique des décisions publiques. C'est une analyse du fonctionnement du marché politique. Anthony Downs est le premier économiste, en 1957, à s'être penché sérieusement sur le sujet (An economic theory of democracy, New York : Harper and Row). Il analyse la concurrence des candidats à l’élection politique. Ces derniers se comportent en tant qu’offreurs de biens publics et ils s’engagent à réaliser un programme plus ou moins précis en échange de suffrages. Le marché est représenté comme une manière informelle de vote des consommateurs. Anthony Downs met en valeur l'existence d'une offre et d'une demande avec des entrepreneurs (les hommes politiques) qui s'appuient sur des entreprises (les partis) avec comme objectif de maximiser le nombre de leurs voix. Cette approche est représentée, aujourd'hui, par l'école du Choix Public (James McGill Buchanan, Gordon Tullock, William Niskanen, Robert D. Tollison, Richard E. Wagner) et de l'école autrichienne d'économie : Peter Boettke, John M. Cobin, Peter Leeson
- L'analyse économique des organisations avec le néo-institutionnalisme, par l'apport des travaux de Ronald Coase (coûts de transaction), de Douglass North (impact des organisations sur la croissance) et d'Oliver Williamson (structure des organisations et liaison avec le marché).
- L'analyse économique du droit envisage le droit comme un ensemble d'institutions dont on peut retracer les principaux effets à l'aide de concepts empruntés à la science économique[6]. Elle part du théorème de Coase et englobe notamment le droit de la propriété, le droit de la responsabilité civile, la théorie des contrats dont les contrats de travail, le droit de l'entreprise. Cette approche est traitée de façon différente selon l'angle de l'école néo-classique (Harold Demsetz, Louis de Alessi, Ronald Coase, Steven Cheung, Richard A. Posner, Yoram Barzel, Charles W. Baird, David Friedman, Eirik Furubotn, Gary Libecap, Ejan Mackaay, Svetozar Pejovich, Oliver Williamson) ou selon le point de vue de l'école autrichienne (Murray Rothbard, Roy Cordato, Walter Block, Bruno Leoni, Gary North, Mario Rizzo). Elle inclut également l'incursion de l'économiste dans les problèmes d'environnement (Free market environment) dont les auteurs les plus connus sont Terry L. Anderson, John Baden, Peter J. Hill, Donald R. Leal, Jane S. Shaw, Julian L. Simon ou Richard L. Stroup.
- L'analyse de l'entrepreneur dans toutes ses dimensions et extensions pour en tirer les références essentielles et comprendre l'évolution des institutions (entrepreneur politique, entrepreneur social, entrepreneur culturel, entrepreneur moral, entrepreneur de normes...). L'économiste institutionnel est préoccupé de comprendre comment s'opère le changement des institutions et comment il se stabilise.
Cette vision générale pose le problème des limites de l'action de l'économiste. En effet, on a souvent accusé l'économie d'économisme voire d'impérialisme[7] car elle soumet tous les domaines de la recherche à la méthode économique. Or, la division entre les disciplines est pragmatique : le lien est devenu obligatoire car le dialogue est nécessaire pour comprendre la vie dans la société.
Annexes
Notes et références
- ↑
- 2001, Roberto Festa, "Come evolvono le norme sociali: la prospettiva della teoria dei giochi", Biblioteca della libertà, 158, pp75-98
- 2006, Roberto Festa, "Giochi di società. La complessità sociale nelle teorie ABM e nelle teorie dei giochi", Élite, n°3, pp15–30
- 2007, Roberto Festa, "Teoria dei giochi ed evoluzione delle norme morali", Etica & Politica, Vol IX, n°2, pp148-181
- 2011, Roberto Festa, "Giocare con Hayek. Teoria dei giochi e concezione hayekiana dell’evoluzione culturale", In: Raffaele De Mucci, dir., "An Austrian in Italy. Festschrift in Honour of Professor Dario Antiseri", Rubbettino, Soveria Mannelli (Catanzaro)
- 2011, Gustavo Cevolani et Roberto Festa, "Giochi di anarchia. Beni pubblici, teoria dei giochi e anarco-liberalismo", Nuova Civiltà Delle Macchine (numéro spécial : Liberalismo e Anarcocapitalismo. La Scuola Austriaca di Economia), Janvier-Juin, Anno XXIX, n°1-2, pp163-180
- ↑ En 1978, Florin Aftalion et Jean-Jacques Rosa, dans leur livre, L'Economique retrouvée, montrent que la science économique doit renouer avec sa tradition de généralité.
- ↑ Robert J. Aumann, 1976, "Agreeing to Disagree", Annals of Statistics, 4, pp1236-1239
- ↑ (cf. "The Dilemma of Specialization" dans Studies...)
- ↑ * Robert W. Fogel, 1964, Railroads and American Economic Growth. Essays in Econometric History, Baltimore, The Johns Hopkins University Press
- ↑ Mackaay, Ejan et Stéphane Rousseau, Analyse économique du droit, Paris/Montréal, Dalloz-Sirey/Éditions Thémis, 2008, (2e éd.)
- ↑ Voir :
- Jack Hirshleifer, 1985, "The Expanding Domain of Economics", American Economic Review, n°85, December, pp53-68
- George Stigler, 1984, "Economics - The Imperial Science?", Scandinavian Journal of Economics, n°86, pp301-313
- Ben Fine, 1999, "A Question of Economics: Is It Colonizing the Social Sciences?", Economy & Society, Vol 28, pp403-425
- Kenneth Boulding et Tapan Mukerjee ont dénommé de façon péjorative, «l'impérialisme économique», l'extension de l'optimisation économique dans les autres sciences sociales,
- Kenneth E. Boulding et Tapan Mukerjee, dir., 1972, Economic Imperialism: A Book of Readings, Ann Arbor, University of Michigan Press.
- Le terme fut repris de façon positive par ses défenseurs :
- Gerard Radnitzky et Peter Bernholz, dir., 1986, Economic Imperialism: The Economic Method Applied Outside the Field of Economics, New York, Paragon House
-
- Milan Zafirovski, 2000, "The Rational Choice Generalization of Neoclassical Economics Reconsidered: Any Theoretical Legitimation of Economic Imperialism?", Sociological Theory, Vol 18, pp448-471
Bibliographie
- 1982, M. Prisching, Evolution and Design of Social Institutions in Austrian Theory, Journal of Economic Studies, Vol. 16, 2: 47-62
- 1987, P. Bush, "The theory of institutional change », Journal of Economie Issues, vol. XXI, n°3, september, pp1075-1116
- 1989,
- B. Binger et E. Hoffman, « Institutional persistence and change : The question of efficiency », Journal of Institutional and Theoretical Economics, vol 145, n°1, March, pp67-84
- Peter J. Boettke, "Evolution and Economics: Austrians as Institutionalists", Research in the History of Economic Thought and Methodology, Vol 6, pp73-89
- Bruce Caldwell, "Austrians and Institutionalists: The Historical Origins of their Shared Characteristics", Research in the History of Economic Thought and Methodology, vol 6, pp91-100
- N. Rowe, « Rules and Institutions », New York, Philip Allan
- Beth V. Yarbrough, et Robert M. Yarbrough, "‘Institutions for the Governance of Opportunism in International Trade’", Journal of Law, Economics, and Organization, Vol 3, pp129-139
- 1991, A. Copay, T. King, H. Leblebici et G. Salancik, « Institutional change and the transformation of interorganizational fields : An organizational history of the U.S. radio broadcasting industry », Administrative Science Quarterly, 36, pp333-363
- 1997,
- K. Dopfer, "How economic institutions emerge : institutional entrepreneurs and behavioral seeds", In: Y. Shionoya et M. Perlman, Dir., « Innovation in technology, industries and institutions », Ann Arbor, The University of Michigan Press, pp299-329
- J. Groenewegen, "Institutions of Capitalisms: American, European, and Japanese Systems Compared", Journal of Economic Issues, 31(2), pp333–347
- 1998, T. Edeling, « Economic and sociological institutionalism in organization theory : Two sides of the same coin ? », Journal of Institutional and Theoretical Economics, vol 154, n°4, pp728-734
- 2001, Bernard Chavance, "Organisations, institutions, système : types et niveaux de règles", Revue d'économie industrielle, Vol 97, n°97, pp85-102
- 2003, Martin J. Held et Hans G. Nutzinger, Institutions interact with economic actors: plea for a general institutional economics, International Journal of Social Economics, Vol 30, n°3, pp236-254
- 2004, Raghuram Rajan, “Assume Anarchy”, Finance and Development, September, pp56-57
- 2006, Ö Gürerk, B. Irlenbusch et B. Rockenbach, ‘The Competitive Advantage of Sanctioning Institutions’, Science, 312(5770), pp108–111
- 2015, Peter Boettke, Rosolino Cadenla, "What is Old Should Be New Again: Methodological Individualism, Institutional Analysis and Spontaneous Order”, Sociologia, Vol 2, pp5–14
Articles connexes
Liens externes
- "On Austrian Institutions - What's in it for a market sociology?, séminaire sur le thème des institutions, les réseaux et l'économie, papier d'Anders Liljenberg, Stochkholm School of Economics, à l'université de Cornell, département de soiologie, le 29 avril 2004
Citations
- Il ne s’agit pas d’édifier à grand peine des institutions libérales, il s’agit d’avoir encore des hommes libres à mettre dedans. (Georges Bernanos)
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