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Changement institutionnel

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Généralement, le changement institutionnel est perçu comme émanent de pressions externes qui influencent le début du processus du changement et qui en fixent le cadre plus ou moins rigide. Certains théoriciens institutionnels[1] soutiennent que l'entrepreneuriat est institutionnellement contraint parce que les institutions (formelles et informelles) créent et façonnent des opportunités (légales et illégales) pour les propriétaires d'entreprise et encouragent leur exploitation. Cependant, d'autres théoriciens institutionnels, et particulièrement des économistes, ont examiné le rôle des agents dans la conduite du changement institutionnel dans sa perspective interne.

Le rôle endogène du changement institutionnel par certains types d'entrepreneurs

Terry Anderson et Peter Hill (2004)[2] utilisent le terme d'« entrepreneur institutionnel » pour décrire les individus qui s'efforcent d'établir et de réorganiser les droits de propriété et d'autres structures institutionnelles pour exploiter les opportunités économiques qui ne sont pas réalisables dans le cadre du statu quo institutionnel et qui peuvent bloquer la croissance économique[3]. Selon eux, les entrepreneurs sont non seulement les personnes qui créent de la valeur en introduisant de nouveaux biens et de nouvelles méthodes de production. Mais, à cette liste, ils ajoutent les personnes qui conçoivent de nouveaux dispositifs institutionnels. Dans cette approche, les entrepreneurs de droits de propriété influencent la transformation des institutions pour capter une certaine valeur économique subjective.

Du point de vue purement économique, dans la lignée de l'école de Chicago, comme Harold Demsetz par exemple, les comportements de recherche de profit constituent le moteur du changement institutionnel. De nouvelles institutions apparaissent lorsque les avantages que les entrepreneurs peuvent tirer de ces arrangements dépassent les coûts de leur mise en œuvre et de leur application.

Dans le domaine industriel, on voit apparaître des entrepreneurs du changement institutionnel qui suggèrent que les membres de leur secteur industriel conçoivent des institutions de gouvernance auto-régulatrices[4]. Il s'agit pour eux de relever les défis que leur manifeste l'opinion publique qui influence l'État pour imposer une réglementation coercitive sur les industriels (par exemple dans le cas de la protection de l'environnement[5], de l'hygiène publique ou de la sûreté alimentaire). Le changement institutionnel par l'auto-régulation est une manière alternative à l'action lourde et rigide de l'État qui améliore la réputation, la performance et d'autres aspects connexes de l'industrie. Les opportunités sont particulièrement évidentes dans l'étude des normes coopératives endogènes mises en place comme par exemple la certification ISO[6] ou des normes internationales[7]. Ces institutions non étatiques et non coercitives sont tout à fait pertinentes pour comprendre le phénomène croissant du changement institutionnel endogène de l'industrie.

E S Tan (2005) suggère que la motivation des entrepreneurs institutionnels a conduire des changements peut s'opérer avec une bonne réussite grâce à un ensemble de « méta-règles » qui existent et qui fondent le consensus social à un moment donné d'une société. L'auteur prend l'exemple d'une idéologie dominante. Ces meta-règles orientent le comportement acceptable, attendu et considéré comme juste et équitable par une grande majorité des membres de la communauté. Ainsi, elles peuvent influencer l'orientation du changement institutionnel et valider l'effort des quelques membres entrepreneurs institutionnels, à initier puis à faire accomplir ce changement par les autres agents.

Le changement institutionnel est risqué car il n'est pas a priori orienté vers le succès. Aussi, le capital expérientiel et social dont disposent les individus, de façon consciente ou inconsciente, peut influencer leur choix de s'engager dans des actes entrepreneuriaux de changement institutionnel. Par exemple, une dirigeante qui émigre d'une organisation dans laquelle elle a déjà mis en œuvre une pratique particulière et couronnée de succès sera plus susceptible de s'engager à la mettre en œuvre dans sa nouvelle organisation parce que cette personne possède l'expertise appropriée et le raisonnement cognitif pour juger si cette pratique est, de nouveau, appropriée.

Saras Sarasvathy et alii[8] présentent trois niveaux hiérarchiques où l'entrepreneur institutionnel peut effectuer un changement :

  • Le niveau informel ou socialement intégré (par exemple, les codes de conduite),
  • Le niveau formel (par exemple les droits de propriété et les politiques gouvernementales)
  • Le niveau de gouvernance (par exemple, les contrats, les mécanismes d'application).

Les auteurs précisent toutefois que cette vision est analytique en distinguant les trois niveaux institutionnels. Pourtant, ceux-ci ne sont pas forcément isolés les uns des autres car il existe des interdépendances importantes entre eux.

Dans une étude, M. Casari[9] examine comment les utilisateurs des pâturages communs dans les Alpes italiennes ont favorisé la transition d'institutions en passant d'une gouvernance informelle vers des institutions plus formalisées. Avant, les accords entre utilisateurs étaient informels (pratique de la retenue mutuelle) avec des résultats défaillants car la gouvernance était communautaire. Ils furent remplacés par une application sous la forme de chartes privées qui ont accru l'efficacité des ressources. De cette sorte, les droits de propriété endogènes ont fait émerger de nouvelles institutions juridiques avec l'aide d'une gouvernance décentralisée[10] des ressources communes. Pour la réussite de ce changement, il est important que les différentes agences humaines conçoivent clairement que les nouvelles institutions formelles s'inscrivent sur une échelle du temps plus longue du changement culturel et doit la prendre en compte au risque d'une incogruence institutionnelle.

Notes et références

  1. F. Welter, D. Smallbone, 2011, "Institutional Perspectives on Entrepreneurial Behavior in Challenging Environments", Vol 49, n°1, pp107–125
  2. Terry L. Anderson, Peter J. Hill, 2004, "The Not so Wild, Wild West: Property Rights on the Frontier", Stanford CA: Stanford University Press
  3. E. K. Buckberg, 1997, "Legal and Institutional Obstacles to Growth and Business in Russia", International Monetary Fund
  4. Toutefois, les auteurs critiques de l'auto-régulation industrielle précisent qu'elle est inefficace voire nuisible car une régulation sans sanction, précisent-ils, est vouée à l'échec. À cette vision paternaliste et autoritaire, les personnes favorables à l'auto-régulation industrielle avancent l'argument du cadrage. Les entrepreneurs institutionnels qui cherchent à mobiliser les membres de leur secteur à définir des règles de bonne conduite, s'engagent aussi dans une institutionnalisation discursive en cherchant à dépeindre leur arrangement institutionnel préféré comme attrayant non seulement pour les autres entrepreneurs de leur secteur mais surtout pour le public le plus large possible. Le cadrage a un puissant effet légitimateur, par exemple, dans la mise en place d'associations des consommateurs de surveillance. De telles tactiques de cadrage renvoient à l'objectif d'intégrer de nouvelles pratiques et de processus de régulation qui tiennent compte des récits de toutes les parties concernées. L'utilisation du discours s'avère quasi omniprésente dans les efforts des entrepreneurs institutionnels pour améliorer leurs positions et apporter volontairement ou involontairement un changement institutionnel. À l'image de la palabre africaine, il s'agit de maintenir sa gouvernance et son leadership (Juliette Arnal, Jean-Pierre Galavielle, 2005, "Entre gouvernance et leadership : la palabre et le chef", Cahiers de la MSE - CNRS, Paris: Université de la Sorbonne) sur le groupe en contrôlant les avis établis même les plus reculés. Par conséquent, il ne s'agit pas seulement de parler mais aussi de savoir écouter ceux qui ne vous parlent pas. Avant que l'État n'intervienne de façon abrupte, il s'agit de rechercher le compromis comme cadre préalable de l'auto-régulation. Sa légitimité émerge d'un compromis des différents acteurs et donc évite le coût d'intervention de l'État sous une nouvelle forme de gouvernance (R. Rhodes, 1996, "The new governance: governing without government", Political Studies, vol 44). Cette stratégie politique qui ne recherche pas forcément une plus grande efficacité est menée par des entrepreneurs qui souhaitent forcer le changement dans une direction qui présente leurs organisations, quelquefois soutenue par leur hubris, comme étant plus compétentes pour s'aligner sur les préférences du public. Ces agents utilisent leurs ressources supérieures (connaissances, positions stratégiques, poids dans l'économie nationale ou internationale, visibilité dans l'opinion publique, réseaux sociaux) pour utiliser leur pouvoir politique et ainsi façonner les institutions en leur faveur.
    • 2000, A. King, M. Lenox, "Industry self-regulation without sanctions: The chemical industry’s responsible care program", Academy of Management Journal, Vol 43, pp698-716
    • 2006, M. Lenox, "The role of private decentralized institutions in sustaining industry self-regulation", Organization Science, Vol 17, pp677-690
  5. M. Khanna, 2001, "Non-mandatory approaches to environmental protection", Journal of Economic Surveys, Vol 15, pp291-324
  6. O. Boiral, 2006, "La certification ISO 14001 : une perspective néoinstitutionnelle", Management International, Vol 10, n°3, pp67-79
  7. J.-C. Graz, 2004, "Quand les normes font loi : Topologie intégrée et processus différencié de la normalisation internationale", Études internationales, Vol 35, n°2, pp233-260
  8. Thomas Dean, Desirée F. Pacheco, Saras Sarasvathy Jeffrey G. York, 2010, "The Co-Evolution of Institutional Entrepreneurship: A Tale of Two Theories", Journal of Management, Vol 36, n°4, pp974-1010
  9. M. Casari, 2007, "Emergence of endogenous legal institutions: Property rights and community governance in the Italian Alps", Journal of Economic History, Vol 67, pp191-226
  10. M. Casari, C. R. Plott, 2003, "Decentralized management of common property resources: Experiments with a centuries-old institution", Journal of Economic Behavior and Organization, Vol 51, pp217-247

Bibliographie

  • 1999, J. Beckert, "Agency, entrepreneurs, and institutional change. The role of strategic choice and institutionalized practices in organizations", Organization Studies, Vol 20, pp777-799
  • 2000, C. Caronna, P. Mendel, M. Ruef, Richard Scott, "Institutional change and healthcare organizations: From professional dominance to managed care", Chicago: University of Chicago Press
  • 2002,
    • W. E. D. Creed, M. G. Seo, "Institutional contradictions, praxis, and institutional change: A dialectical perspective", Academy of Management Review, Vol 27, pp222-247
    • M. T. Dacin, J. Goodstein, W. R. Scott, "Institutional theory and institutional change: Introduction to the special research forum", Academy of Management Journal, Vol 45, pp45-56
    • K. Lee, P. D. Sherer, "Institutional change in large law firms: A resource dependency and institutional perspective", Academy of Management Journal, Vol 45, pp102-119
  • 2004, J. L. Campbell, "Institutional Change and Globalization", Princeton and Oxford, Princeton University Press
  • 2005, E. S. Tan, "Ideology, interest groups, and institutional change: The case of the British prohibition of wages in kind", Journal of Institutional Economics, Vol 1, pp175-191
  • 2009,
    • J. Battilana, E. Boxenbaum, B. Leca, "How actors change institutions: Towards a theory of institutional entrepreneurship", Academy of Management Annals, Vol 3, n°1, pp65-107
    • Joachim Zweynert, "Interests versus culture in the theory of institutional change?", Journal of Institutional Economics, Vol 5, n°3, December, pp339-360
  • 2019, Christopher Kingston, "Institutional Change", In: Alain Marciano, Giovanni Battista Ramello, dir., "Encyclopedia of Law and Economics", New York: Springer, pp1153-1161