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Monnaie

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Pièce de 20 dollars de 1927

La monnaie est un instrument économique ayant pour fonction première de servir de moyen de paiement et donc de faciliter les échanges en permettant une division du travail très élaborée. Son autre fonction est de stocker de la valeur (dépôts, épargne).

Définition de la monnaie et différents types

On peut définir une monnaie dans son sens le plus large comme « un accord au sein d’une communauté pour utiliser quelque chose comme moyen d’échange ». C'est donc une convention sociale, spontanée ou imposée, destinée à faciliter les échanges de biens et services, et qui peut se « matérialiser » de différentes façons (y compris non matérielles). Ce n'est qu'une représentation de biens futurs, acquérables par l'échange volontaire comme l'écrit Arthur Schopenhauer : « L'argent n'est pas un article de consommation : il représente des biens réels, utiles, il n'est pas un bien en lui-même »[1].

Monnaie métallique

Historiquement, toute marchandise « universelle » a pu servir à mesurer les valeurs de biens échangés dans un troc. Mais le choix s'est porté rapidement sur les métaux précieux, du fait qu'ils sont recherchés par tous les peuples. Un métal précieux peut être utilisé comme monnaie-marchandise (commodity money). Un métal, tel l'or, est durable, homogène, facilement divisible et relativement rare (il y aurait 171 300 tonnes au total sur Terre[2]). Une production agricole n'a pas ces qualités monétaires.

Au fil des siècles, des métaux tels que l'argent et l'or se sont imposés. En effet, ils répondent parfaitement aux critères de durabilité, de relative rareté et de divisibilité. Le bimétallisme[3] a duré jusqu'au XIXe siècle, jusqu'à ce que l'or soit préféré.

Des entreprises spécialisées, les banques, sont apparues originellement pour stocker et protéger les dépôts de métaux précieux remis par les individus. Elles ont pu émettre des substituts papier à cette monnaie qui pouvaient avoir cours. Un tel substitut est le support monétaire d'une monnaie de référence. Ces substituts étaient des promesses de verser la monnaie métallique elle-même. Un tel substitut est une monnaie-promesse (representative money). Le dollar était à l'origine un substitut à une quantité fixe d'or. L'or restait la monnaie de référence (étalon-or). Les transactions n'étaient pas exprimées nécessairement en quantités d'or. L'or était un moyen de mesurer un valorimètre de monnaie, un moyen de mesurer la valeur des choses.

L'or et l'argent physique, bien qu'étant un investissement stérile attire de plus en plus les particuliers qui y voient une valeur refuge pour leurs économies. Au cours de la dernière décennie, les échanges de pièces de monnaie de collection comportant ces métaux précieux ont considérablement augmenté, d'autant qu'ils présentent un véritable anonymat et une échappatoire à l'ISF[4].

Monnaie fiduciaire

Au cours du XXe siècle, l'étalon-or a été abandonné. La monnaie n'est plus qu'une convention sociale, sans aucune valeur intrinsèque (papier-monnaie), à cours forcé par la loi. On parle alors de monnaie fiduciaire (fides : la confiance) ou de monnaie décrétée, dite encore monnaie-fiat (fiat money). La valeur des monnaies varie entre elles selon la quantité de crédit émise par chaque pays (une politique monétaire laxiste est « punie » par une baisse de la valeur de la monnaie locale par rapport aux autres devises). Il n'y a plus de contrepartie métallique à la monnaie émise, seulement de la dette, c'est une masse de reconnaissances de dettes. La tentation est grande pour l'Etat de créer de la monnaie à partir de rien pour subvenir à ses besoins ou pour mettre en oeuvre ses politiques ; le résultat est alors l'inflation et une baisse de la valeur de la monnaie.

Il n'est pas sans intérêt, si l'on peut dire, de rappeler que deux visions se sont de tous temps opposées sur la nature de la monnaie. Le grand savant Nicolas Oresme, évêque de Lisieux à la fin du XIVe siècle, remarqua ainsi, dans son Traité du commencement et première invention des monnaies (1366) que, pour les Grecs, elle était une émanation de la Cité et de la loi (nomos). De là, le terme "numismatique" qui en est dérivé. Cette optique relève donc du pur conventionnalisme, défendu en l'occurrence par Aristote. En revanche, le vocable latin moneta provient du verbe monere, qui signifie "avertir, informer". Dans cette acception, la monnaie permet de réduire l'incertitude dans l'esprit des personnes contractant dans un échange. La préférence d'Oresme va à cette seconde interprétation, qui interdit au souverain de manipuler la monnaie. On rejoint là, les préoccupations de l'École autrichienne qui voit la monnaie comme un instrument de mesure : pas plus qu'il n'est licite de changer la valeur du mètre ou du gramme, il n'est légitime de falsifier celle de la monnaie. On remarquera cependant que le mètre et le gramme sont définis de manière à être étalonnés relativement à des objets de référence, ce qui n'est plus le cas de la monnaie. La question de la valeur de la monnaie doit donc être envisagée sous un angle complètement différent de celui de la valeur du mètre ou du gramme.

Monnaie scripturale

La monnaie scripturale, comme son nom l'indique, n'existe que sous forme d'écritures comptables. Le support monétaire de la monnaie scripturale est, aujourd'hui, une information contenue dans des fichiers informatiques. Elle est constituée de l'ensemble des dépôts dans les organismes financiers. Elle circule par jeux d'écritures (électroniques le plus souvent) entre comptes par l'intermédiaire d'instruments tels que les chèques ou les virements. Elle a aussi un aspect fiduciaire (mais on réserve exclusivement le terme de "fiduciaire" à la monnaie qui se présente sous la forme de billets et de pièces).

Monnaie fiscale

Nuvola apps colors.png Article principal : monnaie fiscale.

La monnaie fiscale est une variété de monnaie scripturale utilisée par l'État pour remédier au problème de la dette publique.

Le rôle des banques

Une banque crée de la monnaie scripturale pour répondre à un prêt bancaire sollicité par un agent non financier. En échange, l'emprunteur remet une reconnaissance de dette à la banque. Dans le système actuel, cette création se fait selon certaines règles édictées par la banque centrale. La monnaie actuelle est une monnaie-promesse. Chaque support monétaire de monnaie fiduciaire ou de monnaie scripturale représente une promesse du monnayeur, c'est à dire de la banque qui a émis la monnaie.

Inversement, cet argent est « détruit » au cours du remboursement de cette dette. Une promesse envers soi-même ne vaut rien. Cette monnaie est une promesse qui ne vaut rien lorsqu'elle est entre les mains du monnayeur. On dit alors que la monnaie est détruite, démonétisée.

Dans le système monétaire actuel, une banque ne peut créer de la monnaie fiduciaire. Elle ne peut non plus créer de la monnaie scripturale pour régler ses dettes avec les autres banques (compensation, prêts interbancaires...). La création monétaire a donc des limites, renforcées par l'action de la banque centrale (taux d'intérêt, contrôle de la base monétaire, appelée « monnaie banque centrale »).

Monnaie privée

Searchtool-80%.png Article détaillé : monnaie privée.

L'État cherche le plus souvent à monopoliser l'émission de monnaie, c'est là l'origine de la plupart des Banques Centrales aux XIXe et XXe siècles. Ainsi, en France, le monopole d’émission de la monnaie fut donné par Bonaparte à la Banque de France. La Banque de France était une des banques privées de l'époque. Elle avait soutenu financièrement son coup d’État. Bonaparte était un des fondateurs de cette banque. Elle fut nationalisée plus tard au XXe siècle, en 1945.

L'intérêt de l'État à contrôler la création monétaire (notamment depuis l'abandon de l'étalon-or) est évident d'un point de vue politique : il peut subventionner ses politiques « sociales » par la planche à billets (inflation) ou par l'endettement (qui peut mener jusqu'à la faillite, voir le cas de l'État argentin en 2001), la dette publique étant "rachetée" par la banque centrale (les États-Unis emploient le terme euphémistique de quantitative easing).

Pour les libéraux classiques, l’État doit se limiter à assurer la valeur de la monnaie sans jamais chercher à la dévaluer. Cependant ils reconnaissent que cela ne s'est jamais produit, l’État se comportant toujours en faux-monnayeur :

« Et pendant ce temps, à côté de ces voleurs, […] sur le trône, avec le prestige de la puissance suprême et croyant exercer un des droits inaliénables attribués à cette puissance, le gardien même de la probité commune, devenu un faussaire de profession, un voleur officiel et public, pratiquait en grand et d’une manière cent fois plus dommageable ces mêmes procédés de fraude et de dol ! »
    — Frédéric Passy, Histoire d’une pièce de cinq francs et d’une feuille de papier, 1909

Cependant, une monnaie peut fonctionner sans être d'origine étatique : un contrat de monnaie privé remplace alors le cours forcé, lequel est imposé par la loi. L'intérêt d'une monnaie privée dépend de sa diffusion et de ses garanties. En pratique, quelques monnaies privées existent. Des monnaies privées ont pu exister, comme e-gold (devise or numérique) ou le Liberty dollar, basée sur l'argent. Sur Internet, des monnaies virtuelles sans « contrat de monnaie », comme Bitcoin, se développent.

Stabilité monétaire

Le premier et principal critère à considérer pour évaluer la stabilité d'une monnaie est la masse des créances douteuses détenues par l'émetteur de la monnaie. La question de stabilité de la Banque Centrale est de savoir si la valeur des créances qu'elle détient reste supérieure à la masse monétaire émise. Cette condition est la condition majeure de la stabilité monétaire d'une monnaie. La masse de la dette dans un pays n'est pas une menace pour la stabilité, bien au contraire. Une dette importante signifie une grande quantité de monnaie, signifie une économie en forte activité. Le système monétaire actuel est en bonne santé. Son fonctionnement est logique et cohérent. Cependant, son principal défaut est qu'il est difficile d'évaluer la valeur des créances sur les États avec suffisamment d'objectivité. Si un État fait faillite, la valeur des créances sur cet État diminue, les actifs de l'émetteur de monnaie diminuent. L'équilibre comptable de l'émetteur de monnaie peut s'en trouver alors déséquilibré. Les créances sur les agents économiques privés, individus et entreprises, sont évaluées et suffisamment maîtrisées par les banques commerciales. Il est légitime qu'un État s'endette, même pour des montants très importants. De la même manière, une entreprise peut s'endetter puisqu'elle a une valeur marchande. Mais un excès de l'endettement d'un État peut le conduire à la faillite. Or, la valeur d'une créance à long terme sur un État est difficile à évaluer. Elle dépend de la capacité d'un État à percevoir durablement une certaine masse d'impôts. Même un risque de faillite d'un émetteur de monnaie est faible, ce risque s'accroit actuellement à cause de l'endettement excessif de certains États.

Historique

Depuis des temps préhistoriques, les hommes ont compté leurs biens[5]. Rapidement, un étalon monétaire s'impose dans chaque groupe humain : coquillage, minéraux précieux ou utiles comme le sel, petit lingots de métal (fer, puis argent ou or), etc.

On en trouve les premières traces en Europe chez les Grecs anciens, au VIe siècle av. J.-C.

La monnaie représente une certaine quantité de biens, qu'on ne peut pas manipuler facilement. L'étape suivante est la mise en place d'une monnaie de second niveau, qui elle-même représente une grande quantité de monnaie métallique laissée en dépôt en lieu sûr. Ainsi apparaît la monnaie-papier, laquelle est une monnaie-promesse. Le billet de banque est connu en Chine dès le VIIIe siècle. Il représente originellement une dette payable à vue sous forme de métal ou d'autres biens.

On peut distinguer plusieurs étapes dans l'évolution historique qui a conduit de la monnaie métallique à la monnaie fiduciaire que nous connaissons aujourd'hui :

  • le système bi-métallique (jusqu'au XIXe siècle)  : toutes les monnaies sont définies à la fois par rapport à l'or et par rapport à l'argent (métal). Chaque État, en fonction de ses disponibilités métalliques, utilisent préférentiellement l'un ou l'autre métal, et se sert de l'autre comme appoint. Mais les découvertes minières et les évolutions financières dans une économie largement mondialisée à l'époque font fluctuer les proportions entre les deux métaux, et le développement de la monnaie-papier et du crédit permettent de limiter les besoins de métal, et de supprimer l'argent-métal comme étalon.
  • l'étalon-or « classique » (jusqu'en 1914) : toutes les monnaies sont définies par rapport à l'or. L'or est le valorimètre des monnaies. La monnaie-papier est un substitut à l'or (une once d'or équivaut à 20 dollars, 4 livres anglaises, etc.). Les taux de conversion de chaque monnaie en or, et donc entre elles, sont fixes. Cela assure la stabilité de la monnaie et empêche une inflation provoquée artificiellement par une augmentation de la masse monétaire (procédé auquel les États auront constamment recours par la suite).
    • En 1865, est créée l'Union Latine, une convention monétaire entre la Belgique, la France, l'Italie et la Suisse, convention à laquelle adhère la Grèce en 1868. Cette convention est restée en vigueur, moyennant plusieurs aménagements, jusqu'au 1er janvier 1927. Elle avait pour but d'harmoniser les monnaies de ces pays (module, titre, poids) qui avaient ainsi une circulation transfrontalière.
  • l'étalon de change-or (1914-1971) : il s'agit d'un système mixte par lequel certains pays veulent conserver les avantages de l'étalon-or, alors que d'autres veulent se garder la latitude (via la planche à billets) d'avoir des taux de change variables. Ce système (critiqué par Jacques Rueff dans son livre Le Péché monétaire de l'Occident comme un abandon de l'étalon-or) va devenir caduc en quelques décennies :
    • Première Guerre mondiale : en raison du coût de la guerre, toutes les monnaies européennes sont fortement dévaluées par rapport à l'or.
    • 1922 : conférence de Gênes. Un nouvel ordre monétaire est mis en place où seuls les États-Unis conservent l'étalon-or classique. Le dollar repose sur l'or, la livre anglaise sur le dollar, et les autres monnaies européennes sur la livre anglaise.
    • 1931 : le Royaume-Uni, conduit à augmenter sa masse monétaire, abandonne le système de change-or.
    • 1934 : le dollar est défini comme 1/35 d'once d'or. Les citoyens étatsuniens n'ont pas le droit de posséder de l'or.
    • 1944 : accords de Bretton Woods : le système monétaire repose sur le dollar, seule monnaie encore ancrée à l'or
    • 1971 : sous Richard Nixon, les États-Unis, ne pouvant plus maintenir le prix de l'or à 35 dollars l'once ni éviter une dévaluation du dollar, abandonnent l'étalon-or.
  • le régime des changes flottants (à partir de mars 1973) : après l'abandon des accords de Bretton Woods, les monnaies varient entre elles librement, suivant l'offre et la demande, et donc en principe selon la quantité de crédit émise par chaque pays (une politique monétaire laxiste est « punie » par une baisse de la valeur de la monnaie locale par rapport aux autres devises). Il n'y a plus de contrepartie métallique à la monnaie émise, seulement des reconnaissances de dettes.

Le système monétaire international actuel

Depuis 1973 et l'"anarchie" des changes flottants, chaque État conduit la politique de change qu’il souhaite :

  • change fixe : taux de change fixe par rapport à une devise ou un panier de devises ;
  • flottement limité (bandes de fluctuation, parités glissantes, etc.) ;
  • flottement dirigé : ajustements et interventions non systématiques ;
  • flottement pur : seul le marché détermine le taux de change.

Le FMI ne garantit plus la stabilité des taux de change dans une marge de 1% (comme dans le système de Bretton Woods, avant 1976). Son rôle est d'être une sorte de « banque centrale des Banques Centrales et trésors publics ». Il a un rôle de prêteur en dernier ressort pour les pays qui subissent des difficultés graves de balance des paiements (autrement dit, qui sont surendettés), auxquels en contre-partie il impose des politiques économiques d’ajustements structurels.

L'origine de la monnaie

Décret ou contrat

On peut distinguer plusieurs façons de "fonder" une monnaie :

  • la monnaie est imposée par un décret de l’État : c'est une monnaie-fiat ; peu importe sa nature (métal, papier...), c'est la contrainte étatique qui impose son emploi ; les libéraux estiment généralement qu'en ce cas il s'agit d'une "mauvaise" monnaie, puisqu'elle a besoin de la coercition pour circuler, contrairement aux autres biens et services disponibles sur le marché ;
  • la monnaie est fondée sur un contrat : c'est une monnaie privée offerte par une banque, selon un contrat de monnaie ; assez analogues mais de périmètre plus limité sont les conventions privées émises par certaines entreprises (points de fidélisation des hypermarchés, monnaie virtuelle de Second Life, etc.) ;
  • la monnaie est une dette ou un crédit qui a une valeur dans une communauté particulière (par exemple un SEL). Il n'y a ni décret ni contrat, juste une convention sociale.

Dans le dernier cas, il est possible que la monnaie repose sur un système décentralisé géré de façon informatique : Bitcoin (système anonyme, peer-to-peer, de production et d'échange de monnaie par transactions publiques et cryptographie asymétrique ECDSA), Ripple (système de reconnaissances de dettes basé sur des réseaux de confiance), Openmoney... Il n'y a plus un émetteur unique de monnaie. On peut d'ailleurs imaginer une monnaie qui repose au moins partiellement sur des reconnaissances de dettes (doctrine des effets commerciaux d'Adam Smith : Real Bills Doctrine).

Le théorème de régression de Mises

Comment s'explique le succès d'une monnaie donnée et qu'est-ce qui a permis, à l'origine, à cette monnaie de prospérer ?

Les gens cherchent à obtenir une monnaie parce que cette monnaie procure un pouvoir d'achat. Il y a donc une demande de monnaie actuelle découlant du pouvoir d'achat passé de cette monnaie. Mais ce pouvoir d'achat passé résultait lui-même d'une demande de monnaie antérieure. Il semble ainsi qu'il y ait une régression à l'infini et qu'on ne puisse pas trouver une origine à la monnaie en-dehors du décret ou du contrat.

Le théorème de régression de Ludwig von Mises[6] affirme que toute monnaie a été un jour ou l'autre un bien marchand (ou en est issue). Selon Mises, nul bien ne peut être employé comme moyen d'échange, sans qu'au début même de son emploi il n'ait eu une valeur d'échange liée à d'autres utilisations. Comme le dit Georges Lane[7] :

«  La régression s'arrête tout simplement au moment où une marchandise a vu le service de moyen d'échange qu'elle pouvait rendre commencer à être demandé par les individus. En d'autres termes, la régression s'arrête au moment où la marchandise a vu sa demande augmenter car elle était demandée désormais non seulement pour la raison habituelle — qui lui donnait une valeur intrinsèque —, mais aussi pour la raison nouvelle — ce qui a correspondu à un véritable saut qualitatif de la demande. Depuis la nuit des temps, la marchandise en question avait une valeur d'échange qui n'était déterminée que par sa demande, de fait, « non monétaire ». Et c'est ainsi que Mises peut affirmer que, simultanément, il y a eu passage de l'échange direct à l'échange indirect, et apparition de la monnaie, véritable progrès social. »
    — Georges Lane, Révolution technologique et avenir des monnaies

C'est ce théorème qui explique le "succès" des monnaies-fiat contemporaines : celles-ci reposaient auparavant sur l'or, elles n'auraient pu exister sans cela. Un système de prix complet existait avant que les gouvernements suppriment la couverture-or et imposent un cours forcé des monnaies ainsi privées de toute valeur autre que monétaire.

Ce théorème est remis en question par les monnaies virtuelles telles que bitcoin ou les SEL, où la monnaie a une valeur d'échange indépendante de toute valeur intrinsèque.

Les lois économiques qui régissent la monnaie

  • Loi de Gresham : « La mauvaise monnaie chasse la bonne ». Quand deux monnaies se trouvent simultanément en circulation avec un taux de change légal fixe, les agents économiques préfèrent conserver la « bonne » monnaie, et par contre utilisent pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s'en défaire au plus vite (car ils savent que sa valeur ne peut que baisser)[8].
  • Loi de Gresham inversée : la loi de Gresham n'existe que parce que l'État impose un cours légal (monnaie-fiat à cours forcé). Dans un système de monnaies libres, c'est la bonne monnaie qui chasse la mauvaise, puisqu'elle est volontairement recherchée par les acteurs économiques.
  • Triangle de Mundell : un pays ne peut pas avoir à la fois une politique monétaire indépendante, un taux de change fixe et la liberté des mouvements de capitaux, mais seulement deux de ces trois éléments en même temps.
  • Formule de Baumol : le besoin de quantité de monnaie est proportionnel aux transactions.
  • Loi de Goodhart (1975) : toute politique monétaire basée sur des indices ou des mesures est incohérente car il n'y a pas de « bon indicateur » ("quand la mesure devient un objectif qu'on se fixe, elle cesse d'être une bonne mesure" ; par exemple, si par hasard on adopte le bon « agrégat » pour mesurer la masse monétaire, cet indice cessera ipso facto de devenir un bon indicateur dès qu'on l’utilisera comme cible monétaire). Cela met en doute l'efficacité de règles telles que la règle de John B. Taylor pour fixer le taux d'intérêt décidé par la banque centrale.

Voir aussi :

Monnaie et utopie

De nombreux projets de monnaies ont été proposés dans l'histoire. La plupart de ces projets sont constructivistes et ne peuvent fonctionner que sous la coercition. Les SELs et les monnaies virtuelles comme Bitcoin sont des contre-exemples, puisqu'ils sont échangés librement.

Par exemple, la "monnaie fondante" (monnaie qui perd de sa valeur dans le temps) fut proposée en 1916 par Silvio Gesell pour lutter contre les prétendues "spirales déflationnistes".

En 1944, Keynes propose une monnaie supranationale, le bancor, dans le but d'éviter des déséquilibres importants des balances extérieures.

Divers projets d'allocation universelle reposent sur un système monétaire particulier, avec une création monétaire qui "profiterait" à tout le monde de façon égale. D'autres projets à motivation écologique, tel celui de l'économiste Christian Arnsperger, promeuvent une monnaie liée à "une empreinte écologique maximale autorisée", dans une optique de décroissance.

L'argent comme tabou

L'historien Alan S. Kahan[9] cite trois tabous qui expriment le mépris des intellectuels, prédicateurs d’une « morale publique », pour l’argent :

  • tu ne devrais pas gagner de l’argent (source aristotélicienne) ;
  • tu ne devrais ni gagner de l’argent ni en avoir (don aux pauvres issu de la tradition chrétienne) ;
  • tu ne devrais pas gagner davantage que les autres, parce que c’est injuste (tradition égalitaire).

Erreur fréquente : l'État serait nécessaire pour créer et gérer la monnaie

Il s'agit d'un sophisme post hoc, avec inversion du rapport de cause à effet : parce que de nos jours l'Etat gère la monnaie, on suppose qu'il ne peut en être autrement.

Seuls les étatistes estiment que la monnaie est un « attribut de la puissance étatique ». Comme le remarque Gustave de Molinari dans sa huitième soirée des Soirées de la rue Saint-Lazare, battre monnaie n'est pas plus un attribut de la souveraineté « que de fabriquer des clous ou des boutons de guêtres ».

La monnaie n'est pas liée nécessairement au pouvoir politique, même s'il est évident que le pouvoir trouve de grands avantages à la contrôler (car cela facilite l'autofinancement par la création monétaire, ou permet des emprunts à taux privilégié). Comme le disait Napoléon Bonaparte, devenu empereur :

«  Je dois être le maître dans tout ce dont je me mêle et surtout dans ce qui concerne les affaires de la Banque, qui est bien plus à l'empereur qu'à ses actionnaires puisqu'elle bat monnaie. »

La monnaie comme outil d'échange est apparue bien avant les États. Elle est apparue comme « le résultat spontané d’efforts individuels et particuliers des différents membres de la société » (Carl Menger).

«  La théorie d’un accord originel où un seul bien particulier aurait été choisi comme instrument d’échange est tout aussi dénuée de fondement que l’ancienne croyance en une institution fondatrice de la loi ou du langage. »
    — William Ridgeway

L'Histoire montre que de nombreux supports monétaires ont été utilisés comme monnaie, et que de nouveaux apparaissent encore (monnaies électroniques, monnaies virtuelles comme Bitcoin).

La tendance semble être à ce que le pouvoir se désintéresse de la monnaie, conscient sans doute du rôle néfaste de toute manipulation artificielle de la monnaie. Ainsi un certain nombre d'États-Nations de l'Union européenne ont choisi de « fusionner » leurs monnaies nationales dans « l'euro » dont la « gestion » a été confiée à une même Banque Centrale réputée « indépendante ». C'est la création de la BCE, Banque Centrale Européenne. Cependant, la politique prévaut généralement sur l'économie, et la planche à billets est préférée à la rigueur budgétaire, ce qui rend très douteuse cette indépendance des banques centrales par rapport au pouvoir.

Le point de vue libertarien concernant la monnaie est très clair : on reconnaît une bonne monnaie à une seule caractéristique, qui est qu'elle n'a pas besoin de la coercition légale pour circuler, elle est recherchée spontanément par ses utilisateurs. C'est ce qui différencie une monnaie-or, une monnaie communautaire (SEL) ou une monnaie virtuelle (bitcoin) de la monnaie-fiat imposée par la loi et manipulée par l’État.

Erreur fréquente : il suffit de créer de la monnaie pour résoudre tous les problèmes (et stimuler la croissance)

Cette erreur, qui est une illusion monétaire, résulte du fait que l'on confond monnaie et richesse. Créer plus de monnaie ne crée pas davantage de richesses, cela donne un avantage à celui qui crée cette monnaie (et l'utilise ensuite pour acheter des biens et services) au détriment de tous les autres. Cela génère une inflation des prix puisque davantage de monnaie est en quête de la même quantité de biens. Les « plans de relance » d'inspiration keynésienne sont fondés sur cette idée fausse que la richesse et la croissance peuvent découler de la création monétaire et/ou de la dépense étatique.

Cette erreur économique est très fréquente, on la retrouve par exemple en Suisse dans l'Initiative populaire fédérale "Monnaie pleine" (rejetée par le peuple le 10 juin 2018) qui prévoyait que la banque centrale (BNS) "donnerait" directement de l'argent aux pouvoirs publics pour alimenter l'économie.

En France, cette illusion se manifeste dans les critiques à l'encontre de la loi du 3 janvier 1973, dite « loi Rothschild »[10] (loi abrogée depuis le traité de Maastricht), qui empêche le gouvernement de s'endetter sans frais, et donc sans fin : faute d'une telle discipline monétaire, la banque centrale créerait continuellement de la monnaie à la demande de l’État, y compris pour « rembourser » cette même monnaie prêtée. Seul un "frein privé" peut faire obstacle à la "folie publique", car le surendettement public se heurte vite au refus des acteurs privés de prêter de l'argent qu'ils risquent de ne jamais revoir. Les gouvernements sont enfin remis devant leur responsabilité s'ils veulent dépenser plus d'argent qu'ils n'en collectent et, par conséquent, augmenter la masse d'impôts futurs. La critique de la « loi Rothschild » relève donc de l'habituelle sacralisation étatique de l'action publique, action qui n'est jamais remise en question et qui devrait pouvoir disposer de ressources inépuisables. En réalité, cette action est toujours destructrice (voir loi de Bitur-Camember) et l'étape finale de cette destruction est l'inflation ou l'hyperinflation, conséquence inéluctable que refusent de considérer les partisans aveugles de la "planche à billets". Le discours gauchiste essaie de faire croire que l’État devrait reprendre en main la monnaie pour le bien de tous ; en réalité l’État a la monnaie en main plus que jamais, et s'il ne monétise pas sa dette directement, il l'écoule via les grandes banques qui ont accès à l’épargne mondiale :

«  [Les politiciens] distribuent et dépensent ce qu'ils n'ont pas le courage de prélever par l'impôt. Ainsi par veulerie, lâcheté, appétit du lucre et médiocre volonté de puissance, les politiciens se mettent dans la position de dépendre, d'être les obligés des banquiers. Si la banque ou les marchés coupent les ressources, les gouvernements tombent. (...) On ne sait plus qui est le bras armé de l'autre. C'est ce système pourri que je désigne sous le nom de "capitalisme financiarisé monopolistique, de copinage, d'Etat et de banque centrale réunis" ! »
    — Bruno Bertez, 19/12/2019

Pour l’École autrichienne d'économie, il n'y a même pas besoin de créer de la monnaie ni d'avoir une banque centrale, la monnaie en circulation suffit pour tous les échanges :

«  Le meilleur des mondes, c'est celui où il y a une quantité de monnaie stable. Il n'est pas nécessaire dans une société quelconque de créer de la monnaie. À partir du moment où une certaine quantité de monnaie existe, il n'est pas nécessaire d'en créer. La quantité de monnaie existante peut satisfaire indéfiniment, pour l'éternité, les besoins monétaires : elle prend de la valeur, et le prix des biens diminue tandis que la valeur de la monnaie augmente. Tout le monde croit qu'il est nécessaire de créer de la monnaie et d'avoir une banque centrale. Pourquoi ? Parce que implicitement on fait le raisonnement que la création de la monnaie c'est la création de crédit, et la création d'investissements. »
    — Pascal Salin

«  L’idée que la masse monétaire doit croître afin de soutenir la croissance économique semble impliquer que la monnaie, d’une façon ou d’une autre, soutient l’activité économique. Si cela était vrai, alors la plupart des économies du Tiers-Monde aurait déjà éliminé la pauvreté en imprimant une grande quantité de monnaie. »
    — Frank Shostak[11]

«  La monnaie, en soi, ne peut ni être consommée, ni être utilisée directement en tant que bien de production au sein du processus productif. La monnaie, en soi, est donc improductive ; c’est un stock mort qui ne produit rien. »
    — Murray Rothbard[12]

Une erreur similaire (sophisme du « billet magique » ou de la « liquidation miraculeuse »[13]) consiste à affirmer que l’économie ne souffre que d'un manque de liquidité et que la création monétaire permet de liquider toutes les dettes sans inflation et de façon transparente. En réalité, les hypothèses faites dans l'exposé de ce sophisme sont celles de dettes en système fermé, qui se compensent toutes exactement les unes les autres, contrairement à la dette publique.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Schopenhauer, Parerga
  2. Combien pèseraient tous les stocks d'or du monde réunis ?
  3. Le contexte économique en France au XIXe siècle était marqué par le bimétallisme, où l'or et l'argent étaient utilisés comme monnaies circulantes. La France avait une unité monétaire, le franc, et le taux de conversion officiel entre l'or et l'argent était fixé à 15,5 kilogrammes d'argent pour 1 kilogramme d'or. Ce système bimétallique a persisté jusqu'en 1873, malgré quelques fluctuations dues aux découvertes d'or en Californie et en Australie, ainsi qu'à l'exploitation des mines d'argent au Nevada.
  4. Investir dans la monnaie
  5. On peut également dresser des animaux pour qu'ils comprennent et utilisent la monnaie, voir les expériences de Keith Chen sur les singes capucins, rapportées par Steven Levitt dans Freakonomics.
  6. L'Action humaine, chap. XVII
  7. Révolution technologique et avenir des monnaies
  8. Cette loi, déjà pressentie par Aristophane et Oresme, fut vérifiée par Thomas Gresham (1519-1579) sur le shilling d'argent. On a pu la vérifier au XIXe siècle avec le système bimétallique (le taux de change fixe imposé par l’État ne reflétant pas l'abondance relative d'un métal par rapport à l'autre, qui est variable), ou au XXe siècle en France avec les pièces d'argent de 10 ou 50 francs, conservées par les particuliers de préférence aux coupures non métalliques de même valeur faciale.
  9. Warum viele Intellektuelle das Geldmachen verachten, Institut Libéral, mars 2018 ([1]).
  10. Voir L’attaque infondée contre la « Loi Rothschild », Idées reçues sur la loi du 3 janvier 1973, dite « loi Rothschild », La loi de 1973 n'est pas la cause de l'endettement français ! Réponse à Etienne Chouard et Seigneuriage : Pourquoi la Banque Centrale ne prête pas à l’État (Acrithène).
  11. Une économie croissante nécessite-t-elle un accroissement de la masse monétaire ?
  12. Man, Economy and State, Murray Rothbard, page 765.
  13. Voir Foglia croit qu'on peut miraculeusement faire disparaître toutes les dettes et L’histoire du billet magique.

Bibliographie

  • 1977, Frederic L Pryor, "The Origins of Money", Journal of Money, Credit and Banking, Vol 9, n°3, pp391-409
  • 1997,
    • John F Chown, "A History of Money: From AD 800",
    • Jack Weatherford, "The history of money", Crown Pub.
  • 1998, Dominique Augey, Gérard Bramoullé, "Économie monétaire", Précis. Paris : Dalloz (ISBN 2-247-02842-X) (fr)
  • 2002, Glyn Davies, "A History of Money: From Ancient Times to the Present Day", University of Wales Press
  • 2020, Stefano Battilossi, Youssef Cassis, Kazuhiko Yago, "Handbook of the History of Money and Currency", Springer

Liens externes

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