Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !
Jalousie sociale
La jalousie sociale est un sentiment d'envie ou de haine à l'égard du bonheur matériel d'autrui[1]. Ce désir de posséder le bien d’autrui conduit à divers crimes et délits ; en politique, il motive les théories collectivistes et antilibérales, qui tendent à l'égalitarisme sous le paravent de la "justice sociale".
Humaine, trop humaine
La jalousie semble être un sentiment profondément ancré en l'homme. Le « jeu de l'ultimatum »[2], bien connu en sociologie, montre que la plupart des gens préfèrent renoncer à un gain plutôt que d'accepter que leurs semblables gagnent davantage qu'eux, ce qu'ils jugent « injuste ». En dernier ressort, les doctrines collectivistes reposent sur la jalousie sociale, ce qui les conduit de façon nihiliste à préférer la pauvreté pour tous à une richesse inégalement partagée.
Ceux qui sont révoltés par la richesse de certains (sentiment humainement compréhensible) devraient se poser la seule question qui compte : quelle est l'origine de cette richesse ? Provient-elle de la coercition / de la violence, ou de l'échange libre ? En laissant de côté tout sentiment de jalousie et d'envie, suis-je personnellement lésé par cette richesse ?
Religion et philosophie
L'envie est généralement considérée comme un vice par les religions : péché capital dans le christianisme, impureté dans l'islam (حسد), facteur mental défavorable dans le bouddhisme (īrṣyā), émotion désastreuse dans l'hindouisme, etc.
Pour Aristote l'envie (φθόνος) est "la douleur causée par la bonne fortune d'autrui"[3]. Pour Kant c'est une "réticence à voir notre propre bien-être éclipsé par celui d'autrui, parce que la norme que nous utilisons pour évaluer ce bien-être n'est pas sa valeur intrinsèque, mais la façon dont on le compare avec celui d'autrui" (Métaphysique des mœurs). Pour Bertrand Russell, c'est l'une des plus grandes causes de malheur (The Conquest of Happiness, 1930).
Droit
La jalousie sociale ne doit pas être confondue avec le sentiment légitime d'injustice qui peut s'élever à l'égard de la richesse injustement acquise par autrui : privilèges d'origine étatique, capitalisme de connivence, corruption, spoliation, expropriation, assistanat, renflouement par l’État (sous prétexte de "too big to fail"), etc. "Derrière chaque fortune mal acquise, on trouvera toujours un homme de l’État" (François Guillaumat).
Il y a en effet une richesse légitime, acquise par le travail, l'épargne, l'héritage, voire par la spéculation si cette dernière est faite sur fonds propres ou dans un cadre contractuel, et une richesse illégitime, acquise par le vol, la violence, la coercition (étatiques ou non).
La richesse mal acquise se fait toujours au détriment des moins riches et des pauvres. Par exemple celle des dictateurs. En 2016, alors que le Venezuela socialiste s'enfonce dans le désordre et la pauvreté, on apprend que la fille d’Hugo Chavez est la personne la plus riche du pays (sa fortune est évaluée à plus de 4 milliards de dollars). En 2006, le magazine Forbes estimait la fortune de Fidel Castro à 900 millions de dollars (une vingtaine de vastes maisons, voitures, gardes du corps et personnel de maison, île de Cayo Piedra, etc.).
Exemples
En Suisse, l'Initiative populaire fédérale '1:12 - Pour des salaires équitables' (rejetée par le peuple le 24 novembre 2013) visait à imposer que "le salaire le plus élevé versé par une entreprise ne puisse être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas versé par la même entreprise".
Le site de campagne socialiste justifiait cette contrainte par la nécessité de "réfréner les profiteurs", "introduire des salaires équitables", "donner au peuple la possibilité de fixer les règles du jeu". On remarquera le terme léniniste ou robespierriste de "profiteur" et la notion non moins arbitraire de "salaire équitable". Il s'agissait simplement de gêner autant que possible toute personne bénéficiant d'un salaire estimé "trop élevé", non pas au nom de la justice (car de quel droit pourrait-on s'opposer à l'exécution d'un contrat librement consenti), mais au nom de la jalousie sociale (car une telle limitation autoritaire du salaire ne ferait que nuire à la personne concernée sans bénéficier à quiconque).
On peut regretter que les arguments à l'encontre de cette initiative aient été seulement conséquentialistes : baisse de rentrées fiscales, perte de compétitivité par rapport à l'étranger, impact potentiel sur l'emploi, etc., alors qu'il aurait fallu souligner qu'il s'agissait d'une atteinte pure et simple à la liberté de contracter.
De même l'Initiative populaire fédérale 'Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (abolition des forfaits fiscaux)' (rejetée lors de la votation du 30 novembre 2014) visait à supprimer un instrument fiscal qui permet de taxer des personnes de nationalité étrangère n’exerçant pas d’activité lucrative en Suisse (elles subissent cependant des prélèvements à hauteur d'un milliard de francs par an, tandis que leurs dépenses, qui atteignent 3 milliards de francs par an, assurent 22000 emplois). Cette expression de la jalousie sociale a été jugée par le peuple suisse comme n'aboutissant qu'à déplacer la charge fiscale sur d'autres personnes et à diminuer l'attrait de la Suisse pour les personnes fortunées. Dans ce cas de figure, la jalousie s'exerçait non pas entre riches et moins riches, mais entre "moins taxés" et "plus taxés".
Notes et références
- ↑ Effet d'une certaine forme de matérialisme moderne, le sentiment de jalousie ou d'envie est en général beaucoup moins marqué à l'égard du "bonheur intérieur" ou du "bonheur spirituel" d'autrui, quel que soit le type de bonheur qu'on entende par ce terme...
- ↑ Dans le jeu de l'ultimatum, on donne une certaine somme à un cobaye. Celui-ci doit en remettre une partie à un partenaire (qu'il ne connaît pas), en décidant du montant du partage (1%, 10%, 40%, 50%, 90%, etc.). Si le partenaire accepte le partage (par exemple 40%-60%), alors chacun reçoit la somme dans les proportions proposées par le cobaye. Si le partenaire refuse le partage, alors, selon la règle du jeu prédéfinie et acceptée à l'avance, personne ne reçoit rien. On constate que le partenaire refuse des partages qu'il juge à son désavantage (ce qui est irrationnel, puisqu'il y perd), le but étant de « punir » l'offreur de son manque d'altruisme. Le seuil de refus est variable selon les cultures et les pays. Des expériences semblables faites sur des singes n'ont permis de démontrer aucun sentiment de jalousie chez eux.
- ↑ De même, Cicéron affirme : « On appelle Envie (invidentia), la tristesse (aegritudo) que nous cause le bonheur d'autrui, et un bonheur qui ne nous nuit en rien, car, s'il nous nuisait, ce ne serait plus envie. » (Tusculanes, IV)
Citations
- L’envie est naturelle à l’homme ; cependant elle est un vice et un malheur tout à la fois (...). Nulle haine n’est aussi implacable que l’envie ; aussi, nous ne devrions point incessamment et assidûment l’exciter ; au contraire, nous ferions mieux de renoncer à ce plaisir, comme à beaucoup d’autres, vu ses dangereuses conséquences. (Arthur Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie)
- Il n'y a aucun vice qui nuise tant à la félicité des hommes que celui de l'envie. (Descartes, Les passions de l'âme)
- L'envie, principe de la Révolution française, a pris le masque d'une égalité dérisoire ; elle promène son insultant niveau sur toutes les têtes, pour détruire ces innocentes supériorités que les distinctions sociales établissent. (Talleyrand, Mémoires ou opinion sur les affaires de mon temps)
- Pour que l'envie, la jalousie, le simple dépit de l'ouvrier à l'égard du capitaliste fussent justifiables, il faudrait que la stabilité relative de l'un fut une des causes de l'instabilité de l'autre. Mais c'est le contraire qui est vrai, et c'est justement ce capital existant entre les mains d'un homme qui réalise pour un autre la garantie du salaire, quelque insuffisante qu'elle vous paraisse. (Frédéric Bastiat)
- Les Français préfèrent l’égalité dans la misère à la prospérité dans l’inégalité. (Alexis de Tocqueville)
- L’homme libre n’est pas envieux, il admire ce qui est grand et se réjouit que cela puisse exister. (Hegel)
- Le Français a un côté jaloux, il préfère être complètement ruiné dans l’égalité qu’en bon état avec des gens plus riches. (Xavier Fontanet, 2013)
- Si l'inégalité n'est qu'un facteur déclenchant, et si la source de l'envie est le caractère envieux, à quoi bon lutter contre les inégalités qui se prêtent au nivellement, quand il y en a toujours tellement d'autres qui ne s'y prêteront pas ? Sans tenir compte de l'étendue des mesures de nivellement, toute situation réelle imaginable doit encore comporter en abondance des inégalités qui échappent au nivellement et à la compensation, et résistent également à tout autre remède pratique. (Anthony de Jasay)
- Le mépris des richesses était dans les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l'injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait ; c'était un secret pour se garantir de l'avilissement de la pauvreté ; c'était un chemin détourné pour aller à la considération qu'ils ne pouvaient avoir par les richesses. (La Rochefoucauld)
- Tout l'évangile de Karl Marx peut être résumé en une seule phrase : haïssez l'homme qui est plus riche que vous. N'admettez en aucune circonstance que son succès puisse être dû à ses propres efforts, à la contribution productive qu'il a fait en faveur de toute la société. (Henry Hazlitt)
- Des politiques qui reposent sur la jalousie sociale découragent l'accumulation de richesse, punissent le succès, et conduisent les gens à se détourner de grandes ambitions. Les personnes qui auraient pu chercher à devenir riches y réfléchissent à deux fois, sachant très bien que la force de la loi les guette pour écraser leur succès. (...) Dans des conditions idéales, notre législation devrait nous conduire à donner le meilleur de nous-mêmes, en faisant toujours appel aux plus hautes motivations de notre nature. Tandis que des politiques qui nuisent aux gens uniquement parce que ce sont des gagnants font appel à nos plus bas instincts. (Ron Paul, Liberty Defined, 2011)
- Vous l'apprendrez tôt ou tard, les ratés ne vous rateront pas. (Georges Bernanos, Écrits de combat)
- Plus un homme est productif, plus il risque de perdre ses droits. Si ses compétences sont exceptionnelles, il sera livré en pâture aux parasites de tout poil, tandis qu'il suffit d'être dans le besoin pour se retrouver au-dessus des droits, des principes, de la morale : pour que tout soit permis, même de piller ou de tuer. (Ragnar Danneskjold, La Grève, trad. Sophie Bastide-Foltz)
- La jalousie, un des sept péchés capitaux : son autre nom est le socialisme. (...) La doctrine qui excite la jalousie des ratés de la terre aura toujours sa clientèle. (Serge Schweitzer en 2014)
- L'envie est plus irréconciliable que la haine. (François de La Rochefoucauld)
- Les mauvais gouvernements sont enduits d'une espèce de glu à laquelle viennent s'attacher l'avidité, la délation, le mauvais sens, tous les vices. (Jean-Baptiste Say)
- Ce n’est pas tout de réussir dans la vie, encore faut-il que vos amis échouent. (Sacha Guitry)
- La jalousie associée à la rhétorique, cela donne la "justice sociale" (Envy plus rhetoric equals 'social justice'). (Thomas Sowell)
- Vous professez la religion de la justice. Mais votre rituel consiste à cultiver un vice : la jalousie sociale, et à l'étendre. Vous attendez de la jalousie sociale qu'elle vous confie toujours plus de contrôle et un pouvoir toujours plus large et tracassier. Vous repiquez partout de la jalousie sociale pour qu'elle finisse par dévorer entièrement l'espace des activités individuelles et des responsabilités personnelles. (Louis Pauwels, Petit discours sur la dévaluation du socialisme, La Liberté guide mes pas, 1984)
- Si la jalousie, l'envie et la haine pouvaient être éliminés de l'univers, le socialisme disparaîtrait le même jour. (Gustave Le Bon)
- Ils sont socialistes parce qu'ils croient que le socialisme améliorera leur situation et ils détestent le capitalisme parce qu'ils croient qu'il leur fait du tort. Ils sont socialistes parce qu'ils sont aveuglés par l'envie et l'ignorance. Ils refusent obstinément d'étudier l'économie et repoussent la critique dévastatrice que les économistes ont faite des plans socialistes, parce qu'à leurs yeux l'économie, étant une science abstraite, est un simple non-sens. Ils prétendent ne faire confiance qu'à l'expérience. Mais ils refusent tout aussi obstinément de prendre connaissance des faits indéniables de l'expérience, à savoir que le niveau de vie de l'homme ordinaire est incomparablement plus élevé dans l'Amérique capitaliste que dans le paradis socialiste des Soviets. (Ludwig von Mises, La mentalité anticapitaliste)
- Quelle lâcheté de se sentir découragé du bonheur des autres, et d'être accablé de leur fortune ! (Montesquieu, Mes pensées)
- La paix sociale viendra quand les socialistes aimeront les pauvres davantage qu'ils ne haïssent les riches. (Golda Meir)
- [En France] les rapports sociaux demeurent empreints de méfiance et d’aigreur (...) chacun ressent ce qui lui manque plutôt qu’il n’apprécie ce qu’il a. (Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, 1970)
- C'est une réflexion que je fais avec peine, mais tout indique que dans l'homme, la puissance de la haine est un sentiment plus fort que celui de l'humanité en général, et même que celui de l'intérêt personnel. (Talleyrand, Mémoires)
- Celui qu’enveloppe la flamme de la jalousie, pareil au scorpion, finit par tourner contre lui-même le dard empoisonné. (Friedrich Nietzsche)
- Un juge du Far West demandait à un célèbre bandit pourquoi il s’obstinait à braquer des banques. « Parce que c’est là qu’il y a de l’argent », répondit l’autre. Des ouvrages par montagnes ont été écrits sur la philosophie de la justice sociale, chrétienne, marxiste, tiers-mondiste, mais un seul argument cohérent en ressort : la justification de prendre de l’argent aux riches, c’est qu’ils en ont. La philosophie n’est qu’un excipient sucré : pour qu’ils souffrent moins d’être volés, on leur fait honte d’être riches. (Christian Michel)
- Les racines historiques de la jalousie sociale sont profondes. Nous les trouvons déjà chez les démagogues grecs qui réclamaient continûment l'abolition des dettes, le partage des terres, la confiscation des grandes fortunes ; c'est l'un des aspects de la conception aristotélicienne de la lutte des classes. Au cours des temps, la jalousie devait affecter les formes les plus diverses et prendre tout à la fois un aspect corporatiste, géographique, aux échelons du clan, de la province et de la nation, enfin au niveau de la classe sociale. A partir de 1848, le marxisme, sans contester sa valeur d'étape dans l'évolution de la pensée humaine, devait y trouver son vice moteur. Un syndicalisme politique, dévoyé de sa finalité socioprofessionnelle initiale, allait en être l'amplificateur. (...) La jalousie sociale poursuit son action de propagation des doctrines de haine que, contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer, l'ampleur des concessions consenties ne calme pas. Il s'en faut. Le manant de jadis n'était pas jaloux de son roi, non qu'il ne l'enviât pas, mais le fossé lui semblait infranchissable. Au fur et à mesure que celui-ci se rétrécit, le dard de la jalousie s'enfonce plus venimeusement. (...) On gave l'hydre égalitariste de paralysantes surcharges fiscales et sociales, de stérilisantes amputations patrimoniales, de démagogiques resserrements des éventails de rémunération qui dévalorisent les fonctions de direction, minent le prestige des chefs, contaminent les cadres, tuent l'esprit d'initiative et le goût de l'effort. (Roger Gromand, La jalousie sociale, Revue des Deux Mondes, avril 1983)
- La jalousie et l’émulation s’exercent sur le même objet, qui est le bien ou le mérite des autres : avec cette différence, que celle-ci est un sentiment volontaire, courageux, sincère, qui rend l’âme féconde, qui la fait profiter des grands exemples, et la porte souvent au-dessus de ce qu’elle admire ; et que celle-là au contraire est un mouvement violent et comme un aveu contraint du mérite qui est hors d’elle ; qu’elle va même jusques à nier la vertu dans les sujets où elle existe, ou qui, forcée de la reconnaître, lui refuse les éloges ou lui envie les récompenses ; une passion stérile qui laisse l’homme dans l’état où elle le trouve, qui le remplit de lui-même, de l’idée de sa réputation, qui le rend froid et sec sur les actions ou sur les ouvrages d’autrui, qui fait qu’il s’étonne de voir dans le monde d’autres talents que les siens, ou d’autres hommes avec les mêmes talents dont il se pique : vice honteux, et qui par son excès rentre toujours dans la vanité et dans la présomption, et ne persuade pas tant à celui qui en est blessé qu’il a plus d’esprit et de mérite que les autres, qu’il lui fait croire qu’il a lui seul de l’esprit et du mérite. (La Bruyère)
- Ils ne veulent pas posséder votre fortune, ils veulent que vous la perdiez ; ils ne veulent pas réussir, ils veulent que vous échouiez ; ils ne veulent pas vivre, ils veulent votre mort. Ils ne désirent rien, ils n’aiment pas la vie, et dans une éternelle fuite en avant, chacun d’eux fait tout pour ne pas voir qu’il est lui-même l’objet de sa haine. (Ayn Rand, La Grève, 1957)
Bibliographie
- 1983 : La jalousie sociale, Roger Gromand, Revue des Deux Mondes
- 2017 : L'Envie: Une histoire du mal, Helmut Schoeck, Les Belles Lettres
Voir aussi
Liens externes
- (en)Envy (Wikipédia)
- (fr)La jalousie envers les riches
- (fr)Ron Paul sur la jalousie sociale
Accédez d'un seul coup d’œil au portail philosophie et épistémologie du libéralisme. |