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Approche dramaturgique de l'entrepreneur

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L'approche dramaturgique de l'entrepreneur propose l'utilisation de la métaphore du théâtre et du cinéma comme un outil conceptuel pour analyser et comprendre le processus entrepreneurial dans toutes ses formes (économique, social, politique, présidentiel...). Elle explore l'application de la dramaturgie à l'acte d'entreprendre. En particulier, elle défend l'idée que l'entrepreneuriat se prête à une telle analyse théâtrale en étendant les limites de l'espace et du temps et, en nous permettant de découvrir les frontières subtiles entre la réalité et la fiction. Cela permet une appréciation plus complète de l'acte entrepreneurial dans la dualité[1] des concepts du monde vu en tant que scène et en tant que monde organisé et mis en scène.

L'analogie de la performance théâtrale et de l'entreprise

Les métaphores de la théâtralité[2] offrent un moyen alternatif de compréhension de l'entrepreneuriat. Si le théâtre est un miroir de la société, il peut être aussi le reflet de la vie de l'entreprise[3]. Le théâtre[4] est une ressource pour nous aider à comprendre comment les êtres humains s'entendent et comment ils travaillent les uns avec les autres. L'entrepreneuriat est un processus social, où les entreprises émergent à partir d'échanges sociaux et économiques. Au lieu de se demander de façon classique, "quelle est l'histoire qui nous est présentée ici ?", l'approche dramaturgique propose une autre question : "pourquoi et comment cette histoire entrepreneuriale particulière émerge-t-elle et finit par dominer la scène économique toute entière ?".

Sous l'angle des économistes néo-classiques, la production est vue comme une fonction généralement continue alors que l'approche dramaturgique considère chaque processus d'action comme une production de quelque chose de nouveau, c'est-à-dire un nouvel acte. Pourtant, dans le même temps, toute action existe en continuité avec le passé, ce qui lui fournit les moyens de son initiation.

Ainsi, l'approche dramaturgique nous aide à apprécier le spectacle entrepreneurial en tant que performance[5]. Nous l'apprécions dans les deux sens, à la fois comme spectateur et acteur critique de la vie d'entreprise, et également en lui donnant de la valeur, c'est-à-dire un prix. "C'est à travers la dramaturgie humaine et la narration que l'on confronte les jugements de valeur et les conflits personnels, lesquels définissent une véritable action économique dans le monde réel"[6]. L'action entrepreneuriale s'inscrit dans une série de séquences où la narration entrepreneuriale prend toute sa place à chaque étape.

La perspective dramaturgique de l'entrepreneur nous enseigne à être à la fois en alerte face à l'intrigue qui se déroule devant nos yeux, mais elle nous sensibilise aussi pour analyser les liens entre les apparitions des acteurs au premier plan et ce qui se passe réellement en coulisse. Il y a un réalisme scientifique car une vérité existe au-delà des apparences que nous tentons de découvrir les yeux grands ouverts. Il y a performance car il y a production de l'action d'entreprendre et parce qu'il y a une orientation vers un résultat. l'entrepreneur tout comme le dramaturge laisse une place à son auditoire de participer volontairement ou de façon incidente, à l'écriture de son script[7]. En effet, ce rôle donné par l'herméneutique nous permet de participer activement à la performance, à partir de nos interprétations visualisées à une distance réfléchie et non dépourvues de nos propres critères objectifs d'évaluation.

Le rôle de la métaphore entrepreneuriale ne peut plus être rejeté sous le prétexte d'être qu'un simple embellissement pur ou comme une alternative rhétorique pour ce qui pourrait être exprimé dans des termes littéraires moins ambivalents et plus explicites. Son usage est déterminé et décisif parce qu'elle nous fournit de nouvelles idées. La métaphore théâtrale nous aide à ne plus voir l'esprit d'entreprise comme un simple événement, mais comme une performance diffusée auprès de différents publics afin de considérer l'entrepreneur non seulement comme un agent économique, mais aussi comme un individu jouant différents rôles dans la société[8].

Cependant, les métaphores telles que la théâtralité de l'entrepreneuriat et, en fait, tout le langage figuratif, jouent un rôle important dans la façon dont nous pensons et apprenons les phénomènes intangibles. Ce rôle de prise de sens d'une connaissance tacite est particulièrement important pour l'entrepreneuriat en raison des problèmes inhérents à la définition même de l'esprit d'entreprise.

De tous les discours, la métaphore est la figure littéraire la plus vivante. En expliquant une chose dans les termes d'une autre, elle rend connaissable ce qui est au bord de l'inconnaissable. Dans cette phase de création destructrice, la destinée de l'entrepreneur schumpétérien est d'atteindre un avenir inconnaissable en créant du désordre. De son côté, la tragédie en tant que sous-ensemble dramatique, captive notre imagination en tant que processus générateur de désordre, qui est le carburant de la vie sociale et économique. À son commencement, l'esprit d'entreprise consiste à créer de nouvelles réalités, à transformer des idées en nouvelles entreprises, à transposer les idées anciennes en de nouvelles situations. L'entrepreneur kirznérien rétablit de l'ordre à l'entracte du désordre, comme pause providentielle et temporaire de l'esprit. L'entrepreneuriat peut donc être reconnu comme mettant en acte un avenir . Avec une telle caractérisation intangible, il n'est pas surprenant que des métaphores entrepreneuriales descriptives soient nécessaires pour donner un aperçu de la façon dont les autres choses sont et seront.

L'entrepreneur est un acteur qui renforce la réalité qu'il perçoit

Théâtre et entrepreneuriat ont les mêmes feuilles de route, ils nous font face. Au quotidien, ils reconsidèrent les idées reçues (taken for granted) et les banalités inconscientes afin de pouvoir les remettre en cause. Ils soulignent des aspects de la vie qui étaient précédemment abandonnées sans considération. L'entrepreneur et le dramaturge notent les différences pour les mettre en relief face à un plus large public, le premier agit sur le gain des opportunités et le second sur le relief des aspérités des personnages. Pour déduire quelles fonctionnalités du produit auront un impact sur les membres d’un groupe particulier, les entrepreneurs doivent simuler (délibérément ou automatiquement) le processus de décision d’autres personnes en imaginant ce que la cible marketing croit et désire. le rôle du scénariste est identique.

Le théâtre est aussi un outil d'amélioration du management[9]. Les ateliers théâtraux servent à développer des compétences en leadership lors de périodes de changement dans les organisations. En termes spécifiques, le changement est essentiel à la vie de l'entreprise. En tant que managers, les entrepreneurs doivent être proactifs et conscients des changements à venir. En outre, l'improvisation théâtrale est une technique qui répond à l'imprévisibilité et à l'ignorance du futur. Il est certain que les entrepreneurs ne peuvent pas lire à partir de scripts prédéterminés, le travail entrepreneurial doit donc reposer, par instant, sur l'improvisation, car celle-ci autorise un changement créatif sans heurt de l'évolution. Dans cette optique, une grande partie de l'esprit d'entreprise est de l'ordre de l'improvisation organisationnelle. Cette dernière sert à relier la nécessité du plan d'actions à l'imprévisibilité du marché.

Les entreprises sont devenues comme des arts de la scène, en favorisant les gens à travailler ensemble dans des équipes de projet transversales et à réfléchir de manière créative. Cela ressemble à une troupe de talentueux comédiens qui se rencontrent, pour la première fois, à la répétition d'une pièce, et dans la perspective d'un filage et d'un nombre de représentations indéterminé par avance. La pratique dramaturgique de l'entrepreneur est aussi significative lorsqu'il doit faire bonne impression[10] devant des investisseurs et des prêteurs (banquiers, business angels, capital risqueurs etc.) de toute nature. Il doit démontrer des talents de leadership rhétorique et discursif en mettant en avant des arguments[11] solides sur la pérennité de son entreprise en création.

L'entrepreneur embryonnaire ou naissant, vit dans une maison avec une petite lampe qui brille d'une lueur du devenir. Cet homme ou cette femme n'a pas de statut social encore établi, il/elle travaille pour se forger une bonne réputation car il/elle n'a encore aucun bilan pour se justifier aux personnes extérieures. Pourtant, il/elle a besoin de la confiance des fournisseurs, des financiers et des clients pour s'établir. En tant que futur entrepreneur, il/elle doit construire une image au-delà du présent. Il faut convaincre les autres personnes de partager sa croyance sur ce que l'organisation émergente va devenir[12]. Cette conviction s'inscrit dans un processus temporel subjectif[13] et discontinu. La position d'aujourd'hui apparaît "comme si", elle était là demain et comme si l'entreprise était déjà établie depuis un certain temps. Cette promulgation de l'organisateur, agissant comme si, contribue à démontrer que l'entreprise est réelle. Agir comme si, permet à l'entreprise d'exister sans équivoque. Cela permet aux entrepreneurs d'avancer, là où d'autres pourraient être paralysés par le trac ou la peur de l'incertitude. Lorsque les entrepreneurs parlent de leur entreprise avec confiance, ils augmentent leurs chances de succès, car leurs actions créent et renforcent la réalité qu'ils perçoivent.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Cette dualité méthodologique ("as is" et "as if") est intéressante à comparer avec l'approche autrichienne de la littérature. Il y a également chez les autrichiens une posture "as is" comme si l'oeuvre littéraire ou cinématographique dépeignait la réalité de la vie d'entreprise et de l'action de l'entrepreneur, vision dont il s'agit, pour le critique littéraire de l'école autrichienne, de rectifier les erreurs et les points de vue arbitraires. Le critique redonne du sens à la vérité. Il y a également l'utilisation de la métaphore par une méthode ("as if"), chez des auteurs autrichiens comme chez Ludwig Lachmann ou Don Lavoie qui considèrent le marché comme un livre, dans lequel l'entrepreneur lit et découvre des opportunités (Israel Kirzner).
  2. I. L. Mangham, M. A. Overington, 1987, "Organizations as theatre", Chichester: Wiley
  3. C. Goodwin, 1996, "Moving the drama into the factory: the contribution of metaphors to services research", European Journal of Marketing, 30:9, pp13-36
    • S. J. Grove, R. P. Fisk, J. T. Kenny, 1990, "Personal selling as drama; a metaphoric assessment of buyer-seller interaction", In: L. L. Berry, G. L. Shostack, dir., "Marketing theory applications", American Marketing Association, Chicago, pp75-81
  4. ou le cinéma. Pour ceci, voir également l'approche praxéologique de l'entrepreneur au cinéma
  5. Le mot performance tire son origine du français "par fournir", ce qui signifie vaguement "accomplir". Cela correspond à l'approche dramaturgique d'introduire du sens sous une forme structurée : "la réalité est rapportée à la vie"
  6. "Wall Street and Main Street in Fiction and Film", commentaire de Ryan McMaken du livre d'Edward W. Younkins, "Exploring Capitalist Fiction: Business through Literature and Film", sur le site du Mises Daily, publié le 25 janvier 2014
  7. B. R. Webb, 1996, "The Role of Users in Interactive Systems Design: When Computers are Theatre, Do We Want the Audience to Write the Script?", Behavior & Information Technology, 15(2), pp76–83
  8. L'approche dramaturgique de Erving Goffman, probablement la mieux connue dans le monde académique, nous fournit un outil conceptuel pour interroger la conduite des rôles sociaux. Mais Erving Goffman n'était pas concerné par une méta-théorie de l'utilisation de la dramaturgie en sciences sociales, mais dans les micro engagements de la vie quotidienne. Comme l'affirme Erving Goffman, la théâtralité reflète la façon dont les gens entretiennent leurs interactions sociales. Son approche était positiviste parce qu'il n'utilisait pas la dramaturgie comme d'une métaphore, mais comme un reflet précis et littéral de la vie sociale. Il s'en servait comme méthode et démonstration que le théâtre reflète les rôles et les performances réelles des gens. Cette approche a été critiquée par Burke qui utilisa la dramaturgie comme d'une métaphore, c'est-à-dire une perspective dont l'application sert à considérer le théâtre reflétant une réalité. Le dramatisme a été développé par Kenneth Burke, principalement dans sa "Grammaire des Motifs", publiée pour la première fois en 1945 et développée plus tard en 1972. Sa notion de dramatisme a été proposée comme moyen d'interpréter l'action humaine et les rapports sociaux.
    • K. Burke, 1945 & 1972, "Dramatism and development", Clark University Press, Barre, MA
    • Erving Goffman, 1974, "Frame analysis; an essay on the organisation of experience", Harvard University press, Cambridge, MA
    • Erving Goffman, 1959, "The presentation of self in everyday life", Doubleday, Garden City, NY
    • Erving Goffman, 1981, "Forms of Folk", University of Pennsylvania Press, Philadelphia
  9. Bibliographie sur le théâtre d'entreprise
    • 1996, C. Barthélémy-Ruiz, "Le jeu théâtral comme jeu de formation. La formation se met en scène ou les mille et une vertus du théâtre", Leplâtre F., Centre Info
    • 1999, B. Bosa, "Théâtre d’entreprise, La voix de son maître", Alternatives Économiques, n°167
    • 2007, Renata Borgato, Paolo Vergnani, "Teatro d'impresa - il teatro nella formazione dalla teoria alla pratica", FrancoAngeli
    • 2008, Melchior Salgado, "Le théâtre, un outil de formation au management", Revue française de gestion, Vol 2008/1, n°181, pp77-96
  10. Le management des impressions est le processus par lequel les individus tentent d'influencer les perceptions qu'ils donnent aux personnes avec lesquelles ils interagissent. Les communicateurs les plus habiles, certainement formés comme les leaders politiques, le font en cherchant à contrôler les informations qu'ils révèlent sur eux-mêmes à travers les mots parlés ou écrits ou des signaux sociaux non verbaux. La primauté de la théorie de ce concept en revient à E. Goffman, (1959, "The presentation of self in everyday life" Doubleday Anchor Books).
    • 1984, John Welsh, “The Presentation of Self in Capitalist Society: Bureaucratic Visibility as a Source of Impression Management", Humanity & Society, Vol 8, n°4, August, pp253-271
    • W. I. Gardner, 1992, "Lessons in organizational dramaturgy; the art of impression management", Organizational Dynamics, 21:1, pp33-47
    • S. A. Green, S. J. Wayne, 1993, "The effects of leader–member exchange on employee citizenship and impression management behaviour", Human Relations, 46(12), pp1431–1440
    • R. P. Fisk, S. J. Grove, 1996, "Applications of impression management and the drama metaphor in marketing: an introduction", European Journal of Marketing, 30:9, pp6-12
  11. O. Bouwmeester, Joep Cornelissen, R. van Werven, 2015, "The power of arguments: How entrepreneurs convince stakeholders of the legitimate distinctiveness of their ventures", Journal of Business Venturing, 4 (1), pp616-631
  12. Les entrepreneurs recherchent la légitimité cognitive en développant la confiance dans la nouvelle entreprise promise.
  13. Cet aspect rappelle aussi l'approche des subjectivistes radicaux et de certains économistes autrichiens (Mario Rizzo, Gerald O'Driscoll), inspirés par le philosophe français, Henri Bergson, qui présentent la théorie subjective du temps et de l'ignorance.

Bibliographie

  • 1987, Iain Mangham, Michael Overington, "Organizations as theatre: A sociology of dramatic appearances", Chichester: Wiley
  • 1995, Monika Kostera, Andrzej Koźmiński, "Four theatres: Norms and values in management", Polish Sociological Review, 111 (3), pp263-274
  • 2000, L. Dunham, R. Freeman, "There is no business like show business: leadership lessons from the theatre", Organizational Dynamics, Vol 29, n°2, pp108-122
  • 2001,
    • Mary Jo Hatch, Monika Kostera, Andrzej Koźmiński, "Theatre in management: An analysis of the modern play of management", Comportamento Organizacional e Gestao, 7/1, pp7-26
    • Monika Kostera, Andrzej Kozminski, "Four Theatres: Moral Discourses in Polish management", Management Learning, 32:3, pp321-343
  • 2004,
    • Joep Cornelissen, "What are we playing at? Theatre, organization and the use of metaphor", Organization Studies, 25(5), pp705-726
    • M. Crossan, D. Vera, "Theatrical improvisation: Lessons for organizations", Organization Studies, Vol 25, pp727-749
    • Heather Höpfl, G. Schreyögg, "Theatre and Organization: Editorial introduction", Organization Studies, 25(2), pp691-704
  • 2011, Juita-Elena (Wie) Yusuf, "The entrepreneur-investor charismatic relationship: a dramaturgical approach", Journal of Enterprising Culture, Vol 19, n°4, December, pp373–396

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