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Subjectivisme radical

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Le concept de subjectivisme radical a fourni de nombreuses controverses. Paradoxalement, les remous intellectuels ont été plus forts à l'intérieur de l'école autrichienne plutôt que dans le courant dominant des penseurs économiques dont la critique était principalement adressée. Ludwig Lachmann est à l'origine de ce mouvement de pensée, même s'il est exagéré de déclarer qu'il s'agit là d'une école dissidente.

La controverse avec l'école de Cambridge

Tout commence dans les années 1930 juste après le succès intellectuel de Friedrich Hayek à la London School of Economics et de sa présentation de la théorie de la structure de la production. Il est faux de croire, cependant, que les idées de l'école autrichienne furent tout d'abord attaquées par les keynésiens mais elles le furent plutôt par les théoriciens néo-ricardiens de l'école de Cambridge, sous le regard bienveillant de John Maynard Keynes[1]. Cette nuance est de taille puisque la "controverse de Cambridge", a permis la victoire intellectuelle ultérieure de John Maynard Keynes après la seconde guerre mondiale sur toutes les autres écoles de pensée économique.

La controverse de Cambridge portait sur la théorie du capital, présentée par Friedrich Hayek dans les années 1930. Dans les années 1940, toutefois, même le futur prix Nobel d'économie avait abandonné le combat intellectuel de la théorie économique. Seul Ludwig Lachmann tentait de défendre les idées autrichiennes.

L'attaque portée par les néo-ricardiens de l'école de Cambridge portait sur l'impossibilité de mesurer le stock de capital en dehors d'un soutien extérieur (donc interventionniste). Ludwig Lachmann précisait alors qu'une situation d'équilibre est une condition entièrement artificielle. Les ricardiens soutenaient que la mesure des coûts est objective. Les autrichiens et les subjectivistes de la London School of Economics (Ronald Coase, George F. Thirlby, Jack Wiseman) leur font le reproche qu'il s'agit là d'une vision "passéiste" (‘backward looking’) et rétrospective des coûts. Pour les néo-ricardiens, tout changement dans le mode de répartition des revenus, en raison du taux de profit ou des salaires, a une incidence sur les prix relatifs et donc nous prive de tout critère solide de mesure. Cette vision est encore malheureusement soutenue par certains économistes actuels qui relient la valeur actuelle des ressources en capital avec leur coût actuel de reproduction.

Pour l'école autrichienne, l'approche des agents économiques est prospective ("Forward looking"). Le but de tout détenteur de capital, au sens large du terme, et donc, également, le but de la maintenance courante des biens d'équipement existants, est d'assurer un flux de revenus futurs. Cependant, l'avenir est inconnaissable, ce qui ne signifie pas qu'il ne soit pas imaginable. C'est la raison pour laquelle les hommes et les femmes utilisent des substituts de connaissances afin d'évaluer les flux de revenus futurs. Ces substituts sont les anticipations.

Le défenseur du subjectivisme radical pose la question alors de la preuve existentielle de l'anticipation. Comment savoir que les gens anticipent ? Ludwig Lachmann justifie la présence de l'anticipation selon un critère thomiste. C'est l'expérience du vécu (et non celle du laboratoire) qui nous montre que des personnes différentes détiennent normalement des attentes différentes sur le revenu futur à espérer d'une même ressource. Les anticipations sont subjectives parce que chaque individu a le potentiel imaginatif d'espérer des flux de revenus différents pour une même ressource. De plus, nous explique Ludwig Lachmann, une même personne peut cumuler des attentes différentes concernant le même événement futur à des moments différents de sa vie. Les intervalles de temps peuvent être très courts comme ils peuvent être très longs. C'est la raison pour laquelle, Ludwig Lachmann déclare que le caractère inévitablement subjectif de tous les flux de revenus futurs rend la mesure objective et fixe du capital impossible ... Alors que l'école de Cambridge avait raison sur l'incapacité de mesurer le stock de capital dans le monde réel, elle avait tort sur les raisons de cette incommensurabilité. Pire, en niant leur erreur d'une méthodologie objective et passéiste des coûts, ils ont déformé l'esprit critique et prospectif de nombreux économistes. A la défaillance intellectuelle, les principaux néo-ricardiens ont fait preuve de malhonnêteté intellectuelle en omettant de citer Friedrich Hayek, et l'école autrichienne en général, de s'accorder avec eux sur l'impossibilité de mesurer le capital.

Le monde vu au travers d'un kaléidoscope

C'est la conférence de South Royalton, en 1974, qui a redonné du souffle à Ludwig Lachmann pour relancer le débat sur les anticipations subjectives. Les subjectivistes radicaux voient alors la réalité du monde comme une vision au travers d'un kaléidoscope. C'est à dire qu'à chaque instant où une nouvelle modification s'effectue dans le monde réel, l'ensemble entier change d'image. Un point final à cette phrase donnerait l'impression d'une vision chaotique du monde où les cartes à jouer seraient redistribuées à chaque instant infinitésimal du temps. A chaque fois qu'un individu prendrait une nouvelle décision, la vision globale en serait profondément changée. Le manque de nuance pourrait faire penser à du pur hasard, comme si les gens ne décidaient pas en fonction des autres décisions. Au contraire, tout en gardant son libre arbitre, chaque personne a la liberté de prendre sa décision de façon indépendante. Ludwig Lachmann a puisé cette idée puissante du kaléidoscope chez George Shackle ("Epistemics and Economics"). Mais, ce dernier était moins institutionnaliste que Ludwig Lachmann lui-même. Et, donc l'auteur autrichien a peut-être délaissé une partie très importante de son analyse en adoptant cette idée aux apparences nihilistes.

Les subjectivistes radicaux mettent mal à l'aise de nombreux auteurs autrichiens en n'effectuant pas assez de nuances dans leur approche subjectiviste. Murray Rothbard, par exemple, considérait que le subjectivisme radical de Ludwig Lachmann servait d'allié "subjectif" à la vieille école institutionnelle américaine qui niait l'existence de la théorie économique objective et donc qui refusait la validité intellectuelle des analyses économiques. Autrement dit, beaucoup d'économistes autrichiens considéraient que les subjectivistes radicaux étaient en train de supprimer leur savoir-faire et leur profession, celui d'être tout simplement des économistes.

Alors que le paradigme néo-classique se concentre sur l'analyse mathématique des états d'équilibre, l'école autrichienne "classique", menée par Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Murray Rothbard, etc., veut construire une science réaliste visant à comprendre les forces systémiques de l'économie de marché par la coordination dynamique des plans individuels. Les subjectivistes radicaux renforcent le réalisme en soulignant l'importance des anticipations des acteurs économiques dont la force de motivation est guidée par la perspective de gains futurs, et donc des écarts de valorisation, à venir, des biens et des services par les acteurs économiques.

Cependant, en adoptant une position empirico-thomiste, il est justifié de croire qu'à certaines périodes de temps, les individus s'accordent et se coordonnent sur les marchés de façon institutionnalisée c'est à dire en adoptant des règles communes, des coutumes, des habitudes, des conventions, des routines. Mais, cet ordre apparent harmonieux ne doit pas nous faire oublier qu'à tout instant une modification des anticipations prospectives d'un ou de plusieurs agents peuvent transformer rapidement et violemment ce monde d'harmonie dans un monde kaléidoscopique. Les marchés financiers (dont le FOREX) en sont un exemple particulier où des moments d'apparents équilibres (dans 70% du temps, les marchés financiers sont en mode "range" c'est à dire sans tendance) puis se transforment soudainement en tendance haussière ou baissière jusqu'à atteindre des extrémités de poussées violentes de peur (dépression extrême) ou d'euphorie (pic extrême).

Il est certain que les auteurs autrichiens doivent se pencher encore plus sur les anticipations subjectives et sur le subjectivisme radical, en général. Ils ne doivent pas avoir peur d'aller chercher de nouvelles idées même parmi leurs ennemis intellectuels plus ou moins avoués (John Maynard Keynes, par exemple), mais cela ne doit pas se faire au détriment de l'ensemble du socle fondateur de l'école autrichienne et de ses idées fructueuses à venir.

Notes et références

  1. John Maynard keynes, rédacteur en chef de la revue économique "Economic Journal" demanda à Piero Sraffa, en 1932, de faire une critique très forte vis à vis de la théorie autrichienne du capital et de l'intérêt en s'opposant à Friedrich Hayek, lequel avait préalablement attaqué le livre de Keynes sur la théorie de la monnaie

Bibliographie

  • 1937, Ludwig Lachmann, "Preiserwartungen und intertemporales gleichgewicht" (Les anticipations de prix et l'équilibre intertemporel), Zeitschrift für Nationalkonomie, Vol 8(1), pp33-46
  • 1979, Stephen Littlechild, "Comment: Radical Subjectivism or Radical Subversion?", In: Mario Rizzo, dr., "Time, Uncertainty and Disequilibrium", Lexington, MA: D. C. Heath
  • 1986, Mark S. Addleson, "'Radical Subjectivism' and the Language of Austrian Economics", In: Israel Kirzner, dir., Subjectivism, Intelligibility and Economic Understanding, New York: New York University Press, pp1-15
  • 1995, Rudy Van Zijp, "Lachmann and the wilderness: on Lachmann's radical subjectivism", European Journal of the History of Economic Thought, 2, pp412-433
  • 1998,
    • Pierluigi Barrotta, "Su un dilemma della scuola austriaca: il soggettivismo radicale di Ludwig Lachmann" (Le dilemme de l'école autrichienne: le subjectivisme radical de Ludwig Lachmann), Nuova civiltà delle macchine, vol XVI, n°3-4, juillet-décembre, pp139-149
    • Ricardo Crespo, "Subjetivistas radicales y hermenéutica en la escuela austríaca de economía" (Les subjectivistes radicaux et l'herméneutique de l'école autrichienne d'économie), Sapientia, Vol. LIII, n°204
    • Carlo Zappia, "Radical subjectivism and Austrian economics", In: Roger Koppl et Gary Mongiovi, dir., "Subjectivism and Economic Analysis", London: Routledge, pp125-142
  • 2006,
    • Pierluigi Barrotta, "A note on Lachmann's radical subjectivism", Storia del Pensiero Economico, n°1
    • Robert F. Mulligan, "Transactional Economics: John Dewey's Ways of Knowing and the Radical Subjectivism of the Austrian School", Education and Culture, Vol 22, n°2, pp61-82
  • 2011,
    • Vishal Gupta et Christoph Streb, "Toward a hermeneutical methodology for entrepreneurship research in a radical subjectivist paradigm", In: Károly Balaton, Lilla Hortoványi, Mário Raposo, David Smallbone, dir., "Entrepreneurship, growth and economic development : frontiers in European entrepreneurship research", Cheltenham: Elgar, ISBN 0857934678, pp262-287
    • Paul A. Lewis, "Far from a Nihilistic Crowd: The Theoretical Contribution of Radical Subjectivist Austrian Economics", Review of Austrian Economics, Vol 24, pp185-198