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État policier

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Un État Policier est un régime dont l'autorité s'appuie essentiellement sur la police. Dans Police State (1971), Brian Chapman décrit trois formes d'États policiers : traditionnel, moderne, et totalitaire. Les États policiers modernes émergent au XIX ème siècle et se caractérisent par une gestion de l'opinion publique et du comportement politique de la population, l'enregistrement d'informations concernant le lieu de résidence et l'identité des individus, le contrôle de leurs déplacements et l'exclusion de certaines catégories de personnes.

Historique du concept

Sous la Rome Antique

L'état policier traditionnel prend sa source dans le droit romain et la cité-État grecque. Le terme politeia vient du grec polis, la cité, au sens de la communauté d'intérêts des citoyens de la cité au sujet de leur défense et leur bien-être. La politeia renvoie à l'art de diriger la cité, qui est consubstantiel à sa constitution, c'est à dire les règles (nomos) régissant ses institutions. Dans ce contexte, la police a pour mission de "policer" les mœurs et d'assurer la survie de la république [1]. Pour ce faire, il faut d'une part disposer de l'autorité de réguler les affaires de la cité, au niveau de l'ordre public, de la moralité, de la sécurité, de son approvisionnement en vivres et de sa religion pour garantir le bien commun, vu ici comme l'harmonie des intérêts particuliers. D'autre part, il faut pouvoir assurer l'obéissance à ces lois via une force publique de gardiens de la loi. Ces gardiens doivent maintenir la sécurité dans les rues, le respect des transactions commerciales, et punir les comportements immoraux. Ces deux facettes de la police (politeia) permettent de tracer une première distinction entre l'autorité disposant du pouvoir législatif, chargé d'édicter les lois en vu d'harmoniser les intérêts particuliers et de diriger la cité et le groupe des hommes chargés de faire appliquer ces lois, par la force si besoin.

Cette distinction s'est renforcée durant la période romaine : la première, l' imperium, ou la souveraineté, est le droit supérieur à régner, détenu originellement par le peuple, qui lui seul avait le droit d'édicter des lois de façon négative via un droit de veto [2]. Cet imperium est ensuite transmis à l'empereur via la lex regia, la théorie judiciaire. Cependant, l'empereur détient l' imperium en tant que magistrat public et non en tant que personne privée, la loi romaine distinguant clairement la fonction de la personne [3] . L'Imperium, c'est à dire l'autorité légale à régner, légitime le pouvoir de l'empereur.

Ainsi, le pouvoir (potestas) se distingue sous deux aspects:

  • L'autorité de juridiction suprême qui donne le droit de réguler les conduites, d'ordonner des instructions obligeantes, de promulguer des édits, qui peut par exemple être confié par le sénat au consul ou au préteur chargé de la gestion des provinces sénatoriales,
  • La possession légale des instruments de coercition physique pour se faire obéir, comme la maior potestas du consul, illustrée par les douze licteurs qui l'accompagnent et constituent son escorte personnelle.

Les pouvoirs de police et la force policière sont donc subordonnées à la notion de souveraineté, par définition illimité, elles sont toutefois le fondement de l'autorité de l'état, par leur droit et leur pouvoir de contrainte, qui les distinguent des autres institutions ou associations.

Dans la Rome Antique, le préfet de la ville est en charge des forces de police et disposait de l'autorité d'imposer des règles en vue d'assurer la sécurité, l'hygiène et les bonnes mœurs, ses attributions englobent donc l'ordre public, les risques d'incendies, les constructions urbaines, les pratiques religieuses, les réunions privées et publiques, la prostitution, les mendiants et les étrangers. Pour l'assister dans sa tâche, il avait sous lui des délégués pour chaque district de la ville, les curatores urbis, eux mêmes assistés de vigiles qui patrouillaient dans les rues, les stationarii qui résident dans un bloc de la ville. Par ailleurs, les licteurs formaient la garde personnelle d'un magistrat. Ce système était en place à Rome puis s'est étendu aux principales villes de l'empire,avant de disparaitre en même temps que les structures administratives complexes de l'Empire romain durant la période des grandes invasions. Par la suite, les distinctions concernant les pouvoirs de police s'effacent : juge, administrateur et soldat se confondent en un seul personne : le chef de clan.

L'inspiration française

Si Philippe le Bel avait réorganisé la police urbaine par la nomination de 12 commissaires, dont la mission était de garantir la sûreté et la salu­brité de la ville de Paris, et s'en était servi dans le cadre d'une gigantesque opération coup de filet (l'arrestation des Templiers), c'est bien François 1er qui créa pour la première force de police moderne, ancêtre de la gendarmerie (gens d'armes). Celle-ci se trouvait sous la juridiction des prévôts des maréchaux, et comprenait des sergents à pied et des archers chargés de surveiller les routes et les campagnes. La Renaissance est l'époque de la redécouverte des lois romaines via les universités de Padoue, Bologne, Paris, Leipzig, ou Cologne.

Louis XIV créa, en 1667, la fonction de lieutenant de police de Paris dont la juridiction s'étendait à toute la région parisienne. Ses attributions comprenaient la formation de patrouilles, la régulation d'État de la Bourse de Commerce de Paris, de la circulation (contrôle du trafic), et de la prostitution, mais aussi la prise de mesures concernant les incendies, l’approvisionnement, l'éclairage urbain, le nettoyage des rues, et enfin la fermeture de la Cour des miracles, la nomination des concierges et l'espionnage systématique de toutes les couches de la sociétés par ses agents et informateurs.

Premier cas d’État Policier : la Prusse des Caméralistes

Selon Brian Chapman, les nouveaux juristes, le prestige du royaume de France de Louis XIV, et la personnalité des électeurs du Brandebourg constituent des influences décisives dans l'exportation de ces idées dans le royaume de Prusse et la fondation du premier état policier d'Europe : le Polizeistaat. Fondé au cours du XVIIIème siècle, le Polizeistaat est la mise en relation d'un ensemble de mesures économiques, politiques et sociales. Parmi ces mesures économiques, on peut notamment citer :

Cette politique économique est renforcée par des facteurs dynastiques et sociaux: les dévastations de la guerre de Trente ans et l'insécurité générale qui y règne prédisposent les individus d’Europe centrale à désirer la sécurité et l'ordre à la liberté (Hobbes conçoit le Léviathan tout puissant et se fait le chantre de la monarchie absolue par réaction aux horreurs des guerres civiles et de religion). Ce désir de sécurité, couplé à des intérêts dynastiques, favorise la création d'un état fort disposant d'une armée puissante et capable d'assurer la paix intérieure, dans une logique hobessienne.

Au XVIII ème siècle, Les idées des Lumières contribuent encore au développement de l’État moderne, car leurs principes peuvent être instrumentalisés pour légitimer la toute puissance du despote éclairé, par exemple Kant, malgré son contrat social assez libéral, se montre louangeur du régime de Frédéric II incarnée par la maxime : « Raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez ! ». Les philosophes des Lumières se font aussi les partisans du démantèlement des contre-pouvoirs traditionnels: féodalité, fin des privilèges aristocratiques et municipaux, et rationalisation du droit par l'introduction de principes généraux. La Réforme a fait passer le clergé et ses propriétés sous le pouvoir de l’État, ce qui renforce le pouvoir de ce dernier. Les juristes tant modernes que chrétiens insistent sur le devoir chrétien d’obéissance au pouvoir existant. De même Emmanuel Kant justifie l'obéissance absolue au pouvoir et nie l'existence d'un droit de révolte.

Le premier état policier, la Prusse, répondait à trois buts :amélioration de la société, protection et bien être de la population. Les réformes de Frédéric-Guillaume de Prusse (1620-1688) mettent en place un état administratif méticuleusement organisé capable de remplir ces objectifs notamment par l'écrasement des pouvoirs féodaux, la constitution d'une armée moderne et d'un d'un système bureaucratique, obéissants à une hiérarchie rigide. L'ancienne aristocratie de cour est privée des ses fonctions traditionnelles dans les rouages de l'état et de son pouvoir politique, elle se tourne donc vers l'armée et en fait le gardien et le premier soutien de l'état. Les nobles sont remplacés dans l’administration par des fonctionnaires de la classe moyenne, entièrement dévoués au souverain car leur ascension dépend de son bon vouloir, et leurs intérêts convergent avec ceux du souverain: renforcement du pouvoir de l’état, centralisé et hiérarchisé. Émerge une nouvelle école de pensée les Caméralistes, ce sont des juristes qui légitiment le processus de rationalisation, des méthodes d'organisation des offices publiques et de la formation des nouveaux bureaucrates. Les réformes de Frédéric II qui attribuent les emplois du service public au mérite plutôt qu'à la naissance, les positions les plus élevés nécessitant un diplôme universitaire en 'Cameralistique' : savoirs en économie agricole, gestion financière et domaniale, droit public, et science administrative.

L'administration est réorganisée selon une hiérarchie pyramidale à la manière d'une armée avec le prince au sommet dirigeant un corps de bureaucrates dociles, disciplinés et à l'écoute de ses besoins, chaque fonctionnaire est étroitement surveillé par son supérieur. Des offices sont également crées en province pour relayer les consignes de l'état et encadrer les autorités locales. À l'armée prussienne qui projette la force prussienne et défend l'intégrité territoriale face aux puissances extérieures, fait écho la fonction publique qui promeut la concorde et la prospérité intérieure. Selon les caméralistes, l'état se doit d'être puissant pour assurer les missions qu'on lui confie, la raison d'état l'emporte sur les intérêts individuels, même si cela peut causer des injustices, car l'état est la condition nécessaire à l'existence et la sécurité des citoyens. Le prince incarne l'état (Frédéric II disait être le premier serviteur de l’État) et doit donc tâcher de comprendre et de suivre la raison d'état.

Cette pensée se répercute au niveau des institutions : les branches législatives et exécutives sont vues comme deux facettes découlant du même pouvoir de police de l'état. Il y a aussi une justice d'exception pour les officiers de l'état, comme en France avec le droit administratif car les tribunaux ordinaires sont vus comme incompétents pour juger les serviteurs de l'état

Si le Polizeistaat n'est pas le règne de l'arbitraire, car les pouvoirs des fonctionnaires sont limités et définis par des règlements précis, ceux-ci restent soumis aux lois et responsables de leurs actes devants leurs supérieurs, l'état demeure son propre juge et ne peut s’auto-restreindre. Les Caméralistes tentent d’adoucir ce point car les intérêts fondamentaux de l'état incluent une relation de confiance avec ses citoyens et une certaine éthique. La Polizeistaat n'est pas non plus selon eux un état répressif, car même si l'intérêt suprême de l’État doit prévaloir, celui-ci est censé coïncider avec celui de ces sujets.

Concernant le institutions, les affaires d'état sont directement rattachés au ministère de l'intérieur, hormis l'armée, la justice et le budget. Le ministère de l'intérieur, sous l'égide du prince, est l'autorité disposant du pouvoir de police, sa mission, comme définie dans la grande ordonnance de 1868, est d'assurer le maintien de l'ordre, la santé et le développement de la société. L’épitomé de ce premier état policier est donc la création d'un système de conscription militaire (Règlement cantonal de 1733), le développement son économie et d'un état providence.

Bibliographie

  • 1971, Brian Chapman, Police State

Notes et références

  1. la république est ici à comprendre comme la communauté d'intérêts entre les citoyens
  2. Loi des douze tables,
  3. On retrouvera cette distinction sous la période médiévale, cf Les deux corps du roi, Ernst Kantorowicz


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