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Bertrand de Jouvenel
| Bertrand de Jouvenel | |||||
| Économiste | |||||
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| Dates | 1903-1987 | ||||
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| Tendance | Libéral classique | ||||
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| Articles internes | Autres articles sur Bertrand de Jouvenel | ||||
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| Interwikis sur Bertrand de Jouvenel | |||||
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Bertrand de Jouvenel (Paris, 31 octobre 1903 – Paris, 1er mars 1987) est un juriste, philosophe politique, prospectiviste et économiste français.
Biographie de Bertrand de Jouvenel
Bertrand de Jouvenel des Ursins est le fils d'Henry Jouvenel et de Sarah Claire Boas. L'influence de son père Henry et de son oncle journaliste Robert de Jouvenel, fut déterminante dans sa formation intellectuelle. En effet, très tôt il se passionne pour l'analyse politique et le journalisme. En 1928 il publie son premier essai intitulé L'Économie dirigée.
À 17 ans, il vit une relation de plusieurs années avec Colette, alors conjointe de son père.
Après des études scientifiques et juridiques, il est correspondant diplomatique puis correspondant pour divers journaux, avant d’entamer une carrière universitaire. Durant les années 1920, Bertrand de Jouvenel fait partie d'une fraction militante alors baptisée non-conformiste. Nous sommes au lendemain de la Première Guerre mondiale où les relations internationales sont très tendues et conflictuelles.
En 1925 il rejoint le courant des Jeunes-turcs de tendance réformiste au sein du Parti radical.
Vers les années 1930, avant la Seconde Guerre mondiale, Jouvenel est plutôt favorable à un nationalisme européen (européanisme), au planisme et au dirigisme. Son évolution libérale n'intervient qu'après la guerre. Favorable à un rapprochement France-Europe, il mène à l'époque une réflexion sur l'avenir des sociétés européennes. Il réalise une interview d'Hitler à Berlin le 21 février 1936, en compagnie d'Otto Abetz avec qui il entretient des liens d'amitié. Cette interview sera publiée dans Paris-Midi du 26 février 1936. Il rejoint un temps, en même temps que Pierre Drieu La Rochelle, le Parti populaire français de Jacques Doriot, qu'il quitte lorsque Doriot approuve les accords de Munich. Il dénonce dès 1933 le « traitement médiéval » infligé aux Juifs en Allemagne. Sous l'Occupation, retiré en Corrèze, il se rapproche de la Résistance. Craignant d'être arrêté par la Gestapo, il gagne la Suisse en septembre 1943. Il est un précurseur de l'écologie politique, terme qu'il est le premier à employer en 1957 lors d'une conférence à Tokyo.
Considéré comme un intellectuel atypique, libéral en économie, politique et en culture, il a pris aussi conscience que le développement de l'industrialisation affecte les conditions du vivant sur Terre. C'est pourquoi il invite la science économique « à une vue plus complète de la réalité » et fut l'un des premiers à avoir proposé la liaison de l'économie politique avec l'écologie politique. Faisant appel à la responsabilité et la prudence, Jouvenel a intégré sa conscience écologique dans ses réflexions sur le rôle de la science économique, ceci sans se noyer dans le catastrophisme ni dans une remise en cause radicale du progrès humain. Parmi ses 37 livres, Du Pouvoir reste une référence. Jouvenel est d'ailleurs, avec Friedrich Hayek et Jacques Rueff, le fondateur de ce club d'intellectuels libéraux qu'est la Société du Mont-Pèlerin. De nombreux jeunes économistes ont senti poindre leur vocation en découvrant son analyse des États et en suivant ses cours.
Il est le fondateur de la revue Futuribles nommée d'après le néologisme formé par Luis de Molina au XVIe siècle en contractant « futurs » et « possibles ».
De la civilisation de puissance à la civilisation du savoir-vivre
« Notre Terre est une vaste mine où nous puisons d'autant plus que nous sommes plus prospères : à la vérité le ressort essentiel de notre puissance productive c'est l'énergie que nous empruntons aux réserves naturelles ». Nous sommes comptables de la Terre (1967)
En tant qu'économiste, Bertrand de Jouvenel se pose de vraies questions sur l'expansion et le progrès de la puissance de la civilisation industrielle. Pour lui il faudra inscrire dans l'histoire de la civilisation industrielle le fait de la domination de la Nature par l'Homme. Ce qui jusqu'ici est resté informulé par la majorité des économistes, à l'occasion par la science économique, est d'avoir ignoré que l'idée de progrès est essentiellement la manifestation de la puissance humaine.
L'économie tend à assumer le rôle d'une science pratique, c'est-à-dire qu'en raison des résultats et croissance du pouvoir de l'Homme sur les facteurs naturels elle doit être capable de donner des conseils pour l'action. Pour pouvoir jouer ce rôle, l'économie politique doit devenir écologie politique.
Jouvenel souhaite que l'enseignement économique soit situé dans le cadre de l'écologie politique : les flux économiques entre Hommes reposent sur des matières premières arrachées à la Nature, les transformations effectuées par l'activité économique ne sont possibles et n'ont de sens qu'à raison des rapports que nous entretenons avec la Nature ; nos rapports avec la Nature « appellent un esprit de responsabilité que nous n'avons pas encore acquis et auquel nos manières de penser les plus modernes ne nous portent pas ».
Le concept d'État-jardin chez Bertrand de Jouvenel
- . Définition et origine de la métaphore. La notion « d’État-jardin » apparaît dans la réflexion de Bertrand de Jouvenel comme une image normative du rôle souhaitable de l’État. Contrairement à « l’État-machine », qui entend reconstruire artificiellement la société, et à l’État minimal réduit à la seule police, « l’État-jardin » désigne une puissance publique qui se comporte comme un jardinier : elle prépare le terrain, protège des menaces, taille avec mesure, mais ne remplace pas les dynamiques naturelles de la société civile et de l’économie. Cette vision, développée notamment dans On Power (1945), The Ethics of Redistribution (1952) et des essais postérieurs sur l’abondance, se veut une alternative à la fois au dirigisme socialiste et au laisser-faire consumériste.
- . Fondements doctrinaux. Dans The Ethics of Redistribution, Jouvenel soutient que toute redistribution massive accroît mécaniquement le pouvoir de l’État et tend à affaiblir les fonctions sociales spontanées (épargne, investissement, mécénat, transmission culturelle). « L’État-jardin » devrait donc se borner à créer un cadre où ces fonctions s’épanouissent sans être absorbées par l’appareil bureaucratique. Dans On Power, il met en garde contre la tendance séculaire de la puissance publique à croître comme un « minotaure » dévorant. « L’État-jardin » se veut une tentative de contenir ce mouvement par des « haies » : contre-pouvoirs, séparation des fonctions, règles de droit stables. Enfin, dans ses écrits de prospective (The Art of Conjecture), il insiste sur l’importance de la prévoyance : l’État doit anticiper crises et risques systémiques, mais sans prétendre planifier la totalité de la vie économique et sociale.
- . Principes constitutifs. « L’État-jardin » repose sur un ensemble de principes qui cherchent à concilier liberté et ordre social. Il s’appuie d’abord sur le principe de subsidiarité, selon lequel l’intervention publique ne doit avoir lieu qu’en dernier ressort, lorsque les individus, les familles, les associations ou les collectivités locales sont incapables d’agir par eux-mêmes. Ce rôle limité se trouve renforcé par l’exigence d’un État de droit, qui encadre strictement le pouvoir à travers des règles générales, stables et prévisibles, plutôt que par des décisions arbitraires. Dans cette perspective, Jouvenel insiste aussi sur l’importance des corps intermédiaires : familles, communes, associations et entreprises constituent l’humus du tissu social et doivent rester les acteurs principaux de la vie collective. L’État, tel un jardinier, ne doit qu’entretenir et soutenir ces forces, sans chercher à les remplacer. Son action doit donc être guidée par la mesure et la proportionnalité, c’est-à-dire par la volonté de fournir un cadre propice à l’épanouissement des initiatives, plutôt que de s’immiscer dans leur fonctionnement quotidien. Enfin, « l’État-jardin » se distingue par une exigence de prévoyance. Il appartient à l’autorité publique d’anticiper les risques de long terme, qu’ils soient sécuritaires, monétaires ou environnementaux, afin de préserver les conditions d’une prospérité durable.
- . Lecture critique du concept de « L’État-jardin ». Du point de vue libertarien, la métaphore de « l’État-jardin » comporte une ambiguïté fondamentale. Certes, Jouvenel dénonce avec force les dérives de l’État-providence et le danger du minotaure bureaucratique ; mais son modèle reste interventionniste par essence. En assignant à l’État un rôle actif d’orientation (éducation, culture, environnement, redistribution ciblée), il légitime une sphère d’action qui dépasse largement les strictes fonctions de protection de la liberté individuelle (sécurité, justice, propriété). La critique libertarienne souligne que « l’État-jardin », même limité par la subsidiarité, ouvre la voie à des interventions discrétionnaires qui risquent d’élargir progressivement le domaine de la puissance publique. De la même façon qu’un jardinier finit par tailler, planter et diriger selon sa propre conception du beau, l’État-jardin peut devenir un prétexte à l’ingénierie sociale douce. L’histoire récente confirme cette dérive : la fiscalité modérée se transforme aisément en fiscalité progressive ; la régulation de « bon sens » évolue en réglementation invasive. Ainsi, pour les libertariens, « l’État-jardin » est moins un contre-poison au minotaure qu’une étape intermédiaire vers sa renaissance.
- . Portée et postérité. Malgré cette critique, la métaphore de Jouvenel conserve une valeur descriptive et suggestive. Elle illustre la tension permanente entre l’exigence de sécurité et le désir de liberté, et rappelle que tout accroissement du pouvoir public se fait au détriment des initiatives privées. Toutefois, la trajectoire intellectuelle de Jouvenel, oscillant entre socialisme, libéralisme et retour à une sympathie pour la gauche dans les années 1980, montre les limites de sa cohérence doctrinale. Pour une lecture libérale stricte, « l’État-jardin » témoigne d’une hésitation : il critique l’expansion de l’État tout en lui confiant un rôle de guide. À ce titre, il représente moins une solution définitive qu’une étape problématique dans le débat sur la taille et la fonction de l’État au XXIe siècle.
Citations
« L’économie est fondamentalement démocratique en ce sens qu’elle reçoit du public l’appréciation de la valeur des choses. »
« Au XIXe siècle, le travail a été la vache à lait du capital, au XXIe, le capital sera la vache à lait du travail. »
« Une certaine indiscipline m'a peut-être qualifié pour ce rôle d'éclaireur. »
« Le Minotaure mobilise la population, mais c'est en période démocratique qu'a été posée le principe de l'obligation militaire. Il capte les richesses mais doit à la démocratie l'appareil fiscal et inquisitorial dont il use. Le plébiscite ne confierait aucune légitimité au tyran si la volonté générale n'avait été proclamée source suffisante de l'autorité […]. La mise au pas des esprits dès l'enfance a été préparée par le monopole, plus ou moins complet, de l'enseignement. L'appropriation par l'État des moyens de production est préparée dans l'opinion. »
« Si le pouvoir tend naturellement à grandir et s'il ne peut étendre son autorité, accroître ses moyens qu'aux dépens des puissants, la plèbe doit être son éternelle alliée. La passion de l'absolutisme doit nécessairement conspirer avec la passion de l'égalité (Du Pouvoir[1]) »
« À l'égard du passé, la volonté de l'homme est vaine, sa liberté nulle, son pouvoir inexistant. [...] Mais comme le passé est le lieu des faits sur lesquels je ne puis rien, il est aussi, et du même coup, le lieu des faits connaissables. - (L'art de la conjecture) »
« Généralement notre époque est signalée par une heureuse accentuation de la conscience sociale, mais, en revanche, par une atténuation de ce que l'on pourrait appeler la « conscience écologique » - (Arcadie, Essai sur le mieux-vivre, 1968) »
Informations complémentaires
Publications
- Pour une liste détaillée des œuvres de Bertrand de Jouvenel, voir Bertrand de Jouvenel (Bibliographie)
Littérature secondaire
- 1975, Carl Slevin, "Bertrand de Jouvenel. Efficiency and amenity", In: Kenneth Minogue, Anthony de Crespigny, dir., "Contemporary Political Philosophers", London: Methuen; New York: Dodd, Mead, pp168-190
- 1979, Pierre Hassner, "Jouvenel, Bertrand de", In: David L. Sills, dir., "International Encyclopedia of the Social Sciences: Bilgraphical Supplement", Vol 18, New York: Free Press, pp358-363 (en)
- 1993, Eric Roussel, "Itinéraire (1928–1976)", Paris: Plon
- 2005, Daniel J. Mahoney, "Bertrand de Jouvenel: The Conservative Liberal and the Illusions of Modernity", Wilmington, DE: ISI Books
- 2008,
- Olivier Dard, Bertrand de Jouvenel, ISBN 2262029164
- Daniel J. Mahoney, "Jouvenel, Bertrand de (1903–1987)", In: Ronald Hamowy, dir., "The Encyclopedia of Libertarianism", Cato Institute - Sage Publications, pp263-265
- 2012, Olivier Dard, "Bertrand de Jouvenel", In: Mathieu Laine, dir., "Dictionnaire du libéralisme", Paris: Larousse, pp340-341
- 2019, Gabriele Ciampini, "Bertrand de Jouvenel and Contemporary Liberalism", Laissez-Faire, n°50-51, Marzo-Septiembre, pp1-13
- 2020, Hannes Gissurarson, "Bertrand de Jouvenel (1903–1987)", "Twenty-Four Conservative-Liberal Thinkers", Part II, Bruxelles: New Direction, pp293-320
Notes et références
- ↑ Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir, Pluriel, p.289
Voir aussi
Liens externes
- (fr)Textes choisis sur Catallaxia
- (fr)Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir, dépassement du système: l'impact de la revue Futuribles : Intervention de Laurent Schang lors de la 6ième Université d'été de "Synergies Européennes" (Valsugana/Trento, 1998)
- (fr)Bertrand de Jouvenel sur l'encyclopédie de l'Agora
- (fr)Bertrand de Jouvenel, une enfance mondaine dans un couple déchiré, par Copeau
- (en)The Economics of Bertrand de Jouvenel
- (fr)Le Groupement universitaire pour la Société des Nations face aux crises des années trente, Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°74, 2004. Jeunesses et engagements : d'un mai à l'autre (France : 1936-1968) pp. 14-19;
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