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Les origines de la Guerre de Sécession

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Histoire des États-Unis

Les origines de la Guerre de Sécession sont multiples et anciennes : le conflit qui éclate en 1861 est le résultat d'un processus qui voit s'élargir le fossé entre le Nord et le Sud entre 1846 et 1860. Les deux « sections » de la nation américaine avaient vu se développer deux sociétés de plus en plus différentes. Le Sud agricole, dominé par une aristocratie de planteurs, associait libre-échangisme et régime social très hiérarchisé avec ses notables, ses « pauvres blancs » et ses esclaves. Le Nord protectionniste et en cours d'industrialisation offrait une image de mobilité sociale avec des mœurs plus égalitaires et des courants d'opinion plus radicaux. Ce pays démocratique se voit confronté à la question noire déjà soulevée par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835).

Whigs du Nord contre Démocrates du sud

Esclaves et salariés

Deux partis s’opposaient : les whigs (puis républicains après 1854) et les démocrates. Ces derniers étaient hostiles aux formes que prenaient le développement capitaliste : « les banques sont les ennemis connus de notre gouvernement républicain depuis le début, le moteur d’une nouvelle forme d’oppression ». Les whigs répliquaient : « Nous avons besoin, grâce aux facilités de banques bien organisées, de pouvoir développer les vastes ressources de notre État ». Pour Henry Carey, « les intérêts du capitaliste et du travailleur sont parfaitement harmonisés ».

Abraham Lincoln déclare à New Haven en 1860 : « Je n’ai pas honte d’avouer qu’il y a vingt-cinq ans, j’étais un travailleur salarié qui posait des rails ». Pour lui, esclave et salarié sont des termes qui s’excluent mutuellement : « l’homme qui l’an dernier travaillait pour autrui, travaille cette année pour son propre compte et l’année prochaine, il engagera des gens qui travailleront pour lui ». En effet « le système de la liberté du travail ouvre la voie à tous – offre à chacun l’espoir, l’énergie, le progrès et une meilleure condition ».

Cette idéologie de la mobilité sociale ne pouvait fonctionner dans le Sud esclavagiste. Whigs et républicains soutenaient le développement des moyens de communications, une politique protectionniste, un système bancaire centralisé, le développement des écoles publiques et la lutte contre les méfaits de l’alcoolisme.

Deux électorats

L’électorat whig comptait surtout des employés de bureaux protestants, des travailleurs qualifiés et des agriculteurs intégrés dans l’économie de marché. Les démocrates recueillaient davantage les voix des travailleurs hostiles à l’évolution économique, les immigrants catholiques, les petits fermiers des régions isolées.

Entre 1845 et 1855, trois millions d’immigrants franchissent l’Atlantique : c’était la plus grosse affluence d’étrangers de l’histoire américaine. Aux protestants venant de Grande-Bretagne s’intégrant facilement succédaient des catholiques d’Irlande ou d’Allemagne dont beaucoup étaient des travailleurs pas ou peu qualifiés. Le nativisme whig très anticatholique cimenta d’autant plus l’allégeance des Irlandais au parti démocrate.

Effets et méfaits de l'esclavage

Pour les abolitionnistes le plus affreux péché de l’esclavage : on encourageait l’esclave à fonder une famille pour mieux la détruire. L’abolition de la traite en 1807 avait amené les propriétaires à encourager le mariage et la reproduction de leurs esclaves. Ainsi la population servile des Etats-Unis était la seule au Nouveau Monde à connaître un fort accroissement naturel, doublant tous les 26 ans. Or, un quart de ces unions étaient brisées en vendant l’un des deux époux ou en les éloignant l’un de l’autre. Les enfants étaient parfois vendus séparément.

Confederate 100 Dollar Note with slaves.jpg

Dans American Slavery as It Is (L’Esclavage américain tel qu’en lui-même) de Théodore Weld (1839) plusieurs fois réédité, étaient reproduits des extraits de réclame et d’articles de journaux sudistes : Harriet Beecher-Stowe devait s’en inspirer pour La Case de l’oncle Tom. La servitude paraissait incompatible avec le développement du capitalisme industriel aux yeux des yankees. Le système esclavagiste se montrait cependant très efficace : dans la première moitié du XIXe siècle, la récolte de coton brut doubla toutes les décennies et le Sud fournissait les 3/5 de l’approvisionnement mondial. En 1860, 40 % des actifs du Nord travaillaient dans le secteur agricole contre 80 % dans le Sud. Les sudistes éminents étaient des militaires, les nordistes éminents des artistes, des ingénieurs et des hommes d’affaire. « Sur le chapitre de l’esclavage, le Nord et le Sud ne constituent pas seulement deux peuples, mais deux peuples rivaux et hostiles » selon le Charleston Mercury en 1858.

La question de l’Ouest

La destinée manifeste

Or cette rivalité s’étendait à l’Ouest : de 1815 à 1850, la population située à l’ouest des Appalaches s’était accru presque trois fois plus vite que celle des treize États originaux : un nouvel État naissait tous les trois ans en moyenne. Les acquisitions territoriales les plus importantes devaient se faire sous la présidence de James K. Polk qui n’hésita pas à faire la guerre au Mexique pour lui arracher le Texas, la Californie et le Nouveau-Mexique. Les whigs se montrèrent très hostiles : la « destinée manifeste » était une doctrine particulièrement démocrate.

Pour John Wentworth, représentant démocrate en 1845, Dieu avait conçu les treize États « comme le grand centre d’où irradieraient encore et toujours la civilisation, la religion et la liberté, jusqu’à ce que le continent tout entier pût se repaître de leurs bienfaits ». Certes, répliquait le pasteur antiesclavagiste Theodore Parker en 1846, ce serait « tout à l’avantage de l’humanité, s’il nous était possible de répandre à travers le Mexique l’Idée de l’Amérique – l’idée que tous les hommes naissent libres et égaux en droits mais nous devons d’abord faire de ces idées une réalité dans notre propre pays ». Les bienfaits de la liberté devaient se diffuser par l’exemple et non par la conquête.

La clause Wilmot

Le traité de Guadalupe Hidalgo, ratifié en 1848, marquait le triomphe de la « destinée manifeste ». Or, la majeure partie de ces territoires se situait en dessous de la limite des 36°30’ de latitude du Compromis du Missouri (1820), ligne de démarcation entre la liberté et la servitude. Pour la législature du Massachusetts, cette « guerre anticonstitutionnelle » avait « pour triple objectif » « d’étendre l’esclavage, de renforcer le pouvoir des esclavagistes et d’obtenir le contrôle des États libres ». Le 8 août 1846, David Wilmot, représentant de Pennsylvanie propose un amendement excluant l’esclavage des nouveaux territoires. Elle est approuvée par les whigs et démocrates du Nord contre l’opposition des démocrates et whigs du sud. Pour la première fois le clivage n’était plus bipartisan mais géographique : la clause Wilmot fait éclater au grand jour la crise qui menace de scinder en deux le peuple américain. Le Sénat dominé par le Sud (15 États esclavagistes contre 14 États libres) repousse la clause, finalement abandonnée. La crise n’était que différée.

La question de l'esclavage devient politique

Les Free soilers

Pour les partisans de la liberté du sol, les Free Soilers, la main d’œuvre libre était plus efficace et l’esclavage sapait la dignité du travail manuel tout en entravant l’instruction et les progrès sociaux. Wilmot soulignait que la race noire occupait une trop grande partie du continent et qu’il importait de « préserver pour la main d’œuvre libre et blanche ce pays splendide ».

Les attaques abolitionnistes mettaient les sudistes sur la défensive et les incitèrent à justifier ce qui était apparu longtemps comme un mal nécessaire : l’esclavage avait permis de civiliser les sauvages africains, de protéger les blancs de la concurrence dégradante avec les Noirs et fait disparaître le spectre de la lutte des classes en favorisant l’égalité entre les hommes libres. Il favorisait une élite de gens bien nés et cultivés à la différence des yankees « vulgaires, méprisables, petits commerçants ».

Les élections de 1848

Cherchant un compromis entre les deux partis, le secrétaire d’État James Buchanan soutient le prolongement de la ligne du Compromis jusqu’au Pacifique, permettant aux Sudistes de pouvoir imposer l’esclavage dans certains États. Mais la majorité nordiste de la Chambre s’y oppose à chaque fois en 1847-1848. Paradoxalement, le candidat des whigs à l’élection présidentielle était Zachary Taylor, héros de la guerre contre le Mexique.

Aussi les antiesclavagistes des deux partis claquent-ils la porte pour constituer un vaste parti nordiste de la liberté. Les « Conscience Whigs » et les « Brûleurs de granges » démocrates s’associent au parti de la Liberté. Mettant de côté leurs différents sur la question des banques ou des tarifs douaniers, ils se mettent d’accord sur un point : « nos conflits politiques devront dorénavant porter sur l’esclavage et la liberté ». Leur candidat était Martin Van Buren, qui avait été un ardent proesclavagiste avant de tourner sa veste : il était flanqué d’un irréprochable whig, Charles Francis Adams, fils de John Quincy Adams.

En faisant de l’esclavage la grande question de la campagne, les Free Soilers obligeaient les deux grands partis à gagner des voix dans les deux sections du pays en tenant un double langage. Les whigs étaient plus à l’aise que les démocrates sur ce terrain. Les sudistes, aveuglés par le « vieux Zack avec ses plantations de canne à sucre et de coton et ses 400 nègres » votèrent en partie pour lui : il l’emporta dans 8 des 15 États esclavagistes et dans 7 États libres sur 15. Les Free Soilers ne purent s’imposer dans aucun État.

Le compromis de 1850

Droit des États et Loi d'En-Haut

Mais Taylor devait se révéler un loup partisan de la liberté du sol déguisé en agneau soutenant le droit des États. Il propose d’admettre directement la Californie et le Nouveau-Mexique en tant qu’États de l’Union. Les Californiens, dès octobre 1849, ratifient une constitution d’État libre et adressent une pétition pour être admis comme État membre de l’Union.

Pour mettre les points sur les i, le président déclare que les habitants du nord n’avaient pas à redouter une « future extension de l’esclavage ». Le parti whig dès lors s’effondre dans le sud. Dans la nouvelle Chambre élue, des pugilats éclatent et le speaker ne peut être élu qu’au 63e tour de scrutin et à la majorité simple tant les divisions sont fortes. Depuis qu’il était devenu président, Taylor avait considérablement changé son opinion sur la question : il voyait les sudistes comme « intolérants et révolutionnaires ». Les sudistes commençaient à évoquer de plus en plus la nécessité d’une sécession.

Le Compromis de 1850 ne fit que différer l’affrontement. Pour le sénateur Calhoun, le Nord devait cesser de critiquer l’esclavage, renvoyer chez eux les esclaves fugitifs, accorder au Sud des droit égaux dans les territoires et maintenir l’équilibre entre les deux sections. Pour le sénateur Seward, l’esclavage était une institution injuste, rétrograde et moribonde et la loi d’En-Haut était supérieure à la Constitution : soit l’esclavage serait supprimée graduellement, soit l’émancipation sera violente et immédiate par suite d’une guerre civile.

Un compromis qui ne résoud rien

La mort subite de Taylor (9 juillet 1850) permit l’adoption du Compromis. Stephen A. Douglas dit le Petit Géant va réussir à faire voter les divers textes en trouvant des majorités adéquates pour chacun d’entre eux. Une majorité à coloration nordiste admettent la Californie et l’interdiction du commerce d’esclaves dans le district de Columbia tandis qu’une majorité sudiste avec l’appui des démocrates du Nord ratifient une loi plus sévère sur les esclaves fugitifs et érigent l’Utah et le Nouveau-Mexique en territoires esclavagistes. Tous ces votes soulignaient cependant que le bipartisme continuait de s’effondrer sous le poids de l’esclavage. Pour de nombreux esprits, l’Union est sauvée et l’on parle de « règlement définitif ». Les mangeurs de feu du Sud comme les Free Spoilers paraissaient momentanément isolés. Cependant le nombre d’esclaves de l’Utah s’élevait à 29 en 1860 et zéro au Nouveau-Mexique : beaucoup plus qu’en Californie où le « séjour » des propriétaires d’esclaves étaient autorisés !

La loi sur les esclaves fugitifs et ses conséquences

Si les sudistes se déclaraient partisans du droit des États et d’un gouvernement fédéral faible, ils faisaient une exception significative à propos de la loi de 1850 qui donnait au gouvernement plus de pouvoir qu’il n’en avait jamais eu jusqu’alors. Pour tout dire, les chasseurs d’esclaves pouvaient en toute impunité pratiquer l’enlèvement de Noirs libres. Des peines sévères étaient infligés à quiconque donnait asile à un esclave en fuite ou faisait obstruction à sa capture.

Le sang ne tarde pas à couler : à Christiana (Pennsylvanie), le 11 septembre 1851, un propriétaire d’esclave du Maryland est tué en tentant de récupérer des fugitifs protégés par une communauté de quakers. Un jury fédéral inculpe de haute trahison trente-six Noirs et cinq Blancs mais le procès ne fait qu’accroître la sympathie pour les abolitionnistes. Après l’acquittement du premier accusé, le gouvernement préféra abandonner les poursuites.

La Case de l’Oncle Tom (1852) de Harriet Beecher-Stowe devait être vendu à 300 000 exemplaires en l’espace d’un an et connaissait un succès tout aussi triomphal hors des frontières des Etats-Unis. Au bout de dix ans, les ventes avaient dépassé les deux millions d’exemplaires, succès de librairie sans précédent. Le succès ne fut pas moindre dans le Sud en dépit d’efforts pour interdire un livre dont on dénonçait les « mensonges » et les « déformations ».

Un Empire pour l’esclavage

Le coton roi

Dans les années 1850, le Sud continue de prendre du retard sur le Nord en dépit d’efforts pour développer une industrie textile et le réseau ferroviaire. Le système de valeurs agrarien était le principal obstacle à l’industrialisation : il ne fallait pas imiter la civilisation nordiste avec ses « usines répugnantes, surpeuplées, licencieuses ». Le noir asservi vivait plus confortablement que les esclaves salariés de l’industrie aux yeux des Sudistes. « Une vaste plantation et des Nègres représentent le nec plus ultra de l’ambition du sudiste bien né » (Vicksburg Sun, 9 avril 1860).

La hausse du prix du coton dans les années 1850 avait renforcé le poids de l’agriculture dans l’économie sudiste. James Hammond déclare au Sénat en 1858 : « le Sud esclavagiste est aujourd’hui le, pouvoir qui contrôle le monde. (…) Le coton est roi. » La hausse du prix des esclaves poussait les mangeurs de feu à réclamer la reprise de la traite des esclaves et en tout cas à établir la contrebande d’esclaves : Charles A. Lamar, propriétaire du Wanderer, arrêté en 1858, est acquitté avec des membres de l’équipage par le jury de Savannah.

Cuba et le Nicaragua

Mais les mangeurs de feu voyaient plus loin : il s’agissait de s’emparer de Cuba et de Saint-Domingue, voire du Mexique et de toute l’Amérique du Sud pour créer un empire esclavagiste. Franklin Pierce, élu président en 1852, représentait le courant « Jeune Amérique » au sein du parti démocrate : il peupla son cabinet et le corps diplomatique de partisans de la « destinée manifeste ». Il espérait fomenter à Cuba une révolution « à la texane » mais finit par y renoncer.

Les Espagnols refusant de vendre l’île, les ambassadeurs américains en Espagne, France et Grande-Bretagne se réunissaient à Ostende (Belgique) et par un manifeste justifiant toute tentative pour s’emparer de Cuba : l’affaire révélée par la presse mit le gouvernement dans l’embarras. En 1856, l’aventurier Walker s’emparait du Nicaragua et quelques mois plus tard rétablissait l’esclavage mais l’aventure s’achevait par un échec lamentable en mai 1857. Walker obtint cependant l’appui des Sudistes pour deux autres tentatives encore plus calamiteuses en 1857 et 1858.

La naissance du Parti républicain

La loi Kansas-Nebraska (1854)

Avec Franklin Pierce, la loi sur les esclaves fut appliqué avec rigueur : le président n’hésita pas à envoyer plusieurs compagnies de fusiliers marins, de cavalerie et d’artillerie pour prêter main-forte à la milice de l’État et ceci pour restituer un esclave réfugié à Boston (2 juin 1854) : l’opération avait coûté cent mille dollars. Les retombées en furent considérables. Les États de Nouvelle-Angleterre tout comme l’Ohio, le Michigan et le Wisconsin votèrent des lois renforçant la liberté individuelle, en contradiction flagrante avec la loi fédérale.

La loi Kansas-Nebraska adoptée en mai 1854 ne fit que renforcer l’abolitionnisme : achevant le parti whig, elle donna naissance au parti républicain. Cette loi abrogeait en effet l’interdiction de l’esclavage au nord du 36°30’. Le parti républicain réunit les antiesclavagistes dans la perspective des élections. Abraham Lincoln s’oppose dans l’Illinois à Stephen A. Douglas, le père de la loi. « Il ne peut y avoir aucun droit moral lié à l’asservissement d’un homme par un autre. (…) L’esprit de 76 et l’esprit du Nebraska sont radicalement antagonistes. »

Le nativisme

Les démocrates connaissaient la déroute dans le Nord. Mais les élections furent compliquées par le renouveau du nativisme. En effet, le poids des catholiques n’avait cessé de croître et le clergé critiquait fortement les abolitionnistes et les Free Soilers assimilés au « républicanisme rouge » d’Europe. La tournée du nonce apostolique en 1853 pour soutenir la cause du clergé dans la querelle des biens ecclésiastique provoqua des émeutes.

Des sociétés secrètes réservés aux protestants nés aux États-Unis avaient vu le jour et les Know-Nothings formaient un groupe d’électeurs puissant prêts à s’opposer aux démocrates irlandais catholiques et buveurs : ils souhaitaient notamment rendre plus difficile l’accès à la citoyenneté.

Pour de nombreux Free Soilers, l’esclavage et le catholicisme étaient des institutions également répressives. Selon les mots d’un Free Soiler du Massachusetts : « la liberté, la tempérance et le protestantisme contre l’esclavage, le rhum et le romanisme. » Mais une partie des abolitionnistes, comme Lincoln et Seward, se montraient hostiles au nativisme et en dénonçaient le sectarisme. Comme le soulignait le rédacteur du New York Tribune (10 novembre 1854) : « Ni le pape, ni les étrangers ne pourront jamais gouverner le pays ou menacer ses libertés mais les hommes qui possèdent et vendent des esclaves le gouvernent bel et bien. »

Qui allait l’emporter au nord, le Parti républicain ou le parti américain ? Mais le mouvement des Know-Nothings finit par glisser vers le Sud et les républicains réussirent habilement à absorber une partie d’entre eux sans céder au nativisme. Le parti républicain devait finir par se cristalliser lors des deux mois nécessaires pour élire le speaker de la Chambre en 1856.

Le Kansas à feu et à sang

Free Soilers contre mangeurs de feu

Les deux camps étaient résolus à s’imposer par le nombre dans le nouveau territoire. Amos Lawrence était le commanditaire de la New England Emigrant Aid Company constituée en 1854 pour promouvoir le peuplement du Kansas par des Free Soilers. Le sénateur du Missouri Atchinson se montre aussi décidé en sens inverse : « Nous serons obligés de faire parler les armes, de brûler et de pendre, mais ce ne sera pas long » écrit-il à Jefferson Davis (24 septembre 1854).

En mars 1855, un recensement donnait une majorité des 3/5 pour les habitants venant des États esclavagistes. Mais Atchinson prend ses précautions et fait déplacer près de 5000 Missouriens pour voter illégalement et assurer une législation esclavagiste. La nouvelle assemblée s’empresse de mettre en vigueur un code de l’esclavage tandis que les Free Soilers s’armaient de fusils Sharps et rédigeaient une Constitution d’État libre. En janvier 1856, le Kansas possédait deux gouvernements. Le 21 mai 1856 les Missouriens du gouvernement « légal » pillent la ville de Lawrence.

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Les républicains étant majoritaires à la Chambre et les démocrates au Sénat, aucun des partis ne pouvait imposer son projet. Le représentant sudiste Brooks n'hésite pas à frapper violemment à coup de canne le sénateur nordiste Charles Sumner qui avait prononcé un discours très violent contre les « malfaiteurs et assassins du Missouri » (mai 1856). Un pasteur de New York note : « si le Sud brandit le bâton de l’esclave pour discuter avec le Nord, le Nord n’a plus d’autre ressource que de lui rendre ses coups ou d’être réduit en esclavage ». Rempli d’une terrible fureur, John Brown, fervent antiesclavagiste, décidait de « combattre le feu par le feu » en assassinant cinq colons esclavagistes dans la nuit du 24 au 25 mai à Pottawatomie Creek.

Républicains contre démocrates

Le nouveau Parti républicain s’était donné un jeune candidat, John C. Frémont, qui avait contribué à faire de la Californie un État libre en 1849. Les démocrates lui opposèrent le vieux James Buchanan, qui n’avait aucune responsabilité dans le désastre du Kansas. Habilement, les démocrates accusèrent les « républicains noirs » de former un parti sectionnel, l’élection de Frémont risquait de désagréger l’Union, et de vouloir établir une égalité totale entre la race noire et la race blanche. Le slogan républicain était : « Free Soil, Free Speech, Free Men, Frémont ! » Le gouverneur Geary ayant rétabli l’ordre au Kansas, Buchanan fut élu mais avec 56 % des voix au Sud contre 45 % au Nord.

Excessivement confiants, la législature « légale du Kansas commença à préparer une convention constitutionnelle trafiquée pour transformer définitivement le Kansas en État esclavagiste. Le gouverneur Geary, pourtant démocrate convaincu, en fut atterré et préféra donner sa démission (4 mars 1857). Les électeurs partisans d’un État libre, largement majoritaires, refusèrent de participer à la parodie d’élection qui donna une convention entièrement esclavagiste.

La convention de Lecompton imposait une constitution esclavagiste. Deux référendums sont alors organisés sur l’approbation de la Constitution : l’un par les esclavagistes, l’autre par les Free Spoilers. Buchanan, cédant aux Sudistes, demanda au Congrès d’admettre un seizième État esclavagiste. Mais Stephen A. Douglas avait pris la tête de l’opposition marquant la division du parti démocrate. Le vote favorable du sénat ne suffit pas et la Chambre repoussa la constitution. La violence régnait de nouveau dans le Kansas : en mai 1858, des esclavagistes enlevaient et assassinaient neuf colons du parti adverse. Le territoire qui était acquis à l’origine aux démocrates, passa dans le camp républicain.

Vers la Sécession

La montée des tensions 1857-1859

La Cour suprême dominée par les sudistes, à l’occasion de l’affaire Dred Scott, affirme que le Congrès n’avait pas le droit d’interdire l’esclavage dans un territoire (arrêt Taney, 1857). Pour Lincoln, désormais « l’esclavage risquait de devenir légal partout ». Sept joutes oratoires restés célèbres devaient voir s’affronter pour les élections sénatoriales, Lincoln et Douglas dans l’Illinois. « Ceux d’entre vous qui croient que le Nègre est leur égal voteront bien entendu, pour M. Lincoln. » ce à quoi celui-ci répond : « pour le droit de manger, sans avoir besoin de l’autorisation de quiconque, le pain qu’il a gagné à la sueur de son front, il est mon égal et l’égal du juge Douglas et l’égal de n’importe quel homme vivant ». Battu, Lincoln avait cependant acquis une stature nationale en affrontant le célèbre sénateur.

Les élections furent largement défavorables aux démocrates, victimes des victoires douteuses du pouvoir esclavagiste au Kansas et à la Cour Suprême. Les difficultés économiques de 1857-1858 avaient aussi contribué aux tensions entre le Nord, davantage touché, et le Sud. Les sudistes libre-échangistes s’opposaient aux nordistes protectionnistes. Les yankees proposaient également de distribuer des parcelles de terre gratuites aux travailleurs au chômage alors que les sudistes craignaient qu’une telle mesure ne remplisse l’Ouest de colons antiesclavagistes. Les oppositions concernaient aussi la loi sur les subventions foncières pour les collèges et le projet de chemin de fer transcontinental : le président Buchanan opposa son veto aux votes émis par le Congrès.

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La crise avait renforcé le mépris des sudistes pour les yankees. « L’esclavage est la condition naturelle et normale de la société. C’est la situation du Nord qui est anormale et représente une anomalie » (George Fitzhugh, Cannibals All ! 1857). Le Muscogee Herald (Georgie) en 1856 exprimait son dégoût ainsi : « Société libre ! Ce seul nom nous donne la nausée. De quoi s’agit-il sinon d’un conglomérat d’ouvriers crasseux, de travailleurs répugnants, de médiocres petits fermiers et de théoriciens toqués. »

John Brown avait le projet délirant de s’emparer de la fabrique d’armes et de l’arsenal de Harper’s Ferry (Virginie) pour armer les esclaves qui se joindraient à lui. Le raid fut un échec calamiteux et Brown coupable de haute trahison, meurtre et incitation à l’insurrection fut exécuté le 2 décembre 1859. Il devint un martyr pour le Nord, un « héros crucifié » pour Henry David Thoreau ce qui déchaîna inversement un paroxysme de colère dans le Sud. Tout yankee résidant dans le Sud devint persona non grata. Lorsque se réunit le 36e Congrès en décembre 1859, tous les membres arrivent armés aux séances.

La révolution de 1860

La convention démocrate de Charleston (avril 1860) s’ouvrit dans la fièvre. William Lowndes Yancey s’exclame : « Ce sont nos institutions qui sont en jeu ; ce sont nos biens qui risquent d’être détruits ; c’est notre honneur que l’on veut souiller. » Le parti éclata en deux. Les loyalistes hostiles à l’idée d’un code de l’esclavage investissent Stephen A. Douglas tandis que les rebelles désignent John C. Breckinridge, vice-président de Buchanan.

Les républicains réunis à Chicago (mai 1860) désignèrent Abraham Lincoln : ancien whig antiesclavagiste mais réputé modéré, opposé aux Know-Nothings mais sans excès, avec une réputation d’intégrité (Honnest Abe), d’origine modeste, incarnation de la mobilité sociale et remarquable orateur. Aussi le parti se présentait-il uni face à des démocrates divisés. Passant sous silence la question de l’égalitarisme racial brandie comme épouvantail par les démocrates, les républicains mettent l’accent sur les questions d’intérêt régional, les tarifs douaniers et la corruption de l’administration Buchanan. Les menaces de sécession brandis par les sudistes ne sont cependant pas pris au sérieux par les républicains.

Lincoln obtient 40 % des suffrages exprimés mais 54 % dans le Nord et surtout une confortable majorité de grands électeurs. Charles Francis Adams notait dans son journal intime : « Une fois pour toutes, le pays a rejeté le joug des propriétaires d’esclaves. »

Sources

  • James M. McPherson, La Guerre de Sécession, ed. Robert Laffont, coll. Bouquins, 1991, 1004 p.



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