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L'échange est un mode de circulation de biens et services impliquant une évaluation, une négociation, un accord de deux volontés et un transfert entre les parties.

Introduction

Quel est le moteur de la croissance économique ? Malgré la rupture de rythme causée par la Révolution industrielle, il n'y a pas eu de rupture de nature. L'échange constitue un invariant plurimillénaire.

En tout temps, en tous lieux, l'échange apparaît comme le moteur de l'économie. Il a bien souvent changé de forme, contrairement à ce que l'on imagine : marchandises contre marchandises, certes, mais aussi marchandises contre travail, marchandises contre protection, marchandises contre monnaie.

Selon Jan de Vries et Ad van der Woude, la première économie proprement moderne est apparue en Hollande entre les XVIe et XVIIe siècles, et doit presque tout à l'échange.

Trois erreurs à propos de l'échange

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  1. Le marché ne crée pas de valeur, l'échange est un jeu à somme nulle
  2. On ne peut échanger que des biens de même valeur
  3. Le marché ne profite qu'aux plus compétitifs

Première erreur : le commerce est stérile

Le commerce a toujours eu mauvaise presse. Aristote le qualifiait de « stérile », parce qu'il ne fait que déplacer la marchandise sans rien ajouter à sa matière. Le loisir (otium) étant considéré comme une activité positive par les aristocrates grecs et romains, son contraire, le neg-otium, le négoce, ne pouvait être que méprisé, et d'abord pour sa vulgarité.

Un esprit aussi avisé que Montaigne s'est laissé prendre aux apparences : sa formule fameuse, « Nul ne gagne qu'un autre ne perde » exprime bien que, pour lui, le commerce est un jeu à somme nulle. Saint Jérôme (347-420) ajoute que « toutes les richesses viennent de l'iniquité, et à moins que l'un n'ait perdu, un autre ne peut gagner ». Giovanni Botero (1543-1617) remarque : « le moyen très commun de s'enrichir aux frais d'autrui, c'est le commerce ».

Que l'échange puisse avoir des effets positifs pour ceux qui s'y livrent est pourtant, elle aussi, une idée très ancienne. Philon d'Alexandrie écrit (dans De Legatione, ad Cajum) : « Toutes les mers sont parcourues par des vaisseaux marchands, qui naviguent en sûreté pour exercer le commerce que les nations établissent entre elles, par ce désir naturel d'entretenir une société, et de faire en sorte que l'abondance des unes vienne au secours de la disette des autres ». Florus, un des premiers écrivains d'origine africaine du IIe siècle, prévoit : « Supprimez le commerce, vous rompez l'alliance du genre humain ». Libanius, un important rhéteur du IVe siècle, note : « Dieu n'a pas accordé toutes choses à toutes les parties de la Terre, mais il a distribué ses dons à différents pays, afin que les hommes, ayant besoin les uns des autres, entretinssent société ensemble. Ainsi a-t-il suscité le négoce comme un moyen facile à tout le monde de jouir en commun de toutes choses, en quelque endroit de la terre qu'elles naissent ».

Saint Thomas d'Aquin, malgré ses erreurs sur le juste prix, marque clairement que « l'achat et la vente semblent avoir été institués pour l'avantage mutuel  des deux parties, puisque l'une a besoin de quelque chose qui appartient à l'autre, et réciproquement ». Pourquoi en est-il ainsi ? C'est parce qu'au lieu d'être un jeu à somme nulle, l'échange signifie que cette opération dégage une sorte de surplus. Ce qui a quelque chose d'inconcevable, puisque rien n'est produit par l'échange. C'est pourquoi, depuis Aristote, on tient le commerce pour improductif. Aujourd'hui encore, il est méjugé. Et pourtant, on se trompe, pour deux raisons.

Deuxième erreur : équivalence des biens échangés

À première vue, des biens sont échangés parce qu'ils sont d'égale valeur. Mais, si tel était le cas, que gagne-t-on à les échanger ? Condillac trouve la solution, au XVIIIe siècle seulement : « Il est faux, écrit-il, que dans l'échange on donne une valeur égale pour une valeur égale. Au contraire, chacune des parties toujours abandonne une moins grande pour une plus grande valeur »[1]. Ainsi l'échange, quel qu'il soit, ne peut avoir lieu que s'il y a cette inégalité dans l'esprit de chacune des parties, qui découle de la subjectivité de la valeur. En témoignent toutes les formes de marchés existantes, depuis les sites d'enchères en ligne jusqu'aux « systèmes d'échanges locaux » (SEL), avec monnaie privée ou sans monnaie.

Deux parties sont donc toujours gagnantes lors d'un échange libre, sinon l'échange n'aurait pas lieu, l'une des parties (vendeur ou acheteur) n'y trouvant pas avantage :

«  L'équivalence comptable des valeurs échangées ne doit pas masquer ce phénomène fondamental que l'échange est productif, en ce sens qu'il est créateur de valeur, c'est-à-dire qu'il permet aux deux partenaires dans l'échange de se placer dans des situations qu'ils préfèrent. Autrement dit encore, lorsque l'échange est possible et autorisé, un individu pourrait très bien ne pas échanger effectivement. S'il se lance dans l'échange, c'est parce qu'il en tire un profit. »
    — Pascal Salin, Le libre-échange, PUF, 2002

La subjectivité de la valeur explique que l'échange puisse être possible, et un point de vue extérieur sur la validité ou la légitimité de cet échange est hors de propos : chaque protagoniste pense accroître sa satisfaction par l'échange, car chacun a des "échelles de valeur" différentes. Dans ce cadre, les prix exprimés dans une monnaie permettent d'effectuer des comparaisons. Le vol (même opéré par l’État sous les meilleurs prétextes) ne crée jamais de la valeur, sinon une société pourrait exister entièrement sur le vol.

Troisième erreur : pour participer à l'échange, il faut être compétitif

C'est Adam Smith qui commet cette erreur, par sa théorie des avantages absolus. L'autre théorie, celle des avantages comparatifs, est beaucoup plus subtile. Mais elle seule permet de rendre compte de la tendance congénitale de l'économie d'échange à se mondialiser. Les avantages comparatifs font intervenir les prix relatifs. Ceux-ci ne sont jamais les mêmes d'individu à individu, et non seulement de pays à pays. Par conséquent, un échange profitable aux deux parties est toujours possible.

Un exemple classique est le suivant. Supposons un chirurgien talentueux, qui est meilleur dactylo que n'importe quel(le) secrétaire qu'il pourrait embaucher pour taper son courrier à son domicile. Ce chirurgien aurait cependant intérêt à se consacrer entièrement à son métier, car il gagne par heure cent fois plus qu'il n'aurait à dépenser en frais de secrétariat. Le chirurgien a un avantage absolu dans les deux sortes d'activités, néanmoins elles ont pour lui des coûts différents, et à partir de ce moment-là, un échange peut s'engager avec un secrétaire.

Au plan mondial, tous les groupements humains peuvent ainsi trouver intérêt à l'échange. Autrement dit, la marche à la mondialisation ne date pas d'aujourd'hui. Seules la guerre, qui est la continuation du commerce par d'autres moyens, et la politique, qui comme la guerre est l’institutionnalisation de la loi du plus fort, aboutissent à un jeu à somme nulle, voire négative.

L'échange n'est jamais inégal

L'échange n'étant pas un jeu à somme nulle est créateur net de valeur, c'est le seul progrès social possible. L'histoire montre que les sociétés les plus riches sont les sociétés ouvertes, qui progressent non pas par la coercition mais par l'échange.

Certains auteurs (non libéraux ou antilibéraux) soutiennent une théorie de l'échange « inégal » : une des parties, la plus pauvre, se verrait contrainte d'échanger une valeur supérieure contre une valeur inférieure. Par exemple, Noam Chomsky écrit :

«  L'idée d'un contrat libre entre un potentat et son sujet affamé est une farce sordide, qui vaut peut-être qu'on lui consacre un peu d'attention dans un séminaire qui explorerait les conséquences de ces idées (à mon sens absurdes), mais qui ne mérite rien de plus. »

Ce à quoi l'on peut répondre[2] :

Soit le « potentat » dispose d’un pouvoir politique à l’origine du dénuement de son « sujet », ce qui veut dire que le potentat a restreint à un moment donné les choix de ce « sujet » par la violence. Dans ce cas, il est indéniable que « l'idée d'un contrat libre entre eux est une farce sordide » : car c’est là simplement la nature du pouvoir politique.
Soit, et c’est probablement ce qu’a voulu dire Noam Chomsky, le « potentat » dispose d’un pouvoir économique par lequel il peut offrir au « sujet » de nouvelles possibilités de survie qui n’existaient pas préalablement. N’en déplaise au célèbre linguiste, un contrat libre entre eux est alors une chance merveilleuse pour le sujet affamé.

Le libéralisme s'inscrit en faux contre la conception de l'échange inégal, qui enlève toute validité au consentement de l'individu :

«  Cette notion d'échange inégal est centrale dans la théorie marxiste et il faut bien voir qu'elle porte en germe la condamnation radicale de toute liberté contractuelle. [...] Adhérer à la thèse marxiste de l'échange inégal, de l'exploitation, c'est prétendre qu'un contrat qui est accepté de part et d'autre est malgré tout injuste, qu'il est malgré tout le signe d'une « exploitation ». C'est là récuser toute logique, puisque, dans ce sens, il ne peut y avoir d'exploitation sans violence ou fraude. C'est aussi nier toute responsabilité personnelle, puisque l'on suppose implicitement que les agents ne sont pas autonomes. »
    — François Guillaumat

Outre son aspect arbitraire (qu'est-ce qui différencie un échange inégal d'un échange normal ?), cette idée sous-entend que la victime de l'échange « inégal » est en fait un irresponsable qu'il faut à tout prix assister (ou dont il faut brider le comportement par diverses interdictions), car si elle manifeste le moindre désir d'entrer en contrat, elle risque de « se faire exploiter » (le marxisme formalise cette affirmation par exemple dans sa « théorie » de la plus-value). Si vraiment « il y a des perdants à l'échange » (au commerce, à la mondialisation, etc.), pourquoi y participent-ils quand même, plutôt que de s'abstenir d'y « perdre » ainsi ?[3]

Citations

  • «  L'idée selon laquelle l'échange pourrait être inégal est largement répandue. Or elle est fausse, radicalement et définitivement fausse. Il est en effet un principe universel, à savoir qu'un échange libre est profitable aux deux partenaires (sinon, bien sûr, ils ne le décideraient pas). »
        — Pascal Salin[4])

  • «  L'essence de l'échange […] c'est que les hommes sont différents. Et l'échange, en réalité, ne se fait pas entre des nations […] mais entre des hommes. Ou entre des groupes d'hommes qui eux aussi sont forcément différents, avec des coûts ou des avantages différents, et donc qui sont incités à l'échange. »
        — Philippe Simonnot

  • «  Rien, aucun des objets que vous voyez dans cette salle, n'est le produit du travail d'une seule personne. À part la mûre sauvage que nous cueillons dans les bois, toutes nos consommations sont le fruit de la collaboration et de l'échange entre plusieurs individus. »
        — Hernando de Soto[5]

  • «  La société est purement et simplement une série continuelle d’échanges ; elle n’est jamais autre chose dans aucune époque de sa durée, depuis son commencement le plus informe jusqu’à sa plus grande perfection ; et c’est là le plus grand éloge qu’on en puisse faire, car l’échange est une transaction admirable dans laquelle les deux contractants gagnent toujours tous deux : par conséquent la société est une suite non interrompue d’avantages sans cesse renaissants pour tous ses membres. »
        — Destutt de Tracy, Traité de la volonté

  • «  Si un échange entre deux parties est volontaire, il n'aura lieu que si les deux pensent qu’ils en tireront profit. La plupart des erreurs économiques découlent de l'oubli de cette idée, de la tendance à supposer qu'il y a un gâteau figé, qu'une partie ne peut gagner qu'au détriment de l’autre. »
        — Milton Friedman, 1990

  • «  Si quelqu’un veut toucher du doigt tout ce que nous devons au processus d’échange, qu’il imagine seulement ce qu’il adviendrait du monde moderne si on interdisait tout d’un coup à chaque homme d'échanger quoi que ce soit avec quiconque. Chacun serait forcé de produire lui-même tous les biens et services dont il veut disposer. On peut tout de suite imaginer le chaos absolu qui s’ensuivrait, la famine qui frapperait la grande majorité de la race humaine, et le retour à une subsistance primitive pour la petite poignée de survivants. »
        — Murray Rothbard, L'Éthique de la liberté

  • «  L'échange est une rencontre libre entre des hommes libres. Si vous supprimez l'échange, si vous ne libérez pas l'échange, naissent l'incompréhension, puis, après l'incompréhension, la xénophobie, et, après la xénophobie, la guerre. »
        — Jacques Garello

Notes et références

  1. Condillac, Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre, 1ère partie, Section 6
  2. Liberté, capacité et pouvoir
  3. La réponse des antilibéraux est que ces « perdants à l'échange » n'ont en général « pas le choix ». C'est donc reconnaître qu'ils poursuivent leur propre intérêt, comme tout un chacun, et que finalement ils gagnent à l'échange. En quoi le fait qu' « ils n'ont pas le choix » devrait-il être imputé au partenaire avec lequel ils pratiquent l'échange ? Ce partenaire est-il responsable de leur situation ?
  4. Pascal Salin, Préface à Attac ou l'intoxication des personnes de bonne volonté de Jacques de Guénin, [lire en ligne]
  5. Hernando de Soto, Conférence de l'Institut Turgot en juin 2005 à Paris

Voir aussi

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