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Désobéissance civile
La désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi jugée inique par ceux qui la contestent. Le terme fut créé par Henry David Thoreau dans son essai la Désobéissance civile, publié en 1849, à la suite de son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre avec le Mexique.
En Europe, même si le recours au concept de désobéissance civile a tardé à être formulé, l'idée de la résistance à une loi inique ou injuste a existé bien avant le XIXe siècle. C'est aux États-Unis que le concept de désobéissance civile fut pour la première fois formulé au XIXe siècle. Aujourd'hui, le concept s'est étendu à de nombreuses personnes notamment par les actions très médiatiques des altermondialistes ou celles des mouvements anti-pub, les libéraux refusant cette interprétation violente.
Il convient donc de donner une définition de la désobéissance civile (I) puis de voir si la désobéissance civile a une légitimité en droit interne (II), ensuite d'étudier la formation du concept de désobéissance civile (III) et enfin d'examiner différents cas de désobéissance civile (IV).
Définition de la désobéissance civile
La doctrine n'est pas unanime sur la définition et même sur la reconnaissance de l'existence de la désobéissance civile John Rawls et Jürgen Habermas ont chacun une définition de la désobéissance civile.
Selon John Rawls
- « La désobéissance civile peut être définie comme un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres légaux ne sont pas actuellement respectés. »
Pour Habermas
- « La désobéissance civile inclut des actes illégaux, généralement dus à leur auteurs collectifs, définis à la fois par leur caractère public et symbolique et par le fait d'avoir des principes, actes qui comportent en premier lieu des moyens de protestation non violents et qui appellent à la capacité de raisonner et au sens de la justice du peuple. »
M. J. Falcon Y Tella a, à partir de ces deux définitions, mis en évidence plusieurs traits qui permettent de qualifier un fait comme relevant de la désobéissance civile : « La désobéissance civile s'analyse comme une infraction consciente et intentionnelle : elle se traduit par une attitude publique et s'inscrit dans un mouvement collectif ; elle utilise des moyens généralement pacifiques ; ses protagonistes assument le risque des sanctions auxquelles leur comportement les expose ; elle poursuit des fins novatrices et fait appel à des principes éthiques. »
Six éléments sont donc caractéristiques d'un acte de désobéissance civile (les libertariens en contestent certains, voir plus bas) :
Une infraction consciente et intentionnelle
1. L'acte de désobéissance doit être une infraction consciente et intentionnelle, ainsi l'acte de désobéissance doit violer une règle de droit positif. On remarquera ici que l'infraction peut porter sur la norme contestée directement, dans ce cas on parle de désobéissance directe; ce fut par exemple le cas des campagnes de désobéissance civile lancées par Martin Luther King[1] qui visaient à faire occuper par les noirs les espaces légalement réservés aux blancs. Mais la norme violée peut ne pas être celle contestée, on parle alors de désobéissance civile indirecte, c'est le cas par exemple des sit-in qui ne visent bien entendu pas à contester le code de la route.
Bien qu'il ne soit pas possible de constater l'existence d'une infraction a priori (c'est le juge qui détermine l'existence d'une infraction), on considère qu'un acte est constitutif d'un acte de désobéissance civil lorsque ses auteurs prennent le risque de commettre un acte qui est, aux yeux de l'opinion publique et au yeux des autorités, généralement tenu comme une infraction.
Touchant cette question, il est intéressant de rappeler l'expérience réalisée par Stanley Milgram.
Un acte public
2. L'acte de désobéissance se traduit par une attitude publique, ce qui la différencie de la désobéissance criminelle cette dernière, ne prospérant que dans la clandestinité (parfois avec une revendication).
Dans la désobéissance civile, la publicité vise à écarter tout soupçon sur la moralité de l'acte, à lui conférer, en outre, une valeur symbolique ainsi que la plus grande audience possible afin que l'acte ait le plus grand retentissement pour modifier le sentiment de l'opinion publique. L'acte vise ainsi la plus grande médiatisation possible et peut rentrer dans une stratégie de provocation et d'agitprop.
Certains auteurs vont au-delà. Fidèle à la ligne de Gandhi, ils voient dans la publicité une exigence qui veut que l'on communique à l'avance aux autorités compétentes les actions futures de désobéissance.
Un mouvement à vocation collective
3. L'acte de désobéissance s'inscrit dans un mouvement collectif. Elle est l'acte d'un groupe qui se présente comme une minorité agissante, et se traduit par l'action concertée de celle-ci, ainsi Hannah Arendt relève que « loin de procéder de la philosophie subjective de quelques individus excentriques la désobéissance civile résulte de la coopération délibérée des membres du groupe tirant précisément leur force de leur capacité d'œuvrer en commun. » La désobéissance est donc par nature collective. Cependant rien n'empêche que le sursaut moral d'un individu ne finisse par mobiliser un courant plus large qui pourra alors être qualifié de désobéissance civile.
Une action pacifique
4. Le désobéissant use généralement de moyen pacifique. La désobéissance civile vise à appeler aux débats publics et pour ce faire elle en appelle à la conscience endormie de la majorité plutôt qu'à l'action violente. C'est un des traits qui la distingue de la révolution, qui pour arriver à ses fins n'hésitera pas à en appeler à la force. En outre l'opposition à la loi qui est inhérente à la désobéissance civile se fait dans une paradoxale fidélité à une loi supérieure, il n'y a donc pas dans l'esprit de la désobéissance civile de violence. Celle-ci étant plutôt le fait de l'État, le seul qui dispose d'une « violence légitime » selon Max Weber, cette violence pouvant être physique mais aussi psychique, voire économique.
Un but : la modification de la règle
5. La désobéissance civile poursuit des fins novatrices. Elle vise l'abrogation ou tout au moins la modification de la norme contestée.
Des principes supérieurs
6. La désobéissance civile fait appel à des « principes supérieurs » à l'acte contesté, c'est sans doute le trait le plus important de la désobéissance civile puisque c'est lui que lui donne une certaine légitimité, ces principes supérieurs peuvent être religieux ainsi des membres du clergé ont souvent été des participants ou des dirigeants dans des actions de désobéissance civile. Aux États-Unis par exemple, les frères Berrigan sont des prêtres qui ont été arrêtés des douzaines de fois pour des actes de désobéissance civile dans des protestations anti-guerre.
Les principes supérieurs invoqués peuvent également être constitutionnels ou supra constitutionnels. Ainsi des écrivains et auteurs français, dans leur texte appelant à la désobéissance civile en 1997 contre un projet de loi de M. Debré, qui obligeait notamment toute personne hébergeant un étranger en visite privée en France à déclarer à la mairie son départ, faisaient référence aux libertés publiques et au respect de la personne humaine. En faisant cet appel, les désobéissants révèlent qu'il existe selon eux une possibilité d'être entendu par les gouvernants. Ce fut d'ailleurs le cas contre le projet de loi Debré, car à la suite du débat qui eut lieu, et devant la mobilisation de l'opinion publique, le gouvernement de l'époque n'eut d'autre choix que de renoncer au projet.
On s'aperçoit que par ce trait, la désobéissance civile, loin d'affaiblir les institutions, peut au contraire les renforcer en provoquant une compréhension plus claire de leurs idéaux fondateurs et en faisant participer davantage l'opinion publique au processus normatif.
La légitimité de la désobéissance civile : le cas français
C'est en la rapportant à la sphère juridique et non à sa dimension morale, pourtant généralement bien acceptée, que la justification de la désobéissance civile présente le plus d'intérêt. Mais c'est aussi là qu'elle est la plus controversée. Peut-on parler d'un « droit » à la désobéissance civile ?
La désobéissance civile peut être considérée comme une garantie non juridictionnelle des libertés publiques, garantie exercée par les gouvernés eux-mêmes. Elle n'est pas explicitement reconnue juridiquement dans la hiérarchie des normes françaises. Toutefois l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dispose que :
- « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »
La constitution « montagnarde » de 1793 ira même jusqu'à mettre en place dans ses article 33, 34 et 35 un véritable droit à l'insurrection.
Le Préambule de la Constitution de 1958 est très court mais celui-ci renvoie à deux textes fondamentaux dans notre histoire juridique : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, et le Préambule de la Constitution de 1946.
La valeur de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 fut pendant longtemps discutée, s'agit-il d'une simple déclaration d'intention ou d'une norme du droit positif ? Les deux thèses s'affrontaient au sujet de la valeur juridique de ce préambule et des textes auxquels il renvoie. L'une soutenait qu'elle ne pouvait être que morale et philosophique (un guide facultatif pour l'État), tandis que l'autre défendait son caractère normatif et juridique (une obligation de valeur constitutionnelle).
Le Conseil constitutionnel trancha la question dans sa décision du 16 juillet 1971, relative à la liberté d'association : il s'agit bien d'un texte normatif de la plus haute valeur. Par la suite dans la décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 1974 relative à la loi de finances pour 1974, le Conseil constitutionnel s'est référé pour la première fois à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
Puis par une décision du 16 janvier 1982 sur la loi de nationalisation, le Conseil constitutionnel a indirectement reconnu une valeur constitutionnelle à la résistance à l'oppression : en effet il a réaffirmé la valeur constitutionnelle du droit de propriété en soulignant que la Déclaration de 1789 l'avait « mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression » (souligné par wiki).
Il faut ici se demander quels sont les liens entre la résistance à l'oppression et la désobéissance civile. La résistance à l'oppression va très loin, le texte cité en fait un droit, mais aussi « le plus sacré des devoirs », ce qui implique qu'il ne s'agit pas seulement d'un moyen d'action mais d'un but en soi, et que celui qui l'invoque doit agir immédiatement et très fort. Cela excède la désobéissance civile, qui reste un mode d'action parmi d'autres, comme la manifestation, le recours au procès exemplaire, la lutte armée, etc.
Cependant l'affirmation de ce droit reste quelque peu théorique et n'est pas directement utilisée par les magistrats lors de jugement de personne ayant commis un acte de désobéissance. Une autre norme du droit français interprétée a contrario (article 433-6 du code pénal) accorde une certaine protection aux personnes faisant des actes de rébellion à l'égard de fonctionnaire public qui agirait sans titre (par exemple dans le cas d'une perquisition sans mandat de justice). D'autre part, lorsqu'un fonctionnaire reçoit un ordre manifestement illégal, il lui appartient d'y opposer un refus d'obéissance (article 122-4 du code pénal).
La résistance à l'oppression se situe donc entre l'affirmation d'un droit de résistance à l'oppression quelque peu théorique et la reconnaissance d'un droit à la désobéissance très limité. La question de la légalité de la désobéissance civile n'est donc pas clairement affirmée, elle est en principe illégale mais ce principe n'empêche pas certaines manifestations de tolérance administrative ou de clémence judiciaire (le juge dispose de nombreux moyens de droit pour acquitter le prévenu ou modérer la peine : état de nécessité, légitime défense, erreur de droit, circonstances atténuantes, interprétation restrictive de la règle de droit, etc.)
Le problème de la légalité de la désobéissance civile vient du fait que malgré une transgression volontaire de la règle de droit, celle-ci s'effectue paradoxalement dans une fidélité au reste du dispositif légal (y compris par exemple à la sanction prévue par la loi contestée), ainsi qu'à une loi supérieure. La désobéissance civile peut donc s'analyser comme un « délit politique » et dès lors le désobéissant civil bénéficiera du régime de protection qui peut être mis en place pour ce type de délit.
La formation du concept de désobéissance civile
De l'Antiquité à l'époque moderne
Une forme de désobéissance civile existait déjà dans le mythe d'Antigone, laquelle brave les lois de la cité pour donner à son frère une sépulture décente, et dans la Lysistrata d'Aristophane, où les femmes décident de se refuser à leurs maris tant qu'ils n'auront pas mis un terme à la guerre.
Au contraire, la mort de Socrate semble montrer que pour les Grecs le respect des lois de la Cité s'impose à tout citoyen, quand bien même elles seraient injustes, l'autre choix étant de quitter le pays :
- Nous proclamons pourtant qu’il est possible à tout Athénien qui le souhaite, après qu’il a été mis en possession de ses droits civiques et qu’il a fait l’expérience de la vie publique et pris connaissance de nous, les Lois, de quitter la Cité, à supposer que nous ne lui plaisons pas, en emportant ce qui est à lui, et aller là ou il le souhaite. (...) Mais si quelqu’un de vous reste ici, expérience faite de la façon dont nous rendons la justice et dont nous administrons la Cité, celui-là, nous déclarons que désormais il est vraiment d’accord avec nous pour faire ce que nous pourrions lui ordonner de faire. Et nous affirmons que, s’il n’obéit pas, il est coupable à trois titres : parce qu’il se révolte contre nous qui l’avons mis au monde, parce que nous l’avons élevé, et enfin parce que, ayant convenu de nous obéir, il ne nous obéit pas sans même chercher à nous faire changer d’avis. (Criton, 49e-50b)
L'histoire romaine a conservée la mémoire de manifestations de femmes, en 195 avant J.-C., contre des restrictions vestimentaires, ainsi qu'en 42 avant J.-C. contre une taxe abusive, ce qui montre que déjà l'idée de résistance à une loi jugée inique était déjà présente.
De son côté, la religion chrétienne au Moyen Âge distinguait, sur la base de la théorie des deux épées formulée au Ve siècle par le pape Gélase, la sphère civile et la sphère religieuse. Se référant à la norme de l'Évangile qui veut que l'on « donne à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu », l'Église a ensuite formulé de manière définitive le devoir d'obéissance en se fondant sur la doctrine paulinienne selon laquelle il n'y a d'autre pouvoir que celui qui vient de Dieu. Elle établit en outre que le bras armé de Dieu est plus puissant que celui des hommes, qu'ils soient rois ou empereurs, car ils sont ce qu'ils sont par la seule grâce de Dieu. Cependant Saint-Thomas d'Aquin dans la Somme théologique, ouvrira un début de brèche a l'obéissance aveugle à la loi en acceptant que l'on désobéisse à des lois injustes (plutôt définies comme des actes de violence que des lois) et pour autant que lesdites lois soient contraires au droit divin et que la désobéissance à la loi ne produise pas de maux supérieurs à son accomplissement.
Henry David Thoreau
Le mouvement d'« indépendance des colonies » vis-à-vis de l'absolutisme métropolitain a été à l'origine de l'apparition de nouveaux ordres juridiques. Ces nouveaux systèmes ont été précédés d'une désobéissance de fait qui constitue la base du droit à l'autodétermination des peuples.
Ce mouvement d'indépendance a permis la théorisation de la désobéissance civile qui fut mise en place par Henry David Thoreau dans son essai « Resistance to Civil Government » publié en 1849 à la suite de son refus de payer la part de l'impôt destinée à financer la guerre contre le Mexique en vue de l'annexion du Texas, fait pour lequel Thoreau fut contraint à passer une nuit en prison. Thoreau s'opposait également à la politique esclavagiste des États du Sud, au traitement injuste infligé à la population aborigène indienne. Son éditeur refit publier l'ouvrage à titre posthume avec un nouveau nom « Civil Desobedience », inspiré par la correspondance de l'auteur où figurait effectivement le mot. Son ouvrage fut traduit par désobéissance civile bien qu'il aurait été sans doute plus fidèle de traduire le terme par désobéissance civique, cependant l'usage du terme désobéissance civile est devenu courant par la suite.
Thoreau, prenait la défense des minorités, il écrivait qu'« un homme qui aurait raison contre ses concitoyens constitue déjà une majorité d'un » et, encourageant cet homme à l'action, il ajoutait qu'« une minorité n'a aucun pouvoir tant qu'elle s'accorde à la volonté de la majorité : dans ce cas, elle n'est même pas une minorité. Mais, lorsqu'elle s'oppose de toutes ses forces, on ne peut plus l'arrêter. » La désobéissance civile serait donc un outil contre la « dictature de la majorité » qui sévit en démocratie selon Tocqueville, un illustre contemporain de Thoreau.
Mohandas Gandhi
Le XXe siècle fut marqué par deux grandes figures de la désobéissance civile, Mohandas Gandhi et Martin Luther King.
Ainsi le 11 septembre 1906, Gandhi a réuni 3000 personnes au Théâtre Impérial de Johannesburg et obtient comme dans une sorte de nouveau Serment du Jeu de Paume de la Révolution française. Il obtient de l'assemblée ainsi réunie le serment de désobéissance. Cela lui vaudra en 1907 ses deux premiers séjours en prison. C'est au cours du deuxième qu'il va découvrir le traité de désobéissance civile de Henry David Thoreau. Par la suite, Gandhi développa l'idée de désobéissance civile a travers le concept de Satyagraha (littéralement la voie de la vérité), qui lui permis de mener sa lutte non violente contre le racisme en Afrique du Sud et de s'opposer à la politique coloniale du Royaume-Uni en Inde, puis pour l'indépendance de l'Inde. Le 17 mars 1930, Gandhi lance une « Marche du sel », vers les marais salants de Jabalpur, distants de 300 km. Le gouvernement anglais détient en effet le monopole du sel qui lui rapporte 15 millions de francs or par an, utilisés pour l'entretien des troupes coloniales. Arrivés sur place le 6 avril 1930, à 8 h 30 du matin, accompagnés de quelques milliers de sympathisants, il récolte du sel qui sera vendu aux enchères pour la somme de 425 roupies, un montant non négligeable pour l'époque.
Gandhi proposait les règles suivantes dans sa lutte non violente :
- Un résistant civil ne doit pas avoir de colère.
- Il supportera la colère de l'opposant, ainsi que ses attaques sans répondre. Il ne se soumettra pas, par peur d'une punition, à un ordre émis par la colère.
- Si une personne d'autorité cherche à arrêter un résistant civil, il se soumettra volontairement à l'arrestation, et il ne résistera pas à la confiscation de ses biens.
- Si un résistant civil a sous sa responsabilité des biens appartenant à d'autres, il refusera de les remettre, même au péril de sa vie. Mais il ne répondra pas à la violence.
Après le nazisme : Nuremberg et la désobéissance obligatoire
Après la Seconde Guerre mondiale lors du procès du national-socialisme à Nuremberg. La question de savoir jusqu'à quel point le principe de légalité doit prévaloir sur celui de justice fut, au cœur des débats. Les anciens nazis se réfugièrent en simple exécutants obligés d'agir face à la rigueur militaire et à la sauvagerie nazie à punir toute forme de dissidence. Cependant dans son ouvrage, « Des hommes ordinaires, le 101eme bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne », Christopher Browning démontre que des hommes ordinaires, ni spécialement nazis, ni même obsessionnellement antisémites, ont agit avec un zèle meurtrier pour éradiquer les juifs de Pologne. L'historien relève un passage particulièrement intéressant : Après l'exposé de la mission qui était confiée au bataillon, à savoir l'exécution par les hommes du bataillon des femmes, enfants et vieillards juifs d'un hameau polonais comptant 1800 juifs le commandant du bataillon écœuré par l'ordre qui lui avait été donné propose à ceux qui ne s'en sentent pas la force de ne pas participer à la mission; seulement 12 hommes sur les 500 du bataillon refusèrent d'accomplir la mission. Browning met au cœur de ces comportements criminels certains facteurs mis également en évidence par Stanley Milgram : le conformisme de groupe, la force du lien social, la division et l'organisation du « travail » et surtout la lente déshumanisation des juifs.
Par la suite à Nuremberg, les juges ne se sont pas bornés à reconnaître le droit de la personne à désobéir aux normes iniques, ils ont aussi condamné ceux qui leur avaient obéi, sans prêter attention au principe de l'obéissance due aux lois. Ils ont ainsi transformé le droit de désobéissance en un devoir dont l'inaccomplissement mérite la punition correspondante.
Martin Luther King
La désobéissance civile fut par la suite adoptée par Martin Luther King, un leader du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 1960, la désobéissance civile consistait par exemple pour les noirs à s'asseoir dans les zones réservées aux blancs dans les restaurants ou dans les bus pour protester contre la ségrégation. La question de la ségrégation s'avérait particulièrement problématique aux États-Unis, la responsabilité incombant davantage aux citoyens privés, qu'aux pouvoirs publics. La désobéissance civile a aussi été utilisée par les militants pacifistes qui remettaient en cause l'esprit et les motifs de l'intervention militaire au Vietnam, ils organisaient notamment des sit-in qui paralysaient le centre des grandes villes.
Les dévoiements gauchistes
La désobéissance civile est souvent évoquée par des groupes gauchisants comme prétexte à des actions agressives, par exemple des actions de sabotage, de fauchage et d'arrachage de cultures de plantes génétiquement modifiées, ou comme refus d'abandonner les prétendus "acquis sociaux" résultant de la spoliation d'autrui par l'impôt ou de la dette publique. Leur désobéissance ne va jamais jusqu'à la grève fiscale que pratiqua pourtant Thoreau, ou jusqu'à retirer leur argent des banques renflouées par les États en protestation contre le capitalisme de connivence.
Cette "désobéissance civile" devient donc un moyen d'exercer une violence ou de perpétuer une violence existante sous des prétextes fallacieux ou illusoires, au nom de bons sentiments ou d'idéologies antilibérales.
La conception libertarienne
Pour les libertariens jusnaturalistes, les lois ne sont respectables que tant qu'elles ne s'attaquent ni à la liberté ni à la propriété des individus. Les libertariens (notamment dans les variantes anarcho-capitalistes ou agoristes) ne voient donc pas de problème à ne pas respecter les lois fiscales, les lois qui contreviennent à la liberté d'expression, à la liberté de se droguer ou de pratiquer des commerces "illégaux", de porter des armes, etc. "L'homme vivant sous la servitude des lois prend sans s'en douter une âme d'esclave" (Georges Ripert, Le Déclin du Droit, 1949).
Les six éléments constitutifs de la désobéissance civile (vus plus haut) ne sont pas tous admis par les libertariens :
- "Une infraction consciente et intentionnelle" : par suite de la distinction fondamentale entre ce qui est légal (droit positif) et ce qui est légitime (droit naturel)
- "Un mouvement à vocation collective" : possible, mais parfois contraire à l'individualisme libertarien. Par exemple l'évasion fiscale pratiquée par une personne, les commerces illicites, etc. sont une forme de désobéissance civile libertarienne ;
- "Un acte public" : un acte clandestin peut être aussi une forme de désobéissance civile ;
- "Une action pacifique" : conformément à l'axiome de non-agression libertarien ;
- "Un but : la modification de la règle" - ce but peut être une motivation, mais une autre motivation peut être d'échapper à la coercition imposée par le pouvoir (qu'il s'agisse de fiscalité, de drogue, de jeu, etc.) ;
- "Des principes supérieurs" : par exemple le droit naturel ou la souveraineté individuelle.
Pour les libertariens, la désobéissance civile peut très bien être individuelle plutôt que collective (Thoreau en étant l'exemple type), le but étant davantage d'échapper à une contrainte injuste que d'arriver à changer le droit positif (qui de toute façon n'est pas reconnu par les libertariens quand il viole les droits individuels). Le boycott en revanche peut être une action collective tout à fait conforme aux principes libertariens, de même pour la grève (sans considération du cadre inéquitable du droit positif qui donne souvent des avantages indus aux grévistes). La désobéissance civile évolue vers un passivisme qui cherche à ignorer l’État en se soustrayant à son influence.
Sources
- 2008, Robert McDonald, "Revolution, Right of", In: Ronald Hamowy, dir., "The Encyclopedia of Libertarianism", Cato Institute - Sage Publications, pp431-433
Bibliographie
- 1851, Herbert Spencer, "Le Droit d'ignorer l'État",
- 1954, David Spitz, "Democracy and the Problem of Civil Disobedience", American Political Science Review, Vol 48, pp386-403
- 1961, Hugo A. Bedau, "On Civil Disobedience", Journal of Philosophy, Vol 58, pp653-665
- 1964, Carl Cohen, "Essence and Ethics of Civil Disobedience", Nation, Vol 198, pp257-262
- 1966, Harrop A. Freeman, "Civil Disobedience", In: Harrop A. Freeman et al., "Civil Disobedience", Santa Barbara, Calif.: Center for the Study of Democratic Institutions
- 1968, Christian Bay, "Civil disobedience", In: David L. Sills, dir., "International encyclopedia of the social sciences", Vol 2, London: Macmillan and the Free Press, pp473-487
- 1972, Kenneth L. Deutsch, Michael P. Smith, dir., "Political Obligation and Civil Disobedience: Readings", New York. Les auteurs ont sélectionné de nombreux extraits favorables ou défavorables à la désobéissance civile.
- 1984, Lewis Perry, "Civil desobeissance", In: Jack P. Green, dir., "Encyclopedia of American political history", Vol 1, New York: Scribner
- 2018, Sécession : l'Art de désobéir, Paul-Eric Blanrue, éd. Fiat Lux
Citations
- Il existe des lois injustes : devons-nous consentir à leur obéir ? Devons-nous tenter de les amender tout en leur obéissant jusqu'à ce que nous parvenions à nos fins – ou le devoir nous impose-t-il de les transgresser d'emblée ? (Henry Thoreau, 1849)
- La désobéissance civile représente pour [le citoyen] le dernier recours de l‘individu face aux lois qui violent sa conscience. Ce refus d'obéir n'a pas d'objectif politique ou révolutionnaire. Il ne vise ni à renverser un gouvernement ni à mettre en cause les fondements d'un système légal. Il est dicté exclusivement par l'impératif moral qui interdit à l'individu intègre de cautionner des lois injustes par sa soumission. Le respect pour ce qui est bien est plus important que le respect de la loi. Lorsque les deux sont en contradiction, le citoyen a le devoir moral d'ignorer la loi et si nécessaire de lui désobéir. (Alphonse Crespo, La Désobéissance Civile, Libres ! 100 idées, 100 auteurs)
- La désobéissance, aux yeux de quiconque a lu l'histoire, est la vertu originelle de l'homme. C'est par la désobéissance que les progrès ont été accomplis, par la désobéissance et par la rébellion. (Oscar Wilde)
- S'opposer à la loi lorsque la loi est inique et contredit les principes sur lesquels elle est censée se fonder est un devoir éthique et participe de ce grand élan de résistance et d'émancipation qui, depuis des siècles, a permis à des hommes courageux d'échapper à la servitude. (Guy Millière, Faut-il faire l'éloge de la fraude fiscale)
- La désobéissance aux lois d’un État mauvais est un devoir. La désobéissance violente vise des hommes qui peuvent être remplacés. Elle laisse le mal lui-même intact et souvent l’aggrave. La désobéissance non-violente, c’est-à-dire civile, est le seul remède qui peut réussir ; elle est donc une obligation pour celui qui veut se désolidariser du mal. (Mohandas Gandhi)
- Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes. (Martin Luther King)
- L'obéissance, c'est la mort. Chaque instant dans lequel l'homme se soumet à une volonté étrangère est un instant retranché de sa vie. (Alexandra David-Néel)
- L'obéissance à la loi sans doute est un devoir ; mais ce devoir n'est pas absolu, il est relatif. Il repose sur la supposition que la loi part de sa source naturelle et se renferme dans ses bornes légitimes. Ce devoir ne cesse pas absolument, lorsque la loi ne s'écarte de cette règle qu'à quelques égards. Nous devons au repos public beaucoup de sacrifices. Nous nous rendrions coupables aux yeux de la morale, si, par un attachement trop inflexible à nos droits, nous résistions à toutes les lois qui nous sembleraient leur porter atteinte. Mais aucun devoir ne nous lie envers ces lois prétendues, dont l'influence corruptrice menace les plus nobles parties de notre existence, envers ces lois, qui non seulement restreignent nos libertés légitimes et s'opposent à des actions qu'elles n'ont pas le droit d'interdire, mais nous en commandent de contraires aux principes éternels de justice et de pitié, que l'homme ne peut observer sans démentir sa nature. (Benjamin Constant, Principes de politique)
Liens externes
- (fr)Esquisse d'une théorie de la désobéissance civile par John Rawls
- (fr)Du devoir de désobéissance civile, par Henry David Thoreau
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- ↑ Martin Luther King, 1958, "Stride Toward Freedom: The Montgomery Story", New York: Harper