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Colonisation

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La colonisation désigne le processus par lequel un pays ou un groupe de personnes établit une ou plusieurs colonies sur un territoire étranger (déjà occupé ou non par une population). La colonisation peut avoir différents buts : exploitation de matières premières, de main d’œuvre, position stratégique, espace vital, etc.

Le colonialisme est l'imposition d'une domination politique et militaire d'un pays sur un autre, dont le but peut être d'accroître la puissance du pays envahisseur. Il est jugé par les libéraux contraire au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Si le colonialisme, au sens actuel du terme, remonte pratiquement aux grandes découvertes (1492) et même à l'antiquité (colonies romaines) ou au Moyen Âge (colonialisme médiéval)[1], le mot, lui, ne fait son apparition qu'avec le XXe siècle pour prendre presqu'aussitôt une coloration négative et susciter un autre néologisme l'anticolonialisme. La vague d'émancipation des colonies — ou décolonisation — qui débutera avec les années 1960 déclenchera divers scénarios visant à pérenniser la tutelle économique des pays colonisateurs ; cette phase sera stigmatisée sous le nom de néo-colonialisme.


Les idées reçues sur la colonisation

Les idées reçues que l'on trouve dans les journaux, les médias audiovisuels, les encyclopédies, les ouvrages spécialisés, évoquent les liens censés lier « indistinctement » capitalisme et colonialisme, le « pillage du tiers-monde », ou, pour reprendre une expression qu'affectionnent les auteurs de gauche lorsqu'ils parlent du monde pauvre, « l'échange inégal ». Elles concernent, bien sûr, ce qu'il est convenu d'appeler « l'impérialisme », où l'opposition qui séparerait « pays bourgeois » et « pays prolétaires » et qui lierait les premiers au second par un accord d'exploitation. Ces thèses faisant de « l'impérialisme le stade ultime du capitalisme » (Lénine) ont été démontées par plusieurs économistes, en particulier par Peter T. Bauer ou, plus récemment, Jacques Marseille. En réalité, c'est l'expansion de l'État-nation et la volonté politique de contrôler le commerce qui sont les causes de l'impérialisme.

Il est intéressant de noter qu'au XIXe siècle, la gauche était colonialiste (au nom du progrès et de la "civilisation" qu'il fallait répandre dans tous les peuples de la terre), alors que la droite y était souvent opposée (le colonialisme étant vu comme une manœuvre de diversion qui détournait des préoccupations nationales).

Colonisation et matières premières

L’image d’un monde occidental pillant les richesses du Tiers Monde et s’industrialisant grâce à la colonisation est un lieu commun largement répété aujourd’hui. La dépendance énergétique des pays européens vis à vis des pays producteurs exportateurs de pétrole et la nécessité d’importer certains métaux présents dans des pays du Sud ont contribué à donner à ce mythe l’apparence de la réalité. En effet, cette dépendance est un phénomène récent, postérieur à 1950.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le monde développé produisait plus d’énergie qu’il n’en consommait. Le pétrole jouait un rôle très secondaire (en 1913 moins de 1 % de la consommation d’énergie en Europe) et le plus important exportateur en était par ailleurs les États-Unis. C’est le charbon européen qui a permis l’essor de l’industrie européenne : le Royaume-Uni, le pays le plus industrialisé d’Europe, était le plus grand exportateur. Il est à noter que le coût du fret était plus élevé pour les importations en provenance d’outre-mer que pour les exportations, ce qui favorisait les exportations de produits à faible valeur : ainsi le Royaume-Uni exportait de l’énergie vers les actuels pays du Sud.

De même, avant 1914, le commerce du minerai de fer était essentiellement une activité intra-européenne, seule une faible partie venait de Tunisie et d’Algérie, les principaux producteurs étant la France, l’Espagne et la Suède. Le transport du minerai de fer sur grande distance n’était absolument pas rentable. Le déficit de l’Europe n’était que de 6 % en 1950. Le seul pays industrialisé dépendant largement de l’importation venant de pays non développés était le Japon dans la première moitié du XXe s. Les seuls minerais manquant nettement en Europe étaient le cuivre et l’étain surtout, dont la valeur était plus forte, mais leur poids dans la consommation globale était faible.

L’Europe n’a donc pas eu besoin de matières premières venues de ses colonies sauf le coton mais qui était en grande partie importé des États-Unis. Certes, certains produits étaient entièrement importés des pays du Sud, qui n’étaient pas nécessairement des colonies : le caoutchouc ou la guano mais leur importance économique était limitée. Inversement, les industries du verre, du ciment, de l’argile et du papier, autrement plus importantes, étaient entièrement autosuffisantes. Ainsi donc au total, selon les calculs de Paul Bairoch, l’autosuffisance des pays développés était de 94 à 96 % pour les matières premières.

En revanche, et c’est une des raisons du mythe, les pays du Sud (y compris les États indépendants d’Amérique latine) exportaient l’essentiel de leurs matières premières vers le monde occidental. Surtout, les colonies exportaient des produits primaires plus que des matières premières : ainsi l’arachide au Sénégal et le riz en Indochine. Les denrées alimentaires jouaient donc un rôle beaucoup plus important que les matières premières. L’industrialisation des pays développés loin d'être le résultat de la colonisation, a plutôt donné aux États européens les moyens de leur politique de conquête et de domination.

Des débouchés décisifs ?

Il y a un autre mythe cependant, le rôle décisif des débouchés coloniaux pour les industries occidentales : Jules Ferry, dans son célèbre discours de justification du 28 juillet 1885, ne parle nullement d’importations de matières premières mais bien de l’intérêt de disposer de marchés coloniaux réservés pour l'industrie nationale. Les débouchés pour les industries de la métropole représentaient à peu près le quart des exportations de produits manufacturés, soit moins de 8 % de la production industrielle pour la période 1900-1939. Comme tout marchés protégés, ils n’ont pas favorisé la modernisation et le progrès. D’ailleurs l’économie britannique se vit rattraper puis dépasser par les États-Unis et l’Allemagne. Globalement les pays colonisateurs ont connu une croissance plus faible : c'est l’exemple classique de la Belgique, dont la croissance économique est forte avant la colonisation, faible après. L’Empire a retardé la modernisation de l’industrie britannique comme de l’industrie française : les entreprises vendaient au-dessus des prix mondiaux, ce qui ne les incitaient guère à faire des efforts d'innovation. Ainsi, le fait que les marchés coloniaux aient profité à certains individus, certaines entreprises ou certaines régions ne signifie nullement que leur impact ait été positif pour l’ensemble de l’économie.

Paradoxes historiques

A contrario, les pays européens ont connu leur plus forte croissance économique lors des Trente Glorieuses, qui coïncident avec le démantèlement des empires coloniaux. Un autre argument historique peut aussi être invoqué : la colonisation est un phénomène bien antérieur au XIXe s. et la conquête de vastes territoires par l’Espagne et le Portugal par exemple au XVIe n’avait en rien provoqué un processus d’industrialisation mais un enrichissement très artificiel par pillage suivi d’une décadence très spectaculaire qui firent de ces deux pays les plus pauvres de l’Europe occidentale au moment de l’industrialisation

"La colonisation a enrichi les pays occidentaux"

Milton Friedman conteste cette affirmation : "le colonialisme a toujours coûté beaucoup plus cher aux pays colonisateurs que ce qu'il a rapporté directement ou indirectement à leur économie". Il cite les exemples de la Grande-Bretagne avec l'Inde, ou de la Russie soviétique[2].

Adam Smith écrivait déjà dans la Richesse des nations que la Grande-Bretagne aurait intérêt à libérer toutes ses colonies, et que cela bénéficierait économiquement au peuple britannique, excepté certains marchands qui bénéficiaient de privilèges mercantilistes[3].

"Le colonialisme, c'est du passé"

En réalité, les pays occidentaux pratiquent le colonialisme sous d'autres formes : le protectionnisme (entraves mises au commerce avec l'étranger) et le bellicisme (intervention directe ou indirecte dans les conflits extérieurs) :

Ouvrons les yeux : le protectionnisme de la Politique Agricole Commune empêche l’Afrique noire de nous vendre des haricots verts et ses autres produits agroalimentaires sans pratiquer des tarifs exorbitants. Bref, l’UE poursuit la colonisation par d’autres moyens : la guerre et l’économie. (Nigel Farage, L’Europe doit cesser de coloniser l’Afrique !, Causeur, 6 janvier 2014)

La position des libéraux sur la colonisation

De plus, sur le plan historique, la plupart des libéraux ont été les plus farouches opposants au colonialisme. Pour certains libéraux, son principal soutien était formé par les partis socialistes et plus généralement la gauche (des saint-simoniens à Jules Ferry) :

« Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » (Jules Ferry, Discours devant la Chambre des députés, 28 juillet 1885)
« Ce royaume appartiendra au laboureur qui aura osé le prendre, s'y tailler à son gré un domaine aussi vaste que la force de son travail l'aura créé. » (Émile Zola à propos de l'Algérie, en 1899)
« La France a autant le droit de prolonger au Maroc son action économique et morale qu'en dehors de toute entreprise, de toute violence militaire, la civilisation qu'elle représente en Afrique auprès des indigènes est certainement supérieure à l'état présent du régime marocain. » (Jean Jaurès en 1903)
« Nous admettons qu'il peut y avoir non seulement un droit, mais un devoir de ce qu'on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation  » (Léon Blum, Allocution à la Chambre des députés, 9 juillet 1925)

Si Outre-Manche, les libéraux anticolonialistes, de Richard Cobden à Herbert Spencer, feront bloc contre l'expansionnisme de l'Empire britannique, ceux-ci représentaient la gauche et c'est bien la droite, les conservateurs, qui se montraient favorables à la politique impérialiste. De même c'est le gouvernement conservateur allemand qui s'engage dans la politique coloniale. On fera remarquer aussi que Jules Ferry était plus proche du libéralisme que du socialisme et que les socialistes en France étant dans l'opposition et ne participant pas directement au pouvoir, il est abusif d'en faire les responsables de la colonisation. En fait la position du socialisme marxiste vis à vis de la colonisation est ambigu : elle est pour eux une étape nécessaire permettant le triomphe du capitalisme sur l'ensemble de la planète, prélude au triomphe ultérieur du socialisme, stade ultime de l'évolution historique.

Au XXe siècle, leur combat anti-impérialiste sera vigoureusement repris par les libertariens, notamment Murray Rothbard. Dès le XIXe siècle, des auteurs comme Yves Guyot ou Rouxel dénonce dans le Journal des économistes la colonisation comme continuité du « socialisme d'État de l'ancien régime », du paternalisme, du protectionnisme et, de manière générale, du socialisme. Ils dénoncent également l'erreur de la doctrine socialiste qui veut apporter par la force le progrès et la liberté, Yves Guyot écrivant ainsi : « il est étrange qu'il faille employer le canon contre les opprimés pour les délivrer de leurs tyrans ». Lors des débats parlementaires sur la colonisation de l'Algérie, Frédéric Bastiat a dénoncé l'ineptie que représentait toute politique coloniale et la logique protectionniste qu'elle mettait en avant.

Si la grande majorité des libéraux s'opposent à la colonisation et à l'impérialisme, on peut noter deux exceptions : Tocqueville a ainsi prôné une politique agressive contre les Algériens qui résistaient à l'occupation française[4]. Plus tard, un libéral comme Paul Leroy-Beaulieu défendra également le colonialisme.

En outre, les principes lockéens (proviso) autorisent l'occupation d'un territoire disponible, dans la mesure où les droits des premiers occupants sont respectés (mais pas au-delà) :

Mais quant à la simple possession de l'objet, quand elle n'est accompagnée d'aucune élaboration, d'aucune précaution propre à la conserver, elle fonde aussi peu un droit que le ferait une pure et simple déclaration de la volonté qu'on aurait d'en jouir seul. Quand une famille aurait été pendant cent ans seule à chasser sur un certain territoire, mais sans rien faire pour l'améliorer, s'il survenait un immigrant et qu'il voulût y chasser aussi, elle ne pourrait sans injustice morale le lui interdire. Ainsi le prétendu droit du premier occupant, la théorie qui, pour vous récompenser d'avoir eu la jouissance d'un objet, veut encore vous accorder le droit exclusif d'en jouir à l'avenir, est, en morale, tout à fait sans fondement. A celui qui s'en autoriserait, le survenant pourrait, avec beaucoup plus de raison, répliquer : « C'est bien parce que tu en as eu longtemps la jouissance, qu'il est juste de la céder aujourd'hui à d'autres. » (Arthur Schopenhauer)

Ainsi, l'occupation de l'Amérique au XVIe siècle par les premiers Européens (action qu'on peut qualifier de colonialiste) est justifiée (mais non la prise de possession d'un territoire au nom d'un souverain, qui n'a pas de sens, ni l'atteinte directe à la propriété des premiers occupants).

Citations

  • Les vraies colonies d'un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. Tout peuple commerçant doit désirer qu'ils soient tous indépendants, pour qu'ils deviennent tous plus industrieux et plus riches; car plus ils sont nombreux et productifs, et plus ils présentent d'occasions et de facilités pour les échanges. Ces peuples alors deviennent pour vous des amis utiles, et qui ne vous obligent pas de leur accorder des monopoles onéreux, ni d'entretenir à grands frais des administrations, une marine et des établissements militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où l'on sera honteux de tant de sottises, et où les colonies n'auront plus d'autres défenseurs que ceux à qui elles offrent des places lucratives à donner et à recevoir, le tout au dépens des peuples. (Jean-Baptiste Say, Traité d'économie politique)
  • La mission de la France consiste à élever les Arabes à la dignité d'hommes libres. Notre colonie d'Afrique n'est pas une colonie ordinaire, mais un royaume arabe. (Napoléon III, discours de septembre 1860 à Alger)
  • Les considérations et les objectifs qui ont guidé la politique coloniale des puissances européennes depuis l'époque des grandes découvertes sont en très nette opposition avec tous les principes du libéralisme. L'idée de base de la politique coloniale était de tirer avantage de la supériorité militaire de la race blanche sur les membres des autres races. (...) Peut-il y avoir une preuve plus lugubre de la stérilité de la civilisation européenne que de ne pas pouvoir se répandre autrement que par l'épée et le feu ? (Ludwig von Mises, Le libéralisme))

Notes et références

  1. James Powers, 1977, commentaire du livre de Robert Ignatius Burns, "Medieval Colonialism: Postcrusade Exploitation of Islamic Valencia", Speculum, 52 (4), pp941-942
  2. Milton Friedman sur l'esclavage et la colonisation
  3. Liberal Anti-Imperialism (Daniel B. Klein)
  4. « Alexis de Tocqueville et la conquête de l'Algérie », Olivier Le Cour Grandmaison, [lire en ligne]

Bibliographie

  • 2002, Graziella Bertocchi, Fabio Canova, "Did Colonization Matter for Growth? An Empirical Exploration Into the Historical Causes of Africa’s Underdevelopment", European Economic Review, Vol 46, pp1851–1871
  • 2012,
    • Miriam Bruhn, Francisco Gallego, "Good, Bad and Ugly Colonial Activities: Do They Matter for Economic Development?", Review of Economics and Statistics, 94(2), pp433–461
    • Jean-Philippe Feldman, "Colonialisme", In: Mathieu Laine, dir., "Dictionnaire du libéralisme", Paris: Larousse, pp138-139

Liens externes


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