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État profond

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L'État profond, ou Deep State en anglais, désigne le groupe de personnes (ou l'entité informelle) qui a le pouvoir réel dans l'État, au-delà des apparences de la démocratie et du pouvoir légal. Il peut s'agir du noyau de l'oligarchie ou de la classe dominante, ou d'une instance représentant les intérêts des lobbies (banque, industrie, etc.) au sein d'un État bureaucratique. C'est une « confédération informelle d'intérêts particuliers, d'initiés et de compères qui contrôle le gouvernement », selon Bill Bonner.

L'utilisation de ce terme est souvent un marqueur des personnalités conspirationnistes, et le terme lui-même est devenu relativement associé aux extrêmes politiques, en particulier depuis la présidence de Donald Trump aux États-Unis. Cette utilisation ne disqualifie cependant pas nécessairement le fond, d'une utilisation de l’État par des intérêts privés, utilisation consubstantielle à la nature de l’État lui-même, « grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » (Frédéric Bastiat).

État profond : définition

Le concept d'État profond, présenté par l'universitaire canadien Peter Dale Scott et inspiré de la Turquie des années 1990 (collusion entre l'armée turque et les trafiquants de drogue), désigne un « supramonde », un cercle de contacts de haut niveau où se mêlent politique et économie : c'est un capitalisme de connivence ou une ploutocratie agissant dans le secret (« cryptocratie »), principalement par influence (il ne s'agit pas forcément d'un « État dans l'État » - κράτος εν κράτει - un groupe qui a acquis un pouvoir et se comporte comme une puissance autonome).

Ce concept, hautement polysémique dans les faits, serait censé expliquer un certain nombre d'« événements profonds » par une stratégie cachée, des opérations clandestines (assassinats, attentats, affaires judiciaires...), tous ces faits étant souvent mal interprétés ou négligés par les médias. Il n'y a en réalité nul besoin de spéculer sur un « complot », quand de simples convergences d'intérêt visant à l'usage en leur faveur de la coercition étatique fournissent des explications suffisantes : des entités privées (entreprises, associations, syndicats...) gagnent à être favorisées par le pouvoir (privilèges, monopoles, subventions...), et en même temps des entités publiques augmentent leur influence et leur pouvoir sur la population en favorisant une clientèle choisie (en invoquant si besoin est des arguments reposant sur un « intérêt général »).

Dans certains pays, cet « État profond » est plus ou moins identifié et porte un nom historique, par exemple le complexe militaro-industriel aux États-Unis et en Europe, ou le Makhzen au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie)[1]. On parlera aussi, de façon plus vague, d'establishment (traduit en français par « établissement ») ou d'intelligentsia s'il s'agit de l'élite intellectuelle du pays. Dans d'autres pays, il est clairement identifié : il s'agit du parti unique au pouvoir (Corée du Nord ou autres pays communistes), de l'armée, ou de la famille régnante (Arabie saoudite ou autres monarchies).

L'idée est revenue sur le devant de la scène avec les élections présidentielles américaines de 2016 et la présidence de Donald Trump dont, en excuse à ses échecs, le gouvernement et des sympathisants laissent entendre qu'un État profond entraverait son pouvoir.

Vue libérale

De longue date, les libéraux ont théorisé la lutte des classes existant entre ceux bénéficiant de l'argent public et ceux qui y contribuent. Cette lecture de la lutte des classes a d'ailleurs précédé la lecture marxiste. D'autres écoles ont analysé l'appareil administratif de l’État (bureaucratie) et la divergence d'intérêts entre celle-ci et l'intérêt du pays. Le thème de la bureaucratie est ainsi largement analysé par lécole du Public Choice, qui souligne comment les intérêts réels visés par les fonctionnaires de manière large, et les bureaucrates de manière plus ciblée, sont leurs intérêts propres et non un supposé intérêt général. Une illustration humoristique de ces analyses est présente dans la série télévisée britannique Yes Minister.

Comme le disait l'économiste Thomas Malthus dès le XVIIIe siècle : « Les lois sur les pauvres créent les pauvres qu'elles assistent. »[2]. Un des exemples les plus connus de cette tendance de la bureaucratie à préserver voire à amplifier les problèmes est l'histoire des rats de Hanoï (Vietnam) sous la colonisation française au début du XXe siècle. Pour réduire la population de rats et les maladies qu'ils propageaient, l'administration coloniale français se mit à donner des primes pour chaque queue de rat apportée dans les bureaux de l'administration, comme preuve de la mort d'un rat. Las, les vietnamiens se mirent à attraper des rats, couper uniquement leur queue et les laisser repartir (voire de les élever !) afin qu'ils se multiplient et d'avoir encore plus de rats (et donc de subventions)[3]... De la même manière, les récompenses offertes par l'administration britannique pour tuer des cobras en Inde aboutirent à augmenter la population de cobras. Ce que l'on appelle désormais l'« effet cobra » désigne ces effets secondaires des mesures visant à régler un problème sous-jacent.

Loin d'être un effet pervers occasionnel de la bureaucratie, voire d'un « État profond » agissant de manière coordonnée, cet effet cobra est un effet systématique de toute bureaucratie, qui trouvera tous les moyens nécessaires, volontairement ou non, pour se maintenir et défendre sa raison d'être. Cela tient largement au fait que, derrière la bureaucratie, il y a des individus défendant leur intérêt personnel, au détriment du contribuable. Et qu'un individu ne sachant que traiter un CERFA donné sera prêt à beaucoup pour justifier son métier et donc son salaire. L’État, profond ou non, n'existe donc pas que pour de nobles intérêts, mais aussi pour défendre ces intérêts personnels qui ne justifient en rien l'intervention publique.

Les libéraux cherchent à limiter le pouvoir de l'État et à préserver la liberté individuelle. Que l'on croit ou non à cette notion d'État profond, la limitation du rôle de l'État préconisée par les idées libérales est la seule à même de limiter le pouvoir de cet hypothétique État profond, qui n'existe que parce que l'État lui-même a du pouvoir.

Citations

  • « Le meilleur moyen de renverser un gouvernement, c'est d'en faire partie. » (Talleyrand)
  • « Les États-Unis ne sont pas dirigés par le président mais par le Congrès. Les électeurs se targuent d'élire les gens qui dirigent le pays. Les décisions importantes sont prises par les profiteurs, les initiés, les parasitocrates : bref, par le Deep State. Peu importe ce que vous qualifiez de gouvernement : que ce soit une monarchie, une théocratie ou une dictature, elles fonctionnent toutes plus ou moins de la même façon. Les initiés prennent le contrôle et utilisent le monopole du gouvernement sur la violence pour mater leurs ennemis et voler leurs concitoyens. Ces initiés, qui ne rendent compte à personne et ne sont pas élus, se composent de compères, carotteurs, intrigants et parasites. Cela ne s'est pas produit du jour au lendemain (...), il a fallu plus de 200 ans pour que les "renards" (c'est ainsi que l'économiste italien, Vilfredo Pareto, nomme ces initiés arnaqueurs) parviennent là où ils sont : confortablement nichés à Washington et dans les industries de leurs compères. » (Bill Bonner, 27/09/2016)
  • « En premier, nous trouvons les hommes de l’ombre et de pouvoir, ceux qui peuplent ce qu’il est convenu d’appeler l’Etat Profond ou « Deep State » en anglais, et qu’Eisenhower appelait les hommes du complexe militaro-industriel. Aux Etats-Unis il y a plus de 17 agences de renseignements qui se tirent dans les pattes à qui mieux-mieux. (...) Et chacun de ces organismes essaie de tirer la couverture à lui pour défendre des intérêts et des causes qui sont chères à chacun des petits chefs de ces organisations mais encore plus à ceux qui les ont fait nommer là, et donc en tirent profit. » (Charles Gave, 19/06/2017)
  • « Le Deep State n’est pas intrinsèquement mauvais, il ne complote pas contre le peuple. Mais comme toute classe sociale, il cherche à maximiser son influence et à avancer ses intérêts. Faute de contre-pouvoirs suffisants, ceux-ci divergent irrésistiblement de l’intérêt général. » (Matthieu Vasseur[4])
  • « Chaque semaine, nous avons besoin d'un nouvel ennemi à tuer pour, bien sûr, garder en état de marche le complexe militaro-industriel. » (Ron Paul, discours du 10 mars 1998)
  • « Disons que “l’État profond” n’est pas une sorte de concept conspirationniste comme les auteurs réactionnaires l’allèguent souvent, mais une autre façon de désigner les bureaucraties permanentes militaires, du renseignement et de la diplomatie de n’importe quelle nation. » (Andrew Korybko)
  • « L’État profond, ce n’est pas seulement les agences de renseignement, mais c’est une manière de désigner la bureaucratie étatique de carrière. Ce sont des fonctionnaires qui occupent des postes importants, qui ne partent pas quand les présidents partent, et regardent passer les présidents... Ils influencent la politique, ils influencent les présidents. » (Edward Snowden)
  • « Pourquoi chercher les sources d'un complot au Bilderberg quand les banques centrales sont déjà et sans contestation possible devenues les maîtres du Monde par le biais de leur entreprise de faux monnayage — tandis que les néoconservateurs dominent la politique étrangère américaine depuis l'ère Hoover (oui, Edgar le paranoïaque) et déclenchent au choix coups d'État et guerres quand bon leur chante, au mépris de l'ONU et même des intérêts géostratégiques des alliés des États-Unis ? » (Philippe Béchade, 02/09/2014)

Notes et références

  1. Ce mot (qui a donné "magasin" et "magazine" en français) désigne à la fois le gouvernement du sultan, le corps de cavalerie qui lui est dédié, le quartier qu'il occupe dans sa capitale, etc.
  2. in Essai sur le principe de population
  3. Le massacre des rats de Hanoï en 1902
  4. Donald Trump, symbole du peuple américain contre le « deep state » ?, 11 septembre 2017


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