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Libéralisme et catholicisme
Libéralisme et catholicisme ont entretenu des rapports complexes et conflictuels. Aux yeux de l'Église catholique, le libéralisme est à la fois l'origine et le produit de la Révolution française qui a subverti l'ordre social et politique. Que des catholiques se sentent libéraux et lient leur foi à leur libéralisme est une chose, la position de l'Église catholique en est une autre : la papauté a condamné le libéralisme en termes clairs et fermes à l'époque de son « âge d'or », le XIXe siècle, et n'est jamais revenue sur cette condamnation (il s'agit notamment du Syllabus de Pie IX, publié le 8 décembre 1864, et de l'encyclique Libertas Præstantissimum émise par le pape Léon XIII en 1888). La papauté n'a cessé de dénoncer dans le libéralisme la révolution de la modernité caractérisée par l'émancipation de la raison et la suffisance de l'Homme, oublieux de son créateur et conduisant le monde à la catastrophe. Il renvoie en fin de compte l'image d'une société sans Dieu.
La thèse développée ci-dessous provient pour l'essentiel de l'article d'Émile Poulat dans le Dictionnaire de la Papauté.
Le libéralisme, péché de la modernité
Le libéralisme est ainsi identifié comme la source de tous les maux qui frappent les sociétés modernes : un péché selon le prêtre espagnol, Félix Sarda y Salvany, en 1884 dans un livre toujours réimprimé, Le libéralisme est un péché et dont la Congrégation de l'Index loua « la sainte doctrine ». Si la guerre est finie, la querelle de fond subsiste. L'antilibéralisme a profondément marqué la culture catholique. Les reproches faits aux libéraux concernent le libéralisme sous tous ses aspects :
- liberté de pensée et de conscience
- liberté d'expression
- liberté d'action
- tolérance
- souveraineté de l'individu
- liberté économique
- liberté commerciale
Pour l'Église catholique, « la liberté a besoin de la boussole de la vérité ». Ainsi l'Église condamne la liberté des cultes (encyclique Libertas Præstantissimum de Léon XIII), car "contraire à la vertu de religion" : « il n'y a qu'une liberté, c'est la liberté du vrai et du bon ».
Au contraire, pour les libéraux, la liberté est remise à la conscience de chaque individu. Si le christianisme est une religion de liberté, le libéralisme peut apparaître à la fois comme sa réalisation et sa négation, tandis que le socialisme est ressenti comme la double négation de la vérité et de la liberté.
La conviction de l'Église catholique de détenir seule la vérité, et sa détermination à l'imposer à la société via le « bras séculier » chaque fois que c'est possible, l'éloignent du libéralisme moderne et de l'héritage des Lumières.
Si une certaine dose de libéralisme théologique semble avoir influencé l’Église catholique depuis le concile de Vatican II, la condamnation parfois virulente du libéralisme reste bien présente. Libéralisme et catholicisme de l'abbé Ange Roussel reste ainsi aujourd'hui un classique chez les catholiques traditionalistes et intégristes. L'auteur, en 1926, y condamnait avec violence le « dérèglement » que constitue le libéralisme : « Le Livre de l’abbé Roussel donne une parfaite idée du libéralisme et du danger du catholicisme libéral, qui a proliféré à l’occasion du ralliement, s’est développé dans le sillonisme, le modernisme et le progressisme, pour triompher à l’occasion du concile pastoral d’aggiornamento de Vatican II, et enfin détruire tout ce qui restait de spécifiquement catholique dans la foi, la morale, la liturgie, dans les institutions de l’Église par l’application de l’esprit œcuménique et démocratique. » écrit ainsi Mgr Marcel Lefebvre.
Un antilibéralisme complexe
L'Église romaine est en réalité tiraillée : intransigeante sur les principes et accueillante aux Hommes. Ainsi Pie IX, le pape du Syllabus, avait choisi comme Premier ministre Pellegrino Rossi, figure libérale.
Pour le cardinal Billot, le libéralisme désigne « une doctrine multiforme qui émancipe plus ou moins l'Homme à l'égard de Dieu, de sa loi et de sa révélation, et qui, par voie de conséquence, dégage la société civile de toute dépendance à l'égard de la société religieuse, c'est-à-dire de l'Église qui est la gardienne, l'interprète et la maîtresse de la loi divinement révélée ». Il engendre « l'inhumaine lutte pour la vie et l'énorme fléau de la vie moderne qu'est le prolétariat », auquel n'est laissé que la « liberté de mourir de faim ».
Pour Marcel Prélot : « le libéralisme du XIXe siècle est hostile au catholicisme. Dominé par l'esprit de libre examen, il oscille de l'anticléricalisme virulent au philosophisme dédaigneux. Il n'a rien pour séduire un croyant. Sa religion l'écarte du libéralisme ».
Autant l'antisocialisme catholique apparaît simple à saisir, autant l'antilibéralisme catholique est complexe. Le libéralisme catholique est généralement abordé sur le plan politique, le libéralisme social est souvent identifié au « catholicisme social » et à la « démocratie chrétienne ».
Le catholicisme, vecteur de libéralisme malgré sa condamnation de la liberté ?
En dépit de la condamnation régulièrement réaffirmée du libéralisme par l’Église catholique, certains auteurs voient dans le catholicisme soit une des sources du libéralisme, soit une des conditions de son développement, ou autres éléments positifs. Parmi les contemporains ont peut signaler Charles Gave et son Un libéral nommé Jésus, qui insiste sur les messages libéraux du Nouveau Testament. Le juriste Patrick Simon, dans Peut-on être catholique et libéral ? en 1999 apporte une réponse positive à sa question.
Liste d'auteurs libéraux catholiques
- Alexis de Tocqueville
- Lord Acton
- Frédéric Bastiat
- Antonio Rosmini
- Wilhelm Roepke
- Konrad Adenauer
- Luigi Einaudi
- Luigi Sturzo
- Michael Novak
- Leonard Liggio
- Robert Sirico
- Alejandro Chafuen
- Jean-Yves Naudet
- Jacques Garello
- Philippe Nemo
- Angelo Tosato
- Lucas Beltran
- Dario Antiseri
- Raoul Audouin
- Christian Mouly
Citations
« Le libéralisme catholique est « une peste très pernicieuse », parce qu'il place à la base de nos institutions publiques des principes dont les conséquences extrêmes, rigoureusement logiques, aboutissent à des horreurs. Le principe fondamental du libéralisme peut se résumer ainsi : vis-à-vis de la loi, l'erreur a les mêmes droits que la vérité. De là sort « la liberté de penser », qui peut se formuler ainsi : « J'ai le droit de penser tout ce que je veux, de croire tout ce que je veux, de nier tout ce que je veux. J'ai le droit de croire qu'il n'y a pas de Dieu, que je n'ai pas d'âme, que le vol est permis, qu'il n'y a pas plus de mal à tuer un homme qu'un poulet. De là sort la « liberté de conscience » : toutes les religions ont un droit égal au respect et à la protection de la loi... Même respect pour le chrétien qui adore Jésus-Christ et pour le juif qui le blasphème. Même respect pour le catholique qui vénère la Sainte Eucharistie et pour le huguenot qui la foule aux pieds. Même respect pour le martyr et pour son bourreau. De là sort « la liberté de la parole » : j'ai le droit de dire tout ce que je pense, et personne n'a le droit de retenir ma parole sur mes lèvres. J'ai le droit au blasphème. M'empêcher de louer Dieu et m'empêcher de l'insulter sont, l'un comme l'autre, un attentat à ma liberté, et par conséquent un crime... De là sort « la liberté de la presse » : tout ce que j'ai le droit de lire, j'ai le droit de l'imprimer et de le publier. Le premier apostat venu a le droit d'écrire que Jésus-Christ n'est pas Dieu, et nul Homme, nul pouvoir n'a le droit d'arrêter son livre ou son journal. De là sort « la liberté d'action » : j'ai le droit de faire tout ce que je veux et de mettre en pratique tout ce que je pense, à la seule condition (encore parfaitement arbitraire) d'être en règle avec la police. Assurément, tous les catholiques-libéraux, et non seulement eux, mais tous les honnêtes gens repoussent avec indignation ces absurdes et horribles folies ; mais ils admettent bel et bien les principes d'où elles découlent, et dans les bas-fonds de la société, il ne manquera jamais de terribles logiciens qui les tirent. »
— Mgr de Ségur, Aux jeunes catholiques libéraux, Œuvres de Mgr de Ségur, Paris 1887
« [...] il en est un grand nombre qui, à l’exemple de Lucifer, de qui est ce mot criminel : « Je ne servirai pas », entendent par le nom de liberté ce qui n’est qu’une pure et absurde licence. Tels sont ceux qui appartiennent à cette école si répandue et si puissante et qui, empruntant leur nom au mot de liberté, veulent être appelés Libéraux. Et, en effet, ce que sont les partisans du Naturalisme et du Rationalisme en philosophie, les fauteurs du Libéralisme le sont dans l’ordre moral et civil, puisqu’ils introduisent dans les mœurs et la pratique de la vie les principes posés par les partisans du Naturalisme. Or, le principe de tout rationalisme, c’est la domination souveraine de la raison humaine, qui, refusant l’obéissance due à la raison divine et éternelle, et prétendant ne relever que d’elle-même, ne se reconnaît qu’elle seule pour principe suprême, source et juge de la vérité. Telle est la prétention des sectateurs du Libéralisme dont Nous avons parlé ; selon eux, il n’y a dans la pratique de la vie aucune puissance divine à laquelle on soit tenu d’obéir, mais chacun est à soi-même sa propre loi. De là, procède cette morale que l’on appelle indépendante et qui, sous l’apparence de la liberté, détournant la volonté de l’observation des divins préceptes, conduit l’homme à une licence illimitée. [...] Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Église ceux qui professent le Libéralisme. [...] Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la liberté et révolte ; et c’est précisément d’une telle disposition d’âme que se constitue et que naît le vice capital du Libéralisme. On peut, du reste, en distinguer plusieurs espèces ; car il y a pour la volonté plus d’une forme et plus d’un degré dans le refus de l’obéissance due à Dieu ou à ceux qui participent à son autorité divine. [...] S’insurger complètement contre l’empire suprême de Dieu et lui refuser absolument toute obéissance, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée et domestique, c’est à la fois, sans nul doute, la plus grande dépravation de la liberté et la pire espèce de Libéralisme. C’est sur elle que doivent tomber sans restriction tous les blâmes que nous avons jusqu’ici formulés.[...] »
— Léon XIII, encyclique Libertas Praestantissimum, 1888
« Le libéralisme n’est pas une hérésie ordinaire, c’est l’hérésie propre, personnelle de Satan, puisqu’elle consiste, pour la créature, à usurper à son profit l’indépendance et la souveraineté qui n’appartiennent qu’à Dieu, de toute éternité, et dans l’ordre des temps à Notre Seigneur Jésus-Christ. [...] On voit par là en quoi le libéralisme moderne diffère de tout ce qui l’a précédé en fait de révolte et de péché. C’est le péché lui-même, le dernier terme et le plus haut degré du péché. Le libéralisme appelle « l’homme de péché », il prépare les voies à l’Antéchrist. »
— Mgr Delassus, La Conjuration antichrétienne, 1910
« [...] un système s’est malheureusement édifié sur ces conditions nouvelles de la société, qui considérait le profit comme motif essentiel du progrès économique, la concurrence comme loi suprême de l’économie, la propriété privée des biens de production comme un droit absolu, sans limites ni obligations sociales correspondantes. Ce libéralisme sans frein conduisait à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de "l’impérialisme international de l’argent". On ne saurait trop réprouver de tels abus, en rappelant encore une fois solennellement que l’économie est au service de l’homme. [...] la règle de libre échange ne peut plus - à elle seule - régir les relations internationales. Ses avantages sont certes évidents quand les partenaires ne se trouvent pas en conditions trop inégales de puissance économique : elle est un stimulant au progrès et récompense l’effort. C’est pourquoi les pays industriellement développés y voient une loi de justice. Il n’en est plus de même quand les conditions deviennent trop inégales de pays à pays : les prix qui se forment "librement" sur le marché peuvent entraîner des résultats iniques. Il faut le reconnaître : c’est le principe fondamental du libéralisme comme règle des échanges commerciaux qui est ici mis en question. [...] »
— Paul VI, encyclique Populorum Progresso, 1967
Bibliographie
- 1959, R. Tisato, "Liberali cattolici" ("Les libéraux catholiques"), Canova, Treviso
- 1969, Marcel Prélot, "Le libéralisme catholique", Paris
- 1974, "Les catholiques libéraux au XIXe siècle", Actes du colloque international de Grenoble, 1971, Grenoble
- 1976, AA.VV., "Cattolici liberali nell’Ottocento" ("Les libéraux catholiques au XIXe siècle"), SEI, Torino
- 2003, Émile Poulat, "Libéralisme", In: Philippe Levillain, dir., "Dictionnaire de la Papauté", Librairie Arthème Fayard, pp1043-1046
- 2006, Dario Antiseri, "Liberali e solidali. La tradizione del liberalismo cattolico", Soveria Mannelli, Rubbettino
Voir aussi
Liens externes
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