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Jacobinisme
Le jacobinisme désigne à la fois l'histoire d'un club de la Révolution française, un concept et une tradition politique. Il s'identifie à la période de la dictature de salut public et à la Terreur entre 1792 et 1794. Il est une forme de l'antilibéralisme français avec le bonapartisme, qui partage beaucoup de caractéristiques avec lui.
Histoire du club des Jacobins
Un club parlementaire
A l'origine, dès mai-juin 1789, un certain nombre de députés du tiers État, d'abord bretons puis « patriotes » sans origine géographique particulière, décident de se concerter sur la conduite à tenir avant les séances de l'Assemblée en se réunissant au café Amaury. De Versailles, le « club breton » s'installe à Paris après le 6 octobre. Il siège dans la bibliothèque du couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré sous le nom de Société des Amis de la Constitution, mais c'est l'appellation non officielle de club des Jacobins qui s'impose. Il rassemble à peu près 200 parlementaires soucieux de défendre l'ordre nouveau sur sa droite comme sur sa gauche. Tout le gratin parlementaire s'y retrouve : Mirabeau, La Fayette, Barnave, Robespierre, etc.
Le club de la rue Saint-Honoré s'est entouré très tôt en province de filiales qui lui donnent un rayonnement exceptionnel : 152 clubs de province en juillet 1790 ont reçu l'investiture de la maison mère. Le Journal des amis de la constitution rédigé par Choderlos de Laclos, ainsi qu'un comité de correspondance assurent les liens entre Paris et la province. C'est aux Jacobins, le 2 mars 1791, qu'Alexandre de Lameth détruit l'influence de Mirabeau en l'accusant de collusion avec les « aristocrates ». Par les Jacobins, le triumvirat assied ainsi son pouvoir provisoire sur Paris.
Une machine politique
Varennes ouvre la crise du régime et divise les Jacobins. Le 16 juillet 1791, Barnave quitte le club avec la plupart des parlementaires pour fonder le club des Feuillants. Face à la rivalité du club des Cordeliers, les restants avec Robespierre, Condorcet et Brissot penchent vers l'alliance avec le mouvement populaire parisien tout en parvenant à conserver dans son orbite la plupart des clubs provinciaux. Le club est désormais contrôlé par des journalistes et libellistes. Ce n'est plus un club de discussion mais une machine politique au service d'une deuxième révolution.
La cotisation annuelle reste élevée, les membres sont des intellectuels et des bourgeois, mais le caractère public des séances donne un poids important aux activistes parisiens. On y propose les décrets, reçoit les pétitions, critique les ministres. L'organisation est renforcée avec un comité des rapports et un comité de surveillance. Le comité de correspondance reste le plus important où siègent les futurs Montagnards comme les futurs Girondins, les futurs Exagérés comme les futurs Indulgents. Le club ne prépare plus les débats de l'Assemblée, il devient une autre Assemblée et peut-être une contre-Assemblée. C'est là que Brissot et Robespierre s'affrontent sur la nécessité de la guerre et de la croisade émancipatrice.
Le club est le creuset où se forge l'esprit qui va donner la journée du 10 août 1792 qui voit tomber la monarchie : mélange de mépris des lois et d'idéalisme républicain, de suspicion généralisée et d'utopie égalitaire. Les Jacobins se retrouvent aux postes de commande après la chute des Tuileries. Jusqu'au 13 mai 1793, le club est le siège du conflit entre Girondins et Montagnards. Les Jacobins parisiens deviennent une milice qui s'est trouvé un chef, Robespierre.
Armée et Tribunal de la Révolution
Rebaptisés « Société des amis de la liberté et de l'égalité », les Jacobins constituent une armée de 100 à 200 000 militants qui contrôlent plusieurs milliers de clubs locaux. La Révolution populaire est morte, c'est l'heure des petites oligarchies de l'activisme. Or les Jacobins sont les mieux organisés et les plus disciplinés. Brissot est exclu dès octobre 1792 et dénoncé aux sociétés affiliés comme un comploteur et un ennemi du peuple. Michelet évoque « la fureur de l'esprit de corps, le fanatisme monastique, l'ivresse de confrérie s'animant à huis clos ». Le club devient une machine à produire de l'unanimité. Comme le note Augustin Cochin, « le peuple a perdu le droit d'élire ses magistrats aux dates et dans les formes légales ; les sociétés prennent celui de les épurer sans règle et sans cesse ». Le club incarne le peuple unanime, en état d'auto-épuration permanente pour purger le souverain de ses ennemis cachés. De juin 1793 à juillet 1794, le club est maître de l'appareil étatique.
Le club pouvait difficilement survivre à la chute de Robespierre car il est trop identifié au règne de la Terreur : la Convention décide sa fermeture le 12 novembre 1794. Des clubs d'esprit jacobin se recréent sous le Directoire à Angers, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, Toulon, Metz. À Paris, en juillet 1799, s'ouvre un succédané de club des Jacobins dans la salle du Manège puis à l'église Saint-Thomas d'Aquin. Fouché en personne le ferme dès le 13 août suivant.
Destins du jacobinisme
Le mot renvoie aujourd'hui à bien des significations possibles dans lesquelles peuvent se retrouver aussi bien les gaullistes que les communistes : la centralisation, l'égalité des citoyens, le goût de l'indépendance nationale, la vocation de l'État à transformer la société. Il incarne toujours une autorité publique souveraine et indivisible dominant la société civile.
Certains libéraux, comme Gaspard Koenig, sont favorables à un jacobinisme libéral qui élimine les corps intermédiaires qui s'interposent entre l'individu et l’État.
L'héritage républicain
Dans la première moitié du XIXe siècle, il contribue à donner une image répulsive de la République identifiée à la Terreur. Le socialisme y trouve à compter de 1848 la croyance en la toute-puissance du politique, l'héritage jacobin étant passé au socialisme par l'intermédiaire du babouvisme. Pour Buchez dans son Histoire parlementaire de la Révolution française (1834-1838), les Jacobins ont préfiguré la communauté socialiste de demain. Le socialisme français s'inscrit ainsi dans une tradition autoritaire et étatiste, à l'exception de Proudhon.
Sous le Second Empire, les républicains tirent la leçon de l'échec de la Seconde République et Edgar Quinet, tout comme Jules Ferry critiquent le jacobinisme et cherchent à exorciser le spectre de la République dictatoriale et partageuse. La Commune de Paris en 1871 exhume une dernière fois ce néo-jacobinisme socialiste. Si la Troisième République se veut héritière de 1789 et non de 1793, néanmoins, les républicains tiennent des Jacobins le rôle pédagogique de l'État par le biais de l'école.
L'héritage communiste
Le legs le plus universel du jacobin reste celui du parti révolutionnaire repris par les bolcheviks et Lénine, qui qualifiait les bolcheviks de "jacobins prolétariens". Le Club comme le Parti dit le vrai, le juste, ce qu'il faut croire, et il convoque les hérétiques en confession publique avant de les livrer à la guillotine. S'il change d'avis et se contredit, c'est lui qu'il faut croire. Le Club est l'avant-garde de ce que sera demain la République, une fois purgée de ses ennemis. Michelet voit dans les Jacobins une oligarchie militante substituée au peuple et parlant en son nom. Derrière la façade démocratique, un petit nombre tire les ficelles. C'est aussi le temple d'une orthodoxie d'où l'obligation d'une unanimité, la maladie du soupçon et l'obsession d'être le peuple.
Si les Jacobins avaient été un produit imprévu de la Révolution française, le XIXe siècle, avec Marx puis Lénine tend à faire du parti révolutionnaire une condition préalable de la Révolution, le prolétariat dans son ignorance ne sachant pas ce qui est bon pour lui. Paradoxalement, il joint à cette croyance au pouvoir démiurgique de l'action politique l'idée d'un cours inévitable de l'histoire, que cette action est supposée réaliser.
Jacobinisme libéral
Dans son livre Le révolutionnaire, l'expert et le geek (2015), Gaspard Koenig plaide pour un jacobinisme libéral pour lequel la mission de l'État consiste à émanciper l’individu de tous les corps intermédiaires qui pourraient lui imposer leur tutelle (collectivités locales, régions...) : l'individu devrait avoir affaire directement avec l'État. Il est donc en faveur de la centralisation et opposé à la subsidiarité que prônent la plupart des libéraux. En particulier, contrairement aux libertariens, il exige un État jacobin fort, disposant de certains monopoles (en autres, l'enseignement) :
- Les libertariens, quant à eux, rejettent le concept que j'ai emprunté à l'historien Pierre Rosanvallon de jacobinisme libéral. Ils envisagent en effet leur liberté personnelle dans une relation ouvertement conflictuelle avec l'idée même d'État. Or, à mon sens, une société sans État est tout sauf une société d'individus libres.
Sources
- 1991,
- George Armstrong Kelly, "The Jacobin and liberal contributions to the founding of the second and third French Republics (with an epilogue on America)", In: Joseph Klaits, Michael H. Haltzel, dir., "Liberty/Liberté: the American and French experiences", Washington, D.C.: Woodrow Wilson Center Press ; Baltimore: Johns Hopkins University Press, pp131-150
- Jean Rivero, "The Jacobin and liberal traditions", In: Joseph Klaits, Michael H. Haltzel, dir., "Liberty/Liberté: the American and French experiences", Washington, D.C.: Woodrow Wilson Center Press ; Baltimore: Johns Hopkins University Press, pp115-150
- 1992, François Furet, « Jacobinisme » in François Furet, Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française volume Idées, Champs Flammarion, pp233-251
- article « Club des Jacobins » in Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Robert Laffont Bouquins, 1987
- Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, 1847-1853
- Augustin Cochin, Les sociétés de pensée et la démocratie moderne, Plon 1921
Citations
- L'esprit jacobin, c'est la mainmise de la cité sur l'individu tout entier ; c'est l'effort pour réduire toutes les libertés à la liberté politique. C'est la manie légiférante, la réglementation et le contrôle à outrance ; c'est la suspicion jetée sur toute volonté d'indépendance dans l'ordre des idées et des croyances comme dans celui des actes. (Georges Palante)
- Il y a une ironie tragique à ce que ce soit justement le Contrat social de Rousseau, avec sa notion de guerre purement étatique, qui soit devenu la bible des Jacobins, de ces mêmes Jacobins qui décriaient la guerre inter-étatique classique, purement militaire, du XVIIIe siècle siècle en tant que guerre de cabinet de l'ancien régime et qui récusaient comme une affaire de tyrans et de despotes la liquidation de la guerre civile et la limitation de la guerre extérieure accomplies par l'État. Ils ont remplacé la guerre purement étatique par la guerre du peuple et la levée en masse démocratique. (Carl Schmitt, Le nomos de la Terre)
- On reconnaît dans la centralisation préconisée par les Jacobins l'influence de l'instinct populaire, plus facilement saisi de la notion simple de pouvoir que de la notion compliquée du contrat social. (Pierre-Joseph Proudhon, La Révolution sociale démontrée par le coup d'État du 2 décembre)
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