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Contractualisme

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En philosophie politique le contractualisme se réfère à toute théorie selon laquelle les normes, les institutions et structures de la société sont issues d'une convention, un accord ou un contrat mutuel associant des hommes dans le but d'assurer leur survie, sécurité, paix, propriété et liberté. Le contractualisme affirme que toute société est fondée sur un contrat social qui est un accord ou engagement par lequel on dit que des hommes abandonnent l’état de nature pour former la société dans laquelle ils vivent maintenant.

Définition et théories du contractualisme

La théorie d'un tel contrat, d'abord formulée par les philosophes anglais Thomas Hobbes (dans le Léviathan, de 1651) et John Locke (dans son Second Traité du gouvernement civil, paru en 1690), suppose que des hommes ont d'abord vécu dans un état d'anarchie (ou plus précisément, chez Hobbes, d'anomie), état qui ne supposait l’existence d’aucune société, aucun gouvernement, et aucune coercition organisée de l'individu par le groupe.

Cette théorie philosophique prétend expliquer de manière rationnelle la formation de la société civile. Les théories de ce type placent dans un premier temps les hommes dans un état de nature, soit un état sans gouvernement (« état de guerre » chez Hobbes, « état de crainte » chez Locke). Les hommes ne pouvant plus vivre sous l'emprise de la crainte décident volontairement de s'unir en un peuple ou un corps, suivant les auteurs, d'abandonner certains de leurs droits naturels et de les confier à un prince ou une assemblée.

Ces théories se basent sur une anthropologie, c'est-à-dire font une description morale de l'homme, pour établir le meilleur gouvernement possible en fonction de la nature humaine.

Contractualisme absolutiste contre contractualisme libéral

Mais une différence essentielle existe entre les conceptions de Hobbes et de Locke. Pour le premier, le contrat n'existe qu'entre les citoyens, le Prince n'étant nullement engagé par les clauses contractuelles, comme si chacun déclarait à autrui : « J'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière ». Comme le commente Philippe Nemo dans son Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains: « Le cercle des contractants est refermé sur lui-même. Le souverain est un être d'une autre nature que chacun d'entre eux, il n'y a plus entre eux l'égalité qu'il y avait à l'état de nature. »

Pour Locke, au contraire, la délégation de pouvoirs, signant la transition de l'état de nature à la société politique, contraint le gouvernement à se limiter à trois fonctions : le droit d'interpréter le Droit naturel (pouvoir législatif) ; le droit de juger (pouvoir judiciaire) ; le droit de punir les agressions (pouvoir exécutif). Cette triade délimite, dès lors, non seulement les types de pouvoir de l'État, mais prescrit aussi les seules missions qu'il est habilité à exercer ; tous les autres droits sont conservés par les individus et relèvent de ce que Locke appelle leur property (domaine propre, et non la seule propriété au sens économique du terme). (Cf. également l'excellente lecture que Nemo, dans la somme déjà citée, donne du maître ouvrage de Locke).

Il est donc clair que deux visions du contractualisme politique coexistent depuis lors : la première, autoritariste et absolutiste, débouche notamment sur le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau (1762), dont la défense d'une souveraineté populaire illimitée n'est qu'une démocratisation de l'absolutisme classique ; la seconde borne strictement l'action de l'État, respecte l'isonomie (c'est--dire l'égalité de chacun, gouvernants et gouvernés, devant la loi) et se soumet à la souveraineté du seul Droit. C'est évidemment cette dernière conception qui reste pleinement cohérente avec une idée de « contrat social libéral » (pour reprendre le titre d'un livre de Serge-Christophe Kolm).

Parmi les auteurs libéraux qui, au XXe siècle, ont tenté de renouer avec la thématique du contrat social, il faut mentionner Friedrich Hayek (dans sa Constitution de la liberté en 1960) et James Buchanan (avec The Limits of Liberty en 1975).

Certains auteurs, tel Hernando de Soto, parlent de « contrats sociaux extralégaux » pour désigner des organisations, voire des institutions, telles qu'il en existe dans les pays du tiers monde, qui, bien que respectueuses du droit, se développent à l'échelon local en marge du droit légal, faute de pouvoir s'intégrer dans un régime de droit formel trop contraignant ou difficile d'accès. Dans un même pays peuvent très bien coexister de nombreux contrats sociaux extralégaux, les relations entre les personnes étant alors régies par un droit extralégal qui n'est pas imposé par un législateur, mais qui découle des règles comportementales admises par une communauté donnée.

Conception libertarienne

Un certain nombre de libéraux admettent donc la théorie du contrat social. Mais les libertariens la rejettent comme une fiction complète. En effet, il leur paraît absurde d'imaginer que des individus délèguent volontairement à un pouvoir monopolistique leur droit de se défendre. Nul individu n'ayant jamais signé un tel contrat, il ne peut donc s'y trouver engagé.

Mais, ajoutent d'autres anarcho-capitalistes, à supposer qu'un groupe d'individus cèdent néanmoins ce droit, ils ne peuvent engager ni leurs compatriotes ni leurs descendants à observer cette contrainte :

Un sophisme profond vicie toutes les théories de l’État comme contrat social : c'est l’idée que l’on est lié et obligé par un contrat fondé sur une promesse. Ainsi, il suffirait que tous les individus dans l’état de nature abandonnent leurs Droits aux mains de l’État - ce qui est déjà, en soi, une hypothèse héroïque... -, et le théoricien du contrat social considèrera cette promesse comme contraignante jusqu’à la fin des temps. Or, selon la vraie théorie des contrats, [...] seul est valide (et donc obligatoire) le contrat où s'échange une chose qui, en fait, est philosophiquement aliénable, ce qui n’est vrai que de titres particuliers de propriété ; tandis que, au contraire, d’autres attributs de l’homme, en l’occurrence l’auto-propriété qu’il exerce sur sa volonté et sur son corps ainsi que les Droits de la personne et de la propriété qui en découlent, sont inaliénables et donc non transférables par voie de contrat exécutoire. Si personne ne peut céder sa volonté, son corps ou ses Droits par voie de contrat obligatoire, alors a fortiori on ne peut céder les Droits ou les personnes de sa postérité. (Murray Rothbard)

Pour les libertariens, le contrat social n'existe pas parce qu'il n'y a pas de droit de sécession individuel, ni territorial : celui qui ne consent pas au contrat social ne peut vendre ses droits de vote, ni créer un État à côté de l'État existant, ni choisir d'ignorer l'État. Le contrat social ne pourrait exister que sur une base volontaire, ainsi que l'exprime Proudhon :

En effet, qu'est-ce que le contrat social ? L'accord du citoyen avec le gouvernement ? non ; ce serait tourner toujours dans la même idée. Le contrat social est l'accord de l'homme avec l'homme, accord duquel doit résulter ce que nous appelons la société. Ici, la notion de justice commutative, posée par le fait primitif de l'échange et définie par le droit romain, est substituée à celle de justice distributive, congédiée sans appel par la critique républicaine. (Idée générale de la Révolution)

Moins radicaux, certains auteurs, comme Herbert Spencer, préconisent le « droit d'ignorer l'État » si et seulement s'il contrevient aux droits naturels de ses administrés :

Ceux qui soutiennent que le peuple est la seule source légitime du pouvoir, – que l'autorité législative n'est pas originale, mais déléguée, – ceux-là ne sauraient nier le droit d'ignorer l'État sans s'enfermer dans une absurdité. De même qu'un gouvernement ne peut justement agir pour le peuple que lorsqu'il y est autorisé par lui, de même il ne peut justement agir pour l'individu que lors qu'il y est autorisé par lui.

Citations

  • « La liberté individuelle s'exerce même dans le droit dont dispose chaque individu de choisir sa société. Ceux qui veulent nous persuader que ceux qui sont nés sous un gouvernement y sont naturellement sujets et n'ont plus de droit et de prétention à la liberté de l'état de nature, ne produisent d'autres raisons que celle-ci, savoir que nos pères ayant renoncé à leur liberté naturelle, et s'étant soumis à un gouvernement, se sont mis et ont mis leurs descendants dans l'obligation d'être perpétuellement sujets à ce gouvernement-là. Mais nul ne peut, par aucune convention, lier ses enfants ou sa postérité. Hors d'un contrat donnant-donnant, aucun acte du père ne peut plus ravir au fils la liberté qu'aucun acte d'aucun autre homme peut faire. » (John Locke, Second Traité du gouvernement civil, 1690)
  • « Un homme qui s'est joint à une société, a remis et donné ce pouvoir dont il s'agit, en consentant simplement de s'unir à une société politique, laquelle contient en elle-même toute la convention, qui est ou qui doit être, entre des particuliers qui se joignent pour former une communauté. Tellement que ce qui a donné naissance à une société politique et qui l'a établie, n'est autre chose que le consentement d'un certain nombre d'hommes libres, capables d'être représentés par le plus grand nombre d'entre eux, et c'est cela, et cela seul qui peut avoir donné commencement dans le monde à un gouvernement légitime. » (id.)
  • « Le pouvoir politique tire son origine de la convention et du consentement mutuel de ceux qui se sont joints pour composer une société. » (id.)
  • « Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. [...] L'État à l'égard de ses membres est maître de tous leurs biens par le contrat social... mais il ne l'est que par le droit de premier occupant qu'il tient des particuliers. » (Rousseau)
  • « Le peuple, dit Rousseau, est souverain sous un rapport et sujet sous un autre : mais dans la pratique, ces deux rapports se confondent. Il est facile à l'autorité d'opprimer le peuple comme sujet, pour le forcer à manifester comme souverain la volonté qu'elle lui prescrit. » (Benjamin Constant)
  • « Si une portion considérable de la population estime que la Constitution est bonne, pourquoi ces gens ne la signent-ils pas, ne font-ils pas des lois pour eux-mêmes, qu'ils s’appliqueront les uns aux autres, laissant en paix les autres personnes (qui ne les troublent en rien)? Tant qu'ils ne l'ont pas expérimentée sur eux-mêmes, comment ont-ils l'audace d'imposer ou seulement de recommander la Constitution à autrui ? Manifestement, la raison de cette conduite si absurde et incohérente est que, s'ils soutiennent la Constitution, ce n'est pas seulement en vue de tout usage honnête et légitime pour eux-mêmes et les autres, mais en vue du pouvoir malhonnête et illégitime qu'elle leur donne sur la personne et les biens d'autrui. Sans cette dernière raison, tous leurs éloges de la Constitution, toutes leurs exhortations, tout l'argent et le sang qu'ils dépensent pour la soutenir n’existeraient pas. » (Lysander Spooner)
  • « Si le contrat social est indispensable parce que les individus ne tiennent pas leurs promesses dans l'état de nature, pourquoi alors respecteraient-ils ce contrat-là ? Ou bien les gens ont généralement intérêt à exécuter leurs contrats, et un grand contrat social est inutile; ou bien, l'intérêt personnel les pousse à violer leurs promesses, et le contrat social est impossible. Impossible ou extrêmement dangereux. En effet, une fois l'État souverain créé par le contrat social, qu'est-ce qui l'incitera à se cantonner dans son rôle de police du contrat? Le dilemme de l'état de nature revient au galop avec, cette fois-ci, la confrontation entre un Léviathan tout-puissant et une population désarmée. » (Pierre Lemieux)

Informations complémentaires

Bibliographie

  • 2022, John Thrasher, "Contractarianism", In: Benjamin Ferguson, Matt Zwolinski, dir., "The Routledge Companion to Libertarianism", London and New York: Routledge, pp56-67

Voir aussi

Liens externes

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