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==Définition==
== Définition de l'avortement ==


L''''avortement''' se définit comme l'interruption avant son terme du processus de gestation, laquelle débute par la conception (fécondation d'un ovule par un spermatozoïde formant ainsi un œuf, et qui conduit normalement à la naissance d'un nouvel individu de l'espèce). L'avortement existe pour toutes les espèces vivantes, nous ne nous intéressons ici qu'au cas de l'espèce humaine, et du point de vue du [[droit]] (plutôt que de celui de l'[[éthique]]), en particulier quant à l'opportunité de la pénalisation de l'interruption volontaire de grossesse (terme consacré désignant l'avortement volontaire). Dans cet article, le terme d'avortement désigne en fait l'IVG.
L''''avortement''' se définit comme l'interruption avant son terme du processus de gestation, laquelle débute par la conception (fécondation d'un ovule par un spermatozoïde formant ainsi un œuf, et qui conduit normalement à la naissance d'un nouvel individu de l'espèce). L'avortement existe pour beaucoup d'espèces vivantes, nous ne nous intéressons ici qu'au cas de l'espèce humaine, et du point de vue du [[droit]] (plutôt que de celui de l'[[éthique]]), en particulier quant à l'opportunité de la pénalisation de l'interruption volontaire de grossesse (terme consacré désignant l'avortement volontaire). Dans cet article, le terme d'avortement désigne en fait l'IVG.


==Les points de vue libéraux==
==Les points de vue libéraux==


Les [[libéral|libéraux]] aussi bien que les [[libertarien]]s n'ont pas une position unanime concernant l'avortement.
Les [[libéralisme|libéraux]] aussi bien que les [[libertarien]]s n'ont pas une position unanime concernant l'avortement.


Une partie des libéraux et des libertariens considèrent qu'un tel acte relève de la sphère privée (ce qui fut l'argument central aux [[États-Unis]] de la décision ''Roe vs Wade'') et défendent l'avortement, considérant soit que l’embryon n'est pas un être humain, soit que, même humain au sens biologique du terme, il n’est pas une "personne" au sens juridique du terme. D'autres libéraux et libertariens s'opposent à l'avortement, estimant que le [[droit à la vie]] est un [[droit]] inaliénable, y compris pour le fœtus ou l'embryon.
Une partie des libéraux et des libertariens considèrent qu'un tel acte relève de la sphère privée (ce qui fut l'argument central aux [[États-Unis]] de la décision ''Roe vs Wade'') et défendent l'avortement, considérant soit que l’embryon n'est pas un être humain, soit que, même humain au sens biologique du terme, il n’est pas une personne au sens juridique du terme. D'autres libéraux et libertariens s'opposent à l'avortement, estimant que le [[droit à la vie]] est un [[droit]] inaliénable, y compris pour le fœtus ou l'embryon.


La plupart s'accordent en revanche pour affirmer que l'[[État]] n'a pas à subventionner la pratique d'un tel acte.
La plupart s'accordent en revanche pour affirmer que l'[[État]] n'a pas à subventionner la pratique d'un tel acte.


Rares sont les théoriciens libéraux qui se sont exprimés sur le sujet. [[Murray Rothbard]], dans [[L'Éthique de la liberté]], considère comme conforme au [[droit naturel]] l'avortement à tout moment de la grossesse, au nom d'un droit de la femme sur son propre corps et de l'[[inaliénabilité de la volonté humaine]] (même si elle est volontaire, la conception n'est pas un engagement comparable à un [[contrat]]). La naissance serait la ligne de démarcation à partir de laquelle le bébé, tout en restant confié à la garde de ses parents jusqu'à ce qu'il devienne adulte et autonome, deviendrait "un être séparé et un adulte en puissance ; comme tel, il serait titulaire du droit de [[propriété]] de soi".
Rares sont les théoriciens libéraux qui se sont exprimés sur le sujet. [[Murray Rothbard]], dans ''[[L'Éthique de la liberté]]'', considère l'avortement, à tout moment de la grossesse, conforme au [[droit naturel]], au nom d'un droit de la femme sur son propre corps et de l'[[inaliénabilité de la volonté humaine]] (même si elle est volontaire, la conception n'est pas un engagement comparable à un [[contrat]]). La naissance serait la ligne de démarcation à partir de laquelle le bébé, tout en restant confié à la garde de ses parents jusqu'à ce qu'il devienne adulte et autonome, deviendrait « un être séparé et un adulte en puissance ; comme tel, il serait titulaire du droit de [[propriété]] de soi ».


[[Ayn Rand]] affirme de la même façon que seul un être "réel" peut avoir des droits, non un être "potentiel" : un enfant ne pourrait donc acquérir de droits avant d'être né.
[[Ayn Rand]] affirme de la même façon que seul un être « réel » peut avoir des droits, non un être « potentiel » : un [[enfant]] ne pourrait donc acquérir de droits avant d'être né.


Le point de vue d'[[Emmanuel Kant]] est jugé généralement un peu étrange : l'embryon est un être doté de la "dignité humaine" quand il est conçu dans le cadre d'une alliance librement consentie, le [[mariage]]. Hors mariage, il n'est pas un être pleinement libre, il s'est « glissé en contrebande dans le ventre de la mère », et le supprimer est un [[crime]] mineur.
Certaines positions utilitaristes extrêmes, qui vont jusqu'à justifier l'infanticide, sont encore très minoritaires :
{{citation bloc|Un bébé d'une semaine n'est pas un être rationnel conscient de soi. [...] Si le fœtus n'a pas droit à la vie comme une personne, le nouveau-né non plus.|Peter Singer|Questions d'éthique pratique}}


Un point de vue libertarien strictement propriétariste est le suivant. Un État a légalement le droit de vie et de [[mort]] sur les citoyens. Il n'en abuse pas. Un État n'a pas de légitimité à interdire un meurtre sur le pays voisin. Le ventre de la mère est une zone de droit qui ne concerne que la mère. Le ventre de la mère est comme un pays voisin. L'État n'a pas de légitimité à définir le Droit dans le sein d'une mère. A l'instar d'un État souverain, une mère détient le pouvoir légitime de décider la mort du fœtus. Une mère peut légitimement décider du meurtre du fœtus. Les tiers au ventre de la mère n'ont pas de compétence pour juger sa [[responsabilité]]. En cas de désaccord, et si le contrat entre époux le prévoit, le futur père peut valablement saisir un [[tribunal arbitral]] compétent.
Le point de vue d'[[Emmanuel Kant]] est jugé généralement un peu étrange : l'embryon est un être doté de la [[dignité]] humaine quand il est conçu dans le cadre d'une alliance librement consentie, le [[mariage]]. Hors mariage, il n'est pas un être pleinement libre, il s'est « glissé en contrebande dans le ventre de la mère », et le supprimer est un [[crime]] mineur.


L'argument des anti-avortement est que l'embryon (ou le fœtus) est un être humain et donc - selon le droit naturel mais également selon le principe général du droit "''Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur''" ("L’enfant simplement conçu est tenu pour né, chaque fois qu’il y va de ses intérêts") - jouirait de droits, et avant tout du [[droit à la vie]] : l'avortement serait donc toujours un meurtre, même dans le cas d'une grossesse non désirée, d'un viol ou d'un inceste (en cas de viol, il n'y aurait pas lieu d'avorter, mais ce serait au violeur de dédommager sa victime).
Un point de vue [[libertarien]] strictement [[Propriétarisme|propriétariste]] est le suivant : un État a légalement le droit de vie et de [[mort]] sur les citoyens. Il n'en abuse pas. Un État n'a pas de légitimité à interdire un meurtre sur le pays voisin. Le ventre de la mère est une zone de droit qui ne concerne que la mère. Le ventre de la mère est comme un pays voisin. L'État n'a pas de légitimité à définir le Droit dans le sein d'une mère. À l'instar d'un État souverain, une mère détient le pouvoir légitime de décider de la [[mort]] du fœtus. Les tiers au ventre de la mère n'ont pas de compétence pour juger sa [[responsabilité]]. En cas de désaccord, et si le contrat entre époux le prévoit, le futur père peut valablement saisir un [[tribunal arbitral]] compétent.


[[Walter Block]] adopte une position libertarienne intermédiaire, l'évictionnisme ([http://www.lewrockwell.com/block/block42.html]) : le fœtus non désiré serait considéré comme un intrus<ref>C'est évident dans le cas du viol, mais Block affirme que le rapport sexuel même consenti n'implique pas pour autant qu'on accepte la possibilité d'être enceinte qui en résulte.</ref> et devrait être traité comme tel par la mère, propriétaire de son propre corps, mais en adoptant la manière la moins violente possible (car il ne faut pas oublier que le fœtus est un innocent). L'éviction du fœtus, dans l'état actuel de la science, entraîne sa [[mort]], mais les progrès de la technologie pourraient un jour rendre possible sa survie (et des familles en quête d'enfant pourraient adopter le futur bébé).
L'argument des opposés à l'avortement est que l'embryon (ou le fœtus) est un être humain et donc - selon le droit naturel mais également selon le principe général du droit ''Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur'' (L’[[enfant]] simplement conçu est tenu pour né, chaque fois qu’il y va de ses intérêts) - jouirait de droits, et avant tout du [[droit à la vie]] : l'avortement serait donc toujours un meurtre, même dans le cas d'une grossesse non désirée, d'un viol ou d'un [[inceste]] (en cas de viol, il n'y aurait pas lieu d'avorter, mais ce serait au violeur de dédommager sa victime).


[[Bertrand Lemennicier]] aboutit à une conclusion semblable en raisonnant en termes de droits de [[propriété]], avec comme axiome ou prémisse de départ la ''[[propriété de soi-même]]''. Il y aurait conflit de droit de propriété entre le fœtus et la mère ; ce conflit se résoudrait très simplement par la règle du premier occupant. La femme serait par nature la première occupante de son corps, elle ne pourrait être contrainte de conserver dans son corps ni d'élever un être qu'elle jugerait comme indésirable. Le problème moral ne serait pas l'expulsion du fœtus en soi, mais le fait que l'expulsion entraîne la [[mort]]. Pour Lemennicier, qui milite également pour un marché de l'adoption libre, il n'y a pas besoin de loi pour ou contre l'avortement. Il faut tenir compte du dommage causé à la mère :
[[Walter Block]] adopte une position libertarienne intermédiaire, l'évictionnisme<ref>[http://archive.lewrockwell.com/block/block208.html A Not So Funny Thing Happened to Me in Tampa]</ref>) : le fœtus non désiré serait considéré comme un intrus<ref>C'est évident dans le cas du viol, mais Block affirme que le rapport sexuel même consenti n'implique pas pour autant qu'on accepte la possibilité d'être enceinte qui en résulte.</ref> et devrait être traité comme tel par la mère, propriétaire de son propre corps, mais en adoptant la manière la moins violente possible (car il ne faut pas oublier que le fœtus est un innocent). L'éviction du fœtus, dans l'état actuel de la science, entraîne sa [[mort]], mais les progrès de la technologie pourraient un jour rendre possible sa survie (et des familles en quête d'[[enfant]] pourraient adopter le futur bébé).
:Comme pour le locataire, l'expulsion devrait être ordonnée par un juge ou par une procédure d'arbitrage, la demande n'étant recevable que si l'on peut prouver qu'il y a un dommage réel et tangible à la fois pour la mère et l'enfant à naître. Dans tous les autres cas, l'abandon ou la vente des droits de garde à une autre famille s'imposerait. ([[Bertrand Lemennicier]], ''La morale face à l'économie'', 2005)
 
[[Bertrand Lemennicier]] aboutit à une conclusion semblable en raisonnant en termes de droits de [[propriété]], avec comme axiome ou prémisse de départ la ''[[propriété de soi-même]]''. Il y aurait conflit de droit de propriété entre le fœtus et la mère ; ce conflit se résoudrait très simplement par la règle du premier occupant. La femme serait par nature la première occupante de son corps, elle ne pourrait être contrainte de conserver dans son corps ni d'élever un être qu'elle jugerait indésirable. Le problème moral ne serait pas l'expulsion du fœtus en soi, mais le fait que l'expulsion entraîne la [[mort]]. Pour Lemennicier, qui milite également pour un marché de l'adoption libre, il n'y a pas besoin de loi pour ou contre l'avortement. Il faut tenir compte du dommage causé à la mère :
{{citation bloc|Comme pour le locataire, l'expulsion devrait être ordonnée par un juge ou par une procédure d'arbitrage, la demande n'étant recevable que si l'on peut prouver qu'il y a un dommage réel et tangible à la fois pour la mère et l'[[enfant]] à naître. Dans tous les autres cas, l'abandon ou la vente des droits de garde à une autre famille s'imposerait.|[[Bertrand Lemennicier]]|La morale face à l'économie'' (2005)}}


De même, [[Ron Paul]], politicien libertarien opposé à l'avortement, voit une solution dans la libéralisation de l'adoption :
De même, [[Ron Paul]], politicien libertarien opposé à l'avortement, voit une solution dans la libéralisation de l'adoption :
:La déréglementation du marché de l'adoption améliorerait sensiblement la situation. Cela permettrait plus facilement aux associations de trouver des parents adoptifs et de donner une compensation à la mère pour qu'elle puisse faire face aux dépenses et au coût d'opportunité liés à une grossesse menée à terme. ([[Liberty Defined]])
{{citation bloc|La déréglementation du marché de l'adoption améliorerait sensiblement la situation. Cela permettrait plus facilement aux associations de trouver des parents adoptifs et de donner une compensation à la mère pour qu'elle puisse faire face aux dépenses et au [[coût d'opportunité]] liés à une grossesse menée à terme.|Ron Paul|[[Liberty Defined]]}}


[[Martin Masse]] remarque que, si le fœtus est un intrus, la femme a agi d'une façon telle qu'elle a créée cette nouvelle vie ; elle est responsable de cette situation, et non pas la victime (sauf cas de viol). Il est favorable à interdire l'avortement au-delà d'un seuil, qu'il fixe à 3 mois<ref>[http://www.quebecoislibre.org/10/100615-2.htm Libertarians don't support free and unrestricted abortion], 15 juin 2010, [[Le Québécois Libre]].</ref>.
[[Martin Masse]] remarque que, si le fœtus est un intrus, la femme a agi d'une façon telle qu'elle a créé cette nouvelle vie ; elle est responsable de cette situation, et non pas la victime (sauf cas de viol). Il est favorable à interdire l'avortement au-delà d'un seuil, qu'il fixe à 3 mois<ref>[http://www.quebecoislibre.org/10/100615-2.htm Libertarians don't support free and unrestricted abortion], 15 juin 2010, [[Le Québécois Libre]].</ref>.


De même, [[Jim Sadowsky]] remarque que le fœtus ne peut être considéré comme un intrus, puisqu'il est en fait dans son "habitat naturel" ; et même s'il devait être considéré comme un intrus, il n'y a pas de raison de punir une intrusion par la mort. A cela, [[Doris Gordon]]<ref>[http://www.l4l.org/library/thomviol.html Abortion and Thomson's Violinist: Unplugging a Bad Analogy]</ref> (fondatrice de ''Libertarians For Life'') ajoute qu'à supposer qu'il y ait intrusion, elle est involontaire de la part du fœtus, et que si le fœtus est un agresseur, ses parents en sont la cause-même.
De même, [[Jim Sadowsky]] remarque que le fœtus ne peut être considéré comme un intrus, puisqu'il est en fait dans son habitat naturel ; et même s'il devait être considéré comme un intrus, il n'y a pas de raison de punir une intrusion par la [[mort]]. À cela, Doris Gordon<ref>[http://www.l4l.org/library/thomviol.html Abortion and Thomson's Violinist: Unplugging a Bad Analogy]</ref> (fondatrice de ''Libertarians For Life'') ajoute qu'à supposer qu'il y ait intrusion, elle est involontaire de la part du fœtus, et que si le fœtus est un agresseur, ses parents en sont la cause-même.


Les partis [[libertarien]]s, tels le [[Parti libertarien (États-Unis)|Libertarian Party]] aux [[États-Unis]], reconnaissant la forte charge d'émotion qui est portée sur le sujet et les positions retranchées des uns et des autres, ont choisi par prudence d'adopter une attitude neutre, ce qui évidemment ne satisfait ni les uns ni les autres.
Les partis [[libertarianisme|libertarien]]s, tels le [[Parti libertarien (États-Unis)|Libertarian Party]] aux [[États-Unis]], reconnaissant la forte charge émotionnelle sur le sujet, et les positions retranchées des uns et des autres, ont choisi par prudence d'adopter une attitude neutre, ce qui évidemment ne satisfait ni les uns ni les autres.


== Les questions de fond ==
== Les questions de fond ==
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Il s'agit de questions auxquelles un débat sur l'avortement mène le plus souvent, et qui divisent les libéraux.
Il s'agit de questions auxquelles un débat sur l'avortement mène le plus souvent, et qui divisent les libéraux.


* A partir de quand est-on un être humain, ou tout du moins un "être juridique" jouissant de droits, notamment du [[droit à la vie]] ?<ref>Réponses fréquentes à cette question :
* À partir de quand est-on un être humain, ou tout du moins un « être juridique » jouissant de droits, notamment du [[droit à la vie]] ?<ref>Réponses fréquentes à cette question :
* on jouit de droits de par la seule qualité d'être humain (même à l'état potentiel, comme le fœtus ou l'embryon) ;
* on jouit de droits de par la seule qualité d'être humain (même à l'état potentiel, comme le fœtus ou l'embryon) ;
* on jouit de droits dès qu'on est capable de revendiquer ces droits et de disposer de la faculté matérielle de s'opposer moralement à une agression (donc pas de droit pour le fœtus, l'embryon, le handicapé physique, l'animal...);
* on jouit de droits dès qu'on est capable de les revendiquer et de disposer de la faculté matérielle de s'opposer moralement à une agression (donc pas de droit pour le fœtus, l'embryon, le handicapé physique, l'animal...) ;
* on jouit de droits dès qu'on est capable d'exister de façon autonome (i.e. de subvenir à ses besoins : cas d'un mineur émancipé, par exemple, mais aussi d'un animal, pour certains).</ref> On sait que le [[droit positif]] (la législation sur l'avortement) varie beaucoup sur ce point d'un pays à l'autre. Il y a un écart important entre la position des anti-avortement, pour qui on est un être humain dès la conception, et les positions pro-avortement (par exemple [[rothbardien]]nes ou [[randien]]nes) pour lesquelles on n'est un être jouissant de droits qu'à la naissance. On peut noter que les mêmes dissensions existent entre les différentes [[religion]]s, l'ovule fécondé, puis l'embryon, puis le fœtus ayant des statuts variables.  
* on jouit de droits dès qu'on est capable d'exister de façon autonome (de subvenir à ses besoins : cas d'un mineur émancipé, par exemple, mais aussi d'un animal, pour certains) ;
* on jouit de droits quand on est capable de conscience morale.</ref> On sait que le [[droit positif]] (la législation sur l'avortement) varie beaucoup sur ce point d'un pays à l'autre. Il existe un écart important entre la position des anti-avortement, pour qui on est un être humain dès la conception, et les positions pro-avortement (par exemple [[rothbardien]]nes ou [[randien]]nes) pour lesquelles on n'est un être jouissant de droits qu'à la naissance. On peut noter que les mêmes dissensions existent entre les différentes [[religion]]s, l'ovule fécondé, puis l'embryon, puis le fœtus ayant des statuts variables<ref>Par exemple, pour l'Église catholique, l'ovule fécondé constitue un être humain en puissance et doit donc être respecté ; pour le bouddhisme, ce n'est que lorsque la conscience apparaît que les règles éthiques s'appliquent, en dehors de cela on n'a affaire qu'à un tissu vivant.</ref>.  


* L'avortement est-il exclusivement une affaire privée ou doit-il être pénalisé ? Cette question est problématique dans une perspective libertarienne, où le droit public et le [[droit pénal]] (qui fait partie du droit public) n'existent plus, et où l'on ne peut aller en justice que pour réclamer réparation d'un tort qu'on a ''soi-même'' subi : de quel droit quelqu'un d'étranger à l'affaire peut-il réclamer la pénalisation d'un avortement si la famille est consentante ? Et si pénalisation il y a, quelle peine doit-elle être infligée ? Doit-on appliquer la même peine que pour un homicide comme le suggèrent les arguments anti-avortement ?<ref>En France, l'avortement a longtemps été pénalisé, passible des travaux forcés à perpétuité, voire de la [[peine de mort]]. Ainsi, la dernière « faiseuse d'anges », Marie-Louise Giraud, avorteuse pendant la guerre, a été guillotinée le 30 juillet 1943.</ref>
* L'avortement est-il exclusivement une affaire privée ou doit-il être pénalisé ? Cette question est problématique dans une perspective libertarienne, où le droit public et le [[droit pénal]] (qui fait partie du droit public) n'existent plus, et où l'on ne peut aller en justice que pour réclamer réparation d'un tort qu'on a ''soi-même'' subi : de quel droit quelqu'un d'étranger à l'affaire peut-il réclamer la pénalisation d'un avortement si la famille est consentante ? Et si pénalisation il y a, quelle peine doit-elle être infligée ? Doit-on appliquer la même peine que pour un homicide, comme le suggèrent les arguments anti-avortement ?<ref>En France, l'avortement a longtemps été pénalisé, passible des travaux forcés à perpétuité, voire de la [[peine de mort]]. Ainsi, la dernière « faiseuse d'anges », Marie-Louise Giraud, avorteuse pendant la guerre, a été guillotinée le 30 juillet 1943.</ref>


==Une conclusion provisoire ==
==Une conclusion provisoire ==
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Quelle que soit la position des libéraux, tous rejettent l'idée de faire "payer", par le biais des cotisations sociales, les personnes opposées à l'avortement, puisque cela consisterait en une manifestation de violence que l'État fait à leur endroit, car on leur impose un paiement pour un service médical qui ne les concerne pas et auquel ils sont défavorables.
Quelle que soit la position des libéraux, tous rejettent l'idée de faire "payer", par le biais des cotisations sociales, les personnes opposées à l'avortement, puisque cela consisterait en une manifestation de violence que l'État fait à leur endroit, car on leur impose un paiement pour un service médical qui ne les concerne pas et auquel ils sont défavorables.


[[Harry Browne]] rappelle l'essentiel d'un point de vue libertarien<ref>[http://harrybrowne.org/articles/Abortion.htm The Libertarian stand on abortion]</ref> :
[[Harry Browne]] rappelle l'essentiel d'un point de vue libertarien<ref>[https://web.archive.org/web/20050207165136/http://www.harrybrowne.org/articles/Abortion.htm The Libertarian stand on abortion]</ref> :
:Quel que soit notre point de vue sur l'avortement, nous savons une chose : le gouvernement n'est pas la réponse, il est incapable d'éliminer les avortements, tout comme il est incapable d'éliminer la pauvreté ou la drogue.
{{citation bloc|Quel que soit notre point de vue sur l'avortement, nous savons une chose : le gouvernement n'est pas la réponse, il est incapable d'éliminer les avortements, tout comme il est incapable d'éliminer la [[pauvreté]] ou la [[drogue]].}}


Certains libertariens affirment ainsi qu'une telle question est d'ordre philosophique ou religieux, et ne doit pas (et ne peut pas) être résolue de façon politique ; il est vraisemblable que sur cette base, dans une société [[anarcho-capitaliste]] libérée du [[droit positif]] étatique, chacun s'en tiendrait à ses convictions sans chercher à les imposer aux autres. Ainsi, dans la description que fait [[David Friedman]] d'une société libertarienne (voir ''[[Vers une société sans État]]''), différents tribunaux pourraient appliquer concurremment différentes législations, certaines pouvant être favorables à l'avortement, d'autres non (Friedman prend en fait comme exemple la [[peine de mort]], ce qui se transpose facilement au cas de figure de l'avortement).
Certains libertariens affirment ainsi qu'une telle question est d'ordre philosophique ou religieux, et ne doit pas (et ne peut pas) être résolue de façon politique ; il est vraisemblable que sur cette base, dans une société [[anarcho-capitaliste]] libérée du [[droit positif]] étatique, chacun s'en tiendrait à ses convictions sans chercher à les imposer aux autres. Ainsi, dans la description que fait [[David Friedman]] d'une société libertarienne (voir ''[[Vers une société sans État]]''), différents tribunaux pourraient appliquer concurremment différentes législations, certaines pouvant être favorables à l'avortement, d'autres non (Friedman prend en fait comme exemple la [[peine de mort]], ce qui se transpose facilement au cas de figure de l'avortement). De même, ces législations pourraient (ou non) proposer/imposer à leurs adhérents une protection des handicapés, des orphelins, des animaux, etc.


== Notes et références ==
== Notes et références ==
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== Bibliographie ==
== Bibliographie ==


* [[1978]], [[Roger E. Bissell]], [http://www.rogerbissell.com/id11dd.html "Block on Abortion"], The Libertarian Forum, March-April, p4
* [[1978]], [[Roger E. Bissell]], [https://web.archive.org/web/20101129033246/http://www.rogerbissell.com/id11dd.html "Block on Abortion"], The Libertarian Forum, March-April, p4


* [[1981]], [[Roger E. Bissell]], [http://www.rogerbissell.com/id11jj.html "A Calm Look at Abortion Arguments"], [[Reason magazine]], September
* [[1981]], [[Roger E. Bissell]], [https://web.archive.org/web/20101129031209/http://www.rogerbissell.com/id11jj.html "A Calm Look at Abortion Arguments"], ''[[Reason]]'', September


* [[1999]], Doris Gordon, “Abortion and Rights: Applying Libertarian Principles Correctly”, International Journal of Sociology and Social Policy, Vol 19, pp97–127
* [[1999]], Doris Gordon, “Abortion and Rights: Applying Libertarian Principles Correctly”, International Journal of Sociology and Social Policy, Vol 19, pp97–127
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* [[2002]], [[Alexander Tabarrok]], “Abortion and Liberty”, In: [[Wendy McElroy]], dir., "Liberty for Women: Freedom and Feminism in the Twenty-First Century", Chicago: Ivan R. Dee
* [[2002]], [[Alexander Tabarrok]], “Abortion and Liberty”, In: [[Wendy McElroy]], dir., "Liberty for Women: Freedom and Feminism in the Twenty-First Century", Chicago: Ivan R. Dee


* [[2004]], [[Edward Feser]], [http://mises.org/journals/jls/18_3/18_3_5.pdf Self-Ownership, Abortion, and the Rights of Children: Toward a more Conservative Libertarianism], Journal of Libertarian Studies, Vol 18, n°3, Summer, pp91-114
* [[2004]], [[Edward Feser]], [http://mises.org/journals/jls/18_3/18_3_5.pdf Self-Ownership, Abortion, and the Rights of Children: Toward a more Conservative Libertarianism], ''[[Journal of Libertarian Studies]]'', Vol 18, n°3, Summer, pp91-114


* [[2005]], [[Walter Block]] et Roy Whitehead. Compromising the Uncompromisable: A Private Property Rights Approach to Resolving the Abortion Controversy, Appalachian Law Review, Vol 4, n°2, pp1-45
* [[2005]], [[Walter Block]], Roy Whitehead, "Compromising the Uncompromisable: A Private Property Rights Approach to Resolving the Abortion Controversy", Appalachian Law Review, Vol 4, n°2, pp1-45


* [[2008]], [[Wendy McElroy]], [ftp://ftp.sagepub.com/SAGE_US%20Library%20and%20Reference%20Documents/EBSCO%20SRO/Hamowy%20-%20PDF%20-%20Encyclopedia%20of%20Libertarianism%20%28libertarianism%29/Hamowy%20%28Encyc%29%20Final%20Pdf.pdf#page=40 "Abortion"], In: [[Ronald Hamowy]], dir., [ftp://ftp.sagepub.com/SAGE_US%20Library%20and%20Reference%20Documents/EBSCO%20SRO/Hamowy%20-%20PDF%20-%20Encyclopedia%20of%20Libertarianism%20%28libertarianism%29/Hamowy%20%28Encyc%29%20Final%20Pdf.pdf "The Encyclopedia of Libertarianism"], [[Cato Institute]] - Sage Publications, pp2-3
* [[2006]], Charles Denison, [https://archive.org/details/americanconserva0000unse_z7z2/page/52/mode/1up? "Abortion"], In: Bruce Frohen, Jeremy Beer, Jeffrey O. Nelson, dir., [https://archive.org/details/americanconserva0000unse_z7z2/page/52/mode/1up? "American conservatism: an encyclopedia"], Wilmington, Del.: ISI Books, pp1-4


==Liens externes (en) ==
* [[2008]],  
* [http://en.wikipedia.org/wiki/Roe_v._Wade Roe v. Wade, sur l'anticonstitutionnalité de l'interdiction de l'avortement aux États-Unis], wikipedia.en
** [[Wendy McElroy]], "Abortion", In: [[Ronald Hamowy]], dir., "The Encyclopedia of Libertarianism", Cato Institute/Sage Publications, pp2-4
* [http://en.wikipedia.org/wiki/Libertarians_for_Life Libertarians for Life (libertariens anti-avortement)], wikipedia.en
** Patty Skuster, “Abortion Is a Human Rights Issue", The Abortion Magazine, Winter, pp2-3
* [http://www.pro-choicelibertarians.net/ Pro-Choice Libertarians (libertariens pro-avortement)], site officiel
* [http://www.friesian.com/abortion.htm Abortion as seen by the Kant-Friesian School]
* [http://libertarianwiki.org/Abortion Abortion] sur le wiki Libertarian
* [http://www.anthonyflood.com/sadowskyabortion.htm Échange entre le père James A. Sadowski et [[Murray Rothbard]] sur l'avortement]
* [http://www.cato-at-liberty.org/2007/11/16/what-about-fetal-rights/ What about Fetal Rights?]
 
==Liens externes (fr) ==
* [http://www.eleves.ens.fr/pollens/seminaire/seances/embryon/resume.htm "Les droits de l’embryon (fœtus) humain et la notion de personne humaine potentielle"]
* Collectif, [http://www.quebecoislibre.org/031108-9.htm "Le droit à l'avortement est-il fondé d'un point de vue libéral ?"], ''[[Le Québécois Libre]]'' n°132, nov. 2003.
* [[Marc Grunert]] : [http://www.pageliberale.org/?p=1380 "Avortement"], ''La Page libérale'', août 2005 ; [http://www.quebecoislibre.org/05/050815-3.htm L'avortement est un crime] (''[[Le Québécois Libre]]'', août 2005)
* Erwan Quéinnec, [http://www.quebecoislibre.org/05/050915-12.htm "Et si l'avortement était une liberté ?"], ''[[Le Québécois Libre]]'', sept. 2005
* [[Bertrand Lemennicier]], [http://lemennicier.bwm-mediasoft.com/displayArticle.php?articleId=253 "L'avortement, un permis de tuer ?"]
* [http://www.enquete-debat.fr/archives/debat-historique-sur-lavortement-59644 Débat historique sur l’avortement] (Enquête & Débat)


== Liens externes ==
* {{en}}[http://en.wikipedia.org/wiki/Roe_v._Wade Roe v. Wade, sur l'anticonstitutionnalité de l'interdiction de l'avortement aux États-Unis], wikipedia.en
* {{en}}[http://en.wikipedia.org/wiki/Libertarians_for_Life Libertarians for Life (libertariens anti-avortement)], wikipedia.en
* {{en}}[http://www.friesian.com/abortion.htm Abortion as seen by the Kant-Friesian School]
* {{en}}[http://www.anthonyflood.com/sadowskyabortion.htm Échange entre le père James A. Sadowski et Murray Rothbard sur l'avortement]
* {{en}}[https://www.cato.org/blog/what-about-fetal-rights What about Fetal Rights?]
* {{en}}{{pdf}}[https://web.archive.org/web/20100705114916/http://files.meetup.com/504095/Ron%20Paul-Abortion%20and%20Liberty.pdf Abortion and Liberty] ([[Ron Paul]])
* {{fr}}[http://www.quebecoislibre.org/031108-9.htm "Le droit à l'avortement est-il fondé d'un point de vue libéral ?"], ''[[Le Québécois Libre]]'' n°132, nov. 2003.
* {{fr}}[http://www.pageliberale.org/?p=1380 "Avortement"], ''La Page libérale'', août 2005 ; [http://www.quebecoislibre.org/05/050815-3.htm L'avortement est un crime] (''[[Le Québécois Libre]]'', août 2005), par [[Marc Grunert]]
* {{fr}}[http://www.quebecoislibre.org/05/050915-12.htm "Et si l'avortement était une liberté ?"], ''[[Le Québécois Libre]]'', sept. 2005, par [[Erwan Queinnec]]
* {{fr}}[https://web.archive.org/web/20160310072322/http://lemennicier.bwm-mediasoft.com/displayArticle.php?articleId=253 "L'avortement, un permis de tuer ?"], par [[Bertrand Lemennicier]]
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Définition de l'avortement

L'avortement se définit comme l'interruption avant son terme du processus de gestation, laquelle débute par la conception (fécondation d'un ovule par un spermatozoïde formant ainsi un œuf, et qui conduit normalement à la naissance d'un nouvel individu de l'espèce). L'avortement existe pour beaucoup d'espèces vivantes, nous ne nous intéressons ici qu'au cas de l'espèce humaine, et du point de vue du droit (plutôt que de celui de l'éthique), en particulier quant à l'opportunité de la pénalisation de l'interruption volontaire de grossesse (terme consacré désignant l'avortement volontaire). Dans cet article, le terme d'avortement désigne en fait l'IVG.

Les points de vue libéraux

Les libéraux aussi bien que les libertariens n'ont pas une position unanime concernant l'avortement.

Une partie des libéraux et des libertariens considèrent qu'un tel acte relève de la sphère privée (ce qui fut l'argument central aux États-Unis de la décision Roe vs Wade) et défendent l'avortement, considérant soit que l’embryon n'est pas un être humain, soit que, même humain au sens biologique du terme, il n’est pas une personne au sens juridique du terme. D'autres libéraux et libertariens s'opposent à l'avortement, estimant que le droit à la vie est un droit inaliénable, y compris pour le fœtus ou l'embryon.

La plupart s'accordent en revanche pour affirmer que l'État n'a pas à subventionner la pratique d'un tel acte.

Rares sont les théoriciens libéraux qui se sont exprimés sur le sujet. Murray Rothbard, dans L'Éthique de la liberté, considère l'avortement, à tout moment de la grossesse, conforme au droit naturel, au nom d'un droit de la femme sur son propre corps et de l'inaliénabilité de la volonté humaine (même si elle est volontaire, la conception n'est pas un engagement comparable à un contrat). La naissance serait la ligne de démarcation à partir de laquelle le bébé, tout en restant confié à la garde de ses parents jusqu'à ce qu'il devienne adulte et autonome, deviendrait « un être séparé et un adulte en puissance ; comme tel, il serait titulaire du droit de propriété de soi ».

Ayn Rand affirme de la même façon que seul un être « réel » peut avoir des droits, non un être « potentiel » : un enfant ne pourrait donc acquérir de droits avant d'être né.

Certaines positions utilitaristes extrêmes, qui vont jusqu'à justifier l'infanticide, sont encore très minoritaires :

« Un bébé d'une semaine n'est pas un être rationnel conscient de soi. [...] Si le fœtus n'a pas droit à la vie comme une personne, le nouveau-né non plus. »
    — Peter Singer, Questions d'éthique pratique

Le point de vue d'Emmanuel Kant est jugé généralement un peu étrange : l'embryon est un être doté de la dignité humaine quand il est conçu dans le cadre d'une alliance librement consentie, le mariage. Hors mariage, il n'est pas un être pleinement libre, il s'est « glissé en contrebande dans le ventre de la mère », et le supprimer est un crime mineur.

Un point de vue libertarien strictement propriétariste est le suivant : un État a légalement le droit de vie et de mort sur les citoyens. Il n'en abuse pas. Un État n'a pas de légitimité à interdire un meurtre sur le pays voisin. Le ventre de la mère est une zone de droit qui ne concerne que la mère. Le ventre de la mère est comme un pays voisin. L'État n'a pas de légitimité à définir le Droit dans le sein d'une mère. À l'instar d'un État souverain, une mère détient le pouvoir légitime de décider de la mort du fœtus. Les tiers au ventre de la mère n'ont pas de compétence pour juger sa responsabilité. En cas de désaccord, et si le contrat entre époux le prévoit, le futur père peut valablement saisir un tribunal arbitral compétent.

L'argument des opposés à l'avortement est que l'embryon (ou le fœtus) est un être humain et donc - selon le droit naturel mais également selon le principe général du droit Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (L’enfant simplement conçu est tenu pour né, chaque fois qu’il y va de ses intérêts) - jouirait de droits, et avant tout du droit à la vie : l'avortement serait donc toujours un meurtre, même dans le cas d'une grossesse non désirée, d'un viol ou d'un inceste (en cas de viol, il n'y aurait pas lieu d'avorter, mais ce serait au violeur de dédommager sa victime).

Walter Block adopte une position libertarienne intermédiaire, l'évictionnisme[1]) : le fœtus non désiré serait considéré comme un intrus[2] et devrait être traité comme tel par la mère, propriétaire de son propre corps, mais en adoptant la manière la moins violente possible (car il ne faut pas oublier que le fœtus est un innocent). L'éviction du fœtus, dans l'état actuel de la science, entraîne sa mort, mais les progrès de la technologie pourraient un jour rendre possible sa survie (et des familles en quête d'enfant pourraient adopter le futur bébé).

Bertrand Lemennicier aboutit à une conclusion semblable en raisonnant en termes de droits de propriété, avec comme axiome ou prémisse de départ la propriété de soi-même. Il y aurait conflit de droit de propriété entre le fœtus et la mère ; ce conflit se résoudrait très simplement par la règle du premier occupant. La femme serait par nature la première occupante de son corps, elle ne pourrait être contrainte de conserver dans son corps ni d'élever un être qu'elle jugerait indésirable. Le problème moral ne serait pas l'expulsion du fœtus en soi, mais le fait que l'expulsion entraîne la mort. Pour Lemennicier, qui milite également pour un marché de l'adoption libre, il n'y a pas besoin de loi pour ou contre l'avortement. Il faut tenir compte du dommage causé à la mère :

« Comme pour le locataire, l'expulsion devrait être ordonnée par un juge ou par une procédure d'arbitrage, la demande n'étant recevable que si l'on peut prouver qu'il y a un dommage réel et tangible à la fois pour la mère et l'enfant à naître. Dans tous les autres cas, l'abandon ou la vente des droits de garde à une autre famille s'imposerait. »
    — Bertrand Lemennicier, La morale face à l'économie (2005)

De même, Ron Paul, politicien libertarien opposé à l'avortement, voit une solution dans la libéralisation de l'adoption :

« La déréglementation du marché de l'adoption améliorerait sensiblement la situation. Cela permettrait plus facilement aux associations de trouver des parents adoptifs et de donner une compensation à la mère pour qu'elle puisse faire face aux dépenses et au coût d'opportunité liés à une grossesse menée à terme. »
    — Ron Paul, Liberty Defined

Martin Masse remarque que, si le fœtus est un intrus, la femme a agi d'une façon telle qu'elle a créé cette nouvelle vie ; elle est responsable de cette situation, et non pas la victime (sauf cas de viol). Il est favorable à interdire l'avortement au-delà d'un seuil, qu'il fixe à 3 mois[3].

De même, Jim Sadowsky remarque que le fœtus ne peut être considéré comme un intrus, puisqu'il est en fait dans son habitat naturel ; et même s'il devait être considéré comme un intrus, il n'y a pas de raison de punir une intrusion par la mort. À cela, Doris Gordon[4] (fondatrice de Libertarians For Life) ajoute qu'à supposer qu'il y ait intrusion, elle est involontaire de la part du fœtus, et que si le fœtus est un agresseur, ses parents en sont la cause-même.

Les partis libertariens, tels le Libertarian Party aux États-Unis, reconnaissant la forte charge émotionnelle sur le sujet, et les positions retranchées des uns et des autres, ont choisi par prudence d'adopter une attitude neutre, ce qui évidemment ne satisfait ni les uns ni les autres.

Les questions de fond

Il s'agit de questions auxquelles un débat sur l'avortement mène le plus souvent, et qui divisent les libéraux.

  • À partir de quand est-on un être humain, ou tout du moins un « être juridique » jouissant de droits, notamment du droit à la vie ?[5] On sait que le droit positif (la législation sur l'avortement) varie beaucoup sur ce point d'un pays à l'autre. Il existe un écart important entre la position des anti-avortement, pour qui on est un être humain dès la conception, et les positions pro-avortement (par exemple rothbardiennes ou randiennes) pour lesquelles on n'est un être jouissant de droits qu'à la naissance. On peut noter que les mêmes dissensions existent entre les différentes religions, l'ovule fécondé, puis l'embryon, puis le fœtus ayant des statuts variables[6].
  • L'avortement est-il exclusivement une affaire privée ou doit-il être pénalisé ? Cette question est problématique dans une perspective libertarienne, où le droit public et le droit pénal (qui fait partie du droit public) n'existent plus, et où l'on ne peut aller en justice que pour réclamer réparation d'un tort qu'on a soi-même subi : de quel droit quelqu'un d'étranger à l'affaire peut-il réclamer la pénalisation d'un avortement si la famille est consentante ? Et si pénalisation il y a, quelle peine doit-elle être infligée ? Doit-on appliquer la même peine que pour un homicide, comme le suggèrent les arguments anti-avortement ?[7]

Une conclusion provisoire

Quelle que soit la position des libéraux, tous rejettent l'idée de faire "payer", par le biais des cotisations sociales, les personnes opposées à l'avortement, puisque cela consisterait en une manifestation de violence que l'État fait à leur endroit, car on leur impose un paiement pour un service médical qui ne les concerne pas et auquel ils sont défavorables.

Harry Browne rappelle l'essentiel d'un point de vue libertarien[8] :

« Quel que soit notre point de vue sur l'avortement, nous savons une chose : le gouvernement n'est pas la réponse, il est incapable d'éliminer les avortements, tout comme il est incapable d'éliminer la pauvreté ou la drogue. »

Certains libertariens affirment ainsi qu'une telle question est d'ordre philosophique ou religieux, et ne doit pas (et ne peut pas) être résolue de façon politique ; il est vraisemblable que sur cette base, dans une société anarcho-capitaliste libérée du droit positif étatique, chacun s'en tiendrait à ses convictions sans chercher à les imposer aux autres. Ainsi, dans la description que fait David Friedman d'une société libertarienne (voir Vers une société sans État), différents tribunaux pourraient appliquer concurremment différentes législations, certaines pouvant être favorables à l'avortement, d'autres non (Friedman prend en fait comme exemple la peine de mort, ce qui se transpose facilement au cas de figure de l'avortement). De même, ces législations pourraient (ou non) proposer/imposer à leurs adhérents une protection des handicapés, des orphelins, des animaux, etc.

Notes et références

  1. A Not So Funny Thing Happened to Me in Tampa
  2. C'est évident dans le cas du viol, mais Block affirme que le rapport sexuel même consenti n'implique pas pour autant qu'on accepte la possibilité d'être enceinte qui en résulte.
  3. Libertarians don't support free and unrestricted abortion, 15 juin 2010, Le Québécois Libre.
  4. Abortion and Thomson's Violinist: Unplugging a Bad Analogy
  5. Réponses fréquentes à cette question :
    • on jouit de droits de par la seule qualité d'être humain (même à l'état potentiel, comme le fœtus ou l'embryon) ;
    • on jouit de droits dès qu'on est capable de les revendiquer et de disposer de la faculté matérielle de s'opposer moralement à une agression (donc pas de droit pour le fœtus, l'embryon, le handicapé physique, l'animal...) ;
    • on jouit de droits dès qu'on est capable d'exister de façon autonome (de subvenir à ses besoins : cas d'un mineur émancipé, par exemple, mais aussi d'un animal, pour certains) ;
    • on jouit de droits quand on est capable de conscience morale.
  6. Par exemple, pour l'Église catholique, l'ovule fécondé constitue un être humain en puissance et doit donc être respecté ; pour le bouddhisme, ce n'est que lorsque la conscience apparaît que les règles éthiques s'appliquent, en dehors de cela on n'a affaire qu'à un tissu vivant.
  7. En France, l'avortement a longtemps été pénalisé, passible des travaux forcés à perpétuité, voire de la peine de mort. Ainsi, la dernière « faiseuse d'anges », Marie-Louise Giraud, avorteuse pendant la guerre, a été guillotinée le 30 juillet 1943.
  8. The Libertarian stand on abortion

Bibliographie

  • 1999, Doris Gordon, “Abortion and Rights: Applying Libertarian Principles Correctly”, International Journal of Sociology and Social Policy, Vol 19, pp97–127
  • 2005, Walter Block, Roy Whitehead, "Compromising the Uncompromisable: A Private Property Rights Approach to Resolving the Abortion Controversy", Appalachian Law Review, Vol 4, n°2, pp1-45
  • 2008,
    • Wendy McElroy, "Abortion", In: Ronald Hamowy, dir., "The Encyclopedia of Libertarianism", Cato Institute/Sage Publications, pp2-4
    • Patty Skuster, “Abortion Is a Human Rights Issue", The Abortion Magazine, Winter, pp2-3

Liens externes


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