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Thomas Johnson
Thomas L. Johnson[1] est un universitaire américain, professeur de biologie et spécialiste de l’embryologie des chordés[2] à Mary Washington College (Université de Virginie). Actif dans les années 1960-1970, il s’est intéressé aux questions de société et d’éducation dans une perspective libérale. Auteur d'un pamphlet The Declaration of Educational Independence, difficilement accessible, il a contribué à plusieurs articles dans les revues comme The Freeman et Reason, où il a développé une critique de l’école obligatoire et des institutions autoritaires.
Biographie intellectuelle
Thomas L. Johnson fut professeur à l’Université de Virginie, plus précisément au Mary Washington College. Sa carrière d’enseignant et de chercheur en sciences naturelles s’accompagna très tôt d’un engagement intellectuel plus large, centré sur les débats de société liés à la liberté individuelle, à l’éducation et au rôle de l’État.
Inscrit dans le mouvement libertarien américain, il publia des articles incisifs sur l’école obligatoire, la bureaucratie éducative et la coercition institutionnelle. Il est aussi l’auteur de The Declaration of Educational Independence, un manifeste où il appelle à rompre avec l’éducation autoritaire et à lui substituer un modèle fondé sur le libre choix et l’initiative privée.
Sa pensée s’est nourrie de dialogues intellectuels avec plusieurs figures marquantes : l’inspiration de Rose Wilder Lane, notamment à travers du livre qui lui a été consacré dirigé par Roger MacBride, The Lady and the Tycoon ; la proximité d’idées avec Benjamin Rogge et Pierre Goodrich ; la résonance avec les analyses de Murray Rothbard, John Holt et Maria Montessori. Ces influences l’inscrivent pleinement dans la galaxie libertarienne américaine des années 1970, dont la postérité reste discrète mais avec une place singulière par sa capacité à croiser les sciences naturelles, la critique éducative et la philosophie politique.
Fondements philosophiques et anthropologiques
Au cœur de la pensée de Thomas Johnson se trouve l’idée que l’homme est un être de libre arbitre. Héritier de la tradition chrétienne comme de la philosophie libérale, il insiste sur le fait que la liberté n’est pas seulement une donnée politique, mais la condition même de la responsabilité morale : sans choix, il ne peut y avoir de véritable acte éthique. C’est pourquoi il récuse toute confusion entre la charité chrétienne et la redistribution fiscale, car « un acte de charité ne peut être chrétien que lorsqu’il implique l’application du libre arbitre »[3].
Cette conception le conduit à une critique radicale de la coercition. Pour lui, l’essence du gouvernement est la force, et ses institutions, qu’il s’agisse du système fiscal ou de l’école obligatoire, fonctionnent sur le mode de l’obéissance imposée. Or, force et liberté étant antinomiques, tout système éducatif, religieux ou politique fondé sur la contrainte est destructeur de l’individualité et incompatible avec une société libre.
Thomas Johnson développe une image particulièrement marquante dans son essai The Foundation of Freedom[4]. Il y décrit le fléau, qu'il invente, de la « Platonitis », maladie mentale collective née des environnements autoritaires, inspirée par l’héritage platonicien d’une société hiérarchisée et disciplinée. Cette « pathologie de l’esprit » se manifeste par la passivité, la dépendance à l’autorité et la peur de penser par soi-même. Selon lui, les institutions coercitives, en particulier l’école traditionnelle, inculquent aux enfants cette déformation psychologique, les rendant incapables d’exercer pleinement leur faculté rationnelle et de devenir des individus autonomes.
La guérison passe donc par la mise en place d’un environnement éducatif et social respectueux de l’individualité, où chaque personne peut exercer son jugement et développer son esprit sans contrainte extérieure. C’est dans cette perspective qu’il rejoint les intuitions de Maria Montessori sur la nécessité d’un climat éducatif fondé sur l’initiative personnelle et la liberté de choix[5], tout en inscrivant son propos dans une philosophie libertarienne cohérente, qui associe liberté individuelle, responsabilité morale et rejet de la coercition.
Religion, morale et liberté
Dans ses écrits, Thomas Johnson s’attache à montrer que la liberté n’est pas seulement une exigence politique, mais aussi une nécessité morale et spirituelle. Dans son essai Christian Charity vs. Government Welfare[6], il rappelle que l’un des fondements du christianisme est la reconnaissance du libre arbitre : un individu est responsable de ses actes parce qu’il peut choisir. De là découle une conviction majeure : un acte de charité n’a de valeur chrétienne que s’il est accompli volontairement, par décision personnelle.
À l’inverse, la redistribution fiscale et les programmes publics de l'État-providence représentent pour Johnson une contradiction directe avec la morale chrétienne. La contrainte exercée par l’impôt transforme l’aide en une charité par la force qui n’est ni charitable ni morale. L’État, en confisquant les ressources des uns pour les redistribuer aux autres, commet une forme de vol indirect, tout en privant les donateurs comme les bénéficiaires de l’expérience authentique de la charité.
Thomas Johnson souligne également les effets pervers de cette confiscation organisée : les ressources disponibles pour les initiatives privées se réduisent, étouffant la générosité volontaire ; les bénéficiaires eux-mêmes risquent d’être enfermés dans une logique de dépendance et de parasitisme social. Ainsi, loin de renforcer les liens communautaires, l’État-providence contribue à leur dissolution.
Il affirme que toute morale authentique repose sur la liberté de choix. Là où règne la contrainte, la responsabilité disparaît et avec elle la possibilité même d’un acte moral. C’est pourquoi il conclut que le christianisme véritable, celui qui reconnaît l’homme comme un être libre et responsable devant Dieu, est fondamentalement incompatible avec l’État-providence.
Bioéthique et droit à la vie
Dans Abortion: A Metaphysical Approach[7], Thomas Johnson aborde l’avortement comme une question avant tout métaphysique. Selon lui, le droit à la vie constitue la base de tous les autres droits : si la société admet que l’on puisse supprimer une vie humaine à convenance, l’édifice des droits s’effondre.
S’appuyant sur des arguments biologiques, Johnson souligne que dès la fécondation, l’embryon possède une identité génétique distincte. Il rejette donc l’idée qu’il ne s’agirait que d’une “partie du corps” maternel. Sur le plan éthique, il critique la prétendue opposition entre les droits de la mère et ceux de l’enfant à naître, estimant que le simple confort ou la convenance sociale ne sauraient justifier une interruption volontaire de grossesse. Cette position s’inscrit dans la cohérence de l’ensemble de sa pensée : une défense radicale de la liberté individuelle qui commence par la reconnaissance de la vie comme valeur non négociable.
Johnson reconnaît toutefois des exceptions limitées, notamment lorsque la vie de la mère est menacée ou en cas de viol ou d’inceste. Mais il s’oppose fermement à toute justification utilitaire (malformation du fœtus, difficultés sociales ou économiques) qu’il considère comme une négation de la dignité humaine.
Il existe alors une incohérence conceptuelle dans la pensée de Thomas Johnson. Si la vie biologique est un droit absolu dès la conception, aucune exception ne devrait être recevable. En admettant certains cas limites, Johnson reconnaît implicitement que d’autres critères (souffrance, justice, autonomie de la mère) peuvent relativiser ce droit. Il introduit ainsi, malgré lui, une hiérarchie des droits qui dépasse la seule existence biologique.
D’un point de vue libertarien, cette tension est décisive. Ce qui fonde les droits n’est pas la simple vie biologique, mais la capacité d’un individu à exercer son autonomie et à être reconnu comme acteur de choix. L’embryon, surtout au début de son développement, n’est pas autonome ; l’adulte, en revanche, possède déjà la conscience et la responsabilité morale. Exiger la protection absolue de la vie embryonnaire reviendrait à nier la liberté de l’individu déjà existant et à réduire le corps de la femme à un instrument biologique.
Au-delà de l’avortement, Johnson met en garde contre les dérives d’une relativisation du droit à la vie, qui pourrait conduire à justifier d’autres pratiques comme l’euthanasie imposée ou la sélection utilitariste des vies. Mais sa position reste fragile : en reconnaissant des exceptions, il ouvre lui-même la porte à une interprétation où c’est la liberté individuelle, et non la seule biologie, qui constitue le véritable fondement des droits.
Critique de l’État et de ses dérives autoritaires
Pour Thomas Johnson, l’essence de l'État est inséparable de la contrainte. Dans Christian Charity vs. Government Welfare[8], il rappelle que « l'État, par sa nature, ne peut agir que par la force ». Ses interventions, qu’elles concernent la fiscalité, la régulation ou l’éducation, reposent toujours sur la menace ou l’application de sanctions. Dès lors, plus l’État s’étend, plus la liberté individuelle décline : chaque domaine qu’il occupe est un espace soustrait au libre choix des citoyens.
Cette critique rejoint une tradition classique du libéralisme, de Frédéric Bastiat à Benjamin Rogge, que Johnson cite et prolonge. Mais il la radicalise en insistant sur la manière dont les institutions étatiques façonnent la mentalité des individus. Dans The Blackboard Prison[9], il décrit l’école obligatoire comme un modèle réduit de dictature, où les élèves sont privés de droits, soumis à des règles arbitraires et contraints à obéir à des maîtres qui détiennent le monopole de l’évaluation et de la sanction.
Johnson dénonce ici ce qu’Alexis de Tocqueville appelait la “tyrannie douce”[10] : non pas une brutalité ouverte, mais une forme de domination paternaliste et administrative, qui infantilise les individus et les rend dépendants. Les instruments de cette tyrannie sont multiples : l’école obligatoire, qui habitue les jeunes à l’obéissance ; la redistribution forcée, qui détruit la responsabilité morale ; et la réglementation croissante, qui réduit l’espace de la décision personnelle.
Si ces logiques persistent, avertit Johnson dans "The Foundation of Freedom"[11], elles conduisent inévitablement à une dérive totalitaire. En sapant dès l’enfance la capacité d’autonomie et de jugement, l’État prépare le terrain à des sociétés où la liberté n’est plus qu’un mot creux. L’alternative, pour lui, est claire : ou bien limiter strictement le pouvoir de l’État à la protection des droits fondamentaux, ou bien accepter que les citoyens deviennent les sujets passifs d’un système de domination omniprésent.
L’éducation comme clé de la liberté – Un diagnostic critique
Pour Thomas Johnson, l’école obligatoire est assimilable à une institution carcérale. Dans son article The Blackboard Prison[12] et dans des chroniques parues dans le Free Lance-Star, il reprend à son compte les témoignages d’élèves décrivant leur lycée comme une « prison » où tout déplacement exige un laissez-passer et où la surveillance constante transforme l’élève en suspect permanent. Ce constat rejoint des analyses sociologiques désormais classiques[13].
De cette convergence d’analyses Thomas Johnson en dégage un diagnostic pathologique. Les symptômes en sont clairs : un autoritarisme des maîtres, une hiérarchie rigide entre les administrateurs et les élèves, une absence quasi totale de droits pour l’enfant. Les évaluations, les diplômes et les examens apparaissent comme les instruments privilégiés de cette domination : des armes de contrainte qui conditionnent l’accès à la réussite sociale et qui forcent l’élève à l’obéissance, au conformisme et à la répétition mécanique.
L’effet social, selon Johnson, est redoutable. L’école ne forme pas des individus autonomes mais une majorité docile, prête à accepter la mainmise de l’État et à reproduire dans la société le comportement d’obéissance inculqué dès l’enfance. Cette « majorité silencieuse », écrit-il dans The Foundation of Freedom[14], se compose d’adultes déresponsabilisés, qui « réclament presque un pouvoir supérieur pour leur dire ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire ». En ce sens, l’école obligatoire n’est pas seulement une prison pour enfants : elle constitue le laboratoire de la servitude volontaire.
Le marché libre comme alternatives éducatives
Face à ce constat accablant de l’école-prison, Thomas Johnson ne se contente pas de dénoncer : il propose une alternative radicale. Dans The Declaration of Educational Independence (1971), il appelle à une véritable renaissance éducative, fondée sur le libre choix et sur l’organisation des écoles comme entreprises privées. L’éducation, affirme-t-il, doit être considérée comme un service parmi d’autres, offert sur le marché et soumis aux lois de l’offre et de la demande.
Dans ce modèle, l’élève devient un client. Il choisit ses cours en fonction de ses intérêts, de ses besoins et de ses moyens financiers. L’enseignant, quant à lui, n’est plus un maître tout-puissant mais un prestataire de service, rémunéré selon la qualité et la pertinence de son enseignement. Ce rapport contractuel supprime d’emblée les fondements de la coercition : aucun élève n’est obligé de rester dans un cours qui ne lui apporte rien, et l’instructeur ne peut imposer ni lectures forcées, ni exercices inutiles, ni examens obligatoires.
Les instruments traditionnels de domination scolaire (notes, diplômes, examens, classement par âge) doivent être abolis. Selon Johnson, ils constituent les « armes » de la contrainte académique, comparables à des instruments de chantage qui étouffent la pensée individuelle. Dans une société libre, seule la compétence réelle compte, évaluée directement par les employeurs en fonction des besoins concrets d’un poste, et non par un papier officiel censé certifier un savoir.
Johnson insiste sur le fait qu’un tel système éducatif, fondé sur le marché et la liberté, favoriserait l’innovation. Comme dans tout secteur concurrentiel, seules survivraient les écoles et les enseignants capables de proposer des services réellement utiles et efficaces. Les projets pédagogiques stériles ou artificiels disparaîtraient rapidement, remplacés par des pratiques vivantes, adaptées et testées par la demande des étudiants.
L’abolition de l’école obligatoire et la création d’un marché éducatif libre ne sont pas, pour Johnson, des réformes secondaires, mais le fondement même d’une société libre. Tant que l’enfant reste enfermé dans les « prisons scolaires », l’adulte demeurera mentalement affaibli et soumis à l’autorité. Mais en libérant l’éducation, on ouvre la voie à l’émergence d’individus responsables, autonomes et capables de vivre pleinement leur liberté.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ Ne doit pas être confondu avec l’économiste du même nom, Thomas Johnson, connu pour ses travaux en économie et sa collaboration avec l'économiste libéral, Paul Heyne dans l'écriture de l'ouvrage, "Toward Understanding Micro-Economics"
- ↑ L’embryologie des chordés est la branche de la biologie qui étudie le développement embryonnaire des animaux appartenant au groupe des chordés (qui inclut les vertébrés comme les poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères). Elle analyse comment, dès la fécondation, se forment les structures caractéristiques de ce groupe : la notochorde, le tube neural, et les premiers tissus qui donneront naissance aux organes.
- ↑ "Christian Charity vs. Government Welfare", The Freeman, 1970
- ↑ Reason, avril-mai 1971
- ↑ Maria Montessori, Spontaneous Activity in Education, 1917
- ↑ <The Freeman, avril 1970
- ↑ [The Freeman]], août 1972
- ↑ The Freeman, 1970
- ↑ Reason novembre 1974
- ↑ "De la démocratie en Amérique", Vol II, 1840
- ↑ Reason, avril-mai 1971
- ↑ Reason, novembre 1974
- ↑ Ainsi, l’expérience de Philip Zimbardo et de Craig Haney, relatée dans Psychology Today (juin 1975) sous le titre évocateur “It’s Tough to Tell a High School from a Prison”, établissait explicitement le parallèle entre la condition de l’élève et celle du détenu : « des gardiens déguisés en professeurs » et des élèves réduits au rôle de prisonniers dociles. De même, John Holt, dans The Underachieving School (1969), dénonçait une école où « les enfants sont traités comme des condamnés » : chaque geste requiert une autorisation, chaque parole est filtrée par le maître et le contrôle administratif remplace toute véritable activité intellectuelle. D’autres observateurs, tels qu’Anne Strick (Injustice for All, 1974), citant Zimbardo, parlent « d'écoles-prisons de l’esprit » où l’enfant apprend à courber l’échine, à renoncer à son autonomie intellectuelle et à rivaliser sur une courbe de notes qui fait de chaque camarade un concurrent. Herbert Kohl, dans The Open Classroom (1969), résume cette logique en affirmant qu’il n’existe en pratique « qu’un seul système scolaire public aux États-Unis, et il est autoritaire et oppressif »
- ↑ Reason, avril-mai, 1971
Publications
- 1969, "Tenure", The Freeman, March [lire en ligne]
- 1970, "Christian Charity vs. Government Welfare", The Freeman, April [lire en ligne]
- 1971, "The Foundation of Freedom", Reason, April-May [lire en ligne]
- 1972, "Abortion: a Metaphysical Approach", The Freeman, August [lire en ligne]
- 1974,
- a. Commentaire du livre dirigé par Anne Husted Burleigh, Education in a free society, The Freeman, Vol 24, n¨2, February, pp126-127 [lire en ligne]
- b. Commentaire du livre dirigé par Roger MacBride, "The Lady and the Tycoon", Reason, April [lire en ligne]
- c. "The Blackboard Prison", commentaire du livre de William F. Rickenbacker, "The twelveèyear sentence", Reason, November [lire en ligne]