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Industriels français et protectionnisme au XIXe siècle

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Le blocus établi par Napoléon a rendu un très mauvais service aux hommes d’affaires français : pendant dix ans, l’Empire a été un espace protégé par la guerre menée contre l’Anglais, adversaire militaire et commercial, créant une accoutumance à l’espace fermé, à l'interventionnisme et au protectionnisme. Le traité de commerce franco-anglais de 1786, qui avait ruiné des familles honorables, avait laissé un très mauvais souvenir. Une adresse du Gouvernement provisoire du 4 avril 1814 supprime le blocus et lève les prohibitions. Dès le 13 octobre, une Adresse au roi réclame une protection à l’entrée de produits étrangers.

Le temps de la prohibition

La loi du 28 février 1816 établit un système protecteur pour l’industrie française : pour les manufacturiers français c’est un des grands bienfaits de la Restauration. « Sous l’existence de cette législation salutaire, une multitude d’établissements cotonniers se sont élevés en France, et surtout dans le département de la Seine-Inférieure. Pour les former, nous avons compté sur la protection, sur la foi publiques qui nous garantissent la jouissance du marché intérieur et l’exclusion absolue de l’étranger. »[1] « C’est sous sa garantie immuable que tous les manufacturiers français se sont livrés au travail et ont donné l’essor à leur génie productif. C’est sous son égide tutélaire que des capitaux énormes ont été livrés aux travailleurs et leur ont procuré des moyens d’existence. »[2]. Établie à titre provisoire, cette législation ne sera pas remise en question avant 1860, en dépit d’adoucissements et de tentatives en 1834, 1836 et 1841 sous la Monarchie de Juillet. Louis-Philippe répond en 1847 à Richard Cobden venu solliciter une libéralisation des échanges entre la France et l’Angleterre : « C’est impossible. Les maîtres de forges nous dominent. »

Les effets pervers du système de protection apparaissent clairement. Lors de l’Enquête sur les fils et tissus de lin et de chanvre de 1838, on demande à Delloye, industriel de Cambrai : « vous vous êtes établi sous l’empire du tarif du 17 mai 1826 qui fixait les droits sur les toiles de 30 à 35 francs les 100 kilogrammes ? » Il répond : « Oui, c’est en vue de ce tarif que nous avons fondé notre établissement. » « Chez nous tout est plus cher, les fers, la fonte, le cuivre, les charbons, les moyens de transport et, généralement, tout ce que nous employons dans nos établissements, est, chez les Anglais, à meilleur marché. » déclare Fauquet-Lemaître, fabricant de cotonnades, en 1834, qui ne paraît pas comprendre le rapport entre le protectionnisme généralisé et cette cherté. En effet, par exemple le prix très élevé de la houille est lié au tarif protecteur de 3,60 francs qui pénalise les importations de houille anglaise, de même des droits sur les importations de fer à 12 francs le quintal et des fontes à 4,80 francs. Les droits élevés sont maintenus même quand le prix de vente a baissé : en 1860, l’acide nitrique est vendu 48 francs les 100 kilos mais le droit à l’entrée demeure à 90 francs !

Peu nombreux sont les entrepreneurs qui tiennent un autre discours.

« Si je n’avais pas eu derrière moi la concurrence belge, ma fabrication ne se serait pas amélioré au point où elle l’est aujourd’hui. Obligé de suivre pas à pas les progrès de la fabrication pour soutenir la concurrence et n’ayant qu’un léger bénéfice, il faut que je fasse mieux que les autres pour maintenir ma maison. » (Vayson, fabricant de tapis d’Abbeville, 1834).
« j’étais très protectionniste mais la discussion m’a fait voir qu’une trop grande protection était nuisible pour l’avenir des industries qui se contentaient du marché national; il faut avoir la noble ambition de pouvoir expédier ses produits dans toutes les parties du monde. » (Ennemond Richard, fabricant de lacets de Saint-Chamond, 1852).

Un traumatisme : le traité de 1860

Face aux idées de Napoléon III, partisan du libre-échange, des industriels français influents dont Léon Talabot et le baron Seillère, réclament, en 1859, l’ajournement indéfini de la levée des prohibitions. Michel Chevalier part pour Londres sonder les intentions des dirigeants britanniques et s’entretient avec Richard Cobden et Gladstone. Puis Cobden vient en France et Napoléon III le reçoit. Le traité est élaboré dans le secret le plus absolu : le sénatus-consulte du 23 décembre 1852 permet à l’Empereur de signer un traité de commerce sans passer par le Corps législatif. Le 15 janvier 1860, le Moniteur publie une lettre de Napoléon III à son ministre d’État Achille Fould qui annonce la fin du système protecteur. Le traité est signé le 23 janvier à Paris par le président du Conseil d’État Baroche, le ministre Rouher, Cobden et le comte Cowley, ambassadeur de la Reine. C’est paradoxalement un régime autoritaire, et par les moyens dont il disposait face à l’opposition quasi générale du monde de l’industrie, qui va permettre l’établissement pour trois décennies d’un régime de libre-échange en France.

Une Enquête d’une grande ampleur est menée la même année sur l’état de la France industrielle. 1200 industriels furent convoqués et auditionnés devant le Conseil supérieur de l’Agriculture, du Commerce et des Manufactures. Lors de l’Enquête, tous les arguments favorables au protectionnisme sont servis. Les fabricants réclament l’abaissement des tarifs sur leurs matières premières et une protection pour les produits finis, ce qui est handicaper d’autres branches d’activité. Un constructeur de navires de Dunkerque se plaint : « Nous sommes des adolescents de douze ans qu’on veut faire lutter contre des hommes de vingt-cinq ans ». Le président de séance répond : « c’est après 67 ans de prohibition que vous vous comparez à un enfant de douze ans qu’on veut faire lutter contre un colosse de vingt-cinq ans ».

Eugène Rouher, ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux publics, le 28 juillet 1860, s’emporte contre des fabricants de bonneterie de la Somme et de l’Oise : « vous venez de dire…nous n’arrivons à produire qu’à 40 pour cent plus cher que l’industrie voisine. D’où il suit qu’il faudrait pour vous protéger, continuer à faire payer aux consommateurs français 100 francs ce qu’ils pourraient avoir pour 60 ! Cela n’est pas admissible. » Dans l’industrie du verre, Saint-Gobain doit abaisser ses prix de 32 % en 1860 face à la nouvelle concurrence, tout en continuant à faire des bénéfices, ce qui souligne l’extraordinaire rente de situation perçue sur les consommateurs instituée par le « tarif protecteur ».

Les opinions des chefs d’entreprise peuvent être regroupées en trois catégories. Bon nombre doivent reconnaître que les droits élevés ne sont pas nécessaires. Les entrepreneurs disposant d’un équipement moderne ne réclament pas une protection élevée. Certains secteurs de l’industrie textile, la soierie lyonnaise ou les tissus de laine fins du Nord, qui proposent des articles de qualité, voient au contraire leurs exportations s’accroître de façon sensible. Un second groupe réclament des droits pour une période limitée à titre de compensation pour atténuer les handicaps. Enfin un dernier groupe, notamment les cotonniers de Rouen et les sidérurgistes traditionnels de Haute-Saône ou de Bourgogne, continue à réclamer le retour à la protection intégrale.

Notes et citations

  1. Mémoires : enquête pour l’industrie du coton, Rouen 1829
  2. A. Caignard, fabricant de rouenneries, 1834


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