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Individualisme antipolitique
L'individualisme antipolitique est moins un slogan qu’une hygiène de la liberté. Il part d’une idée simple : chacun est propriétaire de son corps, de son temps et de ses talents ; et en tire une conséquence radicale, on ne bâtit pas une société décente avec les outils de la contrainte. Plutôt que de « prendre le pouvoir politique », il préfère le rendre inutile en mettant en service des institutions consenties alternatives : contrats clairs, arbitrage volontaire, assurances mutuelles, écoles libres, communs numériques etc. L’individualisme antipolitique se distingue de l’apolitisme en ce qu’il n’abandonne rien de la politique (polis au sens de la cité) : il remplace des services publics contraignants par d'autres consentis.
Définition et périmètre
L’individualisme antipolitique désigne une éthique pratique qui place la personne au centre : les relations sociales découlent d’accords librement conclus (société par contrat). Cette éthique privilégie les solutions qui émergent hors de l’arène électorale : plutôt que de conquérir l’appareil du pouvoir, elle bâtit des alternatives concrètes capables de rendre ce pouvoir superflu.
Concrètement, cela signifie une préférence nette pour les mécanismes fondés sur le consentement : coopératives, mutuelles, écoles libres, monnaies communautaires, arbitrage volontaire, associations-clubs, chartes de voisinage. La légitimité vient de l’accord explicite, révisable, assorti d’un droit de sortie effectif. Une bibliothèque autogérée par ses membres illustre cette logique mieux qu’une direction nommée par décret. Un service de sécurité sous abonnement, régi par contrat et contrôlé par ses usagers, incarne mieux la responsabilité que l’élection d’un shérif doté de pouvoirs étendus.
Il importe de distinguer antipolitique et apolitisme. L’apolitisme relève de l’indifférence : on s’écarte des débats et l’on s’accommode de l’ordre établi. L’antipolitique, au contraire, engage une démarche de substitution institutionnelle. Elle remplace des fonctions captives de la contrainte par des services ouverts à la concurrence morale du consentement. Elle privilégie l’initiative, le prototypage d’institutions minimales viables, la duplication par l’exemple. Son mot d’ordre tient en trois verbes : créer, contractualiser, laisser-sortir.
Une autre distinction est nécessaire d'expliciter, celle entre l'individualisme normatif et l'individualisme méthodologique. Le second est un outil d’analyse pour les sciences sociales : il explique les phénomènes à partir des actions d’individus. L’individualisme antipolitique, lui, relève du normatif : la personne humaine constitue la fin à respecter, non un simple paramètre explicatif. De cette priorité découlent des exigences concrètes : pas de mandat implicite, pas de tutelle irrévocable, pas d’intérêt général qui absorberait des volontés singulières sans leur assentiment.
Sur l’échiquier des idées, l’individualisme antipolitique entretient des voisinages féconds. Avec l’anarchisme individualiste, il partage la société par contrat, la critique des pouvoirs non délégués et la méfiance envers les “solutions” institutionnelles qui écrasent la responsabilité personnelle. Avec le mutualisme, il se retrouve dans l’expérimentation d’organisations coopératives, la finance de proximité, les communs gérés par des règles claires et révocables. Avec l’anarcho-capitalisme, il croise la défense de l’ordre spontané, du droit polycentrique et de la concurrence entre prestataires de règles. Le contraste apparaît avec le libertarianisme partisan : celui-ci mise sur les procédures électorales et l’occupation de charges publiques ; l’antipolitique mise sur la cohérence moyens-fins et la création d’institutions consenties qui rendent l’urne optionnelle.
Pour se repérer, une boussole simple aide à qualifier les pratiques : Titre – Consentement – Réversibilité. Qui est propriétaire de quoi ? Qui consent à quoi, et selon quelles modalités ? Comment sortir, contester, renégocier ? Une initiative qui répond clairement à ces trois questions s’inscrit dans le périmètre de l'individualisme antipolitique. À partir de là, le terrain de jeu s’ouvre : remplacer la conquête par la fabrication, l’autorité par le contrat, l’unicité imposée par la pluralité librement choisie.
Auteurs-clés
- Josiah Warren (1798-1874). Premier praticien plus que théoricien, il transforme l’idée en atelier. Avec ses magasins-temps (Cincinnati, puis “Modern Times”), il teste une tarification indexée sur l’effort et fait vivre l’intuition d’une société centrée sur l’individu : pas de législateur permanent, mais des accords locaux, révisables, qui s’ajustent par l’usage. Chez Warren, l’utopie est un prototype social.
- Charles Lane (1800-1870). Précurseur de l’individualisme antipolitique en raison de son désaveu systématique de toute participation à la sphère étatique. Par son indifférence au vote, son refus de l’impôt et sa conviction que la réforme ne peut venir que de la conscience individuelle plutôt que des institutions, il anticipe la tradition anarchiste individualiste et voluntaryiste qui fera de l’autonomie personnelle et du retrait de la vie politique le fondement d’une société libre.
- Lysander Spooner (1808-1887). Juriste de tempérament, il montre, dans No Treason et ses lettres publiques, que nul ne peut aliéner sa liberté comme un meuble. Toute délégation doit être explicite, traçable, révocable ; sans quoi, il ne s’agit pas d’un mandat mais d’une usurpation. Spooner fournit les bases du concept de consentement continu qui irrigue la pensée de l’individualisme antipolitique.
- Benjamin Tucker (1854-1939). Éditeur de Liberty, il donne des habitudes intellectuelles de référence à la “société par contrat”. Il diffuse Stirner, Proudhon, et impose la fameuse “ligne de plomb” : mieux vaut un principe clair qu’un compromis tordu. Son apport décisif est organisationnel : contrats explicites, responsabilité personnelle, pluralité d’arrangements, un monde où l’on signe ce à quoi on accepte d'obéir.
- Franz Oppenheimer (1864-1943). Son trait de plume sépare deux voies d’obtention : la voie économique (échange, service, risque assumé) et la voie politique (prélèvement, privilège, contrainte). Cette dichotomie est un diagnostic opératoire : elle indique où placer l’effort, du côté des arrangements que l’on choisit, non des rentes que l’on subit.
- Voltairine de Cleyre (1866-1912). Styliste limpide et pédagogue rigoureuse, elle enfonce le clou : le mandat ne tient que par un consentement identifiable ; l’agrégat électoral n’est pas une procuration. Dans Anarchism and American Traditions, elle relie ce formalisme à une tradition de désobéissance intelligente : l’autorité doit se montrer et se mesurer, ou se retirer.
- École autrichienne (Ludwig von Mises (1881-1973), Friedrich Hayek (1899-1992), Israel Kirzner (1930- )). Elle explique pourquoi les institutions volontaires fonctionnent : le calcul économique et la découverte entrepreneuriale coordonnent des savoirs dispersés que le décret ignore. Les prix transmettent de l’information, les erreurs coûtent à ceux qui les commettent et sont sources d'opportunités, la concurrence corrige. L’antipolitique y puise sa confiance dans l’ordre spontané.
- Murray Rothbard (1926-1995). Il assemble le puzzle : propriété de soi + marché libre + principe non-agression, et une politique extérieure de non-ingérence. Avec Man, Economy, and State et For a New Liberty, il montre comment des fonctions dites “publiques” (sécurité, justice) peuvent être contractualisées sans renoncer aux garanties. Il donne au courant une architecture plus complète.
- Samuel Edward Konkin III (1947-2004). Stratège et praticien, il nomme la contre-économie : ces échanges légitimes et non violents qui contournent les privilèges réglementaires. L’agorisme n’attend pas la permission : il fabrique des marchés qui disciplinent le pouvoir par la possibilité de s’en passer.
- Le courant voluntaryist (Carl Watner (1948-2020), George H. Smith (1949-2022), Wendy McElroy ((1951- )). Il fixe la discipline des moyens/ Il n'y a pas d’exception électorale pour une bonne cause. On juge une institution à ses procédures (contrat, arbitrage, audit, droit de sortie), pas à ses slogans. Leur contribution est éthique et tactique : abstention active, standardisation volontaire, abrogation des règles publiques obsolètes par non-usage.