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Entrepreneur paria

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L'histoire de la société humaine montre que l'entrepreneur n'a pas toujours été une position très enviable. L'entrepreneur paria a souvent fait partie des êtres errants, qui n'avaient pas de terre à cultiver et qui migraient de pays en pays pour pouvoir se réaliser. Ils couvraient la surface de la terre, traversant ponts et rivières au-delà des frontières au risque de leur vie, mais étaient considérés, bien souvent, comme la lie de la société. Qui étaient ces premiers entrepreneurs parias ?[1] Des hommes et des femmes abandonnés, des personnes sans racines, des êtres stigmatisés[2] qui ont opté pour le commerce sans actifs, sans patrimoine avec comme atouts, leur énergie, leur intelligence et quelquefois leur manque de scrupules.

L'entrepreneur paria n'est pas le produit d'une culture particulière

La plupart des commerçants dans les sociétés pré-industrielles étaient soit d'origine étrangère, soit humbles socialement et ils étaient totalement ou partiellement privés de leurs droits politiques et juridiques. Karl Polanyi[3] a remarqué l'existence de l'entrepreneur paria dans l'ancienne Babylonie et en Grèce. Le tamkārum[4] a dominé la scène mésopotamienne du début des Sumériens jusqu'à la montée de l'islam. Le métèque fut le premier commerçant à être remarqué à Athènes et dans d'autres villes grecques en tant que marchand de classe inférieure... Max Weber a expliqué l'émergence d'une nouvelle règle institutionnelle du fait de la présence de ces marchands étrangers correspondant à une forme institutionnelle de représailles. Ces personnes étrangères avaient besoin d'une protection spéciale que ne leur offrait pas leur pays hôte. Puisque le commerçant en tant qu'étranger ne pouvait pas comparaître devant le tribunal, il devait fournir un protecteur qui le représentait. Par conséquent, précise Max Weber[5], surgit dans l'antiquité le phénomène de la "proxénie", qui manifesta une combinaison d'hospitalité et de représentation d'un intérêt. Le commerçant étranger était autorisé à exercer et était tenu de se mettre sous la protection d'un citoyen, lequel devait conserver ses marchandises, et en retour, l'hôte était obligé de le protéger pour le compte de la communauté.

Dans les temps anciens, les commerçants énumérés dans la Bible[6] étaient pratiquement tous des non-Israélites. En Égypte, le marchand était à l'origine un esclave du temple. Dans l'Avesta[7], les marchands et les marins mentionnés étaient des étrangers et des non-Aryens[8]. Ils apportaient de l'or, de l'argent et des vêtements richement ornés aux châteaux des rois iraniens et des nobles. Dans l'Inde brahmanique, les métiers de commerce étaient mal considérés[9], comme étant la destinée d'une grande défaveur. Dans la plupart des villages indiens, les commerçants sont soit des "Parsees" (originaire de Perse), soit des Sudras[10], soit des intouchables.

Les confucianistes chinois et japonais ont relégué les marchands au bas des classes sociales. À l'époque de l'ère Tokugawa[11], au Japon, le commerçant avait l'interdiction de porter de la soie ou de montrer tout signe de richesse. Il n'avait aucune protection légale, ni sur sa vie, ni sur ses biens. Un samouraï pouvait le tuer pour toute infraction imaginaire et repartir sans être jugé[12].

En Europe jusqu'au moment de la révolution industrielle, les préjugés contre les entreprises et les hommes d'affaires ont été profondément enracinés dans le cœur des classes supérieures. À la période carolingienne, ce sont les Frisons de l'Allemagne qui faisaient des échanges dans toute l'Europe. Et la plupart des villes en Europe, en Afrique[13], en Asie[14] ou en Amérique[15] contenaient un grand nombre de commerçants étrangers.

C'est un fait mondial que de constater que les entrepreneurs paria furent pendant longtemps des entrepreneurs migrants. Les plus connus sont les Juifs en Europe et en Afrique du Nord, les Indiens d'Asie du Sud-Est, d'Afrique de l'Est et du Sud, les huguenots français dans le nord de l'Europe, les Grecs et les libanais dans le monde entier ou les Chinois en Asie du Sud-Est et dans d'autres parties du monde. Au sens de l'entrepreneur institutionnel, l'entrepreneur paria n'est donc pas le produit d'une culture particulière.

Les bénéfices apportés par l'entrepreneur paria à la société

L'entrepreneur paria est donc un entrepreneur appartenant à une communauté marginale[16] (mise à l'écart) qui est plus ou moins identifiable par son origine ethnique, ses pratiques religieuses ou d'autres symboles culturels. Il est traité avec suspicion et bénéficie de peu d'estime de la part de la communauté dominante. Il a accès à la richesse et au bien-être économique grâce à son leadership entrepreneurial mais il dispose de peu de pouvoir juridique et politique pour se protéger ainsi que ses richesses. Par conséquent, il ne peut survivre qu'en "achetant" la protection de l'élite politique qui y trouve son intérêt, en retour. Son rôle et sa fonction sociale sont une sorte de symbiose antagoniste entre la création de richesse d'un côté et la préservation précaire et aléatoire de cette richesse du fait du bon vouloir de l'élite qui l'a tient volontairement exclue du courant dominant de la société.

Bert Hoselitz[17] fait mention des négociants du Moyen-Orient dans l'Afrique postcoloniale. L'entrepreneur paria est capable de combler des niches sur les marchés (par exemple, l'interface rural-urbaine, l'offre de crédit pour la vente au détail à une petite échelle de la finance), car l'environnement institutionnel l'autorise[18].

L'esprit d'entreprise des juifs au début du Moyen Age n'était pas encore limité aux prêts d'argent. Ils occupaient une place importante et souvent dominante dans le commerce, en particulier dans le commerce inter-régional de biens en provenance des pays byzantins ou musulmans les plus avancés. Ils ont également eu un avantage décisif en tant que producteurs industriels et artisans. Le quartier juif de Saragosse, en Espagne, par exemple, avait des rues spéciales de cordonniers, de couteliers, de tanneurs, de selliers et de bijoutiers. En tant que prêteurs d'argent, les juifs étaient loués par les autorités car ils fournissaient des crédits pour les besoins de la population défavorisée. Au cours des deux premiers siècles après la reconquête chrétienne de l'Espagne, les juifs étaient généralement employés comme receveurs d'impôts, en remplacement des agents ambassadeurs et conseillers des rois.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Henri Pirenne, 1914, "The stages in the Social History of Capitalism", American Historical Review, vol 19, april, pp494—515.
    Henri Pirenne, 1937, "Economic and Social History of Medieval Europe", traduction de I. E. Clegg, New York: Harcourt, Brace & C0
  2. Ken Baker, 1988, "The Stigma Against Commerce", IPA review, Vol 41, n°3, November-January 1987-1988, pp47-50
  3. Karl Polanyi, Conrad M. Arensberg, Harry W. Pearson, 1957, dir., "Trade and market in the early empires : economies in history and theory", Glencoe, Ill.: The Free Press
  4. le tamkārum (traduisible par « marchand »), à qui les gens du Palais confiaient des produits à vendre et dont les revenus étaient étroitement réglementés par le Code de Hammurabi.
  5. Max Weber, 1950, "General Economic History", traduction de Frank H. Knight, Glencoe. Ill.: The Free Press
  6. John Jefferson Davis, 1984, "Your wealth in God's world : does the Bible support the free market?", Phillipsburg, N.J.: Presbyterian and Reformed Publishing Company
  7. L'avesta est l'ensemble des textes sacrés de la religion mazdéenne et forme le code sacerdotal des zoroastriens en Perse
  8. Les Aryens (en sanskrit « Aryas », en avestique « Airiya ») représentent la caste des « Nobles »,
  9. Celui qui vendait plus cher qu'il n'achetait était dénommé un usurier
  10. La caste des shudras (sanskrit : शूद्र (śūdra), « serviteur ») était considérée comme la plus basse juste au-dessus des intouchables (hors-caste); ils s'apparentaient aux serfs européens du Moyen Âge.
  11. Le shogunat Tokugawa est une dynastie de shoguns qui dirigèrent le Japon de 1603 à 1867. Le premier shogun de la dynastie fut Tokugawa Ieyasu, le dernier fut Tokugawa Yoshinobu.
  12. Charles David Sheldon, 1958, "The Rise of the Merchant Class in Tokugawa Japan 1600-1868", Locust Valley, N.Y.: J.H. Austin
  13. Au Maroc, les commerçants locaux étaient en concurrence avec les commerçants provenant d'une tribu minoritaire, les "Soussis Berbers", de la vallée "Sous" dans le sud du Maroc. En Algérie, les "Mizabites", étaient des hommes d'une oasis au Sahara.
  14. À Lhassa, il y avait une grande colonie de Népalais qui appartenaient à la tribu des "Newars" et qui avaient perdu le pouvoir politique contre les "Gurkha" dans leur propre pays. Ils sont allés vivre au Tibet en tant que commerçants. En Afghanistan, le groupe dirigeant des "Pushtuns", représentait environ quinze pour cent de la population totale. Les Tadjiks étaient une minorité autochtone conquise qui s'est concentrée dans l'artisanat et le commerce.
  15. En Argentine, en Amérique du Sud, au début des années 1900, quatre-vingts pour cent des propriétaires d'établissements commerciaux et industriels étaient des immigrants ou des citoyens naturalisés.
  16. Everett V. Stonequist, 1937, "The marginal Man", New York: Charles Scribner‘s Sons
  17. Bert Hoselitz, 1952,"Entrepreneurship and economic growth", American Journal of Economic Sociology, Vol 12, n°1, pp97-110
  18. Bert Hoselitz note que cela est le reste du renforcement des institutions par l'Europe occidentale lors de la colonisation.

Publications

  • 1968, Joseph P. L. Jiang, "Towards a Theory of Pariah Entrepreneurship", In: Gehan Wijeyewardene, dir., "Leadership and Authority: A Symposiumé, University of Malaya Press, Singapore
  • 1999, Jay A. Gertzman, “Traders in Prurience: Pariah Capitalists and Moral Entrepreneurs", In: Jay A. Gertzman, dir., "Bookleggers and Smuthounds: The Trade in Erotica, 1920-1940", University of Pennsylvania Press, pp15–48