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Délocalisation

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On appelle délocalisation la fermeture d’une unité de production dans un pays suivie de sa réouverture à l’étranger en vue de réimporter sur le territoire national les biens produits et / ou de continuer à fournir les marchés d’exportation à partir de cette nouvelle unité[1].

Présentation

Ce terme apparaît pour la première fois en 1985. Il sera ensuite popularisé en France par le rapport du sénateur Jean Arthuis en 1993.

Les motifs des « délocalisations » énoncés par les médias, les hommes politiques, sont souvent les deux suivants :

  • faire baisser le prix de revient des productions (gains dus au taux de change par rapport au dollar, gains réalisés sur les coûts de main-d’œuvre) ;
  • satisfaire la pression des donneurs d’ordre qui ont réalisé des implantations stratégiques majeures sur les marchés en croissance.

Les « délocalisations » sont souvent perçues comme « l’horreur économique », « l’ennemi » venu de l'étranger (souvent d’Asie ou de pays de l’Est) qui va « prendre » nos emplois et tuer notre économie (en France, le mythe du plombier polonais offrant ses services à bas prix). Or, la concurrence de ces économies n’a pas remis en cause la puissance des pays développés et est à l’origine du décollage de nombreux pays peu développés, ce qui est bénéfique pour tous. Peut-on à la fois tenir des discours généreux sur les rapports Nord-Sud et se plaindre que les régions les plus pauvres accèdent au développement ?

D'autre part, ces délocalisations ne doivent pas être un prétexte pour imposer tel ou tel protectionnisme, au niveau des marchandises ou de l'emploi. Enfin, il convient de s'interroger sur la réalité et l'étendue de ces phénomènes de délocalisations.

Pourquoi les délocalisations profitent à tous

Une erreur fréquente que font ceux qui ne comprennent pas le marché et la nature de l'échange consiste à affirmer que « le marché ne profite qu'aux plus compétitifs ».

Par exemple, la mondialisation rend les coûts de production moins élevés dans certains pays où le coût de la main d'œuvre est plus faible et les rigidités du marché du travail moindres (moins de règlementation). Ce n'est cependant pas toujours le cas, ces pays peuvent également abriter en leur sein des compétences qui n'existent plus dans les pays développés.

De nombreux pays souvent pauvres profitent de ce phénomène de mondialisation qui leur permet de poursuivre leur ascension économique.

Dans les délocalisations d'entreprises (et donc d'emplois), il y a « ce qu'on voit et ce qu'on voit pas », pour paraphraser Frédéric Bastiat :

  • ce qu'on voit : des emplois perdus dans le secteur objet de délocalisations, en raison de la concurrence mondiale.
  • ce qu'on voit pas : lorsque le consommateur achète par exemple un produit importé à un prix plus bas que celui qu'il aurait payé pour un produit national, il bénéficie d'un pouvoir d'achat supplémentaire qu'il pourra utiliser pour l'achat d'autres produits ou services.

Or, souvent la structure de ces achats supplémentaires se déplace aussi vers des services, par exemple santé, culture, loisirs qui sont en grande partie produits nationalement.

On s'enrichit ainsi à faire faire par d'autres ce que nous ferions à prix plus élevé. C'est typiquement une relation gagnant-gagnant dans le cadre d'une division du travail à l'échelle mondiale, qui illustre bien la loi des avantages comparatifs.

Faut-il « lutter » contre les délocalisations ?

« Lutter contre les délocalisations » est une absurdité : à supposer que ce soit souhaitable, cela n'est possible que de façon autoritaire en augmentant les règlementations et les contrôles, ce qui alimente un cercle vicieux qui conduit au déclin, ou bien au contraire en diminuant les contraintes (par des dispositions fiscales anti-délocalisations), ce qui montre bien à quel niveau se situe réellement le « problème » pour le pays concerné : trop d'impôts, trop de prélèvements « sociaux », trop de législations liberticides.

Un pays qui prétend ainsi « lutter contre les délocalisations », au lieu de profiter de la concurrence mondiale pour générer des emplois à haute valeur ajoutée et diminuer les barrières à l'emploi (salaire minimum, protection sociale, législation du travail), se place d'emblée en situation de faiblesse. Toutes les politiques protectionnistes proposées pour lutter contre les délocalisations constituent des remèdes pires que le mal.

Voir aussi Protectionnisme - erreur courante : « protéger l'emploi »

Le mythe des délocalisations

Comme le dit la maxime populaire, « une forêt qui pousse ne fait pas de bruit, un arbre qui tombe fait du bruit », et, suivant Hegel, il faut « écouter la forêt qui pousse plutôt que l'arbre qui tombe ». Ces deux citations permettent d'introduire un fait indéniable et surprenant : tous les médias, et hommes politiques des pays développés (notamment et en pointe, la France) focalisent leur attention sur telle entreprise transférant telle ou telle partie de son activité à l'étranger, sans jamais évoquer, dans l'autre sens, les entreprises qui se développent et qui sont issues d'implantations de groupes étrangers. On pourra par exemple noter de façon proche l'exemple donné par les économistes David Thesmar et Augustin Landier : après ses « licenciements boursiers » de 1998, la masse salariale de Michelin a en fait augmenté de 10% en 7 ans[2].

Rares sont les événements de ce type qui ne créent pas un psychodrame politique, le summum ayant été atteint par le député UDF des Pyrénées-Orientales Jean Lassalle qui entama une grève de la faim le 7 mars 2006 contre la « délocalisation » d'un site du groupe Toyal à ... 60 km de son lieu d'origine. (voir ce débat sur le forum Liberaux.org)

Une analyse des faits ne peut conduire qu'à une seule conclusion :

  • sur le plan quantitatif, les cris d'orfraie des hommes politiques au sujet des délocalisations sont extraordinairement exagérés sur l'ampleur de la « menace » en termes d'emplois,
  • sur le plan qualitatif surtout, l'idée selon laquelle une délocalisation a en général pour but de baisser les coûts de main d'œuvre est fausse,
  • enfin, de très nombreuses entreprises ont une base de production dans les pays développés, alors qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'elles délocalisent, citons notamment le cas du fabricant américain de tee-shirts American Apparel.

Les travaux de l'économiste indo-américain Jagdish Bhagwati (et al) ont confirmé que les délocalisations avaient peu de chance de menacer l’emploi[3].

  • Les emplois de services représentent 70% de l’emploi total dans ce pays (et dans les économies des pays riches en général). Très peu d’entre eux sont susceptibles d’être délocalisés car ils supposent une proximité des producteurs et des consommateurs.
  • Les emplois qualifiés ne sont pas menacés par la concurrence des pays low cost du fait du retard de ces pays gardant de faible taux de scolarisation dans les études supérieures.
  • Les délocalisations de certaines étapes du processus de production permettent de stimuler la compétitivité des entreprises résidentes, ce qui est source de croissance et d’emploi. Selon ces auteurs ce gain de compétitivité permettrait un gain de croissance d’environ 0,3% du PIB aux États-Unis.

Les délocalisations sont un phénomène négligeable pour les pertes d'emploi

Une récente étude de l'INSEE[4] a chiffré, pour la période 1995-2001 l'ampleur des emplois perdus dans le secteur industriel à cause de délocalisations : en moyenne, 13 500, dont plus de la moitié vers des pays à hauts salaires. Ce chiffre est à comparer aux 6,8 millions d'emplois dans le secteur secondaire en France[5].

Une seconde étude du Conseil d'Analyse Economique[6], reprise notamment dans un article de Libéralisme expliqué[7], écrit ainsi : « les restructurations d’entreprises s’étant produites en Europe entre le 1er janvier 2002 et le 15 juillet 2004 concernent 1456 entreprises et ont entrainé la suppression de 780 394 emplois, ce qui correspond à 0,42 % des 192 millions emplois européens. Ramené à un an, on obtient un taux de 0,17 %. Chaque année, ce sont donc 0,17 % des emplois européens qui disparaissent dans des restructurations. »

Et Libex d'ajouter : « Mais les délocalisations ne représentent, selon le rapport, que 4,74 % des emplois supprimés (36 977) pour restructuration et 7,14 % (100) des entreprises restructurées. En termes d’emploi, cela correspond donc en deux ans et demi à 36 977 suppressions, donc 0,019 % de la totalité des emplois européens. Rapporté à un an, on obtient un taux de 0,0076 %. Chaque année, ce sont donc 0,0076 % des emplois européens qui disparaissent dans des délocalisations. ». « Au niveau de la France, les 8000 suppressions d’emplois survenues en 2001 suite à des fermetures d’unités de productions correspondent à 0,032 % des 25 millions d’emplois français. »

Un rapport du Sénat expose les mêmes conclusions que les précédents rapports[8].

Les délocalisations n'ont en général pas du tout comme but la baisse des coûts de main-d'œuvre

Un travail d'analyse mené par l'équipe de Suzanne Berger (professeur au MIT) auprès de 500 entreprises aux États-Unis, en Europe, et en Asie a un résultat sans appel :

  • Non, les délocalisations n'ont pas systématiquement pour motivation, loin s'en faut, l'accès à une main-d'œuvre moins chère :
    • l'analyse de Suzanne Berger et de son équipe démontre qu'en général, la stratégie d'entreprise consistant à ne baser sa compétitivité sur la baisse de ses coûts salariaux est une stratégie perdante. C'est l'innovation, le découpage de la chaîne de valeur, l'intelligence de la sous-traitance, l'agilité, la faculté d'adaptation aux changements qui font toujours la différence.
    • ce qui compte, d'ailleurs, ce n'est pas le coût horaire du travail, mais son coût unitaire : la productivité d'un salarié, basée sur sa compétence, permet de baisser le coût unitaire du travail à coût horaire constant, par exemple, à tel point que dans certains secteurs, il est bien plus intéressant de produire aux USA qu'en Chine.
  • Les délocalisations font partie du panel des choix de stratégie d'entreprise au même titre que beaucoup d'autres.
  • Le vrai problème n'est pas celui du transfert d'emplois des pays développés vers les pays à bas salaires, c'est plutôt celui du manque de créations d'emplois dans les pays développés. Suzanne Berger de déclarer ainsi : « Le problème de l’emploi est bien réel en France et dans d’autres pays développés, mais il ne vient pas tant des délocalisations que du manque de créations d’emplois. »[9]

De très nombreuses entreprises ont avantage à ne pas délocaliser

Le mieux ici est de citer un article d'octobre 2006 de la revue Horizons Stratégiques éditée par le très dirigiste Centre d'Analyse Stratégique, organisme successeur du Commissariat au Plan[10] : « contrairement à ce que disent les médias, nombreuses sont les compagnies qui conservent une base de production nationale. La proximité est à la fois un avantage commercial et une réduction des risques. American Apparel, qui produit des T-shirts à Los Angeles, a fondé sa stratégie commerciale sur la proximité avec ses clients, ce qui lui permet d’être très réactif à la commande. Le transport est parfois un obstacle à la sous-traitance mondialisée : aux États-Unis, l’édition est un secteur très peu délocalisé car le gain financier de la baisse du coût de production est annulé par la durée du transport en bateau (les livres sont trop lourds et ne se vendent pas assez chers pour voyager en avion). Enfin, la réputation joue un rôle important dans la décision d’implantation : dans le prêt-à-porter, le label « Made in Italy » sous-entend un degré de qualité qui permet d’exiger des prix plus élevés. Mais la raison la plus souvent invoquée pour ne pas délocaliser est l’absence ou l’inadéquation du savoir-faire local. Ainsi, durant la crise de l’électronique, les sociétés japonaises n’ont pas massivement transféré leurs unités de production en Chine, malgré la proximité géographique, car le niveau de compétence de leurs ouvriers est loin d’être atteint par les ouvriers chinois. »

En outre, des coûts de main d'œuvre très bas ne signifient pas qu'il soit intéressant pour l'entreprise d'investir dans un pays, car c'est le coût total qui est à prendre en compte : quelle productivité? quelles infrastructures? Ainsi, une étude menée en 1995 par la réserve fédérale de San Francisco a montré que les Philippines, l'Inde ou la Malaisie avaient des coûts unitaires de travail supérieurs à ceux des États-Unis, c'est-à-dire qu'il coutait plus cher pour une entreprise de produire en Inde qu'aux États-Unis[11].

Les délocalisations (et le libre-échange) sont néfastes pour l'environnement

Si ceux qui reconnaissent l'efficacité économique du libre-échange et des éventuelles délocalisations pour tous, beaucoup pensent que cela présente malgré tout des risques pour l'environnement : plus de coûts de transport, utilisation de carburants, etc.

Cependant, cette vue sous-estime « ce qu'on ne voit pas ». Prenons quelques exemples :

  • l'implantation d'entreprises étrangères dans les pays en développement permet d'y diffuser des technologies propres, protégeant l'environnement. En se développant, par l'implantation d'entreprises étrangères, les pays concernés deviennent plus propres, polluent moins. Phénomène illustré par exemple par la courbe de Kuznets.
  • le libre-échange permettrait une meilleure utilisation des ressources naturelles disponibles, limitant le gaspillage. Ainsi, la libéralisation de l'agriculture permettrait selon l'économiste Kym Anderson de produire dans des pays au climat plus adapté, en limitant l'utilisation des ressources en eau par exemple.
  • la restriction des implantations d'usine à l'étranger peut aussi aboutir à des conséquences négatives pour l'environnement, comme le montra un rapport du GATT intitulé « Commerce et environnement » (1992). Ainsi, l'économiste indien Jagdish Bhagwati montre-t-il que le contingentement des constructeurs japonais sur le marché américain les poussa à s'éloigner des modèles classiques qu'ils produisaient (de petites voitures à bonnes qualités energétiques) pour produire de gros modèle à marge unitaire plus élevée mais surtout beaucoup plus polluants[12].

Citations

  • « La meilleure chose qu’un gouvernement puisse faire, c’est d’éviter de donner l’illusion que nous pouvons empêcher les changements. » (Tony Blair)
  • « Ni l'Europe, ni les États-Unis n’ont à redouter un mouvement massif de délocalisations » (Suzanne Berger)[9]
  • « Même dans des industries slow-tech comme le textile/prêt-à-porter, le coût du travail n’est qu’un facteur parmi d’autres du coût total lié à une délocalisation : transport, matériaux, capital, mais aussi incertitude quant à l’infrastructure sur place, corruption des autorités publiques, arbitraire politique, etc. sont autant de questions à se poser avant de délocaliser. Pour les entreprises que nous avons étudiées, tous ces facteurs jouent un rôle beaucoup plus important que le seul coût du travail. » (Suzanne Berger)[9]

Informations complémentaires

Notes et références

  1. définition du Conseil d’Analyse Economique, novembre 2004
  2. David Thesmar & Augustin Landier, Le Grand méchant marché, décryptage d'un fantasme français, Flammarion, 2007, ISBN 2081213079, [prés. en ligne]
  3. (en)Jagdish Bhagwati, Arvind Panagariya et T.N. Srinivasan, The Muddles over Outsourcing, Journal of Economic Perspectives 18:4, automne 2004, pp. 93-114, [lire en ligne]
  4. Acrobat-7 acidtux software.png [pdf]Délocalisations et réductions d'effectifs dans l'industrie française, INSEE
  5. CIA World Factbook sur la France
  6. Conseil d'Analyse Économique, Désindustrialisation, délocalisations
  7. Délocalisations, démagogie et ignorance, Libéralisme expliqué
  8. Rapport du Sénat
  9. 9,0 9,1 et 9,2 Acrobat-7 acidtux software.png [pdf]Entretien avec Suzanne Berger par la vie des idées, anciennement accessible sur vneveux.free.fr/seuil/berger.pdf
  10. Horizons Stratégiques, octobre 2006
  11. Stephen Golub, "Comparative and absolute advantage in the Asia-Pacific Region", Federal Reserve Bank of San Francisco working paper, 1995
  12. Jagdish Bhagwati, Éloge du libre-échange, édition d'Organisation, 2005, p. 68.

Bibliographie

  • Suzanne Berger, Made in Monde, Seuil, 2006, ISBN 2020852969
  • Johan Norberg, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Plon, 2004, ISBN 2259200095

Articles connexes

Liens externes

En français

En anglais


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