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Corn Laws
Histoire du Royaume-Uni | |
Les Corn Laws ou lois sur le blé sont une série de lois protectionnistes appliquées au Royaume-Uni entre 1815 (Importation Act 1815) et 1846 (Importation Act 1846). Elles encourageaient l'exportation et décourageaient l'importation de grains. En particulier, dans le cas du blé, lorsque son cours passait en-dessous de 54 shillings le quarter (soit l'équivalent de 291 litres de blé). Cette mesure abritait les producteurs britanniques de la concurrence extérieure, au détriment des consommateurs, en particulier les plus pauvres.
L'abolition de ces lois est symbolique dans la mesure où elles constituaient une des principales entraves au libre-échange[1] qui s'établit par la suite de manière durable au Royaume-Uni. Elle fut obtenue par le combat de Richard Cobden, activiste libéral du libre-échange.
Principe de ces lois
Avant le blocus continental institué par Napoléon Bonaparte, l'importation de blé était quasi libre, les droits de douane étant relativement faibles. Grâce au blocus, les producteurs britanniques bénéficièrent d'un quasi monopole, suivi d'une rapide augmentation des prix (car l'offre de grains s'étant raréfiée, ceux-ci s'échangeaient à des prix plus élevés).
En 1813, un comité de la chambre des communes recommanda de ne pas importer de blé étranger tant que le blé national restait en dessous des 80 shillings. Ce niveau correspondait selon l'économiste Thomas Malthus à un « juste prix », car descendre en dessous aurait pour effet de réduire le salaire des laboureurs[2]. Il s'opposait à David Ricardo qui soulignait, à juste titre, que le Royaume-Uni avait tout à gagner du libre-échange en raison de la loi des avantages comparatifs. Suite à la fin des guerres napoléoniennes et du blocus, le prix du blé fut divisé par deux. Face à cette baisse des prix, en 1815, les producteurs de céréales britanniques tentèrent de protéger leur monopole et firent voter par le cabinet conservateur de Robert Jenkinson une loi qui prévoyait la stabilisation du prix du blé à 80 shillings le quarter, et qui empêchait le blé étranger d'entrer au Royaume-Uni si le prix du marché était inférieur à ce prix. La loi fut suivie d'émeutes à Londres et Manchester.
Effets de la loi
Les lois portaient sur l'ensemble des céréales, mais c'est sur le blé qu'elles avaient les conséquences les plus dramatiques. En effet, le pain était une denrée vitale à l'époque puisqu'il représentait la nourriture de base des ouvriers.
Confrontés à l'augmentation du prix du pain engendrée par l'adoption des Corn Laws, les ouvriers se trouvèrent réduits à la misère. De ce fait, la consommation de biens industriels se trouva elle-même réduite.
De même, les exportations furent affectées par ces lois, car les bateaux quittant le Royaume-Uni chargés de fer, de houille ou de machines, ne pouvaient y revenir chargés de céréales comme auparavant, ce qui provoqua un renchérissement des coûts du transport.
Cette entrave à la consommation et aux exportations incita les manufacturiers à licencier, ce qui eut pour conséquence d'accentuer la pauvreté, comme pour tout protectionnisme.
En revanche le système institué par les Corn Laws était profitable à l'aristocratie : il y avait davantage de fermiers prêts à louer des terres pour les exploiter que de terres disponibles. Les seigneurs pouvaient dès lors obtenir des loyers plus élevés, car les fermiers soumis à la concurrence proposaient le prix maximal qu'ils pouvaient supporter pour la location des terres.
Ainsi, les propriétaires terriens, très influents au parlement, s'opposaient naturellement à toute réforme.
Contestation des lois
L'opposition à cette loi protectionniste qui, comme toute loi protectionniste, renchérissait le coût de la vie, commença très rapidement. En 1820, la Merchants' Petition lancée par l'économiste Thomas Tooke, fut présentée aux Communes pour obtenir le libre-échange. Lord Liverpool, premier ministre anglais, refusa. A plusieurs reprises, le président du Board of Trade, William Huskisson, tenta d'obtenir la fin des Corn Laws mais obtint uniquement un aménagement du système à la fin des années 1820.
Les Whigs qui arrivèrent au pouvoir avec Charles Grey ne remirent pas en cause ces lois jusqu'à leur défaite en 1841 face aux conservateurs de Robert Peel. Peel, beaucoup plus libre-échangiste, réduit en 1842 à 20 shillings les droits de douane imposés quand le cours du blé passe sous les 51 shillings. La défense par les propriétaires fonciers de leur privilège continua. En octobre 1837, une Anti-Corn Law Association est créée par Joseph Hume, Francis Place et John Roebuck mais elle ne parvient pas à obtenir une audience suffisante.
La protestation la plus virulente à l'encontre de ces lois fut celle entreprise à Manchester par Richard Cobden, lorsqu'il créa en 1838 l'Anti-Corn Law League. Trois ans plus tard, il était élu aux Communes. Dans son combat pour la fin des Corn Laws, il soutint William Cooke Taylor qui écrivit de nombreux ouvrages défendant leur abolition : The Natural History of Society (1841), Notes of a tour in the manufacturing districts of Lancashire (1842) et Factories and the Factory System (1844).
Les chartistes ou Karl Marx soutenaient à tort que la suppression des Corn Laws baisserait les salaires puisque les salariés auraient besoin de moins pour vivre et donc que les employeurs les payeraient moins. Cobden et l'Anti-Corn Law League mirent en évidence la vacuité de ce raisonnement : si les produits de première nécessité sont chers, il ne reste rien au travailleur pour acheter autre chose et les industries périclitent, faute de débouchés, situation dans laquelle les travailleurs sont les premières victimes. Un opposant aux Corn Laws de déclarer ainsi dans un discours[3] :
« When provisions are high, the people have so much to pay for them that they have little or nothing left to buy clothes with; and when they have little to buy clothes with, there are few clothes sold; and when there are few clothes sold, there are too many to sell, they are very cheap; and when they are very cheap, there cannot be much paid for making them: and that, consequently, the manufacturing working man's wages are reduced, the mills are shut up, business is ruined, and general distress is spread through the country. But when, as now, the working man has the said 25s. left in his pocket, he buys more clothing with it (ay, and other articles of comfort too), and that increases the demand for them, and the greater the demand...makes them rise in price, and the rising price enables the working man to get higher wages and the masters better profits. This, therefore, is the way I prove that high provisions make lower wages, and cheap provisions make higher wages. »
Des réunions sont organisées dans les principales villes britanniques, elles deviennent même hebdomadaires à Londres. Des milliers de personnes assistent à ces conférences dans tout le pays et souscrivent à l'association, permettant ainsi le financement de livres, de brochures et de tracts. Durant 7 ans, cette ligue rallia autour de sa cause de plus en plus de personnes, en propageant le débat. Le magazine The Economist fut fondé en septembre 1843 par James Wilson avec l'aide de la League pour défendre le libre-échange, idée qu'il continue de défendre aujourd'hui encore.
Les propriétaires terriens continuèrent à tenter de sauver leur privilège par la création en 1844, à l'instigation du duc de Richmond, de la Central Agricultural Protection Society, dont le but est la défense des Corn Laws.
Après une période de calme due à de bonnes récoltes en 1844, la situation s'envenime en 1845 avec la famine irlandaise et de mauvaises récoltes au Royaume-Uni. Le premier ministre Robert Peel, influencé par Richard Cobden, demanda alors la suppression des lois, démarche dans laquelle il fut suivie par lord John Russell, leader des Whigs. Une partie de son cabinet refusant de le suivre, Peel démissionne et Russell est appelé par la reine Victoria. Ne parvenant pas à trouver une majorité, il doit renoncer et Peel reste en poste.
Abolition
Malgré la résistance des protectionnistes, Robert Peel suit les idées de Cobden et annonce dans un discours le 27 janvier 1846 que les Corn Laws seront abolies le 1er février 1849 après trois ans de baisses graduelles. Les propriétaires fonciers partisans du maintien des lois réagirent avec les mêmes arguments que ceux que l'on peut entendre aujourd'hui sur le « risque » de remettre en cause l'ordre établi.
L'abolition est votée formellement le 15 mai 1846 par l'Importation Act 1846. 327 députés votèrent en faveur de la loi contre 229. Dans son discours de démission quelques mois plus tard, Peel attribuera directement à Cobden le succès de l'abolition des Corn Laws[4] :
« In reference to our proposing these measures, I have no wish to rob any person of the credit which is justly due to him for them. But I may say that neither the gentlemen sitting on the benches opposite, nor myself, nor the gentlemen sitting round me—I say that neither of us are the parties who are strictly entitled to the merit. There has been a combination of parties, and that combination of parties together with the influence of the Government, has led to the ultimate success of the measures. But, Sir, there is a name which ought to be associated with the success of these measures: it is not the name of the noble Lord, the member for London, neither is it my name. Sir, the name which ought to be, and which will be associated with the success of these measures is the name of a man who, acting, I believe, from pure and disinterested motives, has advocated their cause with untiring energy, and by appeals to reason, expressed by an eloquence, the more to be admired because it was unaffected and unadorned—the name which ought to be and will be associated with the success of these measures is the name of Richard Cobden. Without scruple, Sir, I attribute the success of these measures to him. »
— Robert Peel
A la suite de la loi, le parti conservateur se divisa et les partisans de Peel, libre-échangistes, formèrent le groupe des Peelites avec en particulier William Gladstone. En 1859, ils fusionnèrent avec les Whigs pour former le parti libéral britannique.
Conséquences
Le prix du blé baissa progressivement au Royaume-Uni, grâce aux importations de blés étrangers. Les travailleurs agricoles qui partirent par conséquent travailler dans les centres industriels nourrirent la croissance britannique pendant longtemps, tandis que les revenus des fermiers montèrent jusqu'à être les plus élevés d'Europe grace à la modernisation des exploitations et à l'aiguillon de la concurrence internationale.
En France, Frédéric Bastiat lança un mouvement similaire à celui de Cobden. Il ne rencontra cependant pas le même succès et fut affaibli par la mort précoce de l'économiste en 1850. Cette Ligue du libre-échange renaquit cependant au XXe siècle.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ Francis W. Hirst, 1925, "From Adam Smith to Philip Snowden. A history of free trade in Great Britain", London : T. Fisher Unwin
- ↑ Woodward, E.L., Sir (1962) The Age of Reform, 1815-1870, The Oxford history of England 13, 2nd Ed., Oxford : Clarendon Press, ISBN 0198217110, p.61
- ↑ Bright J. and Thorold Rogers, J.E. (eds.) [1870](1908) Speeches on Questions of Public Policy by Richard Cobden, M.P., Vol. 1, London : T. Fisher Unwin, republished as Cobden, R. (1995), London : Routledge/Thoemmes, ISBN 0415127424, p. 129
- ↑ Morley, J. (1905) The Life of Richard Cobden, 12th ed., London : T. Fisher Unwin, 985 p., republished by London : Routledge/Thoemmes (1995), ISBN 0-415-12742-4, p. 388
Bibliographie
- 1930, D. G. Barnes, "History of the English Corn Laws from 1660-1846", London
- 1931, F. J., "Corn laws", In: Edwin R. A. Seligman, dir., "Encyclopaedia of The Social Sciences", Vol IV, New York: MacMillan
- Nouvelle impression en 1935, New York: MacMillan
- Nouvelle édition en 1937, (Volumes III et IV rassemblés), New York: MacMillan
- 10ème édition en 1953, "Corn laws", In: Edwin R. A. Seligman, dir., "Encyclopaedia of The Social Sciences", Vol IV, New York: MacMillan, pp405-408
- 1946, Francis Wrigley Hirst, "The Repeal of the Corn Laws. 1846-1946", Cobden Club
- 1996, B. Coleman, "1841-1846", In: Arthur Seldon, dir., "How Tory Governments Fall. The Tory Party in Power since 1783", London : Fontana, ISBN 0-00-686366-3
- Cooke Taylor, W. (1841) Natural History of Society, D. Appleton & Co., New York
- Cooke Taylor, W. (1842) Notes of a tour in the manufacturing districts of Lancashire,
- Cooke Taylor, W. (1844) Factories and the Factory System, Jeremiah How, London
- Ensor, R.C.K. (1936) England, 1870-1914, The Oxford history of England 14, Oxford : Clarendon Press, ISBN 0-19-821705-6
- Marx, K. (1970) Capital: a critique of political economy; Vol. 3: the process of capitalist production as a whole, Engels, F. (Ed.), London : Lawrence & Wishart, ISBN 0-85315-028-1
- Schonhardt-Bailey, C. (2006) From the Corn Laws to Free Trade: interests, ideas, and institutions in historical perspective, Cambridge, Mass.; London : The MIT Press, ISBN 0-262-19543-7
- Semmel, B. (2004) The Rise of Free Trade Imperialism: classical political economy the empire of free trade and imperialism, 1750-1850, Cambridge University Press, ISBN 0-521-54815-2
- Woodward, E.L., Sir (1962) The Age of Reform, 1815-1870, The Oxford history of England 13, 2nd Ed., Oxford : Clarendon Press, ISBN 0-19-821711-0
Liens externes
- "Corn Laws", page web modifiée en 1987, de David Cody, Professeur adjoint d'anglais à l'université Hartwick College, portant sur le thème "The Victorian Web : literature, history and culture in the age of Victoria"
Voir aussi
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