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Loi Le Chapelier

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La loi Le Chapelier est promulguée durant la période de l'Assemblée Constituante le 14 juin 1791. Du nom d'Isaac Le Chapelier, avocat breton et député jacobin, cette loi vise à interdire les coalitions dont les rassemblements de paysans et d'ouvriers, ou les syndicats, établissant ainsi la liberté d'entreprendre et de s'installer.


Contexte historique

Les premières tentatives de réforme : La vision de Turgot

Dès 1776, le ministre français Turgot cherche à libéraliser le commerce des grains et à abolir les guildes, qu'il considère comme des obstacles à la croissance économique, à l'innovation technique et à l'initiative individuelle.

Cette idée inspire des réformes apparaissant dans les cahiers de doléances de 1789, pendant la Révolution. Les ouvriers et les artisans, notamment les cordonniers, les perruquiers et les tailleurs, manifestent pour obtenir des salaires plus élevés. Malgré la répression répétée de l'Ancien Régime, les coalitions d'ouvriers - associations temporaires défendant des droits et des intérêts communs - se multiplient et s'affirment de plus en plus, soutenues par les associations permanentes et la tradition du compagnonnage.

La Révolution française

D'après François Furet, la Révolution française marque à la fin de la société aristocratique bâtie par la monarchie absolue sur les régimes du "régime féodal" , notamment via l'abolition des privilèges de la nuit du 4 août 1789. Les députés de l'Assemblée Constituante souhaitent passer d'une société définie par des privilèges partagés entre diverses personnes morales et donner naissance à une nouvelle société radicalement individualiste.

Inspirée par les conceptions de l'abbé Sieyès exposées dans Qu'est ce que le tiers État ? , cette transformation met l'accent sur deux parties légitimes de l'individu : la sphère individuelle, où l'individu défend ses droits et recherche son bonheur personnel, et la sphère publique, où l'individu agrégé aux autres citoyens pour fonder la souveraineté publique. En revanche, la partie sociale, où l'individu-sociétaire s'associe à ses semblables pour former des groupements fondés sur des intérêts particuliers, doit être exclue de la Cité.

La loi Le Chapelier de 1791 incarne la forte aversion des députés révolutionnaires pour les corps intermédiaires et l'ordre aristocratique en interdisant les associations professionnelles et ouvrières, afin de promouvoir une relation directe entre l'individu et l’État.

«  Ce qui disparaît en août 1789, et pour toujours, c'est la société des corps définis par des privilèges partagés. Ce qui naît, c'est la société moderne des individus, dans sa conception la plus radicale, puisque tout ce qui peut exister d’intermédiaire entre la sphère publique et chaque acteur de la vie sociale est non seulement supprimé, mais frappé de condamnation.  »
    — La Révolution française, François Furet

«  Il n'y a de pouvoirs que ceux constitués par la volonté du peuple, exprimée par ses représentants il n'y a d'autorité que celle déléguée; il ne peut y avoir d'action que celle de ses mandataires chargés de fonctions publiques. C'est pour conserver ce principe dans toute sa pureté que, d'un bout de l'empire l'autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu'elle n'a plus reconnu qu'un corps social et des individus. »
    — Isaac Le Chapelier, 1791


Le décret d'Allarde

Le décret d'Allarde, défendu par le baron Pierre d'Allarde, est voté le 2 mars 1791. Reprenant les idées de l'édit de Turgot de 1776, il souligne que le droit au travail est un droit humain fondamental et abolit les corporations et leurs pratiques restrictives qui avait cours durant l'Ancien Régime. Bien qu'il s'agisse avant tout d'une mesure fiscale faisant partie de la réforme générale du système d'imposition, le décret Allarde s'inscrit clairement dans la lignée des attaques menées depuis deux décennies contre le système corporatif. Cela ouvre la voie à des actions législatives ultérieures, notamment la loi Le Chapelier.

Contexte social : l'agitation du printemps 1791

La loi Le Chapelier a été promulguée dans un contexte d'agitation sociale généralisée, caractérisée par des révoltes paysannes et des grèves ouvrières. Au printemps 1791, l'agitation ouvrière atteint son paroxysme à Paris, avec des rassemblements réguliers de charpentiers et de forgerons réclamant des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. Cette période d'agitation accrue démontre le pouvoir croissant et l'assurance des coalitions ouvrières, qui posent un défi important au contrôle du gouvernement révolutionnaire et à ses politiques économiques.

Dispositions clés et implications

Interdiction des associations professionnelles

Dans sa Révolution Française, François Furet affirme que la Loi Le Chapelier s'inscrit un schéma plus général de l'attention portée par l'Assemblée constituante aux intérêts de la bourgeoisie: elle établit ainsi la liberté de circulation en 1791.

La loi Le Chapelier complète le décret d'Allarde et a l'ambition de démanteler les anciennes structures économiques afin de promouvoir une économie de marché. Elle va même au-delà puisqu'elle étend l'égalité juridique aux contrats de travail et interdit explicitement toute forme d'association professionnelle entre membres d'une même profession, qu'elle soit composée d'employeurs ou d'employés, et les grèves. Les députés ont en effet l'intention d'éliminer les excès corporatistes de l'Ancien Régime de leur nouvelle société révolutionnaire : la loi doit favoriser la liberté individuelle et la concurrence économique, conformément aux principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen.

Impact sur les travailleurs et les syndicats

Bien qu'initialement accueillie comme une mesure visant à réduire les tendances monopolistiques des guildes et à promouvoir le développement professionnel, la loi Le Chapelier constitue une négation de la liberté d’association, en particulier des ouvriers. Le spectre des anciennes corporations et des compagnonnages fait négliger le droit des salariés à la coalition.

Si la loi Le Chapelier ne prohibe pas complètement des grèves ponctuelles comme celle du Panthéon durant l'été 1791, elle limite singulièrement les capacités d'organisation des individus dans le cadre de défense de revendications communes dans le cadre de leur emploi. Elle peut donc être vue comme une tentative de la Constituante de réfréner les excès populaires de la Révolution, par la régulation du marché du travail et le contrôle social des masses.

L'interdiction des associations de travailleurs est accentuée par la suite avec la loi de 1803 sur la réglementation du travail, qui a introduit le livret ouvrier. Le code pénal de 1810 les criminalise encore davantage et affermit donc le contrôle sur la main-d'œuvre industrielle perçue comme une menace diffuse.

En parallèle des organismes professionnels se reforment dès l’Empire, comme l’Ordre des avocats ou des médecins ou encore les chambres de commerce et d’industrie. Il est devenu évident que la loi entravait considérablement la formation de syndicats et suscitait un mécontentement croissant au sein de la classe ouvrière, ce qui conduit logiquement à des appels à la réforme.

Abolition et héritage

Reconnaissant la nature restrictive de la loi Le Chapelier sur les droits des travailleurs, les députés de la Troisième République, dont Émile Olivier, l'abolissent finalement le 21 mars 1884. Cette abolition a marqué le début d'une nouvelle ère pour les droits des travailleurs en France, et conduit à l'émergence du mouvement syndicaliste.

L'abolition des corporations s'accompagne d'un renforcement du rôle de l'État dans le secteur de la formation, afin de mieux contrôler certains secteurs jugés stratégiques ou critiques pour l'ordre public. En 1794 sont fondés l'École Polytechnique qui produit des ingénieurs et veille à la sécurité des bâtiments, responsabilité auparavant dévolue aux corporations du bâtiment, ou encore le Conservatoire des Arts et Métiers pour perfectionner l'industrie nationale et diffuser les savoirs techniques et scientifiques.

Bibliographie

  • 2007, François Furet, La Révolution française
  • 2012, Jean-Clément Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française
  • 2014, Michel Biard, Phillipe Bourdin, Silvia Marzagalli Révolution Consulat Empire (1789-1815)