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La naissance des technologies du XXe siècle
La croissance de l’économie mondiale subit un sensible ralentissement entre les années 1870 et les années 1890, mais une nouvelle période d’essor accéléré apparaît à partir de 1896. Les années 1880/1890 voient l’émergence de nouvelles technologies groupées en grappes : l’électricité, la turbine à vapeur, la chimie organique ou le moteur à explosion. Entre 1898 et 1914, les taux d’investissement dans l’ensemble des pays industrialisés ont réalisé un bond en avant spectaculaire, surtout en Allemagne et aux États-Unis, pays où se développèrent le plus précocement et le plus massivement les technologies nouvelles. La guerre de 1914 devait malheureusement briser ce mouvement de croissance.
Les acteurs de l'innovation : le basculement institutionnel
L’univers des connaissances et des métiers
Artisans et ouvriers
Il n’y a pas de différence de nature entre les savoir-faire artisanaux et ouvriers de l’époque moderne et ceux du XIXe siècle. L’usine n’est qu’un lieu de rassemblement et de mobilisation de métiers différents. Le métier exige d’abord la maîtrise du corps et des muscles. À l’ouvrier purement professionnel venait s’adjoindre l’ouvrier qualifié détenteur d’un savoir.
Les technologies de la seconde révolution industrielle ont largement fait appel aux savoir-faire existants. L’industrie automobile et l’industrie aéronautique ont réalisé la symbiose entre le savoir-faire ouvrier et le savoir-faire technicien et scientifique. L’ouvrier qualifié a pris une importance de plus en plus grande. La maîtrise des machines et des installations électriques exigeait une bonne compréhension de leurs fonctionnements. Des écoles d’apprentissage spécialisées se développèrent. Les nouvelles méthodes d’organisation fondées sur l’extrême division du travail ont dans certains secteurs provoqué des processus de déqualification avec l’ouvrier spécialisé dont le savoir-faire se réduisait à un geste identique. Mais en Europe le phénomène ne prit d’ampleur véritable que dans l'entre-deux guerres. Les artisans et les ouvriers d’ateliers jouèrent un rôle essentiel dans les premiers développements d’industries telles que la bicyclette ou l’automobile. Le frein à patin a été inventé par un ouvrier de Michelin.
La connaissance scientifique et technologique
La recherche s’est peu à peu institutionnalisée et professionnalisée avec le développement des universités scientifiques. Dans le monde de la recherche pure, le but du chercheur est d’être reconnu par ses pairs, alors que dans le monde de la recherche appliquée, il s’agit d’obtenir des résultats. La recherche pure a pour but de développer la connaissance, la recherche appliquée d’accroître les moyens de produire. Il y a différenciation au sein des cursus universitaires entre un enseignement scientifique et un enseignement de haute technologie ou d’engineering. Le modèle initial des enseignements technologiques fut en France la formation des ingénieurs d’État. L’autre filière de formation est celle des ingénieurs civils.
Le système allemand avait au départ institutionnalisé la séparation entre les deux : parallèlement aux universités sont apparus à partir des années 1820 des Gewerbe Institute qui devaient donner naissance aux Technische Hochschule. Après 1870 leur enseignement scientifique se fit de plus en plus proche de celui des universités grâce à la création des laboratoires de recherche. En 1887 création du Physikalisch-Technische Reichsanstalt, un des premiers centres de recherche non universitaire et 1911 du Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft. Chaque institution reposait sur une étroite coopération entre des hauts fonctionnaires, des industriels et des universitaires scientifiques. La théorie physique et la science chimique restaient le domaine réservé des universités, l’électrotechnique était celui des Technische Hochschule.
Les entreprises
Le modèle entrepreneurial
Le concept de cycle de produit voit dans un premier temps l’émergence du produit avec des unités de production dispersées et un marché concurrentiel. La seconde étape avec l’élargissement des débouchés du produit de masse voit la rationalisation de la production et sa concentration. La dernière étape, la maturité, débouche sur la mise en place d’une structure oligopolistique. Mais ce modèle a une logique trop rigoureuse.
Avant 1914 le rôle des inventeurs indépendants a été prédominant dans le processus d’invention. Aucune invention n’est le résultat d’un brusque éclair de génie mais l’aboutissement d’un effort de recherche obstiné. L’inventeur est immergé dans le milieu technico-scientifique. Beaucoup d’entre eux ont su faire de leur invention le point de départ d’une réussite entrepreneuriale. Les industries de pointe ont été dans leur grande majorité créées par des entrepreneurs nouveaux. Mais les réussites dans les nouvelles industries étaient rares car c’était des activités à haut risque. Le succès fut l’effet d’une heureuse combinaison de compétences et de talents. Il ne dépendait pas de la qualité d’un individu mais de celle d’une équipe. Les trois plus grandes entreprises chimiques allemandes en 1914 ont été fondées dans les années 1860, associant des chimistes de haut niveau scientifique à des négociants spécialisés dans les colorants (Bayer, Höchst et BASF). L’un des deux frères Michelin prit en main la fabrication, l’autre eut le génie du marketing. Le succès de l’entrepreneur innovateur ne peut s’expliquer que par son intégration dans un réseau de solidarité, ainsi l’industrie parisienne de la Belle Époque où les relations inter-entreprises étaient intenses favorisant la circulation des hommes, des capitaux, des connaissances et des informations.
La grande entreprise
Dans un grand nombre de secteurs les très grandes entreprises qui se formèrent alors dominent encore aujourd’hui l’économie mondiale. En Allemagne, le mouvement de concentration s’accéléra dans les années 1900 dans les industries de biens d’équipements et de biens intermédiaires surtout dans la chimie et l’électrotechnique. En 1913, dans la chimie organique, 8 entreprises dominaient le marché, mais les trois premières assuraient les trois quarts du chiffre d'affaires. Elles formèrent plus qu’un cartel qui devait aboutir à une véritable fusion en 1925 (IG Farben). L’électrotechnique était soumise à un duopole (AEG et Siemens). L’AEG fondée en 1884 par Rathenau, archétype de l’entrepreneur salarié alors que Siemens créé en 1847, SA en 1897 était restée sous contrôle familial.
Le mouvement de concentration peut s’analyser de deux manières. Certaines entreprises ont cherché à profiter des économies d’échelle. D’autres ont eu pour but de conquérir des positions dominantes. Les groupes construits sur la base d’une logique intégrationniste ont rencontré plus de succès que ceux qui ont conservé une structure de holding. En réalité, la conquête de positions dominantes a été dans de nombreux cas le facteur principal de la réussite à long terme. L’entreprise a pu définir une stratégie d’innovation permanente, évolution des industries de biens d’équipement ou mettre en place une politique de commercialisation et de marketing de grande ampleur dans les industries de biens de consommation. La concentration allemande a concerné plutôt les industries des biens intermédiaires et celles des biens d’équipement.
La recherche captive
Dans de nombreux secteurs, particulièrement les industries chimiques et électriques, les entreprises les plus performantes ont créé des laboratoires de grande taille, processus accéléré dans les années 1900. Le type de recherche que les laboratoires développèrent avait 4 caractères originaux : institutionnalisée, programmée et même planifiée, massifiée et enfin globale. L’histoire de l’industrie allemande des colorants fournit un bel exemple de ce processus. La volonté des dirigeants des grandes firmes chimiques était de perpétuer les monopoles technologiques. Les rythmes de l’innovation furent accélérés, l’innovation globalisée. Un personnel nombreux, issu des universités, fut engagé et se spécialisa dans la recherche. La synthèse de l’indigo, principe découvert par Bayer en 1880, nécessité 17 ans d’effort et une dépense de plus d’un million de livres pour la mettre au point. Cette recherche annonce les grands programmes civils et militaires du XXe siècle. Elle mobilise des moyens financiers, techniques et humains considérables. Des recherches ont aussi ouvert des opportunités inattendues. Les chimistes allemands passèrent ainsi des colorants à la pharmacie et à la synthèse de l’ammoniac.
L’essor des multinationales
La mobilité des capitaux fut l’un des principaux facteurs de la croissance de l’économie mondiale. Depuis le début de XIXe siècle. des investissements de base ont été réalisés soit dans la production de biens primaires soit dans les chemins de fer, secteur où les Britanniques jouèrent un rôle prépondérant. Le fait nouveau fut l’accélération à partir des années 1880 de l’essor des investissements dans l’industrie manufacturière ou dans les services publics commerciaux et bancaires. L’implantation d’une entreprise dans un pays d’accueil se déroule en trois étapes : la mise en place d’un agent commercial ; l’installation d’une succursale de vente ; la création d’une ou plusieurs usines. Elle combine trois stratégies complémentaires : des coûts plus bas ou le contournement des droits de douane ; politique d’intégration des fonctions du marché ; volonté d’assurer le développement de ces filières techniques, raison majeure avant 1914
L’expansionnisme économique des entreprises allemandes s’appuya sur une supériorité technologique que l’on cherchait à affermir. Bosch, premier producteur mondial de magnétophones en 1914, exportait 88 % de sa production et avait ouvert des usines en France et aux États-Unis. Les grandes firmes chimiques allemandes se sont très précocement implantées à l’étranger : en Russie et en France fin 1870 début 1880 et en Grande-Bretagne dans les années 1900. Les grandes entreprises et électrotechniques ont ouvert très peu d’usines à l’étranger mais ont créé des holding de participation souvent localisés en Suisse. Ces sociétés suscitèrent la création d’entreprises de distribution de l’électricité ou d’exploitation de tramways.
Consommateurs et marketing
La technologie est doublement au service du consommateur : parce qu’elle lui propose de nouveaux produits et parce qu’elle les met à la disposition du plus grand nombre. L’essor de l’électricité tout autant que celui de l’automobile correspond à ce schéma. Dans les années 1870 et 1880, la lumière électrique était un produit de luxe.
La réussite française dans l’automobile entre 1889 et 1914 s’explique par la bonne réceptivité de ce produit par la société française avide de nouveauté et de modernité. L’Automobile Club est fondée en 1895. Très tôt les constructeurs se livrent une bataille publicitaire sans merci. La promotion de l’automobile a reposé sur la mobilisation de la presse (25 publications en 1900 dont L’Auto). Dans un second temps, les stratégies promotionnelles combinent de manière subtile la mobilisation des foules et le snobisme aristocratique. Les consommateurs pionniers ont joué le rôle de cobayes : ni les premières automobiles ni les premiers aspirateurs n’étaient fiables. Un dialogue constructif s’est instauré entre une clientèle marginale et un milieu diversifié d’entrepreneurs innovateurs.
L’essor du marketing de masse ne fut pas limité aux États-Unis, il fut l’une des composantes essentielles du succès des grandes entreprises chimiques allemandes. Dans le pharmacie, les chimistes allemands inventèrent les méthodes modernes de promotion de ces produits : multiplication des spécialités, campagnes publicitaires, actions promotionnelles de formation auprès des médecins. Les industriels anglais de l’alimentaire et des produits d’hygiène firent preuve d’une grande créativité dans le domaine du marketing : cube de sucre de Tate and Lyle, savonnettes d’Unilever, produits chocolatés de Cadbury.
Du charbon roi aux nouvelles technologiques
Le système énergétique
Étroite dépendance de l’usage du charbon : trois quarts de la consommation mondiale d’énergie en 1913.
Production et usages du charbon
Une industrie de main-d’œuvre : en Europe, l’extraction exigeait à la fois de gros investissements et l’utilisation d’une main-d’œuvre abondante. L’exploitation en profondeur entraînait la mise en place d’une technologie nouvelle. L’utilisation de l’électricité se généralisa peu à peu dans les années 1890 pour l’éclairage des installations de surface et des mines puis à partir de 1900 pour développer la mécanisation des opérations de transport, de manutention, de pompage et de ventilation. L’électricité introduit plus de souplesse et de sécurité.
Au fond des mines c’était toujours le règne de l’abatteur roi et la force musculaire restait la seule énergie utilisable. En 1914, l’abattage mécanique ne représentait que 10 % de la production en Belgique, 8 % au Royaume-Uni, 5 % dans la Ruhr et 2 % dans le Nord. Son application remettait en cause l’organisation du travail en équipes. L’extraction soumettait la main-d’œuvre à des conditions de travail particulièrement pénibles, malsaines et dangereuses. La technologie du XIXe siècle est marquée par une mécanisation partielle qui se limite à des îlots isolés, autour desquels le recours à un effort physique particulièrement intense est la seule issue possible.
Les usages du charbon : instrument du processus de mécanisation par la vapeur ; combustible destiné au chauffage des espaces ; combustible et/ou composant chimique de l’industrie des matériaux.
La force motrice
Les technologies de la vapeur : la puissance unitaire des machines à vapeur a beaucoup progressé au cours du XIXe siècle et peut aller jusqu’à un maximum de 2200 chevaux. La stabilisation des performances de la machine à piston provoque une accélération des recherches dans le domaine des turbines à vapeur. Les deux applications principales des turbines furent les navires et les centrales électriques, construites pour de très grosses puissances, à l’encombrement réduit, à la marche silencieuse. L’ensemble de la technologie des moteurs se transformait avec plusieurs solutions alternatives : moteur à vapeur, moteur à gaz, moteur électrique, moteur à essence ou diesel.
L’offre d’électricité
La centrale électrique a été une incitation puissante au développement des usages industriels de l’électricité. La découverte au début des années 1890 en Allemagne et ailleurs des possibilités offertes pour le transport à distance par le courant alternatif haute tension associé à l’usage des transformateurs renforça la puissance de cette dynamique. Grâce au transformateur, on était passé d’une logique de centrale à une logique de réseau à grande échelle. À partir de centrales productrices de grande puissance, des réseaux de transport à grande distance diffusaient un courant alternatif haute tension polyphasé qui pouvait être transformé en courant alternatif à faible tension ou en courant continu. En France les réseaux haute tension conservèrent un caractère régional jusque dans les années 1920.
L’énergie hydraulique avait retrouvé une nouvelle jeunesse grâce à l’utilisation de turbines à haut rendement. L’hydroélectricité fut pour de nombreux pays pauvres en charbon un tremplin pour accéder à l’industrialisation ou l’accélérer : en Italie dès la fin du XIXe siècle, plusieurs grandes centrales hydrauliques avaient été construites ; dans les Alpes françaises l’essor de la production débuta dès les années 1990. L’entre-deux guerres en France devait être marqué par un effort général d’interconnexion et de standardisation. L’essor des usages de l’électricité fut ralenti par la résistance des modes d’utilisation de l’énergie préexistants, gaz ou machine à vapeur. Pour que l’électricité passe de sa position marginale à une position centrale, des investissements considérables étaient nécessaires alors que les installations en place étaient amorties : les prix de l’électricité restèrent longtemps non compétitifs. L’électricité était l’accompagnatrice obligée des technologies nouvelles.
L’économie domestique
Au cours du XIXe siècle, la concentration humaine dans l’espace restreint des villes avait créé des conditions d’hygiène et de promiscuité désastreuses. De plus, l’augmentation du niveau de vie fit naître des aspirations nouvelles de bien-être et de confort.
Une science nouvelle
L’économie domestique était devenue une discipline autonome pratiquée principalement par des femmes sur la manière de gérer le budget et d’organiser le travail ménager. Un système de valeurs à dominante individualiste et hédoniste s’affirma peu à peu, associé à l’usage de l’eau, du gaz et de l’électricité. Il accordait une place de plus en plus importante aux loisirs.
Hygiène : à Paris les usages de l’eau restaient limités. Vers 1900, la consommation journalière était de 50 litres par jour en moyenne. 23 000 immeubles sur 71 000 étaient équipés du tout-à-l’égout et moins de 3 % des foyers disposaient d'une salle de bain. Le citadin avait largement recours aux bains publics. Paris était très en retard dans ce domaine. Le chauffage du bain était encore un luxe dans les années 1900. Le chauffe-eau à gaz avait été inventé au Royaume-Uni en 1868 (Geyser) mais son utilisation demeura dangereuse jusque dans les années 1930.
Tâches ménagères : des réchauds et cuisinières à gaz devenaient d’un usage courant en 1900. L’électricité avait favorisé le développement de l’industrie du froid : 5000 machines frigorifiques en Allemagne pour 1300 en France en 1907. Le marché de l’industrie frigorifique : la brasserie, le traitement de la viande et la fabrication de la glace. Au Royaume-Uni la plus grande part de la puissance frigorifique installée était au service du système d’importations de produits alimentaires (navires frigorifiques et entrepôts). La technologie de la machine à laver avait un long passé et son mécanisme était fondé sur l’imitation des gestes de la blanchisseuse. Les efforts de mécanisation des tâches ménagères ont précédé l’essor de l’électricité. La machine à coudre en fournit une illustration avec la commercialisation par Isaac Singer de son produit en Europe dès les années 1860. C’est aussi l’époque des aspirateurs portatifs. L’électricité ne fit pas naître à proprement parler de nouveaux produits mais elle les rendit utilisables. Pourtant, ils avaient encore besoin d’une longue mise au point. Les premiers aspirateurs électriques fiables apparurent à la fin des années 1900, mais l’objet domestique électrique le plus répandu avant la guerre fut le fer à repasser. La multiplication des appareils témoigne d’une triple aspiration : assurer l’hygiène des logements, réduire la pénibilité du travail et libérer la femme.
Éclairage et chauffage : l’introduction de l’huile minérale dans les années 1860 avait amélioré la qualité de la lumière. L’éclairage au gaz dans les grandes villes s’accéléra dans les années 1880, amélioré par le recours à l’incandescence. L’avenir appartenait à la lumière électrique mais la lampe à incandescence resta jusqu'en 1914 un objet fragile et éphémère. En 1910 est mis au point le tube à néon.
L’automobile : née autour de 1890, elle est au départ à peine davantage qu’un jouet. Le moteur à explosion l’emporta définitivement vers 1900. La France comptait alors 40 000 véhicules contre 143 000 aux États-Unis. Les entreprises qui se développaient les plus rapidement furent Peugeot et Berliet qui avaient mis au point un modèle à bon marché : 107 000 véhicules circulaient en 1914.
Mécanisation et production de masse
L’héritage du XIXe siècle et l’électrification
Le processus de mécanisation de la production industrielle au cours du XIXe siècle avait rencontré les limites imposées par un système technique dans lequel l’énergie ne pouvait être ni transportée à distance ni facilement divisée. Le régime de l’industrie dispersée était encore très largement répandu : un quart des actifs industriels étaient des « travailleurs isolés » en France en 1906. La « fabrique collective » était toujours bien vivante (rubanerie stéphanoise, broderie troyenne). La sauvegarde du petit atelier fut de tout temps considérée comme une exigence première du maintien de l’ordre social. C’est pourquoi l’invention du « moteur de famille » fut considérée comme une priorité de la recherche technologique. La solution la plus satisfaisante était offerte par le réseau de distribution de gaz dont la réussite était complète à Paris en 1900. Mais les réseaux électriques avaient démontré leur supériorité : dans la région de Saint-Étienne, l’électricité donna un second souffle au travail à domicile.
Dans le long terme, la force motrice électrique fut un facteur décisif du processus de concentration des établissements. Les moteurs électriques étaient plus flexibles que les machines à vapeur. Les systèmes de transmission de la force étaient une des causes d’accidents du travail les plus importants dans les usines. Les systèmes de transmission mécanique gaspillaient beaucoup d’énergie : de 40 à 70 % de perte en Allemagne et au Royaume-Uni. Ce fut le bon fonctionnement des moteurs de faible et moyenne puissance qui fut à l’origine de cette première vague de diffusion ; l'atout décisif était celui de la divisibilité et de la flexibilité. Il fallut plus de temps pour que le moteur électrique soit adapté à des usages exigeant une mobilisation d’énergie importante comme les laminoirs ou les hauts fourneaux. La véritable maîtrise de ces procédés ne fut atteinte que dans les années 1920.
Aux origines de la production de masse
La production en continu dans son principe de base fut appliquée très précocement dans l’industrie chimique. À partir des années 1860 ce fut la coulée continue dans la sidérurgie. Dans tous les secteurs la continuité des flux devenait la source principale de la croissance de la productivité. On pourrait penser que la conception de la ligne d’assemblage des usines Ford a été influencée par les idées de Frederick W. Taylor qui reposaient sur la décomposition en séquences du travail ouvrier et le chronométrage des gestes. Il s’agit plus d’une convergence que d’une influence directe. Le but de Henry Ford était de réduire et même d’éliminer le travail manuel par la mécanisation alors que Frederick Taylor cherchait à améliorer l’efficacité des travailleurs.
L’Europe à l’école américaine : l’exemple français
Le transfert vers l’Europe des méthodes américaines commença dès avant 1914. Ernest Mattern à l’usine Peugeot de Lille réalisa l’interchangeabilité des pièces, introduisit des machines outils automatiques, une chaîne de montage immobile et la répartition des installations en sections spécialisées. Plus d’une vingtaine d’usines dont 6 sociétés d’automobiles avaient introduit ou commencé d’introduire le système de Taylor dans leurs usines : Renault à Billancourt, Michelin à Clermont. Leur application se heurta à une indéniable résistance ouvrière (grève chez Renault en 1913). Le taylorisme apparaissait comme une machine à détruire les métiers. Les industriels français ne pensaient pas que le travail à la chaîne était applicable en France car ils restaient attachés à la diversité des produits.
Transports
L’offre de transport
Entre 1900 et 1913 le tonnage de la flotte mondiale a augmenté de 25 %. Les lignes régulières se sont multipliées, le trafic de Tramps, cargos affrétés au gré de la demande, se développait. La technologie du chemin de fer à vapeur rencontra à la fin du siècle une double limite : elle répondait de plus en plus difficilement aux besoins nouveaux de transport que son essor même avait fait naître. D’où l’essor des tramways électriques, l’automobile et la renaissance des canaux, particulièrement en Allemagne.
Transports et énergie
La machine à vapeur à piston était dans sa belle maturité dans les années 1890 mais le système avait atteint ses limites avec les problèmes de vibration et d’encombrement et les pertes de temps qu’entraînait le chargement du charbon. Les rues de chauffe étaient de véritables antichambres de l’enfer. La chauffe au mazout fut saluée comme une révolution. La turbine à vapeur ne s’était généralisée que sur les navires de guerre et les grands paquebots avec ses avantages : absence de vibration, rendements élevés et encombrement plus faible.
La technologie de la locomotive à vapeur avait entamé deux évolutions très sensiblement divergentes en France et dans les pays anglo-saxons. Les ingénieurs français avaient développé l’application du principe de la double détente, conception fondée sur la recherche du rendement le plus élevé possible qui reposait sur le savoir-faire du mécanicien capable de maîtriser une locomotive complexe. La locomotive répandue sur le réseau britannique après 1918 se caractérisait par sa simplicité d’utilisation fondée sur la simple expansion. La technologie du tramway électrique triomphe dans les années 1890 mais entre en concurrence avec l’automobile en 1914. Un autre système technique était apparu, le métropolitain (Paris 1900). La technologie du tramway électrique a précédé et préparé l’électrification des chemins de fer.
L’automobile n’était pas un simple objet de substitution de la voiture à chevaux, elle était fondatrice d’une civilisation nouvelle, le transport individuel rapide et à longue distance. L’un des meilleurs clients fut le médecin de campagne.
Transport et régulation
Les réseaux de chemin de fer ont connu en France une série de graves accidents dans les années 1870, point de départ d’un effort d’automatisation des signaux et des mécanismes de sécurité. Le block-system était un mode de régulation fondé sur la division de la voie en sections et l’interdiction d’y pénétrer lorsqu’un train ou un engin quelconque s’y trouvent. Dans les années 1890 et 1900, les zones prises en charge par les postes s’étendirent de plus en plus d’où la nécessité de remplacer la force musculaire des aiguilleurs par celle de l’électricité ou toute autre forme d’énergie.
Technologies de la communication et de l’information
Aux sources de la culture de masse
Le livre populaire était à la fois le complément et le rival de la presse. En 1912, les 73 titres parisiens atteignaient un tirage de 5 270 000. 94 villes françaises avaient au moins un quotidien. Dans la papeterie, les procédés mécaniques se sont généralisés dès les années 1960. La seconde révolution fut l’utilisation comme matière première, à la place du chiffon, des produits cellulosiques principalement le bois. Les machines rotatives se généralisèrent après 1870 et l’électrification se diffusa dans les années 1900. La troisième révolution fut la mécanisation de la composition grâce à la machine linotype dans les années 1880. Les procédés photomécaniques de reproduction permirent à la fin du siècle de reproduire sans difficultés les clichés. Les reportages et l’actualité occupaient dans les journaux une place de plus en plus importante. Les journalistes en vinrent à créer l’événement (tour de France 1903).
En 1914 la photographie avait largement entamé la conquête de la société mais en Europe ce ne fut qu’après 1918 que l’appareil photo devint un produit de consommation de masse. Le cinéma avait déjà conquis ses lettres de noblesse et en France, Pathé et Gaumont développèrent des méthodes nouvelles de production et de diffusion. Comme le cinéma, le phonographe fut pendant longtemps un moyen de distraction populaire. Les disques concurrencèrent de plus en plus les cylindres.
Les techniques des télécommunications
Le développement de la télégraphie électrique dans les années 1840 était étroitement associé à celui des chemins de fer, car il était un instrument efficace de la sécurité des trains. L’extension mondiale des réseaux télégraphiques a été l’un des facteurs de l’essor du grand commerce maritime et du développement des empires coloniaux. Plus de la moitié du réseau des câbles sous-marins était aux mains de sociétés britanniques. Londres était devenue « le grand marché des nouvelles du monde ». La France ne contrôlait que 5 % du réseau. La technologie de la radio devait permettre de se libérer de la tutelle britannique.
L’essor du téléphone était resté beaucoup plus limité en Europe qu’aux États-Unis : en 1913 huit postes pour 1000 habitants en France contre 21 en Allemagne et 19 au Royaume-Uni. En Europe, les expériences d’exploitation privées du téléphone n’eurent pas de succès.
Marconi avait su reconnaître que les réseaux télégraphiques ne pouvaient répondre aux besoins de la navigation maritime. Le système de Marconi fut à l’origine du développement d’une filière technique nouvelle qui déborda rapidement le cadre de la TSF. L’intrusion de l’électronique devait apporter la solution aux difficultés et rendre possible la transmission de la voix. La TSF devenait la radio à partir de 1912/1915.
La maîtrise de l’écrit et le traitement de l’information
Le bon fonctionnement des grandes organisations supposait la gestion d’une masse croissante d’informations qu’il fallait pouvoir traiter.
La mécanisation de l’écriture et du calcul : la machine à écrire date de 1873 mais n’atteignit une véritable maturité qu’au début des années 1900. La vitesse fut un enjeu décisif de la concurrence entre les marques. Dès les années 1900 le standard de disposition des lettres adopté par Remington s’imposa. Les firmes proliférèrent en Europe, particulièrement en Allemagne et en Italie. Les machines à écrire furent utilisées pour mettre au net les notes prises en sténo et leur usage se répandit dans les administrations publiques et privées dans les années 1900. Les premières écoles de dactylos et de sténos s’ouvrirent. La dactylo fut considérée comme bien adaptée au travail féminin, association en partie liée à une assimilation entre le clavier du piano et le clavier de la machine. L’accélération des progrès de la reprographie datent des années 1970 avec la mise au point de papiers-calque puis de papiers-carbone. La technologie des machines à calculer connut un processus d’accélération dans les années 1900 par l’utilisation d’un clavier semblable à celui de la machine à écrire. La caisse enregistreuse fut une variante de la machine à calculer de gestion.
L’exemple des chemins de fer : la décision révolutionnaire fut l’adoption du papier-calque qui supprimait les risques de fraude et d’erreur et entraîna des économies d’imprimés dans tous les services. Associé à l’utilisation de la machine à écrire, il assura une reproduction instantanée des documents. Dès les années 1860, l’impression, la numérotation et le comptage des billets avaient été assurées par des machines à imprimer et à compter, actionnées manuellement puis mécanisées dès la fin des années 1870.
La mécanographie : le recensement de 1880 aux États-Unis fut un cauchemar, 7 années furent nécessaires pour exploiter les informations recueillies. Un ingénieur, Hollerith, mit au point en 1884 une machine trieuse qui combinait l’usage de la carte perforée et de l’électricité. Au recensement de 1890, le comptage était achevé 6 semaines plus tard. Hollerith réalisa aussi le recensement italien de 1895. Il avait vite compris que ces machines pouvaient être adaptées à d’autres usages que les recensements, et dès 1893 une machine était capable d’exprimer des chiffres et de réaliser des calculs statistiques. Il vendit son entreprise à Flint en 1911 qui rassembla 4 sociétés qui donneront naissance à IBM.
Chimie et matériaux
En 1869 un procédé de synthèse de l’alizarine allait rapidement se substituer à la garance. En 1909 est mise au point la « salvarsan » qui permet de soigner la syphilis, puis est préparé le sérum antidiphtérique. Les entreprises allemandes ne furent par les seules à développer une recherche de caractère scientifique dans les domaines de la teinturerie et de la pharmacie. Mais le phénomène a pris dans ce pays un caractère différent. Les entreprises ont mobilisé des moyens considérables et leur politique de recherche n’était que l’un des aspects d’une stratégie globale. La teinturerie synthétique aussi bien que la pharmacie synthétique répondaient à des besoins fondamentaux : celui d’une mode popularisée, celui de l’hygiène et de la santé pour tous.
L’apport principal de l’électrochimie fut de rendre possible la production en grande quantité de produits rares ou la mise au point de produits entièrement nouveaux. Dans les années 1880, l’aluminium était encore un produit rare jusqu’au procédé de fabrication par électrolyse en 1886. Largement utilisé par l’industrie automobile dès les années 1900, il deviendra après la guerre le matériau privilégié de l’aviation. Pour faire face à la pénurie de boules de billard, le celluloïd est mis au point en 1869 à partir du nitrate de cellulose. Utilisé pour la confection des cols, des manches de couteaux, des films, c’était un produit semi-synthétique puisque issu d’un produit naturel. Par contre, la bakélite fut la première matière plastique entièrement synthétique. Cette résine thermodurcissable trouva des débouchés dans l’industrie du téléphone, de l’automobile et de la TSF. Une forme nouvelle de parfumerie était née grâce aux synthèses chimiques. L’apparition de produits d’hygiène et d’alimentation conçus pour une consommation de masse : Lever commercialisa une marque de savon et de margarine utilisant des huiles végétales ; Henkel en Allemagne lança en 1907 la marque Persil produit à la fois détergent, blanchissant et désinfectant.
Source
- François Caron, Les deux révolutions industrielles du XXe siècle, Albin Michel 1997.
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