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Benjamin Constant
Biographie
Benjamin Constant de Rebecque (Lausanne, 25 octobre 1767 – Paris, 8 décembre 1830) est un homme politique et écrivain franco-suisse.
Benjamin Constant, le "maître d'école de la liberté", est issu d'une famille de Huguenots, établie en Suisse. En 1794, il fait la connaissance de Germaine de Staël (femme de lettres et fille de Jacques Necker, ancien inspecteur général des Finances de Louis XVI). Opposant dès 1800 à Bonaparte, il participe aux rencontres du Groupe de Coppet, organisées par Mme de Staël, où les discussions concernent aussi bien les questions d'esthétique littéraire que l'élaboration d'une opposition libérale au régime napoléonien. Entre 1800 et 1802, il siège au Tribunat. Il poursuit de front une carrière littéraire et de pamphlétaire politique.
Au moment des Cent-Jours, en 1815, Constant espère brièvement que Bonaparte acceptera ses vues constitutionnelles. C'est la raison pour laquelle il rédige l'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire. Dans ses Mémoires sur les Cent-Jours, l'écrivain se justifiera en écrivant qu'il désirait "élever le plus de barrières possible contre l'autorité d'un homme" et admettra s'être fourvoyé. Sous la Restauration, il poursuivra son combat contre le despotisme politique et sera élu député de la Sarthe en 1819. Il se distinguera notamment en dénonçant la traite des Noirs.
Favorable à la Monarchie de Juillet, il est nommé le 30 août 1830 président de la commission chargée de réformer le Conseil d'Etat, mais il n'aura pas le temps de mener à bien sa tâche, car il meurt le 8 décembre de la même année. Lors de ses funérailles, une foule importante viendra lui rendre hommage.
Ses idées
Le Constitutionnalisme
Soucieux de préserver les acquis libéraux de la Révolution française, Constant cherche également à éviter un retour aux débordements tyranniques de la Terreur. Les individus doivent être protégés contre l'arbitraire gouvernemental.
Dans son premier discours prononcé au Tribunat, le 5 janvier 1800, il expose courageusement et avec netteté sa doctrine constitutionnelle :
Une Constitution est par elle-même un acte de défiance, puisqu'elle prescrit des limites à l'autorité, et qu'il serait inutile de lui prescrire des limites si vous la supposiez douée d'une infaillible sagesse et d'une éternelle modération.
Devant uniquement préserver la sécurité individuelle et collective, l'Etat ne peut attenter aux divers droits individuels: la liberté de penser (et donc la liberté de culte), la liberté de la presse, le droit de propriété, etc. Pour ce faire, Constant prône un respect scrupuleux de la Constitution, quel que soit le type de régime en place - fût-il monarchique, républicain ou démocratique pur. La Rule of Law trouve en lui son plus grand champion dans le monde francophone en ce début de XIXe siècle.
Dans son esprit, il s'agit donc d'empêcher que l'autorité politique n'use de son pouvoir discrétionnaire pour museler les opposants, spolier les producteurs de richesses, agresser des pays voisins, et donc adapter ou contourner les prescrits constitutionnels à sa guise. A cet égard, Constant s'oppose aux peines d'exil attachées à de simples convenances de basse politique (frappant, selon les régimes, tantôt l'aristocratie royaliste, tantôt les régicides et leurs familles). De même, il refuse d'accorder des pouvoirs de police exorbitants aux autorités, trop contentes de s'immiscer de la sorte dans la vie privée des citoyens. En plus de déplorer de telles mesures à cause de leur caractère inique, Constant rappelle à leurs partisans que le persécuteur d'aujourd'hui peut devenir le persécuté de demain.
Les formes contre l'arbitraire
Afin de préserver chacun de l'arbitraire gouvernemental, Constant recommande l'observance des formes, divinités tutélaires des associations humaines. Et de signaler à l'attention des adeptes des tribunaux d'exception l'anomie qui régna sous la Terreur :
- L'affreuse loi qui, sous Robespierre, déclara les preuves superflues et supprima les défenseurs, est un hommage rendu aux formes. Cette loi démontre que les formes, modifiées, mutiliées, torturées en tous sens par le génie des factions, gênaient encore des hommes choisis soigneusement entre tout le peuple, comme les plus affranchis de tout scrupule de conscience et de tout respect de l'opinion.
Certains commentateurs, parmi lesquels Pierre Manent, ont à cet égard caractérisé la pensée constantienne comme un "libéralisme d'opposition". Car ses principes, il les a proclamés avec véhémence et rigueur sous les différents régimes qu'il a connus.
Les formes légales doivent, en outre, rester sous la vigilance critique de chaque citoyen, car des injustices peuvent toujours être commises, malgré les garanties constitutionnelles. Constant a d'ailleurs mis ses actes en accord avec ses paroles en intervenant publiquement dans une affaire judiciaire dont il estimait l'issue inique : le procès de Wilfrid Régnault (dont l'avocat n'était autre qu'Odilon Barrot, qui se fera connaître sous la Monarchie de Juillet comme adversaire de François Guizot en tant que représentant de la gauche dynastique). L'accusé avait été condamné à la peine capitale pour assassinat. En énumérant les vices de forme, Constant prit à témoin l'opinion publique et obtint (au grand dam des ultras) la commutation de la peine de Régnault - à défaut de la reconnaissance de son innocence. De cette manière, l'écrivain voulut aussi montrer par l'exemple que tout citoyen avait le droit de critiquer une décision de justice qu'il estimait peu convaincante.
Distinction entre pouvoirs dans l'Etat et pouvoirs de l'Etat
Contre l'absolutisme - qu'il se revendique de la monarchie ou de la démocratie - Constant estime que la fragmentation du pouvoir, théorisée par Montesquieu, n'offre pas de garanties suffisantes. Visant vraisemblablement ce dernier, il écrit :
- Vous avez beau diviser le pouvoir: si la somme totale du pouvoir est illimitée, les pouvoirs divisés n'ont qu'à former une coalition, et le despotisme est sans remède. Ce qui nous importe, ce n'est pas que nos droits ne puissent être violés par tel pouvoir sans l'approbation de tel autre, mais que cette violation soit interdite à tous les pouvoirs.
Ce faisant, Constant montre que la question qui le préoccupe est moins de savoir "qui gouvernera" (i. e. les pouvoirs à l'intérieur de l'Etat) que "comment limiter le pouvoir politique" (i. e. les pouvoirs de l'Etat) pour reprendre la distinction qu'élaborera plus tard Lord Acton.
On le voit, nous sommes loin de la caricature de l' "inconstant Constant", propagée par divers détracteurs et qui relève de la pure polémique.
De la Liberté des Anciens comparée à celle des Modernes
Celle-ci caractériserait les sociétés modernes et peut aisément être considérée comme une liberté négative. Ainsi, ce n'est pas la participation à la délibération commune qui rend un individu libre, mais l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux. C'est pourquoi les attributions du Léviathan, que constitue à l'évidence l'Etat, doivent être bornées. Ces limites ne sont autres que les droits, à la fois, naturels, immuables et universels de l'individu. Ce qui caractérise essentiellement l'homme n'est non pas l'appartenance mais, au contraire, l'autonomie ainsi que la perfectibilité. Loin de devoir entraver les initiatives individuelles, l'Etat doit en devenir l'auxiliaire. L'artifice étatique n'est qu'un moyen, un instrument, dont la fin est l'individu.
La liberté des Anciens suppose, quant à elle, la faculté de délibérer en commun et de participer, de facto, à la volonté générale. Chaque individu est, dans ce cas, titulaire d'une parcelle de la souveraineté. Le suffrage est alors moins une fonction qu'un droit. Cette liberté des Anciens, dont le paradigme est la cité antique, n'exclut pas, bien au contraire, l'assujettissement de l'individu à la collectivité. Celui-là n'existe que par celle-ci. C'est pourquoi l'individu qui est hors de tout système de coordonnées, non par le hasard bien évidemment, est soit une brute, soit un dieu. La participation à la délibération commune est alors conditionnée par l'appartenance.
Cette liberté collective est celle dont Jean-Jacques Rousseau s'était fait l'avocat et qui trouva sa traduction dans le tournant jacobin de la Révolution française. Elle se base sur l'idée de souveraineté populaire. Ne rejetant pas complètement la notion de souveraineté, mais refusant la conception rousseauiste de la "volonté générale" en laquelle il voit la légitimation de tous les abus de l'autorité publique, Constant souhaite la limiter et la borner constitutionnellement afin de préserver les droits individuels.
Comme il l'écrit dans ses Principes de politique (1815) :
- L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer.
Un jusnaturalisme quelque peu oublié
Loin de se contenter du rôle de pamphlétaire, Constant fonde sa conception d'un Etat limité sur le Droit naturel. Chaque individu dispose de droits inaliénables, qu'aucun gouvernement ne peut lui ôter.
Toute loi n'est pas nécessairement respectable. Pour évaluer ses mérites, il faut en connaître la source et la teneur. Sinon, l'autorité politique pourra user de son pouvoir discrétionnaire pour instituer autant de lois arbitraires qu'il lui plaira.
Dans une optique proche de John Locke, Constant conçoit la liberté comme indissociable de la loi. Mais qu'entend-il par "loi" ? A ce sujet, il note :
- Les lois sont la déclaration des hommes entre eux (...) Elles sont la déclaration d'un fait. Elles ne créent, ne déterminent, n'instituent rien, sinon des formes pour garantir ce qui existait avant leur institution. Il s'ensuit qu'aucun homme, aucune fraction de la société, ni même la société entière ne peut, à proprement parler et dans un sens absolu, s'attribuer le droit de faire des lois.
Dans cette logique, Constant dénonce comme frappées d'illégitimité les législations contrevenant aux droits naturels des individus. Il pousse ce refus jusqu'à prôner, dans ce cas de figure, le droit de désobéissance civile comme une obligation morale, en écrivant par exemple :
- Rien ne justifie l'homme qui prête assistance à la loi qu'il croit inique. La terreur n'est pas une excuse plus valable que toutes les autres passions infâmes. Malheur à ces instruments zêlés et dociles, agents infatigables de toutes les tyrannies, dénonciateurs posthumes de toutes les tyrannies renversées.
Propriétarisme et liberté des échanges
Constant prône la liberté civile dans toutes ses dimensions. Ainsi, contre les intérêts organisés que défend l'Etat, il s'oppose aussi bien au protectionnisme qu'aux autres atteintes au droit de propriété, comme la manipulation monétaire, l'emprunt étatique, ou encore la spoliation fiscale au sujet de laquelle il observe :
- Une nation qui n'a pas de garanties contre l'accroissement des impôts achète par ses privations les malheurs, les troubles, et les dangers. Et, dans cet état de chose, le gouvernement se corrompt par sa richesse, et le peuple par sa pauvreté.
Son libéralisme prend donc la défense de la propriété individuelle contre les assauts du pouvoir étatique. Critiquant les doctrines présocialistes, il écrit :
- Les richesses se distribuent et se répartissent d'elles-mêmes dans un parfait équilibre, quand la division des propriétés n'est pas gênée et que l'exercice de l'industrie ne connaît pas d'entraves.
Néanmoins, à la différence d'un John Locke, par exemple, son propriétarisme ne se fonde pas sur le Droit naturel. En effet, Constant estime que la propriété relève uniquement de la convention sociale.
Aux maux tels que la disette que connaissent encore les pauvres à cette époque, Constant prescrit un remède qui contredit les programmes interventionnistes déjà à la mode: la libre concurrence. Ainsi, pour lui :
- Les lois ne parent à rien, parce qu'on les élude; la concurrence pare à tout, parce que l'intérêt personnel ne peut arrêter la concurrence, quand l'autorité la permet.
De même, l'essor du commerce limitera, d'après lui, les ambitions des gouvernants et déconsidèrera progressivement l'esprit de conquête propre à ceux-ci. Hostile à l'aide aux entreprises, il retrouve les mots de Vincent de Gournay lorsqu'il conclut son Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri :
- Rayons donc, pour tout ce qui n'a pas de rapport à des crimes positifs, les mots de comprimer , d' extirper, et de diriger, du vocabulaire du pouvoir. Pour la pensée, pour l'éducation, pour l'industrie, la devise des gouvernements doit être : Laissez faire, laissez passer.
Constant, libéral jusqu'au bout.
Citations
- Il y a une partie de l'existence qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale. La souveraineté n'existe que d'une manière limitée et relative.
- Tout impôt inutile est une atteinte contre la propriété, d'autant plus odieuse qu'elle s'exécute avec toute la solennité de la loi, d'autant plus révoltante que c'est le riche qui l'exerce contre le pauvre, l'autorité en armes contre l'individu désarmé.
- Ainsi, le peuple n’est pas misérable seulement parce qu’il paie au-delà de ses moyens, mais il est misérable encore par l’usage que l’on fait de ce qu’il paie.
- L'Etat ne peut être présent hors de sa sphère, mais dans sa sphère, il ne saurait en exister trop.
- Sous une Constitution représentative, une nation n'est libre que quand les députés ont un frein.
- Si c'est la législation qui fixe les droits de chaque individu, les individus n'ont plus que les droits que la législation veut bien leur laisser.
- Dans tous les temps la guerre sera, pour les gouvernements, un moyen d’accroître leur pouvoir.
- Le peuple, dit Rousseau, est souverain sous un rapport et sujet sous un autre: mais dans la pratique, ces deux rapports se confondent. Il est facile à l'autorité d'opprimer le peuple comme sujet, pour le forcer à manifester comme souverain la volonté qu'elle lui prescrit.
- Soyez justes, dirais-je aux hommes investis de la puissance. Soyez justes quoi qu'il arrive, car si vous ne pouviez gouverner avec la justice, avec l'injustice même, vous ne gouverneriez pas longtemps.
- J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité.
- Quand un peuple n'est qu'esclave, sans être avili, il y a pour lui possibilité d'un meilleur état de choses. Si quelque circonstance heureuse le lui présente, il s'en montre digne. Le despotisme laisse cette chance à l'espèce humaine. Le joug de Philippe II et les échafauds du duc d'Albe ne dégradèrent point les généreux Hollandais. Mais l'usurpation avilit un peuple, en même temps qu'elle l'opprime : elle l'accoutume à fouler aux pieds ce qu'il respectait, à courtiser ce qu'il méprise, à se mépriser lui-même; et pour peu qu'elle se prolonge, elle rend, même après sa chute, toute liberté, toute amélioration impossible. On renverse Commode; mais les Prétoriens mettent l'empire à l'enchère, et le peuple obéit à l'acheteur.
- L'on peut trouver des motifs d'utilité pour tous les commandements et pour toutes les prohibitions. Défendre aux citoyens de sortir de leurs maisons serait utile ; car on empêcherait ainsi tous les délits qui se commettent sur les grandes routes. Obliger chacun de se présenter tous les matins devant les magistrats serait utile ; car on découvrirait plus facilement les vagabonds et les brigands qui se cachent pour les occasions de faire le mal. C'est avec cette logique qu'on avait transformé il y a vingt ans la France en un vaste cachot.
- Prions l'autorité de rester dans ses limites ; qu'elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d'être heureux.
Œuvres
Essais
- De la Force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s'y rallier (1796).
- De l'Esprit de conquête et d'usurpation dans ses rapports avec la civilisation (1814).
- Principes de politique (1815).
- Cours de politique constitutionnelle (1818-1820).
- De la Liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (célèbre discours prononcé en 1819).
- Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri (1822-1824).
- De la Religion considérée dans sa source, ses formes et son développement (1824-1830).
- Mélanges de littérature et de politique (1829).
- Du Polythéisme romain considéré dans ses rapports avec la philosophie grecque et la religion chrétienne (1833).
Romans
- Adolphe (1816) — consultez quelques citations.
- Le Cahier rouge (1807).
- Cécile (1851), publication posthume.
Voir aussi
Liens externes
- Page Benjamin Constant
- De la Liberté des Anciens comparée à celle des Modernes
- Compte rendu de la traduction anglaise des Principes de politique
- Présentation des idées de Constant
- Institut Constant de Rebecque
- Institut Benjamin Constant (institut situé à Lausanne, et qui se consacre à l'exégèse de son oeuvre)
- Portrait de Constant par Emile Faguet
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