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Turnpike

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Un turnpike est une route construite et entretenue par une compagnie privée, financée par des investisseurs, où les usagers paient un droit de passage sous forme de péage. Le terme vient de la barrière pivotante (pike) que le collecteur ouvrait après le paiement. Ce modèle, très répandu aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles aux États-Unis, illustre l’idée qu’un réseau routier peut être développé sans financement public, uniquement grâce aux mécanismes du marché.

Les fondements historiques des turnpikes en Amérique

Au tournant des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, les routes publiques américaines se révélaient largement insuffisantes. Faiblement financées et souvent entretenues par le biais de corvées obligatoires, elles suscitaient peu d’enthousiasme. Dans un pays en pleine expansion, où les échanges commerciaux entre villes et régions prenaient de l’ampleur, la nécessité de disposer de voies de circulation fiables se faisait de plus en plus pressante.

C’est dans ce contexte qu’émergea un mouvement massif de création de compagnies privées de turnpikes. Ces sociétés, constituées par souscriptions locales, se multiplièrent au point que près de la moitié des corporations formées au début du XIXᵉ siècle concernaient la construction de routes à péage. En l’espace de soixante ans, elles réussirent à mettre en place plus de 10 000 miles de routes privées, devenant ainsi un pilier essentiel du transport interurbain.

Le financement de ces infrastructures provenait largement des acteurs locaux : marchands soucieux de faciliter l’acheminement de leurs marchandises, fermiers désireux d’accéder à de nouveaux marchés, ou encore propriétaires fonciers anticipant une valorisation de leurs terres. Les motivations étaient diverses : certains recherchaient un retour sur investissement, d’autres y voyaient une contribution civique à la prospérité de leur communauté, tandis que certains actionnaires agissaient par pur intérêt personnel, allant parfois jusqu’à conditionner leur participation financière au tracé de la route devant leur propre maison.

Les turnpikes comme bien public volontaire

Contrairement à l’idée selon laquelle seules les autorités publiques peuvent fournir des “biens collectifs”, l’expérience des turnpikes montre qu’un réseau routier peut émerger de décisions privées coordonnées par les prix. Loin d’être un miracle ou une exception, ces routes à péage ont fonctionné parce qu’elles alignaient l’intérêt des usagers, prêts à payer pour gagner du temps et de la fiabilité, et celui des investisseurs incités à construire, entretenir et améliorer l’infrastructure pour attirer le trafic. Autrement dit, la route cesse d’être un « bien gratuit » soumis à la tragédie des communs et devient un service précis, mesurable et monnayable.

Sur le plan économique, la logique marchande introduit une discipline que ne connaît pas le financement fiscal. Les recettes étant directement liées à l’usage, la gestion vise la performance : revêtements durables, maintenance programmée pour minimiser les fermetures, résolution rapide des incidents, innovations de tarification. Le risque de conception ou d’exploitation ne pèse pas sur le contribuable mais sur le capital investi, ce qui sélectionne naturellement les projets viables. Enfin, la concurrence, entre itinéraires ou modes de transport, agit comme régulateur des tarifs et de la qualité de service : une route mal gérée perd ses usagers, donc ses revenus. En somme, les turnpikes incarnent une forme de bien public « volontaire », où la coordination se fait par les incitations plutôt que par la contrainte fiscale.

Les obstacles et les critiques rencontrés

  • . Pressions et interventions politiques. Les turnpikes ont souvent été pris en tenaille par le pouvoir politique. D’un côté, des lois plafonnaient les péages ou multipliaient les exemptions, au nom de "l’intérêt général", comprimant les recettes et affaiblissant les incitations à entretenir et moderniser les routes. De l’autre, la concurrence de voies publiques gratuites, financées par l’impôt, introduisait un biais structurel : comment rivaliser avec un service dont le prix visible pour l’usager est nul, bien que son coût réel soit reporté sur le contribuable ?
  • . Limites économiques. Comme dans toute industrie, certaines compagnies ont commis des erreurs : tracés mal pensés, prévisions de trafic trop optimistes, gestion défaillante. Des tronçons se sont révélés peu rentables, incapables de couvrir leurs coûts d’exploitation ou de rembourser le capital. S’ajoute, à partir du milieu du XIXᵉ siècle, l’irruption du chemin de fer, plus rapide et plus efficace pour les longues distances, qui a détourné une part décisive du trafic interurbain et précipité le déclin de nombreux turnpikes.
  • . Réponse libertarienne. Pour les libertariens, ces difficultés n’invalident pas le modèle ; elles confirment au contraire la logique du marché. Les réussites prospèrent et s’étendent ; les échecs se résorbent par faillite, reprise ou reconversion, libérant capital et ressources vers des usages plus productifs. Autrement dit, les imperfections observées ne justifient pas un monopole étatique : elles illustrent le mécanisme même d’allocation optimale, fondé sur la responsabilité, la sélection et l’apprentissage par l’incitation.

Héritage et actualisation libertarienne des turnpikes

  • . Legs matériel et institutionnel. Les turnpikes ont laissé un héritage concret : nombre de routes et de ponts initialement construits par des compagnies privées furent ultérieurement repris par les collectivités. Même déchues, ces infrastructures témoignent que l’investissement privé peut lancer des réseaux solides et durables, capables de structurer durablement le territoire. Loin d’être un épisode marginal, le mouvement des turnpikes a posé les bases d’une tradition où la route est pensée comme un service économique plutôt qu’un monopole politique.
  • . Réactualisation au XXᵉ siècle. Avec l’essor de l’automobile, l’idée du péage revient en force. Des projets emblématiques, comme la Pennsylvania Turnpike, reprennent le modèle ancien en l’adaptant aux besoins de circulation moderne. Plus récemment, les progrès technologiques ont ouvert de nouvelles perspectives : le péage électronique permet une facturation sans arrêt, et la tarification dynamique ajuste le prix en fonction des heures de pointe. Ces innovations, issues de la logique privée, démontrent qu’il est possible de concilier fluidité du trafic et rentabilité économique.
  • . Vision libertarienne contemporaine. Dans la perspective libertarienne, cet héritage appelle une conclusion claire : aller vers une privatisation complète du réseau routier. Cela passe par la vente des actifs publics déjà à péage, par la concession de nouvelles routes à des opérateurs privés disposant de liberté tarifaire, et par la suppression progressive des taxes sur le carburant, remplacées par une tarification transparente liée à l’usage effectif des routes. L’objectif n’est pas seulement financier : il s’agit de restaurer la logique de responsabilité, où l’usager paie pour ce qu’il consomme et où l’investisseur assume le risque, dans un système plus efficace et plus équitable que le financement par l’impôt.

Bibliographie

  • 1987, Gerald Gunderson, "Turnpikes: The Private Road to Improvement", The Wall Street Journal, 5 juin
    • Repris en 1987, World Highways Newsletter
  • 1988, John Majewski, Daniel B. Klein, "Privatization, Regulation, and Public Repossession: The Turnpike Companies of Early America", Photocopy, University of California, Irvine
  • 1992,
    • Daniel B. Klein, Gordon J. Fielding, "Private Toll Roads: Learning from the Nineteenth Century", Transportation Quarterly, juillet, Vol 46, n°3, pp321-341
    • Daniel B. Klein, John Majewski, "Economy, Community and Law: The Turnpike Movement in New York, 1797-1845", Law & Society Review, Vol 26, n°3, pp469-512
    • John Semmens, "The Rationale for Toll Roads: You Get What You Pay For", Phoenix Gazette, 16 décembre
  • 1993,
    • John Majewski, Christopher Baer, Daniel B. Klein, "Economy, Community and the Law: The Turnpike Movement in New York, 1797–1845", Journal of Economic History, mars
    • John Majewski, Christopher Baer, Daniel B. Klein, "From Trunk to Branch: Toll Roads in New York, 1800–1860", In: "Essays in Economic and Business History Conference Proceedings for the Economic and Business Historical Society", Vol XI, pp191-209
  • 1996, Daniel B. Klein, Chi Yin, "Use, Esteem, and Profit in Voluntary Provision: Toll Roads in California, 1850-1902", Economic Inquiry, pp678-692
  • 2006, John Majewski, Daniel B. Klein, "America’s Toll Road Heritage: The Achievements of Private Initiative in the Nineteenth Century", In: Gabriel Roth, dir., "Street Smart: Competition, Entrepreneurship and the Future of Roads", New Brunswick, NJ: Transaction, pp277-303