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Traveller chèque

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American Express[1], créée en 1850 à Buffalo (New York), est déjà une grande compagnie internationale lorsqu’en 1881 James Congdell Fargo devient le troisième président d’American Express Company[2]. Ce nouveau président, à la réputation d’humeur bougonne, va faire progresser de façon phénoménale cette société. On lui doit la création du Traveller chèque ou "monnaie des voyageurs" à partir d'une innovation de service ingénieuse qui révolutionna l’histoire du tourisme. La rapide progression commerciale du Traveller chèque fut basée sur une politique marketing qui a créé et géré la confiance.

Grande innovation dans l’histoire du tourisme

James C. Fargo, grand voyageur et reporter, avait souvent rencontré le problème de faire honorer ses lettres de crédit auprès des banques lorsqu'il se déplaçait loin de chez lui. Utiliser la monnaie traditionnelle était certes peu coûteux en coût de transport mais était très élevé en coût de sécurité et en coût de conversion au moment où il fallait traverser des pays et franchir des frontières pour convertir la monnaie détenue dans l’unité monétaire du pays hôte. Il existait donc un problème de coût de transaction[3]. James C. Fargo comprend qu’il existe une opportunité de profit[4] et une possibilité de réduction des coûts de transaction pour ses clients. Il fait appel à Marcellus Berry, son directeur du département Europe et inventeur du billet à ordre « impossible à frauder ».

Marcellus Berry avait précédemment découvert qu’il suffisait de découper le billet à ordre au-dessus de la valeur qui figurait sur des colonnes de chiffres pré-imprimés. Ces billets étaient, alors, beaucoup utilisés par les immigrants qui envoyaient de l’argent à leur famille restée en Europe. On attribue à James Fargo la responsabilité d’avoir lancé les directives suivantes[5] : concevoir un moyen de paiement aussi largement accepté que les espèces et garanti contre les risques de perte, de vol, de contre-façon ou de fraude.

La solution fut simple. Il s’agissait de constituer des billets signés au moment de leurs achats et contresignés par la même personne au moment de leurs utilisations. Garantis par American Express, ces billets associent le caractère pratique des chèques personnels, du papier monnaie convertible et de l’assurance d’une très large acceptation. Le 25 avril 1891 vit l’apparition du premier Traveller Chèque[6]. L’accueil fut enthousiaste de part et d’autre de l’Atlantique. Les banques, les hôtels et les autres établissements accueillirent chaleureusement ce nouveau moyen de paiement.


L’apparition et la gestion de la confiance

L’objectif premier des dirigeants d’American Express n’était pas de créer une nouvelle monnaie mais de promouvoir un nouveau service (bien). Le billet Traveller Chèque était un bien[7] car il permettait de transporter des fonds sans risque comme le permettaient les certificats d’or à la période des grandes foires médiévales.

Pour mériter la confiance inter-personnelle, des informations sur les services de ce bien doivent être connues et appréciées des co-échangistes. Comment des individus qui ne se connaissent pas et jusque là étaient éloignés par des milliers de kilomètres, par des cadres institutionnels différents, par des règles législatives diverses, par des cultures et des langues totalement étrangères vont arriver à trouver un terrain d’entente sur la valeur nominale apposée sur le Traveller chèque ? Bien que l’innovation technologique soit appréciable, il ne fut pas moins important de faire accepter cette technique.

La jeunesse américaine fit ses premiers pas en Europe grâce à American Express et se rejoignait dans les bureaux de Paris, de Londres, de Southampton, de Liverpool, de Hambourg, de Brême, d’Anvers... Pour la clientèle, ceci était devenu comme une seconde maison où ils recevaient et envoyaient leurs courriers, lisaient les journaux américains introuvables ailleurs.

En 1893, les banques européennes commencent à commercialiser les Travellers Chèques. L’encaissement des Travellers Chèques auprès de 6 000 bureaux, en Amérique du nord et en Europe, a permis la progression de l’utilisation du Traveller Chèque. En 1891, 10 000$ furent utilisés, A La fin du siècle, American Express vendait 3 millions de dollars, en 1914, 32 millions de dollars furent distribués. Aujourd’hui, 700$ par seconde sont dépensés dans le monde en Traveller Chèque. Mais, la confiance est faillible dans l’esprit des consommateurs. Comment l’entreprise peut-elle répondre à cette exigence ?

La société gagne ses lettres de noblesse lorsqu’elle répond rapidement et efficacement aux évènements dramatiques, comme à la suite de la déclaration de la première guerre mondiale en 1914. Une véritable panique financière s’installe, alors, en Europe. 150 000 touristes qui voyageaient en Europe, réclament sur l’heure des liquidités en échange de leurs Travellers. American Express répond à ses engagements auprès de ses clients. Elle organise un envoi immédiat de 10 millions de dollars-or afin d’honorer les chèques. De plus, elle prend en charge 15000 bagages abandonnés par ses clients à travers toute l’Europe.

Un second exemple de l’investissement dans la confiance et de la réaction immédiate face à un évènement est fourni au moment du Krach financier de 1929. Les banques américaines fermaient leurs portes. La cotation du dollar en Europe fut suspendue pendant 10 jours. En revanche, quatre agences d’American Express restèrent ouvertes et continuèrent à honorer, non seulement les travellers chèques, mais aussi les chèques de banque en appliquant les derniers taux de change en vigueur.

Depuis cette époque, American Express n’a pas cessé d’assurer ses fonctions durant les périodes de catastrophes naturelles ou internationales (Par exemple en 1989, avec les évènements du tremblement de terre de San Francisco et les bouleversements internationaux dont ceux de la Chine).

Quand l'économiste utilise une approche à la Lancaster[8], dans un monde où l’information est divisée[9], le fait de détenir ou de rechercher une partie de l’information peut être considéré comme une caractéristique du bien[10]. La confiance est étroitement liée à l’information, c'est pourquoi American Express a beaucoup investi pour donner confiance à ses clients par des campagnes marketing direct et par la publicité[11].

Très vite, des bureaux sont créés afin de donner le maximum d’informations. Un rapprochement s’opère entre le produit (Traveller Chèque) et la forme institutionnelle (société American Express). Selon les économistes autrichiens, la propriété privée révèle un prix, c’est à dire une information. Le client n’a pas les moyens de s’assurer de la qualité du produit dans le temps et dans l’espace, il consomme cette information grâce à l’institution entreprise. Plus l’entreprise (institution) est pérenne et plus on a confiance en elle.

Cette politique de marketing est marquée en partie par la volonté d’American Express de créer un club à la fois pour rendre captive sa clientèle vis à vis de ses concurrents mais aussi pour permettre à chacun de ses membres de se déclarer “je fais partie des vôtres, le billet que je tiens dans la main est valable”. D’ailleurs, American Express a beaucoup investi contre la contre-façon et appose désormais sur ces billets un centurion. L’idée de club de touristes n’était pas chère à James Fargo[12]) mais, c’est pourtant cette politique commerciale qui a assuré le succès de l’entreprise.

Créer un nouveau moyen de paiement et le maintenir en activité a un coût. Ce coût est représenté par la confiance des utilisateurs de cette innovation monétaire. Cette confiance repose aussi sur le poids du passé, Ludwig von Mises a démontré[13] que la valeur présente d’une monnaie est évaluée par les périodes précédentes. Dans la circonstance, toute mauvaise gestion du produit (monnaie) dans le passé a des répercussions dans le présent.

Conclusion

Au fil des années, American Express a investi en innovations technologiques[14], en campagnes d’information et en relations publiques en accentuant sur la sécurité, l’acceptation universelle et l’excellente qualité des services. Aujourd’hui, le Traveller Chèque est devenu un moyen de paiement dans le monde et utilisé par de nombreuses banques internationales. Ceci ne veut pas dire qu'American Express a créé de la monnaie mais qu’elle a développé une innovation qui est devenue un intermédiaire d’échange[15]. Pourtant ce passage de la monnaie d’une substance à une autre par l’intermédiaire des innovations ne doit pas nous faire oublier que « La monnaie-bien devrait être l’équivalent certain de la monnaie institution sociale»[16], condition remplie par une saine gestion de la monnaie, c’est-à-dire par le maintien des qualités de stabilité, de confiance et de souplesse.

Notes et références

  1. Les Travellers Cheques, American Express 100 ans de service À travers le monde, 1891-1991, Documents publiés par la société American Express
  2. Son frère aîné fut le créateur de la société
  3. Ronald Coase est le premier à traiter le problème des coûts de transaction dans un article publié en 1937, The nature of the firm, Economica. Un individu peut offrir sa force de travail directement sur le marché ou indirectement par l’intermédiaire d’un coordinateur (l’entreprise), Ronald Coase démontre que si la firme existe, c’est parce que le marché fonctionne avec des coûts de transaction élevés
  4. James Fargo se comporte en acteur économique tel que le conçoit Ludwig von Mises dans l’action humaine et en tant qu’entrepreneur (Israel Kirzner). Les coûts de transaction élevés impliquent une action de la part de l’entrepreneur pour réduire ces coûts, introduire une innovation et bénéficier de gains d’opportunités. L’innovation technologique est endogène au marché parce qu’il existe toujours un entrepreneur potentiel kirznérien dans un marché libre lorsqu’il y a des gains d’opportunités
  5. Meaux Nicolas, Cent ans de Travellers Cheques, cent ans de tourisme dans le monde entier, Expression le magazine des membres d’American Express, Juin, n°2, 1991, pp22-26
  6. L’histoire attribue au fils de James Fargo d’avoir utiliser le premier les Travellers Chèques le 5 août 1891, afin de régler les frais de son hôtel « Hauffe » à Leipzig.
  7. Selon l’idée de l’entrepreneur kirznérien dans ce domaine, c'est la perspective de gains qui a entrainé une innovation technologique et qui apporte un ‘plus” aux consommateurs c’est à dire qui constitue un “bien” pour ceux-ci
  8. Kelvin J. Lancaster, 1966, A new approach to consumer theory, The journal of politicaI economy, April, ppl52—157; Kelvin J. Lancaster, 1966, Change and Innovation in the Technology of Consumption, American Economic Review, 56, March, n°1/2, pp14–23
  9. Friedrich Hayek, The use of knowledge in society, American Economic Review, XXXV(4), sept, pp5l5-530 repris dans Austrian Economiics, Vol III, Stephen Littlechild, dir., 1990, Edward Elgar, pp2S—49, Hayek accentue l’aspect personnel de l’information. Chaque individu sélectionne les informations qui lui sont pertinentes et utiles pour continuer ses actions. Les coûts pour convaincre chaque individu (aux informations dispersées) sont donc élevés
  10. George Stigler, The economics of information, Journal of political economy, Vol LXIX, n°3, june, 1961, L’information peut être considérée comme un bien. Par exemple, un individu estime la valeur d’un tableau rare par le prix qu’il a payé mais également par son effort à le trouver durant des années chez différents antiquaires
  11. Les campagnes de communication commencent activement dès la fin du XIXène siècle; dès 1891 la société effectue le suivi marketing téléphonique des voyageurs de Paquebot et en 1893, American Express fait de la publicité dans les journaux.
  12. Meaux N, op cit p24, Un ancien shérif, William Swift Dalliba, transforme l’agence American Express de Paris en club pour touristes alors que James Fargo fulminait à New York car il ne voulait pas avoir dans ses agences des “bandes de traînards en chars à banc"
  13. Ludwig von Mises, Action humaine, op cit pp428-432, par le théorème de la régression monétaire(théorie initialement exprimée en 1912 dans la théorie de la monnaie et du crédit) que le pouvoir d'achat de la monnaie est dépendante de celle de la veille, expliquée par celle d’avant-veille et ainsi de suite. A partir d’un certain moment, la régression aboutit à un niveau où la monnaie est demandée non plus pour sa valeur monétaire mais pour sa valeur d'échange avec un autre bien (troc)
  14. Dans les années 1960, American Express lance la première machine au monde capable de lire les Travellers Chèques (compensation plus rapide), puis l’inauguration du remboursement en urgence le week—end et les jours fériés, Dans les années 1980, installation de distributeurs automatiques de Travellers Chèques pour les titulaires de carte. En 1989, un service de remplacement par porteur spécial assure le remboursement en mains propres des Travellers Chèques partout dans le monde, American Express met en place un service d’intervention immédiate sur simple appel téléphonique. Des opérateurs multilingues travaillent de jour comme de nuit. Des distributeurs automatiques, avec code d’accès confidentiel utilisable une seule fois, sont mis en place. De plus, certains services additifs sont gratuits lorsque la perte ou le vol des Travellers Chèques s’accompagnent de la disparition d’autres objets de valeur (papier d’identité, billets d avions, agenda…). American express permet la transmission d’un message personnel de son choix dans le monde entier et l’opération d’opposition
  15. Mises indiquerait qu’il s’agit là d’un substitut à la monnaie ou de, quasi—monnaie (Ludwig von Mises, The theory of credit and money, [1912], 1980, Liberty Classics) ou si l’on applique le principe de Friedrich Hayek d’utiliser un substantif, le Traveller Chèque est un substitut monétaire appartenant à une économie monétaire, (Friedrich Hayek, The denationalitation of monney, 1976, Institute of Economic Affairs, Londres
  16. Formule que le Professeur Jean Pierre Centi, d'Aix en provence, Université Paul Cézanne, avait souvent l'occasion de répéter à ses étudiants


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