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Mémoire organisationnelle

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La préoccupation de la mémoire organisationnelle est apparue avec la gestion de la connaissance dans les organisations (Knowledge Management). Elle est largement représentée par une connaissance explicite mais l'attention de la mémoire organisationnelle se porte aussi sur une gestion des formes de connaissances plus "douces" (par exemple, les connaissances tacites, le jugement et les capacités intuitives). Alors que les théories actuelles de la connaissance sont de plus en plus synonymes de gestion des technologies de l'information, elles doivent être nécessairement complétées, au niveau des organisations, par des processus liés à la mémoire organisationnelle.

Les organisations développent et accumulent des connaissances dans les fichiers, les règles, les rôles, les routines, les procédures, etc. Par leur culture et leur structure, elles développent des modèles mentaux partagés, des valeurs et des comportements qui font partie de la mémoire organisationnelle. Cependant la mémoire organisationnelle n'est pas un lieu de stockage des représentations symboliques ou de culture organisationnelle, mais plutôt il s'agit d'un terme que nous donnons à la capacité de se comporter de manière similaire (ou quasi-similaire) dans des situations similaires (ou quasi-similaires)[1]. Par conséquent, le concept d'apprentissage organisationnel peut se justifier même si nous considérons que les organisations n'ont pas de cerveau, mais qu'elles ont des systèmes cognitifs et des souvenirs qui leur permettent de donner du sens aux changements de leur environnement et de de se mettre en action. Le travailleur apporte toujours sa mémoire au travail. Mais, sa contribution n'est pas fondée sur un plan stocké dans la profondeur son cerveau qu'il doit exécuter lorsqu'il est appelé à le faire, mais plutôt le collaborateur utilise sa mémoire comme d'une capacité à interagir avec les autres grâce à l'aide de règles de connaissances explicites et implicites.

La mémoire organisationnelle comme métaphore

Le concept de mémoire organisationnelle est une métaphore et une vision anthropomorphique (personnification) des attributs de la mémoire d'un être humain (mémoire épisodique, mémoire sémantique[2], mémoire procédurale, mémoire transactive). Certains auteurs ont voulu sortir du cadre de l'individualisme méthodologique pour avancer une forme de mémoire collective, indépendante de la mémoire individuelle. Cette attitude convient à réduire l'individualisme méthodologique à un réductionnisme méthodologique. Il existe, certes une mémoire, qui est partagée et qui ne repose pas chez chacun des individus y ayant accès. Cependant, l'individualisme méthodologique est la seule approche permettant de comprendre comment les processus mnésiques opèrent dans l'organisation puisque l'individualisme méthodologique avance qu'un phénomène social ne peut être compris sans l'analyse des actions des individus. Sans être humain, il n'y a plus de mémoire car celle-ci est liée au subjectivisme. Elle n'a pas de valeur en soi, elle n'existe que par le regard et les liens que lui donnent certains individus dans un contexte particulier. La problématique principale des organisations ne réside donc pas principalement dans le stockage des informations. Car, l'activité quotidienne d'une entreprise exige de l'extraction [Retrieving] et l'intégration de données provenant de multiples sources.

Mémoire codifiée et mémoire personnalisée

La théorie du management de la connaissance par Ikujiro Nonaka a introduit une distinction dans la catégorisation des formes de la connaissance, sous l'inspiration de Michael Polanyi (connaissance tacite, connaissance explicite). Elle permet aussi de faire des distinctions dans la stratégie. Le management de la connaissance peut être appréhendée sous l'angle d'une stratégie de la codification ou alors sous la stratégie de la personnalisation. La codification exploite les promesses tenues par la technologie des systèmes d'information tandis que la stratégie de la personnalisation approfondit les capacités individuelles à l'apprentissage. Dans le premier cas, la stratégie repose sur l'ordinateur et sur les capacités à codifier et à stocker l'information. Cette information est accessible au sein de l'organisation via des codes d'accès (intranet). La personnalisation, de son côté, minimise l'importance de l'ordinateur dans la mémoire organisationnelle, et elle place l'individu au centre de ses préoccupations. La mémoire s'incarne plus dans l'individu par son apprentissage culturelle de l'organisation et ses compétences (pratiques, routines, histoire de l'entreprise, etc.) plutôt qu'un encastrement de la mémoire par l'informatisation. La transmission s'effectue par une socialisation de l'échange. L'utilité de l'ordinateur, dans cette stratégie de la personnalisation, est d'aider les utilisateurs à échanger des informations et moins de la stocker.

La fragilité de la mémoire organisationnelle

La mémoire organisationnelle fait largement référence aux expériences qui n'ont pas de support écrits, aux idées et aux compétences acquises au fil des ans, transmise aux nouveaux arrivants d'une organisation par le biais de contacts personnels, de réunions, de cours de formation et de relations de tutorat, de mentor ou de liens protégés (effet Pygmalion[3]). La mémoire de l'organisation (sauf si elle est regroupée et enregistrée sous une forme aisément accessible, comme une base de données) n'est pas dissociable de son corollaire, l'oubli ou l'amnésie. Car la mémoire est facilement détruite du fait de la réduction des effectifs "excessifs" dans l'organisation, par des licenciements ou des mises à pied fréquents, par l'attrition de compétences des employés ou par des catastrophes naturelles (incendie, tremblement de terre, inondation), humaines (décès naturels ou suicides, guerres militaires ou civiles) et par le non-respect de la propriété privée (vol). Les courroies de transmission de la connaissance, passant par la pratique, sont alors rompues.

Loin d'être un handicap, la stratégie de l'oubli par les organisations peut devenir quelquefois un avantage concurrentiel durable comme l'énonce des auteurs comme P. M. de Holan et Nelson Phillips.

La mémoire organisationnelle comme institutionnalisation de la connaissance

Selon la théorie discursive de l'institutionnalisation, le discours joue un rôle prépondérant dans la transmission de la connaissance et dans l'acceptation de l'institution dans l'ensemble du groupe. Le récit d'apprentissage[4], dans les organisation, est un récit permettant aux membres d'une organisation de capitaliser sur les expériences des autres de façon fiable. Il relate une histoire cruciale de l'organisation, par les témoignages de tous ceux qui y étaient impliqués. Le document est un objet transitoire, provoquant des réflexions, des interrogation et des conversations ouvertes dans l'ensemble de l'organisation.

Annexes

Notes et références

  1. C'est une raison principale pour laquelle l'intelligence artificielle, basée sur le modèle computationnel, n'était pas aussi performant que l'apprentissage humain
    W. J. Clancey, 1990, "Why today’s computers don’t learn the way people do", In: P. A. Flach, R. A. Meersman, dir., "Future directions on artificial intelligence", Amsterdam: North-Holland, pp53-62
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  2. D. Eden, 1990, "Pygmalion in management : productivity as a self fulfilling prophecy", Lexington : D.C. Heath
  3. * E. Soulier, 2000, Les récits d’apprentissage et le partage des connaissances dans les organisations : nouvelles pistes de recherche, Systèmes d’information et Management, 5(2), pp59-75

Bibliographie

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Liens externes