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Anarcho-capitalisme et utopie

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Cette fiche se propose de répondre à l'assertion suivante : "Si l'anarcho-capitalisme n'est pas une utopie, comment se fait-il qu'aucune société ne l'ait déjà appliqué ?"

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Discussion

Les anarcho-capitalistes répliquent en demandant qu'on ne renverse pas la charge de la preuve : c'est aux étatistes de prouver que l'État est nécessaire, et non pas à eux-mêmes de prouver qu'ils peuvent se passer d'un maître. Par ailleurs, des exemples ont été étudiés de sociétés dépourvues de pouvoir étatique, au sens d'une entité employant la force pour sa propre institution : l'Islande est citée par David Friedman (avec l'Althing, assemblée nationale annuelle remplissant aussi des fonctions judiciaires, institution mise en place en 930), le fonctionnement des communes médiévales et leur émancipation du pouvoir féodal, la Pennsylvanie des Quakers, et de nombreux autres exemples de sociétés anarchistes où le pouvoir de l'État était ou est extrêmement limité.

Quoiqu'il en soit, là n'est vraiment pas la question. Car enfin, cette objection, qu'il n'a jamais existé de société anarcho-capitaliste par le passé, ne peut provoquer qu'une réponse : et alors ?

Avant l'avènement de la première démocratie — quel soit le sens qu'on donne à ce terme —, aucune démocratie n'avait jamais existé.

Avant l'avènement de la première monarchie, aucune monarchie n'avait jamais existé.

Avant l'invention de la roue, aucune roue n'avait jamais existé.

Avant le premier vol spatial, personne n'avait mis les pieds dans l'espace.

N'était-il pas « utopique » de souhaiter ces évolutions ?

Les idées philosophiques précèdent toujours leur application. Il n'y a pas d'acte sans idée, il n'y a pas d'organisation sociale sans idée.

Une fois qu'on a compris qu'un maximum de liberté est à la fois souhaitable et logiquement possible, on est naturellement amené à appeler de ses voeux une société anarchique, ou anarcho-capitaliste.

Il se trouve de surcroit que l'histoire de l'humanité a été jusqu'à présent celle d'un perpétuel changement, qui grosso modo a conduit à une amélioration progressive. Pourquoi ne pas penser et souhaiter que l'on puisse arriver un jour à un stade avancé de liberté ? Il n'y a là aucune contradiction. Être « concret » et « pragmatique » ne signifie pas qu'on souhaite bloquer la société au stade où elle est actuellement, qu'on refuse tout progrès ou toute avancée. Les anarcho-capitalistes ne sont pas, au contraire, des ultra-conservateurs qui refusent tout changement dans les coutumes de la société.

Quand on dit que l'anarcho-capitalisme est « utopique », tout dépend du sens qu'on veut donner à ce mot. « Utopie » n'est pas entendu ici au sens originel de l'île proto-communiste Utopia qui est manifestement inadapté à l'anarcho-capitalisme. « Utopie » désigne ici plutôt une société qui ne peut exister dans le monde réel parce que certaines de ses caractéristiques ne correspondent pas à la réalité du monde. L'utopie communiste, par exemple, se fonde sur l'hypothèse de l'homme « nouveau », elle ne tient pas compte du fait que l'homme est ce qu'il est et pas autre chose. Par conséquent, elle doit nécessairement échouer, c'est-à-dire détruire, parce que l'homme n'est pas un homme « nouveau ».

L'utopie « anarcho-communiste » relève de la même erreur. Elle y ajoute de surcroît (au moins dans certaines de ses versions) l'idée que le monde sera « libéré de la rareté » : tous les biens seront disponibles pour tous en abondance. Cette théorie nie une donnée de la réalité, qui est justement la rareté des biens. Elle est donc « utopique » et ne peut que mener à des désastres. Elle veut également supprimer l'argent. Or l'argent est une condition nécessaire à l'existence d'une société avancée, compte tenu de ce qu'est l'homme et de ce qu'est l'univers. Par conséquent, cette utopie ne peut pas prendre corps sans occasionner une régression colossale du niveau de vie des hommes. Il n'est besoin d'aucune expérience pour en avoir la certitude.

Rien de tel avec l'anarcho-capitalisme, qui se fonde au contraire sur des arguments logiques et se garde de contredire toute donnée de la réalité. C'est au contraire par l'analyse fine de la nature de l'univers et de l'homme qu'on parvient à la conclusion de l'anarcho-capitalisme comme idéal de société. La tradition libérale qui y mène est d'abord une tradition du rationalisme, scrupuleusement respectueuse de la réalité et de la logique.

L'anarcho-capitalisme est donc une "utopie" dans le bon sens du terme :

«  Le devoir des intellectuels libéraux est de préparer des utopies de rechange pour le jour où les politiques auront fait faillite ; les utopies d'aujourd'hui sont les réalités de demain. »
    — Friedrich Hayek

«  Ce qui nous manque, c’est une utopie libérale, un programme qui ne semble être ni une simple défense des choses existantes, ni une forme diluée de socialisme, mais un véritable radicalisme libéral qui n’épargne pas les susceptibilités des puissants (y compris les syndicats), qui ne soit pas strictement pratique, et qui ne se confine pas à ce qui semble aujourd’hui politiquement possible. Nous avons besoin de leaders intellectuels qui soient préparés à résister aux flatteries des gens puissants et influents, qui aient envie de travailler pour un idéal, aussi faibles soient les perspectives de sa prochaine réalisation. »
    — Friedrich von Hayek

On pourrait d'ailleurs affirmer que le minarchisme et le libéralisme classique sont des utopies : on n'a jamais réellement vu d'État minimal ni d'État non interventionniste limité à sa fonction de protection du droit. L'exemple des États-Unis est flagrant :

«  La Constitution des États-Unis est restée pratiquement inchangée et contient exactement les mêmes mots qu'au jour de sa rédaction ; pourtant, ces mots qui, autrefois, contraignaient les hommes politiques à faire preuve de modération et d'intégrité ont été transformés en pâte à modeler. Le gouvernement, qui ne pouvait autrefois ni lever d'impôts, ni engager de dépenses, ni imposer de lois, peut aujourd'hui faire tout ce que bon lui semble. L'exécutif dispose de tout le pouvoir nécessaire pour faire pratiquement tout ce qu'il désire. Le Congrès ne souffle mot, tel un naïf faire-valoir, exigeant seulement que les faveurs soient partagées. »
    — William R. Bonner et Addison Wiggin, L’Empire des dettes, 2006

D'où le fait que les anarcho-capitalistes, en plus de considérer qu'un État est détestable et bien moins efficace qu'un marché libre, considèrent qu'il se transforme inévitablement en structure tentaculaire, de par le fait qu'il soit fondé sur la coercition et le monopole.

Exemples historiques

Différentes sociétés, au cours des âges, ont "expérimenté" des modes de vie proches de l'anarcho-capitalisme[1]:

  • l'Irlande celtique (650-1650) avant la conquête anglaise du XVIIe siècle : une société avancée dépourvue de justice étatique
  • l'Islande (de 930 à 1262), d'après David Friedman, la loi y étant l'affaire d'institutions privées
  • la République de Cospaia en Italie pendant plus de trois siècles (1440-1826)[2]
  • Rhode Island (1636-1648)
  • Albemarle en Caroline du nord (1640-1663)
  • la Pennsylvanie des Quakers (1681-1690)
  • l'Ouest des États-Unis fut longtemps occupé en l'absence de tout gouvernement[3]. La criminalité y était plus basse que dans l'Est soi-disant plus "civilisé".
  • certains peuples anciens, agriculteurs sédentaires, vivaient dans des cités de plusieurs milliers de personnes sans administration centrale, comme on a pu le déduire de vestiges en Anatolie (aujourd'hui Çatalhöyük en Turquie du sud) remontant à 7400-5900 av. J.-C.[4]

Exemples contemporains

  • Certains affirment qu'une large zone montagneuse du sud-est asiatique de plus de 2,5 millions de km², "Zomia", de par sa géographie particulière, serait depuis longtemps hors d'influence des États ; dans son ouvrage de 2009 sur le sujet, The Art of Not Being Governed, le professeur James C. Scott indique les "procédés" anti-étatiques à l’œuvre dans Zomia : nomadisme (terrestre ou maritime), vie en altitude, autonomie, refus de la "modernité", etc.
  • plusieurs populations "nomades des mers", comme les Bajau, échappent aussi à toute influence étatique ; de même pour certains "nomades terrestres" (Pierre Clastres mentionne la tribu Guayaki au Paraguay)
  • selon Dmitry Orlov[5], les Pachtounes, peuple indo-européen de religion musulmane de 40 millions d'individus dont l'aire tribale est à cheval sur l'Afghanistan et le Pakistan, résiste à toute tentative des autorités étatiques centralisées d'imposer leur contrôle. Il a ainsi résisté aux Britanniques, aux Pakistanais, aux Soviétiques et aux Américains. Le journaliste Joseph Kessel parlait « d'un peuple invincible » à cause de sa résistance à tout envahisseur. Il est régi par un code de conduite, le pachtounwali, qui privilégie le consensus et la démocratie directe.
  • contre-exemple souvent exposé : la Somalie est depuis 1991 un "État défaillant" livré à la guerre civile et aux luttes interclaniques. L'absence d'État et la fin de la dictature qui l'a précédée ont toutefois permis la hausse de l'espérance de vie de quatre ans, la baisse du taux de mortalité de 3 %, la hausse du PIB par habitant de 210 $ à 600 $, la baisse de la mortalité infantile par an de 116 à 109 ‰, la hausse du taux d'alphabétisation de 24 à 38 %, et de nombreuses améliorations dans le marché des télécommunications : l'apparition de neuf réseaux qui desservent la totalité du pays, la possibilité d'appeler comme d'envoyer des messages ou même d'accéder à Internet, etc.[6] Certains affirment que la guerre des clans est due aux interventions de l'ONU pour favoriser certains clans en leur donnant plus de ressources et d'armes afin qu'ils mettent en place un gouvernement.

Notes et références

  1. Tiré de Anarcho-capitalist FAQ
  2. The Anarchist Republic of Cospaia
  3. Terry L. Anderson : The not so wild, wild WestAcrobat-7 acidtux software.png [pdf]
  4. Mentionné par Paul Rosenberg dans son livre Production Versus Plunder, chap. 2 ("Civilization Created and Overrun").
  5. Etude de cas : les Pachtounes, dans Les cinq stades de l'effondrement, Dmitry Orlov, Le retour aux sources, 2016.
  6. Robert P. Murphy, au Mises Institute[lire en ligne]

Voir aussi

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Citations

  • "Si le libertarisme est si bien, pourquoi aucun pays ne l'a essayé ?" La question est stupide parce que la réponse libertarienne est évidente : le libertarisme est formidable pour les gens ordinaires, mais pas pour les élites au pouvoir qui contrôlent les pays et déterminent quelles politiques mettre en œuvre, et qui n'acceptent pas de voir leur statut privilégié soumis à la libre concurrence. Et les gens ordinaires n'agissent pas en faveur de politiques libertariennes parce que la plupart d'entre eux ne sont pas familiers avec les arguments qui montrent les avantages du libertarisme, en grande partie parce que le système éducatif est contrôlé par les élites susmentionnées. Cette question est analogue à celles qui auraient pu être posées il y a quelques siècles : si la tolérance religieuse, ou l'égalité des femmes, ou l'abolition de l'esclavage sont si bien, pourquoi aucun pays ne les a essayées ? Toutes ces questions reviennent à demander : si être libéré d'une oppression est si bien pour les opprimés, pourquoi les oppresseurs n'agissent-ils pas dans ce sens ? (Roderick T. Long, 2013)
  • Il est évident que des solutions plus radicales et qui fonctionnent dans le privé doivent être envisagées sous forme d’un saut qualitatif pour s’affranchir des Etats-nations : celui des gouvernements contractuels et privés aterritoriaux (sous forme de réseaux nomades et d’apatridie grâce au Web) où assis sur des territoires mobiles (îles flottantes dans des eaux internationales) ou non avec des guildes de villes privées ou franches. Cela vous semble utopique ? Mais cette révolution anarcho-capitaliste se passe, en ce moment même sous vos yeux. (Bertrand Lemennicier)
  • Le libertarisme est-il utopique ? Le libertarisme est souvent critiqué pour avoir une vision naïvement optimiste de la nature humaine. En fait, c'est le libéral moderne qui a une conception utopique de la perfectibilité humaine, tandis que le conservateur moderne penche vers une conception quasi calviniste de notre nature pécheresse inhérente et radicale. Le libertarien n'est engagé dans aucun de ces extrêmes. Certaines personnes sont bonnes ; certains ne le sont pas. Certaines bonnes personnes se comportent parfois mal ; certaines mauvaises personnes se comportent parfois bien. Bien que les libertariens ne fassent preuve ni d'optimisme ni de pessimisme à l'égard de la nature humaine, ils sont attachés à la proposition que la coercition en matière de pratique sociale, d'habitudes sexuelles, de croyance religieuse et d'allégeance politique, viole la nature humaine. (...) Le libertarisme est compatible avec toute théorie de la nature humaine qui ne nie ni explicitement ni implicitement l'importance de la liberté humaine. (Gerard Casey, Against the Criminal State: A Defence of Libertarian Anarchy)

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