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Affaire Dreyfus

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L'Affaire Dreyfus est une affaire politique qui secoua la France de la Troisième République de 1894 à 1906. Son retentissement devait être considérable et on dit encore aujourd'hui « l'Affaire » avec une majuscule pour l'évoquer. Elle a été tout à la fois un roman d'espionnage militaire, la révélation de l'antisémitisme politique moderne et l'émergence des « intellectuels ». Pour un libéral, elle illustre la tentative d'écraser un individu au nom de la raison d'État.

Une affaire d'espionnage

La première affaire commence avec l'arrestation du capitaine Alfred Dreyfus le 15 octobre 1894, stagiaire à la section de statistique. Cet Alsacien fortuné, sorti de Polytechnique, a choisi l'armée par patriotisme mais il est jalousé par les officiers du rang comme son supérieur, le commandant Henry. Ses origines juives lui valent la haine du journal antisémite, La Libre Parole d'Edouard Drumont. Un document, dit « bordereau », provenant de l'attaché militaire allemand a révélé la trahison d'un officier d'artillerie. Malgré l'absence de preuves et les avis contradictoires des experts en écriture, Dreyfus va être jugé à huis clos par le conseil de guerre. L'unanimité des juges militaires est acquise par la communication pendant le délibéré d'un dossier secret qui n'est communiqué ni à l'accusé ni à son avocat. Dreyfus est condamné à la déportation à vie et dégradé le 5 janvier 1895 dans la cour de l'École militaire.

La dégradation d'Alfred Dreyfus

Le véritable coupable est le capitaine Estherazy, aventurier criblé de dettes, couvert par de hautes protections et lié à la Libre Parole. Son rôle est percé à jour par le colonel Picquart, nouveau chef de la section de statistique pendant l'été 1895 : ses supérieurs envoient Picquart en Tunisie pour le faire taire. D'un autre côté, Mathieu Dreyfus, frère du capitaine, a chargé le journaliste Bernard Lazare de démontrer l'innocence du condamné.

Une affaire politique

Ce n'est pas seulement une erreur judiciaire imposée par le pouvoir militaire : l'Affaire repose sur la quasi-impossibilité de faire admettre par le pouvoir et l'opinion l'innocence de Dreyfus, une fois Estherazy accablé. L'honneur de l'armée est engagé, elle ne saurait se tromper, sinon l'ordre social et la sécurité des frontières seraient menacés. Le 4 décembre 1897, le président du conseil Méline déclare à la Chambre : « Il n'y a pas d'affaire Dreyfus ». Le 11 janvier 1898, Estherazy est acquitté par le conseil de guerre. Le 20 janvier, Émile Zola est traduit en Cour d'Assises pour diffamation envers le ministre de la Guerre pour son article « J'accuse » publié dans l'Aurore. Il est condamné au maximum le 23 et Picquart qui a dit ce qu'il savait est exclu de l'armée pour « fautes graves ».

Le 7 juillet 1898, le ministre de la Guerre, Cavaignac, lit devant la Chambre les « preuves » qui accablent le capitaine. La Chambre vote à la quasi-unanimité, socialistes compris, l'affichage de son discours. Même les aveux d'Henry (30 août) ne parviennent pas à ébranler l'attitude du pouvoir : la majorité centriste veut étouffer l'affaire au nom de la raison d'État et de l'honneur de l'armée.

La presse est en partie indifférente, surtout dans les campagnes. À l'exception de La Libre Parole et La Croix, quotidien des Assomptionnistes, suivi par la presse catholique, l'hostilité à la révision, longtemps massive, tient davantage du nationalisme que de l'antisémitisme, tel Le petit Journal. La presse dreyfusarde est plus réduite : Le Figaro un temps, l'AuroreClemenceau fait publier Zola, et à partir de juin 1898, le journal de Jean Jaurès, La Petite république socialiste. En septembre, le tirage des journaux favorables à la révision est passé de 2 % à 40 % du total. L'anticléricalisme permet de rallier une partie de la presse, attaquer l'église étant plus facile qu'attaquer l'armée.

J'accuse, l'article d'Émile Zola

Les intellectuels se manifestent d'abord à l'école normale supérieure autour du bibliothécaire Lucien Herr, dont Charles Péguy puis Émile Zola, le plus célèbre écrivain du temps. C'est l'époque des premières pétitions réunissant intellectuels, universitaires, artistes et étudiants. La ligue pour la défense des droits de l'homme et du citoyen s'oppose à la ligue de la patrie française. L'Académie et les intellectuels d'État dominent à la Patrie française tandis que l'Université afflue à la Ligue des droits de l'homme, bientôt rejointe par des industriels et des hommes politiques.

La Cour de Cassation, corps très conservateur mais méprisant les juridictions militaires et n'appréciant pas les pressions gouvernementales, joue un rôle décisif en cassant le jugement de décembre 1894 et en renvoyant Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes. Le capitaine est de nouveau condamné à dix ans de détention le 9 septembre 1899, avant d'être gracié par le président de la République à la demande du président du Conseil, Waldeck-Rousseau. Finalement, la Cour de Cassation proclame son entière réhabilitation le 12 juillet 1906.

L'Affaire : un point de vue libéral

Philippe Nemo dans son ouvrage, Les Deux Républiques françaises, nuance la vision traditionnelle de l’Affaire Dreyfus comme un affrontement droite-gauche où radicaux et socialistes auraient été « naturellement dreyfusards ».

Dans ses Souvenirs sur l’Affaire, Léon Blum témoigne que les premiers dreyfusards ont appartenu essentiellement aux milieux libéraux : « c’est dans ce milieu composite que les dreyfusards trouvèrent d’emblée le plus de partisans ouverts, et surtout le plus d’alliés secrets ou discrets ». Blum cite ainsi Jean Casimir-Périer, Waldeck-Rousseau, Adrien Hébrard, Ludovic Trarieux, et même ses principaux adversaires politiques de droite des années 1920-1930, Raymond Poincaré, Louis Barthou, Charles Jonnart ou Georges Leygues, qui étaient « tous dreyfusards ».

Inversement, l’ancien communard Henri Rochefort, Edouard Drumont, Eugène Guérin ou Maurice Barrès incarnent la pointe avancée des républicains radicaux et socialistes du temps. Les premiers antidreyfusards ont donc été les radicaux et les socialistes. Même « les francs-maçons radicaux, poursuit Blum, n’osaient pas découvrir leurs amis, ou engager le gouvernement ». Quant à leurs collègues radicaux, ils étaient antidreyfusards sans états d’âme. Cavaignac en particulier est un antidreyfusard passionné. Même Jean Jaurès, qui a pourtant joué dans le combat dreyfusard le rôle éminent que l’on sait, s’est converti assez tardivement, et on a de lui, dans la première période, des déclarations antidreyfusardes (et même antisémites) hautes en couleur. Les socialistes, dit Blum, ne voulaient pas avoir « pour alliés d’un moment des adversaires permanents « de classe » qui embarrasseraient l’action future [du socialisme] de liens pesants et d’habitudes dangereuses ». Les radicaux et socialistes considèrent que Dreyfus est, d’une part, un riche bourgeois, d’autre part un quasi-étranger, et que le défendre ne relève pas de leur combat anticapitaliste et jacobin. L’antisémitisme a toujours été une question économique et sociale pour les socialistes, pas une question religieuse.

Drumont s’inscrit expressément dans la tradition jacobino-socialiste. Son maître-ouvrage, La France juive, est constitué d’une série de charges furieuses contre le capitalisme national et international, les grandes compagnies, les banques, le crédit, les spéculateurs, au règne desquels il faut mettre un terme par l’étatisation de l’économie.

La France connaît un « moment antisémite » pendant l'année et demi (1898-1899) qui va de l’acquittement d’Esterhazy, du « J’Accuse » de Zola et de son procès (janvier-février 1898) au second Conseil de guerre de Rennes (août-septembre 1899). Il y a partout en France des manifestations antidreyfusardes et antisémites auxquelles ne répondent que de rares contre-manifestations dreyfusardes. Ce sont des ouvriers, des artisans, des petits-bourgeois ; des étudiants et des lycéens ; enfin, des « casseurs » descendus de leurs banlieues. L’anticapitalisme, le rejet de l’économie de marché qu’incarne le « Syndicat juif », la haine de la République « panamiste », des « gros » et des « riches », voilà ce qui caractérise ce mouvement spontané. Ils scandent des slogans du type « non au grand commerce, non aux bazars » (ancêtres de nos grandes surfaces), « non à la concurrence, non à la spéculation financière ». Certes, on s’en prend dans ces manifestations particulièrement aux Juifs ; mais on s’en prend à eux en tant que représentants des capitalistes.

Citations

  • L’affaire Dreyfus n’est pas un simple fait divers dont la presse aime à se délecter, sans se soucier toujours de savoir si elle ne va, ce faisant, broyer la vie d’innocents. Elle fut, pour notre République, un traumatisme qui ébranla les institutions – le gouvernement, le Parlement, l’armée, la justice –, qui déchira la société, divisa des familles... n’épargna personne. Et, pour bon nombre de Républicains, l’affaire Dreyfus, ce fut un combat, un combat de douze ans pour briser la conspiration, la machination, l’engrenage implacable du mensonge de personnages qui parfois cachaient leur médiocrité ou leur antisémitisme derrière la raison d'État. La raison d'État qui n’a servi bien souvent qu’à dissimuler la revanche des ennemis de la République. (Jean-Louis Debré, Dictionnaire amoureux de la république, Plon, 2017)

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