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Spéculation
La spéculation, dans son sens le plus large, est l'activité humaine consistant à imaginer les réactions et activités d'autrui, comme si nous étions à sa place, et à porter un regard sur notre propre activité, comme si nous étions un autre. C'est donc une mise en miroir (latin speculum). Dans le domaine économique, la spéculation consiste à prendre aujourd'hui des décisions économiques sur la base d'un état économique futur et hypothétique : c'est donc un pari monétaire portant sur l'évolution future du prix de biens économiques.
Le premier exemple de spéculation rapporté par l'histoire est celui du mathématicien-philosophe Thalès qui, en prévision d'une récolte d'olives exceptionnelle, loua ou acheta tous les pressoirs de sa région.
Extrait du blog d'Alpheccar.
Lorsque l’on écoute les Français, le mot spéculateur est presque synonyme d’Antéchrist. Les spéculateurs seraient responsables de tous les maux. Sur une simple opération boursière ils seraient capables de faire d’insolents profits leur permettant de prendre le contrôle de plus-en-plus d’entreprises. Les marchés boursiers aussi sont critiqués par les Français : la sphère boursière serait déconnectée de la sphère économique. Elle forcerait les entreprises à des politiques court terme visant à faire monter le prix de l’action au détriment de l’emploi. Aussi, pour corriger ces dérives, il serait nécessaire d’inventer de nouveaux types d’impôts concernant les transactions financières.
Le problème avec cette vision simpliste c’est qu’elle est totalement fausse et dénote une totale incompréhension de la fonction des marchés boursiers et des spéculateurs. Certes, il ne faut pas pêcher par excès d’angélisme : il y a aussi des problèmes mais ils sont beaucoup plus subtils.
A quoi sert la Bourse ?
Imaginez que vous avez l’idée d’un nouveau produit/service. Vous pensez que cela peut intéresser les gens. Mais, vous n’en êtes pas certain. Vous n’êtes même pas certain d’arriver à réaliser techniquement votre produit. Par conséquent, et c’est le rôle d’un entrepreneur, vous devez prendre un risque si vous décidez de créer une entreprise pour réaliser votre vision. Mais, le risque est peut-être trop élevé pour vous. Si vous décidez de ne pas le prendre, alors ce seront des emplois en moins. Ce qu’il faudrait, c’est un mécanisme d’assurance permettant de partager le risque avec d’autres. Ces autres ne devant pas être obligés de mettre tous leurs œufs dans le même panier. Mais, si les assurances fonctionnent c’est qu’on peut estimer certains risques : le risque d’être cambriolé, par exemple, peut être estimé par statistique selon le quartier ou vous habitez, l’étage etc… Mais, comment estimer le risque d’une nouvelle aventure industrielle ? Comment estimer un futur qui dépend de si nombreux facteurs et qui est si complexe ?
Le rôle des marchés financiers est de fournir des mécanismes d’assurances et d’estimation statistique. Sans ces marchés, de nombreux risques ne seraient pas pris, de nombreux emplois ne seraient pas créés.
Une action représente un risque : en achetant une action vous partagez un risque avec l’entreprise. Cette action représente une promesse de gain futurs mais le futur est incertain.
En ayant la possibilité de vendre votre action, vous pouvez vous débarrasser d’un risque que vous estimez trop grand. En achetant des actions diverses, vous évitez de mettre tous vos oeufs dans le même panier.
Le prix de l’action est l’estimateur statistique qui permet d’estimer le risque pris. En effet, quelle autre méthode utiliser ? Le prix agrège les décisions, les modèles, les suppositions de tous les acteurs qui interviennent sur le marché. C’est une sorte de moyenne (sophistiquée) et remise à jour en temps réel. Il est alors normal que le prix d’une action puisse sembler subjectif, irrationnel, imprévisible : c’est un estimateur des risques futurs. Le futur est incertain et les humains ne sont pas devins. Il n’est pas possible de faire mieux pour estimer le futur que de prendre en compte toutes les tentatives d’estimation et les agréger en un tout qui reflète l’information globale : le prix.
Chaque intervenant aura son modèle, sa façon d’estimer le futur : en vendant ou achetant, il traduit dans les faits les conclusions de ses estimations qui sont alors intégrées dans le prix global. Cette vision des prix comme estimateur statistique n’est pas nouvelle mais est peu comprise par l’homme de la rue. On peut trouver plus de détails à ce sujet dans cet excellent article de Philippe Némo.
Imaginer que le prix d’une action est forcément minoré par la valeur des usines, du mobilier d’une entreprise ou qu’il existe un prix naturel est une erreur. Imaginer qu’il y a des critères objectifs qui permettraient de déterminer le prix d’une action c’est imaginer qu’il existe des méthodes objectives pour prédire le futur. Si, parfois, en apparence, il existe une valeur objective (un fondamental) c’est parce que les intervenants utilisent des modèles de prédiction proches. Le fondamental ne traduit que l’existence d’un noyau commun dans les modèles de prédictions ; de biais et d’hypothèses majoritaires chez ces intervenants.
Produits financiers
Dans cette optique d’assurance contre les risques, il devient plus facile de comprendre la raison d’être de produits financiers comme swap, options etc…
Imaginez que vous voulez acheter de l’acier pour votre produit. Vous construisez un budget en vous fondant sur le prix de l’acier aujourd’hui. Mais, vous ne pourrez acheter cet acier que dans un mois. Il se peut qu’à ce moment là le prix de cet acier soit très différent et beaucoup plus élevé ce qui serait catastrophique pour vous. Vous voulez donc vous assurer contre une hausse du prix de l’acier. Vous achetez donc une option vous permettant d’acheter (mais ne vous obligeant pas à le faire) une certaine quantité d’acier à un prix fixe défini par l’option. Le prix de l’option est la mesure du risque concernant la hausse du prix de l’acier (à ne pas confondre avec le prix de l’acier que vous permet d’acheter cette option).
Si, dans un mois, le prix de l’acier a baissé alors vous achetez votre acier sur le marché. Si le prix a monté alors vous décidez d’exercer votre option et vous pouvez acheter votre acier à un prix inférieur à celui du marché. Cela signifie donc que quelqu’un doit, pour honorer le contrat représenté par cette option, vendre cet acier à un prix inférieur à celui du marché. En vendant cette option, quelqu’un a parié sur la baisse des prix de l’acier alors que vous, en l’achetant, vous avez parié sur la hausse des prix. Dans cet exemple, il y a un gagnant et un perdant. Attention à ne pas généraliser : la finance n’est pas un jeu à somme nulle.
D’autres produits financiers permettront de s’assurer contre une baisse des prix, contre un changement des prix, contre une variation des taux de change, des taux d’intérêts etc… Il existe de très nombreux produits financiers car il existe différents types de risques et différents niveaux de risques.
On trouve par exemple, des options permettant de s’assurer contre la baisse d’un prix, des marchés à terme permettant de s’assurer contre une variation du prix, des swap combinant une protection contre une hausse sur un produit et une baisse sur un autre etc…
Les spéculateurs
Le spéculateur est celui qui spécule sur l’avenir. Donc, toute personne achetant des produits financiers est un spéculateur et en fait tout être humain est un spéculateur. Mais, en général, ce terme désigne plutôt, dans la culture populaire, celui qui va à contre courant : celui qui parie sur une baisse quand tout le monde parie sur une hausse. En général, le spéculateur va perdre mais, de rare fois, il va gagner. Suffisamment pour qu’il arrive globalement à dégager un profit. Les gens se focalisent toujours sur les gros gains en oubliant que pour chaque gros gain, il y a de nombreuses pertes.
Le profit fait par ce type de spéculateur est le prix du risque : une rémunération pour avoir osé prendre des risques que personne ne voulait prendre. Et, cela est bénéfique car : cela permet de corriger des estimations de risques qui sont incorrectes et résultant d’un comportement moutonnier. Quand de nombreux intervenants se contentent, pour estimer le futur, du seul prix de marché et agissent uniquement en fonction de l’évolution de ce prix alors les fluctuations ont tendance à être amplifiées. Le prix monte alors on achète ce qui provoque une hausse du prix. Le spéculateur va permettre de stabiliser les fluctuations.
Le spéculateur permet aussi, en prenant des risques que personne n’ose prendre, d’assurer certaines aventures industrielles qui n’auraient pas pu avoir lieu autrement. Il vous permet de vous débarrasser de risques que vos ne voulez plus assumer.
Par conséquent, contrairement à ce que l’on raconte, le spéculateur a un rôle très bénéfique.
Les problèmes
Soyons réalistes : il y a des problèmes mais bien plus complexes que les attaques simplistes contre la spéculation.
Pour comprendre ces problèmes, il faut comprendre que le capitalisme est en train de subir une mutation.
Différents types de capitalismes
Il y a trois modèles de capitalismes : le capitalisme anglo-saxon, le capitalisme rhénan (avec la variante Française) et la nouvelle forme de capitalisme qui est en train d’apparaître dans le monde globalisé actuel.
La caricature du modèle anglo-saxon c’est le self-made man qui finit par introduire son entreprise en bourse afin de pouvoir se lancer dans de nouvelles aventures. C’est un dirigeant-actionnaire et fondateur de l’entreprise. Mais, si sa gestion devient mauvaise, le futur de son entreprise devient incertain. Investir dans son entreprise devient risqué. Le prix de l’action chute. Les actions peuvent alors être rachetées par un concurrent (OPA dite hostile). Ces actions qui étaient alors diffuses entre des centaines de petits actionnaires peuvent se concentrer entre les mains d’un concurrent qui aura alors assez de voix pour licencier le dirigeant-actionnaire-fondateur qui reste alors juste actionnaire non principal. Autrement dit : une mauvaise gestion est sanctionnée par le marché.
Les actionnaires ne sont pas réellement propriétaires de l’entreprise (qui étant une personne morale est propriétaire d’elle-même - ce n’est pas vrai pour d’autres organisations que les sociétés comme par exemple les copropriétés). Il ne sont pas non plus les dirigeants puisqu’en général le dirigeant doit rendre des comptes aux actionnaires. Mais, les actionnaires détiennent un pouvoir économique via leurs actions. Ils ont accepté de partager certains risques, de financer une aventure industrielle. Il est normal qu’ils aient un droit de regard et de contrôle représenté par leurs actions. Il peuvent sanctionner une politique qu’ils trouvent trop risquée ou pas assez. Les relations entre actionnaires et dirigeants sont un sujet à part entière que je traiterai peut-être dans un autre texte : comment inciter le dirigeant à prendre des risques (sans lesquels il n’y a pas de croissance économique) et comment éviter qu’il en prenne trop ?
Le second modèle de capitalisme est le capitalisme rhénan : les actionnaires d’une entreprise sont des pairs. D’autres actionnaires-dirigeants d’autres entreprises (et en général des banques). L’actionnariat est plus concentré. La variante Française est que nombre de ces pairs sont maintenant issus de la haute fonction publique. Ici encore, les actionnaires effectuent un contrôle a posteriori : une fois que la mauvaise gestion a été constatée.
La troisième forme de capitalisme est celle où ce sont les salariés qui sont principalement les actionnaires par l’intermédiaire d’institutions financières comme les fonds de pension. C’est vers ce nouveau modèle que le capitalisme converge. Pourquoi ?
Fonds de pensions
Le processus de mondialisation financière et de libéralisation des flux de capitaux est une conséquence des Etats providences. L’État-providence est une chimère qui ne peut subsister qu’en s’endettant. Or, ces dettes sont des risques : le risque de ne pas être remboursé. Les Etats providence ont donc besoin de recourir aux marchés financiers pour financer leurs déficits. Parallèlement, les classes moyennes (principalement les baby-boomers) de ces Etats, éduquées dans l’illusion de l’absence de risque, demandent un accroissement du ratio gain/risques pour leur épargne et leurs retraites.
C’est pourquoi la finance s’est globalisée et c’est pourquoi les institutions comme les fonds de pension recherchent des placements à fort ratio gain/risque pour leurs clients. Ces fonds n’ont pas le contrôle des entreprises mais ils détiennent suffisamment de voix pour que leur influence soit non négligeable.
La conséquence est que les fonds de pension vont, pour assurer la rentabilité des investissements, comparer constamment les entreprises entre elles et investir toujours dans les plus rentables. Le système financier étant globalisé cette comparaison est effectuée sur un plan mondial. En outre, les flux de capitaux peuvent voyager rapidement d’un point à l’autre de la planète pour aller toujours là où les investissements sont les plus rentables.
Pour faire ces comparaisons, ces institutions financières ont besoin d’information. Leur influence est suffisamment grande pour pouvoir imposer des règles a priori : transparence, visibilité de la stratégie etc… Les entreprises sont constamment notées par ces institutions. Ces notations ont une influence sur les autres actionnaires. Ainsi, la grande mutation du capitalisme moderne est d’imposer un contrôle a priori, et non plus a posteriori, dont le but est de pouvoir détecter les entreprises à haute rentabilité et sanctionner les gestions qui ne sont pas assez rentables.
Cela va accélérer le processus de destruction créatrice : les entreprises qui sont mal gérées disparaissent et on investit dans celles qui sont prometteuses ce qui stimule l’activité économique en permettant la réalisation de nouveaux projets industriels.
Mais, les hommes ne sont pas aussi mobiles que les capitaux. Ils restent relativement bloqués dans leurs Etats et leur réglementations. Par conséquent, si leurs emplois sont délocalisables : soit ils restent compétitifs par rapport au reste du monde, soit ils perdent leurs emplois.
L’ironie de la situation est que ce sont les salariés-actionnaires (via les fonds de pension) qui contrôlent une grande partie des entreprises et qui sont à l’origine de la demande de rentabilité forte. Ce sont eux aussi qui veulent les Etats providence. Mais ce sont aussi les premiers à souffrir de ces demandes.
Court termisme
Ces institutions financières ne sont pas fondamentalement court-termistes (désolé pour cet affreux néologisme). Contrairement à un politique qui ne vise que la prochaine élection, les fonds de pension, par exemple, ont la responsabilité de la retraite de leurs clients ce qui oblige à des visions long terme. Mais, en raison d’une dissymétrie d’information entre le dirigeant d’une entreprise et ses actionnaires, il peut arriver que le dirigeant pratique des politiques court terme visant à faire monter l’action et satisfaire ainsi les demandes de rentabilité des actionnaires. Ce n’est pas une demande des actionnaires. Si l’information était meilleure, nulle doute que ce genre de gestion court-terme ferait chuter le prix de l’action qui, ne l’oublions pas, représente un risque et une promesse de revenus futurs donc une vision long terme. Une politique court-termiste est une politique très risquée qui peut tuer l’entreprise et cela n’intéresse pas les institutions comme les fonds de pensions.
Conclusion
La finance et les spéculateurs jouent un rôle très bénéfique. La globalisation, la recherche de rentabilité, le contrôle financier a priori des entreprises résulte d’une demande des populations occidentales : le refus des risques qui se traduit par les Etats providence et la recherche d’investissements à fort ratio gain/risque. Ce n’est pas un problème inhérent aux marchés financiers. La conséquence tragique de cette illusion consistant à croire que l’on peut s’affranchir des risques est d’en créer de nouveaux : le chômage, les délocalisations, des emplois fragiles et stressants puisque la pression sur les salariés, pour qu’ils soient compétitifs, est forte …
Vouloir se prémunir contre ces nouveaux risques en demandant plus d’Etat, plus de réglementations c’est persévérer dans l’illusion et accroître les problèmes au-lieu de les résoudre.
Aussi, la prochaine fois que vous entendrez un bobo critiquer les spéculateurs et se plaindre qu’en raison de la spéculation boursière un petit nombre de maîtres du monde est en train de prendre le contrôle de toutes les entreprises, vous saurez quoi répondre. Je ne plaisante pas … cela m’est arrivé d’entendre ça.
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