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Venise
Venise est une ville d'Italie, surtout connue aujourd'hui pour ses nombreuses voies navigables, son festival de cinéma (La Mostra et ses récompenses) et son attractivité touristique[1] (notamment son carnaval[2]). La ville a une histoire qui remonte au VIe siècle[3]. Elle fut une cité-État, et malgré sa petite taille, elle fut l'une des plus grandes puissances commerciales de l'histoire mondiale. En effet, Venise était l'ultime extrémité de la route commerciale de la soie qui acheminait les marchandises depuis la Chine vers l'immense marché européen. Elle était cosmopolite et un véritable exemple de creuset social et économique réussi. Une culture entrepreneuriale très forte imprégnait la mentalité des habitants de la ville. Ce n'est pas un hasard si elle donna naissance, en 1254, à Marco Polo, célèbre entrepreneur-marchand, organisateur de convois commerciaux maritimes jusqu'en Extrême-Orient (Chine).
Un très petit État qui a dominé commercialement l'espace européen du sud
Malgré le mythe historique, il est vraisemblable que des réfugiés fuyant les envahisseurs lombards ont commencé par camper sur les îles de la lagune de Venise au VIe siècle. Cette colonie s'est développée et a institué son propre évêché à la fin du VIIe siècle. Puis en 751, lors de la conquête de Ravenne par les Lombards, le dirigeant vénitien est nommé doge par les familles marchandes qui ont émergé commercialement. La ville reste sous l'influence de l'Empire byzantin jusqu'en 840. À ce moment-là, un accord (Pactum Lotharii - pacte de Lothaire) est signé le 23 février entre Pietro Tradonico, doge de la République de Venise et Lothaire Ier, roi d'Italie (appartenant à l'Empire carolingien). Il permet à la ville de Venise de s'affranchir du pouvoir politique de Byzance pendant un certain temps.
Au cours des siècles suivants, Venise fut un pôle commercial majeur de l'Europe. Les marchands vénitiens[4] faisaient des affaires avec les marchands du monde islamique ainsi qu'avec ceux de l'Empire byzantin. En 992, Venise a obtenu des droits commerciaux spéciaux avec le pouvoir byzantin assorti, en échange, d'une nouvelle acceptation de la souveraineté byzantine. Les habitants de la ville s'enrichissaient de plus en plus. L'indépendance est acquise définitivement en 1082, tout en conservant des avantages commerciaux avec Byzance.
Venise disposait d'une marine puissante, mise à disposition de ses alliés commerciaux. Malgré la pandémie de la peste noire, propagée le long des routes commerciales, le niveau d'hygiène de la population vénitienne a permis de résister puis de rebondir par la suite alors que le fléau avait totalement décimé de nombreuses villes européennes. Le Doge vénitien autrefois dictatorial a transformé peu à peu Venise en une démocratie républicaine. Des ports commerciaux furent établis sur l'ensemble de la mer Méditerranée afin de développer le commerce à l'intérieur des terres. Elle n'est cependant pas la seule à vouloir imposer sa domination thalassocratique. Elle doit se confronter à la République de Gênes. Hélas, la rivalité économique a débouché sur la bataille militaire de Curzola (Dalmatie) et par la défaite navale de Venise le 7 septembre 1298. La lutte a atteint un tournant avec la bataille de Chioggia en 1380, restreignant finalement le commerce génois.
L'institutionnalisation d'un ordre politique favorisant le commerce médiéval
La ville de Venise fut un nœud primordial dans les échanges de marchandises entre l'Orient (le Levant) et l'Europe occidentale depuis le Xe siècle jusqu'au XVIIe siècle. À la fin des XIe et XIIe siècles, Venise se développa commercialement grâce au traité avec Byzance. Les États qui se sont lancés dans la croisade et les puissances musulmanes étaient en conflit. Certains Vénitiens ont obtenu le droit de résider en Orient, et ont ainsi obtenu des privilèges commerciaux dans les principaux ports levantins. À Venise, les chefs d'entreprise ont interrompu la tradition des familles ducales de conforter la doge héréditaire et absolue. Ils ont institué le Grand Conseil en 1172, ont élu des doges dans leurs propres rangs et ont commencé à restreindre les actions du doge lui-même dans le serment du couronnement.
L'un des plus grands hommes d'affaires vénitiens fut Enrico Dandolo, doge de 1192 à 1205. Sa famille s'était enrichie depuis longtemps à Venise et il avait personnellement servi l'État dans plusieurs missions avant son élection au poste de doge. Bien que déjà âgé de plus de 65 ans lors de son élection, il dirigeait l'État vénitien avec vigueur. Au début de son règne, Doge Dandolo a institué plusieurs programmes destinés à renforcer le prestige commercial et politique de l'État. Il fit la paix avec Vérone et exigea d'elle un traité commercial favorable. Il conclut également des traités avec Trévise, avec le patriarche d'Aquilée, et avec le roi d'Arménie. Il envoya des expéditions navales pour renforcer le contrôle vénitien de la mer Adriatique. Sous sa direction, la ville produisit une nouvelle codification de son droit civil en 1195. Son acte le plus célèbre a été d'amener Venise dans la quatrième croisade au cours de laquelle Venise a obtenu le titre des trois huitièmes de l'Empire byzantin. Il a également réorganisé la monnaie vénitienne.
Du développement d'une cité-État commerçante à la vanité d'expansion par des pratiques agressives guerrières
L'époque 1420-1450 fut, sans doute, le point de renversement de la richesse et de la puissance vénitienne. Elle correspond à la phase de reniement des principes fondateurs du développement commercial de Venise. La république adopte une politique coloniale militaire. Le 7 juin, les troupes de la République de Venise prennent la ville d'Udine, mettant ainsi fin à l'indépendance du Patriarcat d'Aquilée (principauté ecclésiastique pacifique créée en 1077). L'expansion vénitienne a ciblé le continent italien avec la prise d'autres villes comme Vicence, Vérone et Padoue. L'expansion belliqueuse sur l'ensemble de l'Italie s'est retournée contre Venise. Le pape a organisé sa défense avec la Ligue de Cambrai. Bien que le territoire ait été reconquis plus tard, les dirigeants vénitiens perdaient peu à peu leur crédibilité.
Le pouvoir politique de Venise s'est trompé de combat. Son avenir reposait sur ses fondations commerçantes alors que ses dirigeants l'orientaient inexorablement vers la chute et la destruction de la guerre. Peu à peu, le pouvoir militaire prend l'ascendant sur le pouvoir économique. Venise souhaite évincer la prédominance de la Turquie dans la mer Méditerranée. Le 12 septembre 1463, elle signe un traité d'alliance offensive avec la Hongrie contre les Turcs. Cette guerre contre ses voisins turcs s'éternise malgré les traités de paix comme celui de 1479. L'aveuglement des dirigeants politiques vénitiens a provoqué son déclin. Ils n'ont pas réussi à contrer l'expansion de Constantinople tombée aux mains des Turcs ottomans dès 1453. Au jeu de la vanité de la supériorité militaire, les Ottomans l'emportèrent facilement et s'emparèrent avec succès de nombreuses terres orientales appartenant jusqu'alors à Venise, acquises préalablement par son agressivité militaire ou par sa diplomatie. Par exemple, en 1489 elle obtient sans combattre le territoire de Chypre grâce à l'abdication de la reine. Des victoires telles que la bataille de Lépante sur les Turcs en 1571 n'ont pas mis fin au déclin. La république de Venise et l'Empire ottoman ne cesse de guerroyer. Le 21 juillet 1718, le traité de Passarowitz met fin à la guerre entre les deux États, et commencée en 1714.
Au lieu de gaspiller des ressources financières pour des combats militaires improductifs, des entrepreneurs marchands d'autres pays d'Europe ont repris les principes fondateurs du développement paisible par le commerce. Les marins portugais ont développé leur esprit aventurier et maritime en contournant le continent africain. Ils ont ainsi ouvert une autre route commerciale vers les peuples orientaux et ont concurrencé fortement les marchands maritimes de la mer Méditerranée. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, Venise a décliné et a perdu son empire maritime. D'autres puissances comme la Grande-Bretagne, l'Espagne, le Portugal, la France et les Pays-Bas ont sécurisé les routes commerciales atlantiques et africaines. L'empire commercial de Venise a désormais disparu.
En 1797, l'armée de Napoléon envahit Venise. Le 12 mai, la République de Venise prend fin. Ludovico Manin, le dernier doge, est contraint d'abdiquer. L'empereur et ses grognards pillent les grandes œuvres d'art de la ville. Venise perd définitivement sa souveraineté. Elle est autrichienne après un Traité de paix avec Napoléon, puis elle redevient française après la bataille d'Austerlitz en 1805. Elle a fait partie de l'éphémère royaume d'Italie. La chute de Napoléon ramène Venise sous la domination autrichienne. Il y eut une brève indépendance en 1848-1849 lorsque la révolution renversa l'Autriche, mais les résistants furent eux-mêmes renversés. Dans les années 1860, Venise est devenue de nouveau une partie du royaume d'Italie avant de faire partie de l'État italien au moment de son unification.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ En 1846, Venise est reliée pour la première fois au continent par un chemin de fer. Le nombre de touristes commence à dépasser la population locale.
- ↑ Les gens gardent généralement en mémoire les évocations liées à des lieux chargés d’une forte intensité émotionnelle et esthétique. Le Carnaval de Venise en fait partie. Ses origines sont très lointaines, certainement avant 1094 (date du plus ancien édit conservé), mais ce n’est qu’en 1269 que le déguisement est autorisé à Venise. Dans l'Antiquité romaine, les Lupercales étaient des célébrations qui avaient lieu à la mi-février, et considérées comme les ancêtres du carnaval. L'organisation de cette manifestation est consciemment acceptée par le pouvoir en place pour proposer à la population une soupape de liberté, un moment officiel de révolte paisible sous la métaphore de l'amusement. Il s'agit de faire croire à la population et surtout à sa jeunesse, qu'un temps est consacré pour imaginer une inversion de l’ordre du monde. Il y a 4000 ans, les Mésopotamiens pratiquaient déjà des rites d’inversion comme les Sacées, où étaient présentés des souverains fictifs et éphémères. Entre le XIIIe et le XVe siècle, l’Église catholique crée la fête des Fous dans le même but d'inversion de l'ordre durant un court moment en y introduisant l'auto-dérision : sermons bouffons, cantiques à double sens ou mascarades avec cortège dans les villes. La symbolique animale avec le déguisement (cheval, ours, âne, coq) des fêtes carnavalesques représente la métaphore des métamorphoses impossibles dans la réalité entre l’homme civilisé et le monde animal. Le carnaval est donc l'expression de la libre créativité humaine. La nourriture du temps de carnaval est une illusion de l'abondance (crêpes, beignet, bugnes). Elle se rattache au thème de la libération des entrailles et de la contrainte des pêchés capitaux, principalement celui de la gourmandise. Dans un cadre général, la période du carnaval est une période pour la liberté d’expression. L'anonymat du déguisement permettait de critiquer et se moquer sans craindre de représailles. C'était aussi une liberté d'identité. Alors que le code social veut que l'on respecte ce qui nous a été légué socialement à la naissance, le carnaval permettait de s'affranchir de cette contrainte. L'identité n'est plus liée à ce que les autres ou soi-même révélons depuis notre naissance et au-delà rétrospectivement avec les liens généalogiques. Cela permettait à tout citoyen de ne pas être prisonnier de sa propre identité, de devenir celui qu’il souhaitait être pendant un court moment. Le temps du carnaval est une libération politique par rapport aux contraintes sociales ou religieuses. Les autorités estimaient qu'il était indispensable pour éviter les révoltes. Les carnavals étaient acceptés et soigneusement contrôlés par l’Église.
- ↑ Selon le mythe historique, Venise aurait été fondée du fait de la fuite de Troie
- ↑ William Shakespeare, en vantait les mérites dans Marchand de Venise, une comédie en cinq actes écrite vers 1596.
Bibliographie
- 1963, F. C. Lane, "Recent studies on the economic history of Venice", Journal of Economic History, vol 23, pp312-334
- 1974, Louise Robbert, "Reorganization of the Venetian Coinage by Doge Enrico Dandolo", Speculum, 49 (1), pp48-60
- 1976, Robert Lopez, commentaire du livre de Frederic C. Lane, "Venice: A Maritime Republic", Speculum, 51 (4), pp759-761
- 1978, Hilmar Krueger, commentaire du livre de Benjamin Z. Kedar, "Merchants in Crisis: Genoese and Venetian Men of Affairs and the Fourteenth-Century Depression", Speculum, 53 (2), pp389-391