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Menace

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La menace désigne l’annonce, explicite ou implicite, d’un dommage physique formulée de manière suffisamment crédible pour contraindre un individu à agir sans consentement véritable. Selon le principe de non-agression, elle est assimilée à l’usage de la force lorsqu’elle est initiée, et n’est recevable qu’à titre défensif, de façon conditionnelle et proportionnée. Parce qu’une menace, même légitime, peut dégénérer en agression, l’individu visé doit investir dans sa protection (principe de contre-investissement, ce qui accroît ses coûts d’existence. L’analyse de la menace expose ses formes, ses effets et les critères permettant d’identifier une menace crédible.

Définition et statut moral de la menace

  • . Assimilation à l’usage de la force. La menace initiée est considérée comme une agression en elle-même. Elle prive l’individu de son libre arbitre en instaurant une contrainte psychologique fondée sur la peur d’un dommage imminent. Même sans violence matérielle effective, la simple annonce crédible d’une atteinte suffit à restreindre la liberté d’action et place la victime dans une situation de soumission. Comme l’explique Pascal Salin : « Quand nous disons qu'une personne a le droit de faire certaines choses, nous voulons dire ceci et seulement ceci : qu'il serait immoral que tout autre personne, seule ou en groupe, l'empêche de le faire par l'emploi de la force physique ou la menace de son emploi. Nous n'impliquons en rien que la manière dont un homme utilise sa propriété à l'intérieur de cette limite soit nécessairement morale ni vertueuse »[1]. Cette remarque éclaire le statut de la menace : ce qui est immoral n’est pas la façon dont chacun use de sa liberté, mais l’intervention d’autrui pour l’en priver par intimidation ou contrainte. Autrement dit, la menace équivaut à l’agression parce qu’elle nie la possibilité même d’un choix autonome.
  • . Égalité de traitement avec la fraude. Dans la perspective du principe de non-agression, la menace est assimilée à la fraude comme substitut de la force physique. Toutes deux visent à obtenir un résultat sans consentement véritable : la fraude agit par tromperie, tandis que la menace agit par intimidation. Dans les deux cas, l’acte apparemment volontaire de la victime n’est qu’une réponse à une contrainte, ce qui en fait une atteinte à sa liberté d’action.

Distinction fondamentale : menace initiée vs menace défensive

  • . La menace initiée : une agression illégitime. La menace qui provient de l’initiateur de la violence constitue, en elle-même, une agression. Dès l’annonce d’un dommage conditionné à l’obéissance de la victime, celle-ci perd sa liberté d’action et subit une contrainte psychologique équivalente à l’usage direct de la force. Les exemples classiques sont le braquage : « ton argent ou ta vie », ou le racket : « paie, sinon nous cassons ton commerce ». Dans ces cas, la menace sert de substitut à la violence physique : elle est donc moralement interdite dans le cadre du principe de non-agression (NAP).
  • . La menace défensive : une réponse légitime. À l’inverse, une menace peut être employée de façon légitime lorsqu’elle répond à une agression en cours ou imminente. Elle est alors conditionnelle, proportionnée et orientée vers la dissuasion plutôt que vers la domination. Un exemple simple est : « Si vous franchissez cette porte, je riposterai ». Ici, l’énoncé ne crée pas la contrainte initiale mais cherche à préserver l’intégrité de la victime. La distinction, rappelée par les Tannehill[2], est la même que celle entre meurtre et légitime défense : l’un est une agression injustifiable, l’autre une riposte nécessaire.

La menace potentielle

  • . Définition et statut. On parle de menace potentielle lorsqu’existe une capacité de nuire, qu’il s’agisse de moyens militaires, d’une position stratégique ou d’antécédents hostiles, qui suscite l’inquiétude, sans toutefois s’accompagner d’un ultimatum, d’actes préparatoires immédiats ni d’un ciblage précis. Dans la logique du principe de non-agression (NAP), un tel potentiel ne constitue pas une agression. Il s'agit simplement d'un risque. Il ne justifie donc pas l’initiation de la force, puisque aucun acte concret de coercition n’est encore posé.
  • . Du potentiel au crédible : les seuils. Une menace devient crédible et à ce titre, assimilable à une agression, lorsque plusieurs critères convergent :
  • la capacité est mobilisée ici et maintenant (armes prêtes, accès direct à la cible) ;
  • une intention manifeste se déclare (ultimatum, doctrine d’emploi, déclaration hostile) ;
  • une imminence se précise (déploiement au contact, délai très court) ;
  • la spécificité de la cible et du moment est connue ;
  • des actes préparatoires majeurs se produisent (mise en joue, ouverture d’une brèche, sabotage) ;
  • enfin, une conditionnalité coercitive apparaît (« fais X, sinon Y », avec menace d’un dommage physique).

Plus ces éléments sont présents, plus on passe d’un simple risque abstrait à une menace crédible et donc à une agression.

  • . Préventif vs préemptif. Il importe de distinguer deux logiques.
  • L’attaque préventive consiste à frapper pour neutraliser un danger encore éventuel, non imminent. Elle correspond à une initiation de la force et demeure prohibée par le principe de non-agression NAP.
  • La riposte préemptive, en revanche, vise à neutraliser une attaque imminente et crédible avant le premier coup. Lorsqu’elle est strictement conditionnelle et proportionnée, elle relève de la légitime défense.
  • . Exemples. Dans la vie courante, un attroupement silencieux devant une vitrine d'un commerçant traduit seulement un potentiel inquiétant ; mais si les individus commencent à frapper sur la vitre en lançant un ultimatum (« on casse si… »), la situation franchit le seuil du crédible. De même, le simple stockage de cocktails Molotov chez un voisin révèle une capacité, mais pas une menace immédiate. Ce n’est que si s’ajoutent un plan d’action, un repérage des cibles et un ultimatum que le danger devient une agression imminente. Enfin, lors de la bataille de Jersey en 1781, la France considérait la présence britannique comme une menace pour la navigation franco-américaine. Toutefois, cette menace n’avait pas franchi le seuil du crédible. Le débarquement français constituait donc une attaque préventive, et ainsi une initiation de la force au regard du principe de non-agression NAP. L'histoire de la guerre regorge de tels exemples.

La menace exécutoire

  • . Définition. La menace exécutoire désigne une menace dont l’auteur démontre à la fois la capacité, la volonté et le mécanisme d’exécution du dommage annoncé. Contrairement au bluff, elle s’accompagne de garanties concrètes (procédures établies, moyens mobilisables, précédents connus) qui rendent l’agression hautement probable si la cible refuse d’obtempérer. Dans la perspective du principe de non-agression (NAP), une menace exécutoire initiée contre une personne pacifique constitue une agression. Elle n’est légitime qu’à titre défensif, sous une forme conditionnelle et proportionnée.
  • . Anatomie d’une menace exécutoire. Trois éléments principaux transforment une menace inoffensive en menace exécutoire :
  • . Crédibilité matérielle : la capacité est disponible et immédiatement mobilisable (présence d’armes, déploiement d’hommes, accès direct à la cible).
  • . Engagement : l’émetteur s’est lié par des signaux coûteux qui rendent un recul improbable (ultimatum daté, coûts déjà engagés, réputation d’exécution, dépôt symbolique[3] ou institutionnel[4]).
  • . Mécanisme d’exécution : la procédure de passage à l’acte est claire, codifiée et parfois testée (chaîne d’ordre militaire, règlement mafieux, protocole policier).
En pratique, on peut résumer ainsi : Crédibilité + Engagement + Procédure = Exécutabilité.
  • . Typologie des menaces exécutoires. Les menaces exécutoires n’ont pas toutes la même valeur morale ni le même statut dans le cadre du principe de non-agression (NAP). On peut distinguer trois formes principales : coercitives, défensives et contractuelles.
  • . 1. Menace exécutoire coercitive (illégitime). La menace coercitive vise à obtenir un avantage sans consentement véritable : argent, silence, signature, exclusivité ou retrait. Elle se matérialise par des pratiques comme le racket, le chantage, l’intimidation organisée, ou encore l’application de lois coercitives contre des individus pacifiques. Du point de vue du principe de non-agression NAP, elle constitue une agression, car elle initie la force. Exemples : « Verse 1 000 € chaque vendredi, sinon nous brisons ta vitrine (comme la semaine dernière) » ; « Ne témoigne pas jeudi à 9 h, sinon tu sors sur une civière »[5].
  • . 2. Menace exécutoire défensive (légitime). La menace défensive a pour objet de dissuader une agression imminente ou en cours. Elle prend la forme d’un avertissement conditionnel et proportionné, appuyé sur des dispositifs réels : gardien, alarme, vidéosurveillance, ou contrat de protection. Dans le cadre du principe de non-agression NAP, elle est licite, car elle constitue une réponse à la violence et non une initiation. Exemple : « Si vous forcez la porte, j’interviendrai »[6].
  • . 3. Clause exécutoire contractuelle (non coercitive). Enfin, certaines menaces apparentes relèvent en réalité de l’exécution contractuelle : une sanction prévue et acceptée d’avance en cas de manquement. Il peut s’agir de pénalités financières, de la saisie d’un dépôt de garantie, ou d’un arbitrage prévu dans un contrat. Ici, il n’y a pas d’intimidation physique : l’exécution repose sur un consentement préalable. Selon le principe de non-agression NAP, ce type de clause n’est pas une menace de force, mais l’application d’un accord volontaire[7].
Une menace exécutoire se reconnaît lorsqu’elle combine capacité immédiate, intention manifeste, procédure claire et condition coercitive. Son statut dépend de la finalité : si elle vise à extorquer, elle constitue une agression ; si elle sert à dissuader une attaque imminente, elle peut être légitime ; si elle relève de l’exécution d’un contrat consenti, elle n’est pas considérée comme une menace de force.

Le dommage moral de la menace

  • . Définition. Le dommage moral désigne l’atteinte non matérielle que subit un individu du fait d’une menace : peur, stress, humiliation, perte de confiance, ou encore altération de sa liberté intérieure. Même en l’absence de coups portés ou de biens détruits, la menace agit comme une violence psychologique qui réduit la capacité de décision autonome. Dans le cadre du principe de non-agression, ce dommage moral suffit à considérer la menace initiée comme une agression. La contrainte exercée par la peur est une atteinte à la liberté tout aussi réelle que la violence physique, car elle modifie les comportements sans consentement.
  • . Un effet intrinsèque à la menace. Toute menace, même non exécutée, produit déjà un préjudice. Lorsqu’elle est défensive, la menace produit également un impact psychologique. Mais dans ce cas, ce dommage moral n’est pas considéré comme illégitime : il est la conséquence nécessaire de la dissuasion, conditionnelle et proportionnée, face à une agression imminente. Ainsi, le désagrément ressenti par l’agresseur potentiel ne constitue pas une violation de ses droits, mais l’effet naturel d’une riposte justifiée. L’individu menacé vit dans l’anticipation d’un mal imminent, ce qui entraîne :
  • . une coercition psychologique, où les choix sont dictés par la crainte et non par la raison ;
  • . une consommation de ressources (contre-investissement) pour se protéger ou éviter le déclenchement de l’agression ;
  • . une altération du rapport à autrui, fondée sur la méfiance et la soumission plutôt que sur le consentement mutuel.
L’analyse du dommage moral montre que la menace ne doit pas être mesurée uniquement en fonction de ses exécutions effectives, mais aussi de son impact immédiat sur la liberté intérieure de la victime. Reconnaître ce préjudice revient à admettre que la menace est, en elle-même, un mode d’agression.
  • . Exemples concrets
  • . Un commerçant qui subit des menaces de racket peut payer sans qu’aucun coup ne soit porté : la perte de liberté et l’angoisse permanente constituent déjà un dommage moral.
  • . Un témoin menacé de représailles s’abstient de dire la vérité au tribunal : son silence forcé est le résultat d’une coercition morale, qui nuit à sa dignité et à la justice collective.
  • . Un citoyen qui vit sous la menace diffuse d’un régime autoritaire — où la simple critique peut entraîner des représailles — subit un dommage moral constant, fait de peur intériorisée et d’autocensure.

Le dommage moral causé par la menace ne se réduit pas à l’angoisse de la victime immédiate : il diffuse un climat de peur, altère la confiance réciproque et incline les tiers à l’autocensure. Chaque intimidation impunie signale que la contrainte peut s’étendre à quiconque, transformant une atteinte individuelle en insécurité générale. C’est en ce sens que l’avertit Benjamin Constant : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. » Cette maxime éclaire le lien entre menace et ordre social : protéger effectivement le plus faible, c’est protéger la liberté de tous.

La menace comme outil de domination organisée

  • . Les gouvernements. Pour les Tannehill (1970), l’État repose sur une coercition institutionnelle : la norme juridique n’est effective qu’adossée à l’ultime recours de la contrainte (sanctions, saisies, police, armée). Cette architecture place l’autorité publique dans une position d’initiateur structurel de la force dès lors qu’elle impose des conduites à des individus pacifiques au nom d’intérêts collectifs.
  • . Le crime organisé. Mafias et gangs exploitent une intimidation durable pour extraire des rentes et une obéissance servile (racket de « protection », contrôle territorial). La relation n’est pas marchande mais tributaire : l’échange apparent masque la contrainte. Dans un cadre concurrentiel fondé sur la responsabilité contractuelle (assurance, arbitrage, réputation), ce modèle est économiquement fragile car la demande se reporterait vers des prestataires de sécurité qui garantissent la protection sans menacer les clients.
  • . Les agences de protection privées. L’objection classique à l'économie de marché des agences de protection redoute une escalade armée entre agences rivales. Les Tannehill (1970) avancent l’effet disciplinant du marché : les opérateurs agressifs subissent boycott, hausse des primes, refus d’arbitrage et perte de clientèle, tandis que la paix contractuelle (clauses d’arbitrage, procédures de règlement) minimise les coûts et attire les usagers. La concurrence sélectionne ainsi les dispositifs de sécurité non intimidants, rendant la menace permanente économiquement non viable.

Conséquences sociales et économiques de la menace

  • . Destruction de la liberté. La menace prive l’individu de la possibilité d’agir selon son propre jugement : la décision n’exprime plus un choix, mais l’évitement d’un dommage annoncé. Cette contrainte psychologique étouffe la créativité, tarit l’innovation et décourage l’initiative ; au lieu d’explorer, on se replie, on se censure, on renonce.
  • . Instabilité économique. La présence récurrente de menaces installe l’incertitude et la méfiance : hausse des coûts de transaction (sécurisation, assurances, contrôles), raréfaction des partenariats et ralentissement des échanges. Les acteurs surdimensionnent la gestion du risque au détriment de l’investissement productif ; les projets se reportent, les chaînes de coopération se fragmentent. Au niveau international, cette logique atteint son paroxysme avec la dissuasion nucléaire. Comme l’a noté Murray Rothbard : « Il n'existe aucun moyen de se protéger contre les armes nucléaires (la seule protection actuelle résidant dans la menace de la destruction mutuelle assurée) et donc, les hommes de l’État sont en fait incapables de remplir aucune fonction de sécurité internationale aussi longtemps que ces armes existent. ». Cette remarque souligne l’instabilité radicale produite par la menace nucléaire : au lieu d’assurer la paix, elle place l’humanité dans une dépendance permanente à la peur de l’anéantissement.
  • . Contraste avec un ordre de marché libre. À l’inverse, un cadre affranchi de l’initiation de la menace réoriente les interactions vers des contrats volontaires, l’arbitrage juridique et la réputation, qui soutiennent la confiance réciproque. Dans un tel environnement, les opérateurs qui recourent à l’intimidation sont pénalisés par les coûts et la défection des clients : la menace devient économiquement non viable à long terme, tandis que la coopération pacifique est récompensée.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Pascal Salin, Entretien pour Démocratie Libérale, [lire en ligne]
  2. Linda Tannehill, Morris Tannehill, 1970, "The Market for Liberty", Lansing, Mich.: Private Pub
  3. Dépôt symbolique = geste, objet ou rituel qui matérialise la détermination et rend un recul honteux ou destructeur (ex. serment, étendard planté, ordre signé).
  4. Dépôt institutionnel = engagement public ou garanti par une organisation, qui rend le retrait coûteux (déclaration officielle, argent en séquestre, ordre enregistré).
  5. Autres exemples :
    • Racket organisé : un groupe remet au commerçant un règlement imprimé, cite deux cas récents d’exécution dans la rue et fixe un jour de collecte. → Menace exécutoire coercitive.
    • Intimidation de témoin : messages datés, filatures, arme exhibée auparavant. → Menace exécutoire coercitive.
    • Crise du canal de Suez. En 1956, après la nationalisation du canal de Suez par Nasser, le Royaume-Uni, la France et Israël lancent une opération militaire conjointe : invasion du Sinaï par Israël et débarquement franco-britannique à Port-Saïd pour reprendre le contrôle du canal. Du point de vue du principe de non-agression, cette intervention armée constitue une agression contre l’Égypte, au-delà de la contestation juridique de la nationalisation. En réaction, l’URSS profère une menace exécutoire coercitive, déclarant qu’elle frapperait Londres et Paris avec des missiles si l’opération ne cessait pas. Cette menace, bien qu’orientée contre une agression réelle, était disproportionnée et illégitime dans sa forme, car elle visait à terroriser des populations entières.
  6. Autre exemple : Avertissement défensif : « Zone privée protégée ; si effraction, intervention immédiate de l’agent X (contrat #123), appel automatique à l’arbitre Y ; police privée sur site en 3 min ». → Menace exécutoire défensive (licite si proportionnelle).
  7. Contrat de location : clause pénale et saisie automatique du dépôt via arbitrage en cas d’impayé. → Clause exécutoire contractuelle, sans menace de force.

Bibliographie

  • 2010, Jean-Philippe Feldman; La famine menace-t-elle l'humanité?, Paris: Editions Jean-Claude Lattès, coll. "idées fausses, vraies réponses" dirigée par Mathieu Laine, 237 p. (Prix du livre libéral 2010),