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Frank Hanighen
| Frank Hanighen | |||||
| Journaliste | |||||
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| Dates | 1899-1964 | ||||
| Tendance | Libéral conservateur | ||||
| Nationalité | |||||
| Articles internes | Autres articles sur Frank Hanighen | ||||
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| Interwikis sur Frank Hanighen | |||||
Frank Cleary Hanighen (1899–1964) fut un journaliste et essayiste américain, cofondateur de Human Events en 1944. Acteur majeur de la Vieille droite américaine non-interventionniste avant la Seconde Guerre mondiale, il incarne ensuite, selon Murray Rothbard, le basculement d’une partie du conservatisme américain vers l’anticommunisme et l’interventionnisme de la Guerre froide.
Formation et débuts journalistiques
Frank C. Hanighen fit ses études à Harvard College, où il acquit une solide formation intellectuelle et des bases qui allaient nourrir sa future carrière de journaliste politique. Très tôt, il s’orienta vers le reportage international et devint correspondant en Europe pour deux grands quotidiens américains, The New York Post et The Philadelphia Record.
Cette expérience européenne marqua profondément son regard. Elle lui permit d’observer de près les tensions politiques et diplomatiques qui agitaient le continent dans l’entre-deux-guerres et de tisser des liens avec plusieurs intellectuels européens. Loin de l’image caricaturale du conservateur isolationniste replié sur lui-même, Hanighen se forgea ainsi une réputation de journaliste cosmopolite, curieux des réalités internationales et soucieux de replacer l’Amérique dans un cadre mondial.
Premières publications et l'engagement avant-guerre
La carrière intellectuelle de Frank C. Hanighen prit une nouvelle dimension au milieu des années 1930, lorsqu’il publia, avec H.C. Engelbrecht, un ouvrage retentissant : Merchants of Death (1934). Ce livre dénonçait avec vigueur l’influence de l’industrie de l’armement sur la politique étrangère américaine. L’ouvrage, largement diffusé, marqua les esprits en mettant en lumière les intérêts financiers derrière l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. Il inspira directement les travaux du Nye Committee, commission sénatoriale chargée d’enquêter sur le rôle des fabricants d’armes, et contribua à l’adoption des Neutrality Acts entre 1935 et 1937, destinés à limiter les risques d’une nouvelle implication militaire.
Dans le même temps, Hanighen poursuivit son activité d’auteur et publia plusieurs ouvrages : The Secret War et Santa Anna, the Napoleon of the West, tous deux en 1934, ainsi que Nothing But Danger, qu’il dirigea en tant qu’éditeur en 1939. Ces écrits témoignent de sa curiosité pour l’histoire, la politique et les rapports de force internationaux.
Son engagement ne se limita pas à l’écriture. Dans les années 1930 et au début des années 1940, Hanighen s’impliqua activement dans l’America First Committee, une organisation qui rassemblait de nombreuses personnalités hostiles à l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Fidèle à une tradition non-interventionniste alors répandue dans l’opinion publique, il défendit l’idée que la priorité des États-Unis devait rester la protection de leurs institutions démocratiques et de leur prospérité intérieure, plutôt que des aventures militaires outre-Atlantique.
Fondation de Human Events (1944)
En 1944, Frank C. Hanighen franchit une nouvelle étape de sa carrière en devenant l’un des cofondateurs du périodique Human Events, aux côtés de Felix Morley et de William Henry Chamberlin. L’entreprise bénéficia du soutien décisif de Henry Regnery, jeune éditeur issu d’une famille industrielle de Chicago, qui apporta les moyens financiers et organisationnels nécessaires à l’aventure. L’année suivante, le journal fut officiellement incorporé, chaque fondateur détenant un tiers du capital.
La vocation de Human Events était claire : offrir une tribune à la Vieille droite américaine, attachée à la défense des libertés individuelles, au libre marché et à une politique étrangère non-interventionniste. Le journal se posait en contrepoids au consensus dominant de l’époque, marqué par l’héritage du New Deal et l’émergence d’un internationalisme de plus en plus affirmé au sein des élites politiques.
Pour séduire ses lecteurs, Human Events proposa notamment une rubrique intitulée Not Merely Gossip, qui ambitionnait de livrer au public des informations politiques échappant à ce que les fondateurs appelaient « The iron curtain » (le rideau de fer) de la presse libérale. Cette volonté de briser le monopole interprétatif des grands journaux progressistes illustre bien l’ambition de Hanighen et de ses associés : faire entendre une voix alternative dans un paysage médiatique dominé par les partisans de l’interventionnisme.
Cependant, les débuts furent difficiles. Dans le climat politique et idéologique de l’après-guerre, marqué par la puissance du Parti démocrate et l’essor de l’anticommunisme internationaliste, un journal conservateur de ce type ne pouvait guère espérer une large audience. La diffusion de Human Events plafonna rapidement à environ cinq mille exemplaires, confirmant sa marginalité dans la presse nationale. Malgré ces limites, l’expérience témoigne de l’obstination de Hanighen à défendre une vision du conservatisme fidèle aux traditions anti-étatistes et à la méfiance envers l’expansion fédérale.
Style journalistique et thèmes privilégiés
Au-delà de ses ouvrages et de son rôle d’éditeur, Frank C. Hanighen s’illustra par un style journalistique bien particulier, qui transparaît dans ses chroniques politiques comme Washington D.C.. Dans ce texte, il forge une métaphore devenue caractéristique de sa démarche : celle du « covering fires ». À ses yeux, trop de journalistes se contentaient de relater les faits isolés, comme on couvre un incendie sans chercher à comprendre ses causes profondes, sans effort pour les relier à un contexte historique, économique ou politique plus vaste. Hanighen, au contraire, s’efforçait toujours de dépasser l’anecdote pour révéler les structures et les idéologies sous-jacentes.
Ses articles témoignent d’une vigilance constante à l’égard de l’action des syndicats et de leurs dérives. Il dénonçait en particulier le syndicalisme obligatoire (union shop et closed shop) qu’il considérait comme une menace pour la liberté des travailleurs et pour l’équilibre de l’économie. Cette hostilité à la monopolisation syndicale s’accompagnait d’une critique des pratiques de corruption, de ralentissement volontaire et de grèves paralysantes, qu’il jugeait destructrices pour l’investissement privé.
Hanighen consacra également de nombreuses analyses aux grands projets publics. Il mettait en évidence les dépassements budgétaires spectaculaires de chantiers comme le Colorado-Big Thompson, Hungry Horse ou Oahe, insistant sur le coût pour le contribuable et sur l’inefficacité de l’administration fédérale. Dans le débat sur la controverse Dixon-Yates, qui opposait la production publique et la production privée d’électricité, il plaida résolument pour la supériorité du secteur privé.
Enfin, Hanighen s’appuya sur des références intellectuelles pour renforcer ses arguments. Il mobilisait les propos d’Herbert Hoover, qui dénonçait le « faux libéralisme » des partisans de l’étatisme, et s’appuyait sur les discours de Clarence E. Manion, avocat de la privatisation de la Tennessee Valley Authority (TVA). À travers ces appuis, il inscrivait son propre travail dans une tradition plus large : celle d’un conservatisme américain défendant l’entreprise privée, la limitation du pouvoir fédéral et la lutte contre ce qu’il percevait comme un socialisme rampant ou, selon son mot, « galopant ».
Ce style, à la fois analytique et militant, permit à Hanighen de jouer un rôle de vulgarisateur idéologique : il traduisait pour ses lecteurs des débats techniques ou juridiques complexes en affrontements clairs entre liberté et étatisme, entre initiative privée et socialisation.
Conflits éditoriaux et évolution idéologique
Si Human Events fut au départ une aventure collective portée par Hanighen, Morley et Chamberlin, le consensus entre les fondateurs ne tarda pas à se fissurer. Très vite, des divergences apparurent sur la ligne éditoriale et sur la vocation même du journal. Hanighen souhaitait en faire une publication à large diffusion, capable de peser politiquement et de saisir toutes les occasions de renforcer son audience, quitte à s’associer à des campagnes parlementaires. C’est ainsi qu’il considéra comme une opportunité la proposition du jeune Richard Nixon de collaborer avec la House Committee on Un-American Activities dans l’affaire Alger Hiss. Morley, au contraire, tenait à préserver l’indépendance intellectuelle du journal et refusait de l’exposer aux compromissions d’une lutte partisane trop étroite.
Au-delà de cette opposition stratégique, c’est la question de la politique étrangère qui creusa un fossé irréversible. Morley demeurait fidèle au non-interventionnisme hérité de la Vieille Droite et à la conviction que l’Amérique devait éviter les aventures extérieures. Hanighen, en revanche, évoluait progressivement vers un anticommunisme affirmé. L’expérience de la guerre, la montée des tensions avec l’Union soviétique et la logique de la Guerre froide l’amenèrent à soutenir l’OTAN et à approuver la politique étrangère de Truman. En 1950, il alla jusqu’à plaider pour un soutien militaire américain à Chiang Kai-shek à Taïwan, position qui scandalisa Morley et précipita son départ de la rédaction.
Ce glissement rapprocha Hanighen d’un autre cofondateur de Human Events, William Henry Chamberlin, qui devint l’un des porte-voix du conservatisme interventionniste. Chamberlin allait publier en 1953 Beyond Containment, où il défendait non plus une stratégie défensive face à l’Union soviétique, mais une politique de « libération » des peuples de l’Est européen. Cette orientation, partagée par Hanighen, annonçait l’essor d’une Nouvelle Droite interventionniste, plus agressive dans la lutte contre le communisme.
Le conflit entre Hanighen et Morley incarne ainsi, à une échelle réduite, la fracture majeure qui traversa le conservatisme américain de l’après-guerre : d’un côté, l’Old Right, pacifique et non-interventionniste, attachée à la retenue de l’État ; de l’autre, la New Right, convaincue que la défense du monde libre exigeait une mobilisation permanente et une politique étrangère active. En choisissant la seconde voie, Hanighen marqua son époque tout en s’éloignant de ses convictions initiales.
Interprétation et héritage
La trajectoire de Frank Hanighen a été largement revisitée par les historiens du conservatisme américain, et en particulier par Murray Rothbard dans The Betrayal of the American Right[1]. Pour Rothbard, Hanighen symbolise la « trahison » de la Vieille droite américaine : celle d’hommes qui, face aux pressions de la Guerre froide, abandonnèrent leur méfiance traditionnelle envers l’État militarisé pour se rallier à un interventionnisme permanent justifié par la lutte contre le communisme.
L’opposition entre Frank Hanighen et Felix Morley apparaît, dans cette lecture, comme un véritable révélateur. Morley incarne la fidélité aux principes non-interventionnistes, dans la lignée d’une tradition libertarienne qui voit l’État comme la principale menace contre la liberté. Hanighen, en revanche, représente le passage à une droite nouvelle, prête à accepter l’extension de l’appareil militaire et l’engagement international des États-Unis pour contrer le bloc soviétique. Ce clivage illustre la mutation profonde du conservatisme américain entre 1945 et 1960.
Si Hanighen demeure moins connu que d’autres figures du mouvement conservateur, son rôle n’en est pas moins central. À travers ses livres, ses chroniques et son travail éditorial à Human Events, il participa activement à la redéfinition des priorités de la droite américaine. Vulgarisateur habile, il traduisait des débats complexes en termes clairs : la liberté individuelle contre le socialisme, l'entreprise privée contre l'étatisme. Cette capacité à donner une portée idéologique aux faits du quotidien a contribué à installer durablement certains thèmes dans le discours conservateur.
Aujourd’hui, Hanighen est cité par les grands historiens du conservatisme politique, de George Nash[2] à Niels Bjerre-Poulsen[3], comme une figure représentative de cette transition. Son parcours témoigne d’un moment charnière où la droite américaine, quittant le terrain du non-interventionnisme, adopta la logique d’un anticommunisme offensif qui allait structurer sa pensée politique jusqu’à la fin du XXᵉ siècle. Hanighen mourut en 1964, à l’âge de soixante-quatre ans, laissant derrière lui une œuvre moins célèbre que celle de ses contemporains, mais essentielle pour comprendre les recompositions idéologiques de son temps.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ Thomas Woods, dir., 2007, "Murray Rothbard: The Betrayal of the American Right", Auburn, Al.: Ludwig von Mises Institute
- ↑ George Nash, 1976, "The Conservative Intellectual Movement in America Since 1945", The Johns Hopkins University Press
- ↑ Niels Bjerre-Poulsen, 2002, "Right Face: Organizing the American Conservative Movement 1945-65", Museum Tusculanum Press, p82,p83,p86
Publications
- 1935, avec H. C. Engelbrecht, "Merchants of death : a study of the international armament industry", London: G. Routledge
- 1955, "Washington D. C.", The Freeman, February, Vol 5, n°8, pp293-294