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Différenciation des produits

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La différenciation des produits, du point de vue de l'école autrichienne est différente de l'analyse standard que l'on retrouve dans les manuels scolaires, tant du côté de l'analyse économique néo-classique que dans la théorie du management.

Les manuels scolaires présentent souvent la différenciation des produits comme l'ensemble des actions par lesquelles une entreprise s'efforce de s'approcher d'une situation de monopole en rendant ses produits différents de ceux offerts par ses concurrents directs (qualité, image de marque, apparence…). Dans l'approche standard du management proposée par Michael Porter, une stratégie possible pour les entreprises afin de faire face à la concurrence est d'adopter une politique de différenciation des produits, aussi simplement et sûrement que cela.

Les entrepreneurs différencient leurs produits afin de les améliorer

Selon l'auteur de l'école autrichienne, Dominick Armentano[1], lorsque les entrepreneurs différencient leurs produits, ils ne le font pas dans l'ambition de rendre simplement leurs produits différents mais afin de les améliorer par rapport à ceux déjà offerts (ou en voie d'être offerts) par leurs concurrents. Les produits sont différenciés s'ils sont à la fois semblables (car ils appartiennent au même groupe, ou sous-groupe de satisfaction de besoin générique[2]) et différents (car ils ne sont pas totalement homogènes). Les caractéristiques sont suffisamment contrastées pour que le consommateur ne soit pas indifférent à substituer un produit (service) par un autre tout en répondant au même besoin générique.

Charles Babbage avait déjà traité, en précurseur, de l'hétérogénéité des biens mais il n'avait mis en valeur que l'aspect physique qui rend des biens différents. L'erreur est souvent commise dans les manuels scolaires de distinguer les caractéristiques du produit entre caractéristiques objectives et caractéristiques subjectives. En effet, les consommateurs peuvent être sensibles à l'apparence d'un produit (ex : les vêtements, les chaussures…), mais aussi à sa présentation (design, emballage), ou encore à la présence ou à l'absence d'OGM, au respect de normes environnementales ou sociales, etc. Mais, ce n'est pas parce que ces caractéristiques sont tangibles ou accessibles par les canaux sensoriels qu'elles constituent des caractéristiques objectives. Pour le chef d'entreprise, ces caractéristiques sont subjectives dans le sens où elles sont perçues comme apportant de la valeur au produit, du point de vue de ses clients. En conclusion, les personnes achètent des produits du fait de leurs évaluations subjectives sur ces produits ou sur une (ou sur plusieurs) de leurs caractéristiques.

Le concept de "meilleur" est fondamentalement une question qui est liée ici à la perception subjective des acheteurs et pas nécessairement axé sur l'observation externe d'un technicien ou d'un ingénieur testant la qualité du produit. Les entrepreneurs ne peuvent pas savoir si leurs innovations sont vraiment des améliorations jusqu'à leur introduction sur le marché, même s'ils les présentent en anticipant que les consommateurs les préféreraient par rapport à ce qui était disponible auparavant. Les tests de laboratoire et les sondages de terrain permettent de se doter de meilleures prévisions mais il existe toujours une part d'incertitude pour l'entrepreneur.

La référence des manuels scolaires à la situation de monopole vers laquelle les entrepreneurs voudraient prétendument tendre est partiellement biaisée. Le concept de monopole utilisé dans ces manuels est étroitement lié au cadre de l'analyse économique néo-classique qui sert encore de base pédagogique aux enseignants d'économie générale et d'entreprise. Ils effectuent donc un transfert de motivation de l'entrepreneur comme si celui-ci existait vraiment dans un modèle de monopole néo-classique. En adoptant la réification méthodologique de l'analyse néo-classique puis en animant de vie l'entrepreneur, par l'inférence de motivations contestables, l'approche de la différenciation des produits en ressort faussée. Il est impossible de partir d'une situation sans rapport avec la réalité, puis donner à cette fausse virtualité un semblant de réalisme en redonnant vie à l'entrepreneur dans ce cadre méthodologique étroit et déshumanisé. Il faux donc repartir sur une conception de la concurrence telle que celle vécue par les entrepreneurs dans le réel, et l'approche autrichienne de la concurrence en tant que processus de découverte constitue une bonne base de compréhension de la différenciation des produits.

L'idée que le processus de la concurrence entraîne une amélioration continue des produits générés par la différenciation est totalement absente des manuels scolaires (Randall Holcombe: 2009). La discussion sur la différenciation des produits y est décrite dans le cadre étroit de la théorie de la concurrence imparfaite. Les entreprises sont présentées avec des produits différenciés avec un coût moyen de production supérieur au coût moyen minimum, alors que dans une industrie concurrentielle, avec des produits homogènes, la production est réalisée avec un coût moyen minimum. Ainsi, les manuels décrivent la présentation de la théorie de la concurrence imparfaite où la différenciation des produits entraîne une augmentation des coûts. Dans la continuité de cette théorie, les entreprises produisent également une production moins élevée que si elles, et leurs concurrents, produisaient une production homogène. Par conséquent, s'il y avait moins d'entreprises dans l'industrie avec les produits différenciés, chacune produirait plus de produit, et la production de l'industrie entière serait réalisée à moindre coût.

L'analyse de la différenciation des produits dans une concurrence dynamique

Dans le modèle théorique de la concurrence imparfaite, les consommateurs n'ont alors aucun choix quant aux caractéristiques des produits qu'ils pourraient acheter. "Imaginez l'industrie des boissons gazeuses, par exemple, sans produits différenciés. Il n'y aurait qu'un seul type de boissons gazeuses, plutôt que le choix entre Coca, Pepsi, Sprite, 7-Up et ainsi de suite"[3]. Ainsi, la conclusion de la théorie de la concurrence imparfaite est d'impliquer l'intervention de l'Etat afin qu'il arbitre un compromis. D'un côté, la différenciation des produits permet aux consommateurs d'avoir plus de choix et donc plus de liberté mais d'un autre côté, leur achat se ferait à un coût plus élevé, donc leur priverait de la liberté d'achat.

L'école autrichienne critique, encore là, les bases méthodologiques de la théorie de la concurrence imparfaite qui reposent sur la théorie économique néo-classique de la concurrence et du monopole. L'approche autrichienne de la concurrence en tant que processus de découverte permet de soutenir l'action des entrepreneurs dans leur action de différencier leurs produits, sans impliquer obligatoirement l'intervention de l'Etat qui effectuerait des "arbitrages" dans l'organisation industrielle. Plus encore, les erreurs méthodologiques des économistes néo-classiques, en permettant à l'Etat d'intervenir dans le processus concurrentiel vient paralyser et atrophier l'action des entrepreneurs et donc limite la liberté de diversité de choix des consommateurs ainsi que le mouvement à la baisse de leurs coûts d'achat.

Cette description de la différenciation des produits, par les manuels scolaires, résulte d'une analyse effectuée dans un cadre d'équilibre statique. Si un cadre de processus de marché est utilisé à la place, comme dans l'approche autrichienne de la concurrence en tant que processus de découverte, on observe que les entrepreneurs tentent de rendre leurs produits plus attrayants pour les acheteurs en donnant à leur produit de la valeur identifiable par les acheteurs. La différenciation des produits offre aux acheteurs plus qu'un simple nombre supplémentaires d'options, elle leur offre de meilleurs produits qui leur donnent une plus grande satisfaction (utilité).

L'école autrichienne d'économie prend en compte les coûts de transaction dynamiques et non seulement statiques. Par exemple, un produit peut être différencié en fonction de la localisation de sa vente. A un moment précis, les consommateurs peuvent accepter de payer plus cher un bien disponible éloigné de sa localisation même si le coût du transport est élevé. L'attente de la "délivrabilité" du produit est une caractéristique intangible et subjective que supporte le consommateur. A l'inverse, le consommateur peut choisir un service disponible à sa proximité, même si le coût est supérieur à un autre service différencié. Car, le lien social (et subjectif) offert dans le service différencié de l'entrepreneur de proximité peut ajouter de la valeur au client. Ces coûts de transaction sont dynamiques car ils évoluent avec le temps et la concurrence des entrepreneurs. Ils peuvent évoluer avec l'interface du vendeur et des services liés à la vente (livraison à domicile, commande sur internet...). Mais l'élément du temps dans l'analyse économique a plus de significations que reconnaître simplement que le temps s'écoule. Cela signifie comprendre comment les individus peuvent créer des plans d'action aujourd'hui, qu'ils espèrent s'accomplir dans l'avenir, et comment le système économique coordonne ces divers plans. Par exemple, la recherche d'information sur la qualité des produits est, de même, coûteuse en temps et en argent. Les produits « de marque » sont ainsi souvent jugés de meilleure qualité que des produits différenciés mais génériques (sans nom de marque). Pour réduire ses coûts de transaction, le consommateur s'en remet souvent à des "économiseurs de temps" comme la réputation (des produits, de la marque ou de l'entreprise), ses propres habitudes et expériences de consommation ou à l'influence des leaders d'opinion. Cette forme institutionnelle de recherche d'informations est un processus continu dans le temps, constitué d'imbrications de plans individuels ayant chacun une intention particulière mais dont l'architecture générale n'a été conçue par personne en particulier.

L'analyse de la différenciation des produits, dans les manuels scolaires, représente les marchés avec des produits différenciés dans un cadre statique, dépourvus de l'élément temporel. Ainsi, le modèle ignore les effets dynamiques de la différenciation des produits qui produisent des produits continuellement améliorés et qui répondent mieux aux désirs des consommateurs. Cette connexion entre la différenciation des produits et le progrès économique remet en question la conclusion selon laquelle la différenciation des produits entraîne une augmentation du coût de production. A l'inverse, si un entrepreneur introduit une nouvelle variante d'un produit, cela procure aux acheteurs une utilité supérieure à celle des produits précédemment disponibles. La différenciation du nouveau produit ajoute de l'utilité et donne aux consommateurs une meilleure valeur pour leur argent effectivement dépensé. La cadre d'analyse statique est trompeur car il laisserait à penser que si toutes les entreprises produisaient cette nouvelle variante, chaque entreprise produirait plus et à un coût moyen inférieur. Or, cette approche oublie la motivation principale de l'entrepreneur, celle de produire un bien ou un service qui satisfasse des clients en récompense de quoi, il en retire un certain bénéfice. Dans une approche statique, aucun entrepreneur n'a la motivation d'ajouter une variante à son produit puisqu'il est en situation de produire au minimum de ses coûts. D'ailleurs, dans un monde de temps statique, il n'y a plus besoin d'entrepreneur. Or, le monde réel est un monde qui poursuit son cours du temps irréversible. Et, ceci permet au processus de différenciation des produits d'ajouter de la valeur à l'économie, contrairement à la conclusion des modèles statiques selon lesquels la différenciation des produits augmente les coûts et les prix.

Annexes

Notes et références

  1. Dominick Armentano, 1972, "The Myths of Antitrust: Economic Theory and Legal Cases", New Rochelle: N.Y.: Arlington House
  2. Eugen Böhm-Bawerk, 1886, "Grundzüge der Theorie des wirtschaftlichen Güterwertes" (Théorie générale de la valeur des biens économiques), Jarbücher Nationalökonomie und Statistik, Vol XIII, n°47, pp1-88 et pp477-541)
  3. Randall Holcombe, 2014, "Advanced Introduction to The Austrian School of Economics", Cheltenham, UK: Edward Elgar, pp61-62

Bibliographie

  • 1970, Robert B. Ekelund, "Price Discrimination and Product Differentiation in Economic Theory: An Early Analysis", The Quarterly Journal of Economics, May, Vol 84, n°2, pp268-278
  • 1974, Kenneth Elzinga, William Breit, "Product Differentiation and Institutionalism: New Shadows on An Old Terrain", Journal of Economic Issues, Vol 8, n°813, décembre
  • 1980, John B. Taylor, "Scale economies, product differentiation, and the pattern of trade", The American Economic Review, décembre, 70 (5), pp950–959
  • 2011, Shelby D. Hunt, "The Theory of Monopolistic Competition, Marketing’s Intellectual History, and the Product Differentiation Versus Market Segmentation Controversy", Journal of Macromarketing, March, Vol 31, n°1, pp73-84