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Croyances des Azande

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Les Azande, un peuple du Soudan au début du XXe siècle, croyaient que presque tous les malheurs et décès étaient causés par la sorcellerie. Selon eux, la jalousie et la malveillance d'une sorcière pouvaient infliger de la malchance, des blessures ou la mort sans que la sorcière ait besoin de lancer un sort, ou même de savoir qu'elle était une sorcière. Cette croyance offrait une explication sociale aux malheurs, permettant de désigner et punir un responsable pour les événements néfastes. C'est ainsi qu'avec l'aide de l'anthropologie, nous pouvons mieux éclairer nos maux modernes.

Les explications magiques des malheurs

La fascinante société des Azande était un peuple situé dans les contrées lointaines du Soudan. Dans cette société, chaque malheur, chaque accident tragique, était attribué non pas aux caprices de la nature ou aux faiblesses humaines, mais à une force obscure et redoutée : la sorcellerie[1].

Il était de coutume parmi les Azande de croire fermement que les malheurs et les décès n'étaient jamais de simples coïncidences. Lorsqu’un homme succombait sous l’effondrement d’un bâtiment, ou qu’une femme était frappée par une maladie mystérieuse, on n’incriminait ni l’architecture déficiente ni les germes invisibles, mais plutôt les sombres machinations d’un sorcier envieux.

Ce peuple, animé par une profonde croyance en l'invisible, voyait dans chaque événement tragique la main cachée d’une jalousie dévorante et d’intentions malveillantes. Dans leur conception, le sorcier n’avait point besoin de formuler des incantations ou de concocter des philtres. Sa malveillance innée suffisait, une sorte de poison spirituel, pour que le malheur s’abatte sur l’innocent.

Ces croyances façonnaient le tissu social des Azande. La sorcellerie n'était pas seulement une explication, mais un pivot autour duquel tournait toute leur existence. Lorsque des termites affaiblissaient les fondations d'une demeure et que celle-ci s'écroulait sur un malheureux, l'Azande n'y voyait pas seulement une série de causes naturelles. Il se demandait pourquoi ce dénouement tragique s’était produit en ce moment précis, sur cette victime particulière. Et la réponse, invariablement, résidait dans la découverte d’un sorcier dont la jalousie ou la haine avait invoqué ce désastre.

Ainsi, la sorcellerie fournissait une trame explicative à la fois simple et terriblement efficace. Chaque événement déplorable trouvait une raison d'être dans la malveillance humaine, transformant chaque malheur en une quête de justice. Le sorcier, une fois identifié, devenait le bouc émissaire de la société, et par son châtiment, les Azande espéraient restaurer un ordre troublé.

Dans cette danse macabre entre la superstition et la vengeance, les Azande trouvaient une manière de donner sens à l'insensé, de structurer le chaos apparent de l'existence. Et c’est ainsi qu'à travers le prisme de la sorcellerie, ils lisaient les signes de leur monde et se réconciliaient, non avec la nature, mais avec la fatalité humaine.

Comparaison avec les croyances modernes

Transportons-nous maintenant de ces terres lointaines du Soudan jusqu’à notre propre monde moderne. Ne nous hâtons point de nous croire supérieurs en raison de notre technologie avancée et de notre science éclairée, car sous bien des aspects, nos esprits ne sont guère plus libérés de l’emprise des superstitions que ceux des Azande.

À chaque hausse des prix du pétrole, à chaque fluctuation du marché, que n’entend-on pas les cris indignés des commentateurs progressistes ? Dans leurs diatribes véhémentes, ils pointent du doigt les capitalistes, ces spéculateurs cupides qui, par leur insatiable avidité, seraient la cause première de tous nos maux économiques. Ne sont-ils pas, en quelque sorte, les sorciers de notre temps, accusés de manipuler les fils invisibles de notre destin collectif ?

Il semble que nous, modernes, partageons avec les Azande cette même propension à chercher des intentions malveillantes derrière chaque phénomène inexplicable ou fâcheux. Lorsque le coût de la vie augmente, lorsqu’une crise économique frappe, nous nous tournons instinctivement vers des boucs émissaires, attribuant nos souffrances aux manigances de quelques individus dévorés par la cupidité.

Est-ce là une marque de notre rationalité supérieure ? Pas particulièrement. Cela révèle plutôt une tendance humaine universelle : celle qui consiste à chercher des causes intentionnelles, des volontés malfaisantes, pour expliquer nos échecs et nos souffrances. L’idée que des forces impersonnelles, des mécanismes économiques complexes, puissent être à l’œuvre, nous est souvent insupportable. Nous voulons des coupables, des figures humaines que nous pouvons haïr et punir.

Il est fascinant de constater combien cette inclination est tenace. Malgré les avancées prodigieuses de la science qui nous ont permis de comprendre le monde naturel de manière si détaillée et mécanique, nous peinons à appliquer la même rigueur à notre compréhension des phénomènes sociaux. Nous continuons de croire que derrière chaque événement, il y a une intention, bonne ou mauvaise, une volonté humaine qui tire les ficelles.

Ainsi, la sorcellerie des Azande et les accusations de cupidité chez nous ne sont que deux manifestations d’un même besoin humain de trouver des explications personnelles et intentionnelles à nos malheurs. Elles reflètent notre difficulté à accepter l’idée d’un ordre spontané, où les actions humaines, sans coordination consciente, produisent des résultats souvent incompréhensibles, mais non moins réels.

Et c’est dans cette quête incessante de coupables et de sorciers modernes que nous voyons, peut-être, le reflet le plus poignant de notre humanité commune, traversant les âges et les cultures, cherchant désespérément à donner un visage, fût-il sinistre, à l’inconnu et à l’inexplicable.

La vision mécaniste des phénomènes naturels

Maintenant, contemplons un instant les merveilles des progrès scientifiques, ce grand élan de l’esprit humain vers la lumière de la connaissance. À travers les siècles, la science naturelle a arraché à l’obscurité les secrets de notre monde physique, substituant à l’ignorance et à la superstition la clarté d’une compréhension mécaniste et rationnelle.

Autrefois, nos ancêtres regardaient le ciel avec crainte et révérence, y voyant les caprices des dieux ou les malédictions des esprits. Les tempêtes et les éclipses, la foudre et les tremblements de terre étaient perçus comme autant de manifestations de volontés divines ou démoniaques. Aujourd’hui, grâce à l’effort inlassable de générations de savants, nous comprenons ces phénomènes de lois naturelles, invariables et impersonnelles.

Par exemple, la pluie. Jadis, certains y voyaient le signe d’une bénédiction ou d’une colère céleste. À présent, nous savons que la pluie résulte de la condensation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère, refroidie par les courants d’air et précipitée par les lois de la thermodynamique. Nul besoin d’invoquer les esprits des eaux ou les danses rituelles pour expliquer l’ondée qui arrose nos champs.

Cette compréhension mécaniste a non seulement éclairé notre vision du monde, mais elle a aussi libéré notre esprit de la tyrannie de la superstition. Les éclipses solaires, autrefois redoutées comme des présages de malheur, sont aujourd’hui des événements prédits avec précision et observés avec admiration. Les orages électriques, jadis interprétés comme des batailles célestes, sont maintenant compris comme des décharges naturelles entre les nuages et la terre.

Le rejet des explications magiques pour les événements naturels marque le triomphe de la raison sur l’ignorance. Nous ne cherchons plus à apaiser des divinités capricieuses ou à conjurer des malédictions. Au lieu de cela, nous nous fions aux principes de la physique, à l’observation rigoureuse et à l’expérimentation méthodique.

Ainsi, en s’émancipant des chaînes de la superstition, l'esprit humain a pu construire des digues contre les inondations, des paratonnerres contre la foudre, et même des prévisions météorologiques pour anticiper les caprices du ciel. Par cette compréhension mécanique, nous avons non seulement décodé les mystères de la nature, mais nous avons aussi appris à la maîtriser, à l’utiliser pour le bien-être de l’humanité.

En somme, la science naturelle nous a offert un cadeau inestimable : la possibilité de voir le monde tel qu’il est, régi par des lois immuables accessibles à notre raison. Elle a remplacé la peur et la superstition par la connaissance et le contrôle, nous permettant de transformer notre environnement avec sagesse et précaution. Que cette vision mécaniste continue d’éclairer notre chemin, dissipant les ténèbres de l’ignorance et nous guide vers un avenir toujours plus lumineux.

La difficulté d'adopter une vision de l'ordre spontané pour les phénomènes sociaux

Alors que nous avons su conquérir les mystères de la nature par la science, il est un domaine où l’esprit humain peine encore à s’affranchir de ses anciennes chaînes : celui des phénomènes sociaux. Les lois de la physique, rigoureuses et immuables, ont été élucidées par les savants avec une précision admirable. Mais les comportements humains... Voilà un territoire où règnent encore la confusion, le malentendu et l’illusion de la malveillance intentionnelle.

Considérez l’idée sublime d’Adam Ferguson, ce penseur des lumières écossaises du XVIIIe siècle. Il nous a légué une vérité profonde et souvent ignorée : les phénomènes sociaux résultent des actions humaines, non de leurs intentions délibérées. Les prix, l’immigration, l’usage des drogues, tous ces éléments de notre quotidien ne sont point orchestrés par une main invisible de conspiration, mais émergent plutôt d’une multitude d’actions individuelles, chacune poursuivant ses propres fins.

Prenons les prix, par exemple. Ils ne sont pas fixés par quelque comité de capitalistes assoiffés de gains. Non, ils sont le fruit d’une danse complexe entre l’offre et la demande, où chaque acteur, qu’il soit marchand ou consommateur, joue sa partition sans jamais en connaître le résultat final. Le prix du pain, du lait, du pétrole, tout cela résulte d’interactions innombrables et souvent imprévues, échappant au contrôle de quiconque.

De même, l’immigration n’est pas une marée orchestrée par des pouvoirs obscurs pour déstabiliser des nations. Elle est le résultat de millions de décisions individuelles, de rêves et de désirs de mieux-être, de quête de sécurité et de prospérité. Les hommes et les femmes traversent les frontières pour mille raisons, chacune ancrée dans l’expérience personnelle et l’aspiration à une vie meilleure.

L’usage des drogues ne peut être compris par les seules lois ou interdictions. C’est un phénomène social complexe, façonné par la culture, la psychologie et l’économie. Les interdictions rigides et les morales bien-pensantes échouent souvent à saisir les raisons profondes qui poussent un individu à chercher l’évasion dans les substances prohibées.

Ainsi, il est un fait que nous devons reconnaître : la difficulté de nos esprits à appréhender l’ordre spontané des phénomènes sociaux. Nous cherchons encore des coupables, des intentions malveillantes, là où il n’y a que l’interaction aveugle et involontaire de millions d’âmes poursuivant chacune son propre chemin.

Là où la science naturelle a su remplacer la superstition par la loi, la science sociale peine encore à faire accepter l’idée que beaucoup de nos maux ne sont pas le fruit de la malice mais de la complexité inhérente à la société humaine. Pour avancer, nous devons accepter cette vérité : les actions individuelles, bien que guidées par des intentions souvent égoïstes, peuvent produire un ordre harmonieux et bénéfique sans qu’aucun esprit directeur ne tire les ficelles.

C’est un pas difficile à franchir, certes, mais nécessaire pour libérer nos sociétés des chaînes de la méfiance et de la haine infondée. En acceptant l’idée d’un ordre spontané, nous pouvons mieux comprendre notre monde et travailler à l’améliorer, non par la coercition et la suspicion, mais par la coopération et la compréhension mutuelle. Que cette lumière nouvelle éclaire notre chemin vers un avenir où l’Homme, enfin, se réconcilie avec la véritable nature de ses œuvres sociales.

Les conséquences des intentions bienveillantes mais malavisées

La route de l’enfer est pavée de bonnes intentions. Que cette maxime trouve des échos troublants dans le domaine de l’économie et des politiques publiques ! Hélas, trop souvent, nos efforts pour corriger les injustices et soulager les souffrances se retournent contre nous, engendrant des maux plus grands encore que ceux qu’ils prétendaient guérir. Il faut donc réintroduire ici, La notion de iatrogénèse économique, ce terme savant qui désigne les conséquences néfastes des actions bien intentionnées mais malavisées.

Prenons, par exemple, les lois sur le travail des enfants. Animées par une louable volonté de protéger les plus vulnérables, ces législations interdisent aux enfants de travailler. Mais qu’arrive-t-il lorsque les familles, privées de ce revenu indispensable, sombrent dans une pauvreté encore plus grande ? En interdisant le travail des enfants sans offrir d’alternatives viables, nous avons souvent condamné ces mêmes enfants à des existences encore plus misérables, loin des bancs de l’école et des soins de santé.

Considérez ensuite les lois antidrogues, conçues pour éradiquer la plaie de la toxicomanie. Dans leur zèle moral, les législateurs ont transformé les utilisateurs de drogues en criminels, exacerbant la violence et la corruption sans éradiquer la consommation. Les cartels prospèrent, les prisons débordent, et au lieu de recevoir aide et traitement, les drogués sont marginalisés et persécutés. L’intention était de sauver des vies, la réalité est une spirale de violence et de désespoir.

Enfin, évoquons les programmes d’aide alimentaire, ces grandes entreprises philanthropiques destinées à nourrir les affamés des pays en développement. Ici encore, l’intention est noble. Mais souvent, cette aide se transforme en arme politique, prolongeant les conflits et les guerres civiles. Les denrées alimentaires deviennent des leviers de pouvoir entre les mains des factions belligérantes, exacerbant les souffrances qu’elles devaient atténuer.

Pourquoi ces nobles intentions aboutissent-elles à de tels désastres ? La réponse réside dans notre tendance à juger les politiques sur leurs intentions plutôt que sur leurs mécanismes sous-jacents. Nous présumons que la bonne volonté suffit à garantir le succès, négligeant les complexités de la réalité économique et sociale. Et alors, nous nous privons de l’analyse critique nécessaire pour comprendre et corriger nos erreurs.

Il est impératif de reconnaître que les politiques publiques, comme les remèdes médicaux, doivent être évaluées non sur la base de leur intention morale mais sur celle de leurs effets réels. Le pathétique de nos erreurs réside souvent dans l’écart entre nos aspirations bienveillantes et les conséquences funestes de leur mise en œuvre.

Il nous faut apprendre à observer les mécanismes économiques avec la même rigueur et la même humilité que celle avec laquelle nous étudions les lois naturelles. Ce n’est qu’en comprenant les interactions complexes des actions humaines, les effets de l’offre et de la demande, les incitations et les contraintes, que nous pourrons espérer créer des politiques qui réalisent réellement le bien qu’elles promettent.

En somme, que nos intentions soient guidées par la prudence et l’humilité, reconnaissant que la voie vers la prospérité et la justice est pavée de compréhension et de sagesse, non de simples désirs bienveillants. Que cette leçon, apprise à travers les erreurs du passé, nous guide vers des politiques éclairées et véritablement bénéfiques pour tous.




  1. Mike Reid, 2016, "Do You Believe in Witches? Spontaneous Order Can Look Like Scary Magic", The Freeman, Summer, Vol 66, n°2, pp2-4 [lire en ligne]. Attention : l'auteur de l'article est effectivement Mike Reid et non Andrew Davis, comme indiqué de façon erroné sous le format html