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W. Allen Wallis

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W. Allen Wallis
Économiste

Dates 1912-1998
Tendance École de Chicago
Nationalité États-Unis États-Unis
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Citation
Interwikis sur W. Allen Wallis

Wilson Allen Wallis dit W. Allen Wallis (1912-1998) fut un économiste et statisticien américain, figure de l’École de Chicago et proche collaborateur de Milton Friedman et George Stigler. Co-auteur avec William Kruskal du test statistique qui porte leurs noms, il s’illustra autant par sa rigueur scientifique que par son rôle institutionnel comme doyen à Chicago puis président et chancelier de l’Université de Rochester. Conseiller économique auprès de plusieurs présidents américains, de Dwight Eisenhower à Ronald Reagan, il défendit tout au long de sa carrière une vision libérale fondée sur l’empirisme, le scepticisme face aux « pseudo-faits » et la conviction que la liberté individuelle et la responsabilité personnelle sont les conditions premières de la prospérité et de la démocratie.

Héritage intellectuel et méthode critique

La formation de W. Allen Wallis s’est déroulée au cœur d’un foyer intellectuel décisif pour la pensée économique contemporaine : l’École de Chicago. C’est là qu’il fréquente et collabore avec des figures majeures comme Milton Friedman, George Stigler et Aaron Director, qui marqueront toute une génération de chercheurs libéraux. De Friedman, il retient l’idée que la liberté économique est inséparable de la liberté politique ; de Stigler, l’analyse institutionnelle des limites de l’action publique et la critique de la « capture réglementaire » ; de Director, l’attention portée au droit et aux règles du marché comme garants de la concurrence. Cet environnement a façonné chez Wallis une approche exigeante, alliant la théorie économique, l'observation empirique et le souci des institutions.

Avant d’être un économiste, Wallis est un statisticien reconnu. Avec William Kruskal, il publie en 1952 le test non paramétrique dit « de Kruskal-Wallis », devenu un outil incontournable en sciences sociales et biomédicales. Cette contribution illustre sa conviction profonde : les affirmations doivent être soumises à l’épreuve des faits et validées par des méthodes rigoureuses. L’empirisme statistique n’est pas pour lui une simple technique, mais une exigence intellectuelle et morale : il faut résister aux séductions des idéologies qui reposent sur des impressions ou des slogans.

Ce rejet des approximations est au cœur de sa critique des politiques publiques. Dans Business and Government (The Freeman, 1964), Wallis dénonce la prolifération de ce qu’il appelle des « pseudo-faits ». Parmi eux : l’idée que l’Amérique serait dominée par « soixante familles », que les guerres seraient provoquées par des industriels avides ou que la Grande Dépression aurait marqué l’effondrement irréversible de l’économie de marché. Or, soutient-il, aucun de ces énoncés ne résiste à une analyse sérieuse. Pire encore, même s’ils étaient vrais, ils ne suffiraient pas à démontrer que l’État serait capable de résoudre les problèmes constatés. La critique de Wallis est ici méthodologique : établir qu’un système n’est pas parfait n’implique pas qu’il se dégrade, ni que l’intervention politique puisse l’améliorer.

Pour Wallis, l’histoire est le véritable juge des politiques économiques. Contrairement aux ingénieurs, aux chimistes ou aux pharmaciens qui testent leurs hypothèses en laboratoire, les économistes disposent de décennies, voire de siècles, d’expériences de régulation, de protectionnisme ou de planification à analyser. Ignorer ces précédents et répéter les mêmes recettes équivaut à nier la dimension cumulative du savoir humain. C’est pourquoi il invite constamment ses auditeurs à examiner les résultats concrets des interventions publiques, plutôt que de se satisfaire d’idéaux théoriques.

Enfin, cette méthode critique s’inscrit dans une vision plus large : la liberté académique comme condition de la liberté politique. À la tête de l’Université de Rochester, Wallis insiste sur le rôle des institutions universitaires : accumuler le savoir, former à la rigueur, et créer un espace protégé où la vérité peut être recherchée sans crainte d’ingérence politique. Pour lui, une société qui bride la liberté intellectuelle prépare inévitablement la restriction de la liberté civile. En ce sens, sa défense de la méthode scientifique rejoint son engagement libéral : la liberté de penser est la première garantie de la liberté de choisir.

Les ressorts de la prospérité

Dans son article Wages, Productivity, and Prices (The Freeman, 1960), W. Allen Wallis s’attache à démontrer que l’essor économique américain repose sur une pluralité de facteurs qu’il convient d’analyser avec précision. Contrairement aux visions simplistes qui attribuent la croissance à une cause unique (le travail, le capital ou la politique publique), il met en lumière une combinaison de dynamiques convergentes, toutes ancrées dans la liberté d’initiative et la responsabilité individuelle.

1. Le rôle du capital humain La première source de productivité identifiée par Wallis est l’amélioration constante de la qualité de la main-d’œuvre. L’éducation, les compétences professionnelles, la santé et même le bien-être général contribuent à rendre les travailleurs plus efficaces que leurs grands-parents, pourtant souvent plus endurants et soumis à des tâches plus pénibles. C’est le capital humain, enrichi par l’investissement éducatif et la mobilité sociale, qui permet d’exploiter au mieux les outils de production.

2. Le capital physique et les infrastructures Les machines, outils et technologies représentent une seconde dimension. Un seul homme muni d’une pelle mécanique peut accomplir ce qu’autrefois plusieurs ouvriers réalisaient avec des pioches. Wallis insiste sur le double mouvement d’accumulation et de perfectionnement : chaque nouveau stock de capital incorpore les résultats de la recherche, rendant les équipements non seulement plus nombreux, mais aussi plus performants. Les infrastructures publiques (routes, ports, réseaux de communication, systèmes sanitaires) participent également à ce cercle vertueux, car elles facilitent les échanges et augmentent la productivité globale.

3. Ressources naturelles et découvertes L’abondance ou la découverte de ressources naturelles joue également un rôle déterminant. L’accès à de nouvelles terres fertiles ou à des gisements riches accroît la productivité, de même que l’exploitation plus rationnelle des ressources existantes. Ici encore, la liberté d’entreprendre et l’incitation au profit encouragent la recherche et l’innovation dans l’utilisation des richesses naturelles.

4. Organisation et management La productivité tient aussi à l’organisation du travail. Les managers, en coordonnant les hommes et les ressources, en introduisant de nouvelles méthodes et en prenant le risque d’expérimenter des innovations, amplifient l’efficacité globale. Leur rôle, souvent négligé dans les analyses théoriques, est central pour Wallis : c’est grâce à leur capacité d’anticipation et de décision que l’économie transforme les innovations en croissance réelle.

5. Le système d’incitations et la logique du marché Enfin, Wallis rappelle que la véritable force du système américain réside dans ses incitations économiques. Les salaires attirent la main-d’œuvre vers les secteurs les plus productifs ; les prix orientent les capitaux vers les usages les plus demandés ; les profits encouragent l’innovation et sanctionnent les échecs. La concurrence pour le « dollar du consommateur » est la clé de cette dynamique. C’est elle qui assure que les efforts individuels, motivés par l’intérêt personnel, se traduisent en bénéfices collectifs.

6. Une vision systémique de la prospérité L’enseignement fondamental de Wallis est que la prospérité ne résulte pas d’une action unilatérale de l’État ou d’un « don » de la nature, mais de l’interaction libre de multiples facteurs (humains, matériels, organisationnels et institutionnels). Chaque progrès dans un domaine (par ex. une innovation technologique) rehausse l’efficacité des autres (travailleurs, capital, ressources), créant un effet multiplicateur. C’est pourquoi aucune catégorie, ni les travailleurs, ni les entrepreneurs, ni les ressources naturelles, ne peut revendiquer seule le mérite de la prospérité collective : la richesse naît de la coopération décentralisée de tous les acteurs dans un cadre de liberté.

Salaires, productivité et ajustements macroéconomiques

Dans la continuité de son analyse de la prospérité, Wallis aborde dans Wages, Productivity, and Prices[1] une question centrale : comment les gains de productivité se traduisent-ils, ou devraient-ils se traduire, dans l’évolution des salaires et des prix ? Son approche, à la fois empirique et critique, vise à dissiper les illusions qui entourent l’idée d’un lien mécanique entre productivité et rémunération.

1. L’hétérogénéité sectorielle. Wallis souligne que la productivité n’augmente pas au même rythme dans tous les secteurs. Les industries nouvelles (automobile, électronique) connaissent des progrès rapides grâce à l’innovation et aux économies d’échelle, tandis que les services de proximité (coiffeurs, soins personnels) évoluent lentement, car la nature même de leur activité se prête mal à l’automatisation. Indexer directement les salaires sur la productivité de chaque branche créerait des disparités insoutenables : certains travailleurs verraient leurs revenus exploser, d’autres stagner ou baisser, et les mêmes emplois pourraient être rémunérés différemment selon l’industrie.

2. L’injustice et les désincitations d’une indexation sectorielle. Une telle politique introduirait des injustices flagrantes : deux ouvriers effectuant la même tâche pourraient recevoir des salaires très différents selon l’entreprise qui les emploie. En outre, elle découragerait l’innovation : si toute hausse de productivité se traduisait immédiatement par des salaires plus élevés, il ne resterait aucune marge pour baisser les prix et élargir l’accès des consommateurs aux produits. Or, c’est précisément cette baisse des prix, et non seulement la hausse des revenus, qui diffuse les bénéfices du progrès technique dans l’ensemble de la société.

3. La règle macroéconomique de stabilité. Wallis avance alors une règle plus générale : à l’échelle de l’économie tout entière, si l’on veut maintenir une stabilité relative des prix, les salaires réels ne peuvent croître durablement plus vite que la productivité moyenne. En d’autres termes, c’est le progrès global, mesuré sur le long terme, qui fixe la limite de l’augmentation du pouvoir d’achat. Cette règle simple mais robuste préserve l’équilibre entre les rémunérations, les coûts de production et le niveau général des prix.

4. Des ajustements diffus et décentralisés. Dans la réalité, une hausse de productivité dans une industrie donnée ne se traduit jamais par un effet simple et linéaire. Elle déclenche au contraire une série d’ajustements imbriqués. Les travailleurs du secteur concerné peuvent bénéficier de salaires plus élevés, tandis que les consommateurs profitent de prix plus bas. L’emploi, quant à lui, peut s’accroître si la baisse des prix stimule la demande, ou au contraire se réduire si la production requiert moins de main-d’œuvre. Cette dynamique rejaillit ensuite sur d’autres branches : les salaires dans des secteurs voisins peuvent être tirés vers le haut, la compétitivité des entreprises se transforme, la structure de l’offre se réorganise. Un tel enchaînement ne peut être planifié ni décrété par une autorité centrale. Il procède des décisions quotidiennes, fragmentées et décentralisées, des travailleurs qui négocient, des entreprises qui investissent ou innovent, et des consommateurs qui ajustent leurs choix. C’est l’ensemble du système des prix et des incitations qui assure la coordination de ces ajustements complexes, avec une souplesse qu’aucune planification ne saurait égaler.

5. Une philosophie de la flexibilité. La conclusion de Wallis est claire : vouloir fixer administrativement une règle universelle reliant salaires et productivité conduit à des rigidités et à des injustices. La véritable équité n’est pas d’imposer une égalité artificielle, mais de préserver la mobilité et la concurrence, afin que chaque facteur de production soit attiré vers son usage le plus productif. Dans une économie libre, c’est cette flexibilité qui assure que les gains de productivité profitent, à terme, à l’ensemble de la société sous forme de salaires plus élevés, de prix plus bas et d’une diversité accrue d’emplois.

L’expansion du secteur public : illusions et dérives

Dans The Public Versus the Private Sector[2], Wallis s’attaque à une thèse très répandue dans l’Amérique des années 1960 : l’idée que la société souffrirait d’une « misère publique », c’est-à-dire d’un sous-investissement chronique dans les écoles, la santé, la culture ou l’aide aux défavorisés. Selon ce discours, l’État devait donc élargir son champ d’action pour combler des besoins collectifs supposément négligés par le marché.

1. Le mythe de la « misère publique ». Allen Wallis montre que cette vision est contredite par les faits. Depuis la guerre de Corée, les dépenses publiques avaient explosé, en particulier dans le secteur social avec la construction d’écoles et d’hôpitaux, la hausse des salaires des enseignants, le développement des programmes de santé publique, le soutien aux arts et à la recherche. Loin d’un déclin, les statistiques révélaient une accélération sans précédent de l’investissement public. La thèse de la pénurie reposait donc sur une illusion rhétorique, non sur des données vérifiées.

2. La confusion entre « public » et « étatique ». Selon Wallis, l’argument des « unmet social needers » (les partisans des « besoins sociaux non satisfaits ») repose sur une erreur de définition. Ceux-ci ne comptaient comme « public » que ce qui est financé, géré et produit directement par l’État. Or, une université privée, une fondation, une église, une association caritative répondent aussi à des besoins collectifs. Les ignorer, c’est réduire artificiellement le champ du « public » et nier la vitalité de la société civile.

3. L’évolution du socialisme : de la production aux résultats. L'économiste souligne que cette rhétorique constitue une mutation du socialisme. Après avoir perdu la bataille des idées sur la socialisation des moyens de production, les collectivistes déplacent leur objectif vers la socialisation des résultats de la production via la redistribution, la fiscalité et les transferts. Il appelle ce discours le « cri de guerre du socialisme de la décennie », une nouvelle stratégie idéologique masquée sous les habits de la justice sociale.

4. Le diagnostic erroné et ses dangers. Comme en médecine, un mauvais diagnostic conduit à des traitements inadaptés. Les difficultés des personnes âgées dans les années 1930 furent attribuées à une insuffisance d’épargne, alors qu’elles résultaient largement de la Grande Dépression. De même, la flambée des coûts médicaux après la guerre de Corée fut interprétée comme une défaillance structurelle, alors qu’elle venait en grande partie de l’érosion monétaire due aux inflations de guerre. En partant de prémisses fausses, nous dit Allen Wallis, les politiques risquent non seulement de manquer leur but, mais aussi d’aggraver les problèmes.

5. Le rôle des groupes de pression. Il insiste sur le fait que les programmes publics sont souvent captés par des intérêts organisés. Ce ne sont pas nécessairement les bénéficiaires finaux (étudiants, malades, pauvres) qui profitent le plus des dépenses publiques, mais les fournisseurs de services (syndicats enseignants, professions médicales, bureaucraties). L’argument du « besoin social » sert alors de paravent à des stratégies de rente.

6. Un retour au mercantilisme. Enfin, Wallis compare cette évolution au mercantilisme des XVIIe et XVIIIe siècles, où les États européens contrôlaient minutieusement le commerce, la monnaie et l'industrie au nom de l’intérêt national. Cette centralisation avait fini par étouffer l’initiative privée et provoquer des crises politiques, dont la Révolution américaine fut une réaction. Selon lui, l’expansion contemporaine du secteur public est une régression historique qui menace à la fois la liberté et la prospérité.

La critique d'Allen Wallis ne se limite donc pas à l’économie. Elle met en garde contre une dérive politique : réduire la société civile à un simple auxiliaire de l’État. En confondant « public » et « étatique », en cédant aux diagnostics superficiels et aux pressions organisées, la démocratie moderne court le risque de reproduire les travers du mercantilisme et de miner les fondements mêmes de la liberté individuelle.

L’iatrogénèse économique : les effets pervers de l’intervention publique

L’une des contributions les plus originales de W. Allen Wallis à la critique libérale est son insistance sur les effets pervers de l’intervention publique. Sans utiliser le terme explicitement, il développe ce que l’on peut appeler une théorie de l’iatrogénèse économique : à l’instar de la médecine mal pratiquée qui aggrave l’état du patient, l’action de l’État, même guidée par de bonnes intentions, détériore souvent les problèmes qu’elle prétend résoudre.

1. Le faux diagnostic : la racine du mal. Wallis compare souvent les politiques publiques à des traitements administrés sans analyse rigoureuse. Dans The Public Versus the Private Sector (1963), il rappelle que la création du système de retraite dans les années 1930 s’est appuyée sur l’idée que les personnes âgées souffraient d’une incapacité structurelle à épargner. Or, selon lui, leurs difficultés venaient surtout de la Grande Dépression : un phénomène exceptionnel, conjoncturel, et non permanent. En d’autres termes, le mauvais diagnostic a conduit à une solution coûteuse qui a créé des rigidités durables.

2. Les effets pervers des incitations. Dans Commitment, Concern, and Apathy (1968), Wallis prend l’exemple du salaire minimum. Destiné à protéger les travailleurs pauvres, il entraîne en pratique une hausse du chômage parmi les moins qualifiés, en particulier les jeunes Afro-Américains. En interdisant à ces derniers d’offrir leur travail à un salaire inférieur, la loi bloque l’ajustement naturel du marché et réduit leurs chances d’entrer sur le marché du travail. Pire encore, elle encourage des solutions substitutives qui suppriment durablement des opportunités de carrière.

3. La capture par les groupes d’intérêt. Wallis souligne que de nombreux programmes publics profitent davantage aux fournisseurs de services qu’aux bénéficiaires. Dans l’éducation, ce sont souvent les syndicats et les bureaucraties qui captent l’essentiel des ressources ; dans la santé, ce sont certaines professions organisées qui tirent parti des dépenses nouvelles. Loin de résoudre les « besoins sociaux », l’État devient l’arène où des groupes bien structurés défendent leurs rentes, au détriment des populations les plus vulnérables.

4. La spirale interventionniste. Chaque échec appelle une nouvelle intervention, destinée à « corriger » les effets pervers de la précédente. Ainsi, le chômage causé par le salaire minimum peut susciter de nouveaux programmes publics d’emploi, eux-mêmes sources de rigidités supplémentaires. Wallis y voit une spirale comparable à une thérapie qui, en multipliant les traitements inutiles, épuise le patient au lieu de le guérir.

5. La supériorité des ajustements libres. Face à ces dérives, Wallis réaffirme une conviction centrale : les erreurs individuelles commises sur un marché libre sont locales, variées et corrigibles. Les erreurs de l’État, en revanche, sont massives, uniformes et persistantes. La meilleure manière d’éviter l’iatrogénèse économique n’est pas de perfectionner les interventions, mais de réduire leur champ, en laissant aux individus la responsabilité de leurs choix et en préservant les mécanismes de correction propres au marché.

L’iatrogénèse économique, telle que Wallis la décrit à travers ses analyses des retraites, des salaires et des politiques sociales, résume son scepticisme méthodologique : vouloir « guérir » la société par décret aboutit souvent à empirer son état. Le rôle de l’économiste est alors d’alerter contre ces illusions thérapeutiques et de rappeler que la liberté, encadrée par des institutions stables, reste le meilleur remède aux désordres économiques.

Engagement, éducation et responsabilité individuelle

Dans son discours Commitment, Concern, and Apathy[3], Wallis s’adresse à un public de responsables religieux et des universitaires pour examiner un phénomène très en vogue à la fin des années 1960 : l’activisme étudiant et, plus largement, la ferveur militante de certains groupes religieux et sociaux. Là encore, sa réflexion s’inscrit dans sa méthode : distinguer les intentions des résultats, confronter les discours aux faits, et rappeler que la véritable responsabilité exige préparation et rigueur.

1. Le paradoxe de l’activisme visible. Wallis note que l’immense majorité des étudiants sont silencieux, studieux et engagés dans leur formation, mais que l’opinion publique ne retient que la minorité turbulente, souvent mise en avant par les médias. Il critique le cliché selon lequel cette agitation serait la preuve d’une « génération plus concernée » et moins « apathique » que ses aînés. En réalité, dit-il, cette minorité ne démontre pas un engagement supérieur, mais une propension à la mise en scène : beaucoup de ces manifestations sont des « pseudo-événements » (au sens de Daniel Boorstin), conçues pour les caméras et sans ancrage réel dans la société.

2. L’activisme sans pensée : une forme d’apathie. Pour Wallis, le véritable danger n’est pas l’indifférence, mais ce qu’il appelle une « apathie intellectuelle » : prétendre se soucier de la pauvreté, de la guerre ou de la liberté sans consacrer l’effort nécessaire à comprendre ces réalités complexes. Il cite le poète Thomas Hood : « Evil is wrought by want of Thought / As well as want of Heart. » (Le mal naît autant du manque de pensée que du manque de cœur). Ainsi, les militants qui réclament un salaire minimum pour les pauvres ne se rendent pas compte qu’ils aggravent le chômage parmi les minorités, un exemple typique d’iatrogénèse économique.

3. Le rôle irremplaçable de l’éducation. Pour un étudiant, la meilleure manière de se préparer à contribuer au progrès social n’est pas de défiler dans la rue, mais de profiter pleinement des ressources intellectuelles offertes par l’université : bibliothèques, cours, recherche. Wallis cite José Ortega y Gasset[4] : être véritablement « résolu » à changer le monde signifie accepter les étapes préparatoires, acquérir les qualités nécessaires, et cultiver une volonté disciplinée capable de supporter la rigueur logique et la lenteur de l’apprentissage.

4. La leçon de l’économie de la discrimination. Pour illustrer cette exigence de connaissance, Wallis mobilise les travaux de Gary Becker[5] et d’Armen Alchian et Reuben Kessel (1962). Ces économistes montrent que, dans un marché concurrentiel, les comportements discriminatoires coûtent cher à ceux qui les pratiquent : les employeurs qui refusent d’embaucher des minorités perdent en compétitivité face à ceux qui engagent les meilleurs talents, quel que soit leur groupe. Paradoxalement, c’est donc le jeu de l’intérêt personnel et du profit qui favorise l’intégration des exclus. Ignorer ces mécanismes et croire qu’une loi suffira à abolir les discriminations, c’est se condamner à des politiques contre-productives.

5. Les « vrais engagés » : les étudiants studieux. Wallis conclut que les étudiants véritablement concernés et engagés ne sont pas ceux que l’on voit dans les journaux, mais ceux qui travaillent en silence, qui lisent, étudient et se préparent à devenir des chercheurs, des médecins, des entrepreneurs ou des responsables capables d’affronter la complexité du réel. Ce sont eux, affirme-t-il, qui portent en eux la promesse de futurs dirigeants dotés d’une « passion créatrice élevée, soutenue par la constance d’une compréhension claire et d’une volonté calme » (José Ortega y Gasset).

L’engagement véritable, pour Wallis, ne consiste pas à afficher bruyamment ses convictions, mais à prendre au sérieux la responsabilité intellectuelle qui précède toute action efficace. L’université n’est pas un lieu d’agitation politique, mais un espace de maturation, où l’étude et la réflexion sont les véritables formes de « non-apathie ».

Maturité de la critique libérale : la méfiance radicale envers l’État

Dans son discours intitulé A Proper Distrust[6], W. Allen Wallis condense des années de réflexion critique pour livrer une thèse limpide : ceux qui se méfient des gouvernements ont raison. Cette méfiance n’est pas un instinct irrationnel ou une attitude cynique, mais une conclusion empirique fondée sur l’observation des promesses irréalistes de l’État et de leurs résultats décevants, voire néfastes.

1. L’inflation des promesses étatiques. Wallis dresse une liste presque satirique des biens immatériels que les gouvernements prétendent garantir : non seulement la paix, la prospérité et la justice, mais aussi la santé, la morale, le bon goût, l’égalité, la tolérance, la beauté, la vérité, et même le salut. Cette hypertrophie des ambitions traduit pour lui une illusion fondamentale : croire que le pouvoir politique peut produire des biens immatériels et subjectifs que seule la liberté individuelle permet de rechercher.

2. La contradiction du citoyen moderne. Un paradoxe frappe Wallis : plus les citoyens se méfient de l’État, plus ils lui confient de pouvoirs. Cette dynamique circulaire aboutit à une hypertrophie institutionnelle où chaque nouvel échec de l’État appelle une nouvelle compétence attribuée à ce même État. On lui demande de corriger les dégâts causés par ses propres interventions, dans un engrenage d’extension sans fin.

3. Les effets pervers du surcroît de pouvoir. Plus l’État concentre de pouvoirs, plus les luttes pour les contrôler deviennent ruthless, corrupt and pervasive (impitoyables, corrompues et envahissantes). Les abus se multiplient, les échecs deviennent plus visibles, et la confiance des citoyens diminue. C’est un cercle vicieux : la défiance envers l’État ne débouche pas sur une limitation de ses prérogatives, mais sur leur élargissement continu, au prix d’une érosion de la liberté individuelle.

4. La thérapie : réduire plutôt qu’ajouter. La conclusion de Wallis est radicale : le remède aux abus de l’État n’est pas d’inventer de nouveaux contre-pouvoirs, ni de multiplier les agences de contrôle, mais de démanteler les pouvoirs existants et de restituer la responsabilité aux individus. Là encore, sa pensée rejoint l’iatrogénèse économique : ajouter de nouvelles couches d’intervention pour corriger les précédentes ne fait qu’aggraver le mal.

Wallis en vient à une distinction décisive qui résume l’esprit de son argument libéral. Dans un marché libre, les erreurs existent inévitablement, mais elles sont dispersées entre une multitude d’acteurs. Chacun peut se tromper, mais ces erreurs sont variées et limitées dans leur portée : certaines entreprises font faillite, certains consommateurs regrettent leurs choix, mais d’autres réussissent et compensent. Surtout, ces erreurs sont corrigibles : la concurrence, l’apprentissage et l’adaptation permettent aux individus et aux firmes de rectifier rapidement leurs décisions. À l’inverse, lorsqu’une décision émane de l’État, l’erreur prend une tout autre dimension. Elle est massive, car elle affecte simultanément l’ensemble des citoyens. Elle est uniforme, puisqu’une même règle ou une même politique s’impose à tous sans tenir compte des situations particulières. Enfin, elle est durable, car l’inertie institutionnelle, la puissance des groupes d’intérêt et la logique bureaucratique rendent extrêmement difficile toute correction. Autrement dit, la liberté individuelle disperse les risques et favorise l’expérimentation, tandis que l’étatisme concentre les erreurs et les fige dans le temps. Dans la logique libérale qu’il incarne, la liberté est donc un principe de robustesse sociale : elle distribue les risques d’erreur et maximise la capacité d’apprentissage collectif, tandis que le dirigisme concentre les erreurs et rend leurs conséquences catastrophiques.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. The Freeman, 1960
  2. The Freeman, 1963
  3. The Freeman, 1968
  4. "Mission de l’Université", 1930
  5. "The Economics of Discrimination", 1957
  6. <<The Freeman, 1974

Publications

  • 1993, "George J. Stigler: In Memorandum", Journal of Political Economy, Vol 101, n°5, October, pp774-779

Littérature secondaire



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