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Ruwen Ogien

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Ruwen Ogien
Philosophe

Dates 1948 - 2017
Ruwen-Ogien.jpg
Tendance Libéral classique et libéral de gauche
Nationalité France France
Articles internes Autres articles sur Ruwen Ogien

Citation « Je crois qu’on pourrait résumer mon point de vue en disant que je cherche à débarrasser non seulement les systèmes politiques et juridiques mais aussi les systèmes moraux de ce qu’on appelle en histoire du droit les "crimes sans victimes " ».
Interwikis sur Ruwen Ogien

Ruwen Ogien, né en 1948 et mort le 4 mai 2017, est un philosophe français contemporain d'inspiration libérale (notamment John Stuart Mill et John Rawls). Directeur de recherche au CNRS, ses travaux ont notamment porté sur la philosophie morale et la philosophie des sciences sociales.

La théorie de l'éthique minimale

La posture philosophique de Ruwen Ogien peut être résumée dans la formule « Trop d’éthique tue l’éthique ». Il dénonce une certaine panique morale qui entoure certains débats publics sur des questions sensibles comme le mariage homosexuel, l'avortement, la pornographie ou l’euthanasie.

Une bonne partie du travail analytique de Ogien consiste à piéger les simulacres moraux, le moralisme ambiant, qui contribuent plutôt à alimenter les controverses idéologiques, situation favorable au paternalisme, plutôt que soutenir les intérêts réels des personnes concernées par l'objet des débats.

La plupart de ses livres d'éthique appliquée (notamment à la prostitution, ou à la honte) sont une redéfinition de ce qu'il appelle l'éthique minimale, dans le prolongement du principe de non-nuisance (harm principle) de John Stuart Mill, et qui s'énonce essentiellement en trois points :

  1. Principe de considération égale, qui nous demande d’accorder la même valeur à la voix et aux intérêts de chacun.
  2. Principe de neutralité à l’égard des conceptions du bien personnel.
  3. Principe d’intervention limitée aux cas de torts flagrants causés à autrui.

Pour Ruwen Ogien le minimalisme moral se justifie notamment parce que la morale ne concerne que les rapports que l’on entretient avec les autres, dans ce sens, "ce que nous faisons de nous-mêmes n'a aucune importance morale" (indifférence morale du rapport à soi-même) :

« Comme les conceptions rationalistes du droit, les conceptions minimalistes de la morale se proposent de limiter leur domaine. Elles recommandent de réserver l'application du mot "immoral" aux relations injustes envers les autres (humiliation, discrimination, exploitation et manipulation cyniques, atteintes aux droits, gestion des relations par la menace, la violence ou d'autres formes de contrainte, etc.) et d'éviter de l'utiliser pour évaluer tout ce qui, dans nos façons de vivre, nos pensées, nos actions, ne concerne que nous-mêmes, ce que nous faisons entre personnes consentantes, ou nos relations envers des choses abstraites ("Dieu", la "Patrie", la "Nature", la "Société", l'"Homme", etc.). »
    — Ruwen Ogien

De la même manière, la philosophie libérale défend le principe selon lequel la liberté consiste à pouvoir faire tout ce que ne porte pas nuisance à la vie d'autrui, notamment d'un point de vue politique et social, laissant à chacun la liberté de conduire sa vie, quel que soit le style de vie, quelle que soit son orientation morale. Pour un libéral, toute forme de prohibitionnisme prétentieux et envahissant doit être suspect, du point de vue de son bien-fondé mais aussi du point de vue de ses objectifs et conséquences.

Le principe de « ne pas nuire aux autres » peut sembler minimaliste mais cela ne signifie pas que ses exigences soient restreintes ou diminuées.

Le minimalisme moral s'oppose aux « maximalismes moraux » que sont à ses yeux les morales d'inspiration aristotélicienne, qui recommandent de viser la « vie bonne », ou d'inspiration kantienne, qui imposent des devoirs moraux envers soi-même[1] (interdiction du suicide, de la paresse, etc.). Le maximalisme moral tombe nécessairement dans le paternalisme. Pour le minimalisme moral que défend Ruwen Ogien, ne devraient soulever aucun problème moral les actes suivants :

  • les crimes ou "fautes morales" sans victimes ;
  • le rapport à des entités abstraites (Dieu, État, patrie...) ;
  • les relations consenties et le rapport à soi-même.

Dans un essai paru en 2011, L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale[2], Ruwen Ogien essaie d'appliquer l'éthique minimale à des situations extrêmes, voire loufoques, exposées comme des expériences de pensée. Le but est de "proposer une sorte de boîte à outils intellectuels pour affronter le débat moral sans se laisser intimider par les grands mots et les grandes déclarations de principe".

Dans son essai paru en 2013, L'État nous rend-il meilleurs ? Essai sur la liberté politique, il critique le conservatisme au nom d'une conception de la liberté négative : être libre n'est rien d'autre que le fait de ne pas être soumis à la volonté d'autrui. Ogien explore également le terrain de la "justice sociale". Sa thèse principale à ce sujet est "qu'il n'existe aucune justification morale aux inégalités économiques et sociales" : la stigmatisation morale de la pauvreté que pratiquent souvent les conservateurs est donc injustifiée. Libertarien de gauche, il essaie de concilier une permissivité morale avec une vigilance à l’égard de la justice sociale. Dans ses prochains travaux, il entend étayer son idée d'un État « permissif, égalitaire et parcimonieux dans l'usage de la force ».

Sa position par rapport au libertarianisme

Searchtool-80%.png Article connexe : libertarien.

On pourrait sans doute reprocher à Ruwen Ogien de vider l'éthique de tout contenu et, en poussant jusqu'au bout le principe de liberté libéral, d'aboutir à un relativisme moral. Cependant, il n'affirme pas que « tout est permis », mais que « tout est permis qui ne nuit pas aux autres ». Sa position n'interdit pas une éthique individuelle personnelle, elle interdit seulement de juger les autres uniquement au travers du prisme déformant que peut être une éthique personnelle. Il rejoint ainsi les positions libertariennes sur ses aspects éthiques :

«  Sous un régime démocratique et pluraliste, toute tentative de la part de l’Etat d’imposer une conception de la vie bonne risque d’être perçue comme une forme de coercition aussi illégitime que celle qui consisterait à contraindre tout le monde d’adopter la même religion. En revanche, nous avons tendance à penser qu’il peut exister un accord raisonnable sur la question du juste dont témoigne l’importance universelle donnée aux droits de l’homme en dépit des critiques visant leur côté trop « occidental ». C’est pourquoi j’estime personnellement qu’il faut être relativiste à propos du bien et universaliste à propos du juste[3]. »
    — Ruwen Ogien, L'Obs, 16/06/2016

Cependant, pour Ruwen Ogien, l’éthique minimale n’est ni un libéralisme politique (car c’est un libéralisme qui est « moral ») ni un libertarianisme (puisqu’il ne repose pas sur l’idée de propriété pleine de soi-même). Mais l’éthique minimale prend certainement place dans le même espace logique en philosophie morale, celui qui contient aussi les conceptions de John Stuart Mill.

Extrait d'une interview inédite communiquée par l'auteur à Dilbert le 2/4/2007

Vous sentez-vous plus proche des libertariens comme Nozick ou Vallentyne ?

Les libertariens de droite (Nozick) ou de gauche (Vallentyne) font reposer leurs conceptions sur l’idée de « pleine propriété de soi-même » (de son corps de sa vie, de son travail).

Personnellement, je ne fais jamais référence à cette idée qui me paraît confuse.

En fait, je crois qu’on pourrait résumer mon point de vue en disant que je cherche à débarrasser non seulement les systèmes politiques et juridiques mais aussi les systèmes moraux de ce qu’on appelle en histoire du droit les « crimes sans victimes ».

(...)Dans tous ces cas, on peut en effet se demander « Où sont les victimes ? », c’est-à-dire « Où sont les personnes physiques, concrètes, qui ont directement subi des dommages contre leur gré  » ?

À mon avis, il est possible d’étendre ces qualifications au domaine moral (...) La question que je me pose par rapport aux libertariens est celle de savoir dans quelle mesure il est nécessaire de faire appel à la notion de « pleine propriété de soi » pour justifier l’exclusion des crimes moraux sans victimes.

Je crois que ce n’est pas nécessaire.

C’est évident pour les crimes contre des entités abstraites ou symboliques comme Dieu ou le drapeau de la nation. Je ne vois pas très bien comment l’idée de pleine propriété de soi pourrait servir à débarrasser notre droit et notre morale des crimes de blasphème, de sacrilège et d'outrage au drapeau.

Pour l’exclusion des torts qu’on se cause à soi-même, sa légitimité me paraît pouvoir être établie aussi sûrement par l’incohérence de l’idée de devoir moral envers soi-même que par l’appel à l’idée de pleine propriété de soi.

Pour l’exclusion des échanges marchands et non marchands, sexuels ou autres, entre personnes consentantes, je me demande seulement si l’appel à l’idée de propriété de soi pour la justifier n’implique pas une idée trop forte ou autodestructrice du consentement.

Le texte intégral est consultable en ligne sur Catallaxia : texte complet

Publications

  • Réseaux d'immigrés : ethnographie de nulle part, (avec Jacques Katuszewski), Éditions ouvrières, 1981.
  • Théories ordinaires de la pauvreté, PUF, 1983.
  • Un portrait logique et moral de la haine, L'éclat, 1993.
  • La faiblesse de la volonté, PUF, 1993.
  • Traduction de l'ouvrage de Thomas Nagel Qu'est-ce que tout cela veut dire? : une très brève introduction à la philosophie, L'éclat, 1993
  • La couleur des pensées : sentiments, émotions, intentions (avec Patricia Paperman), EHESS, (coll. Raisons pratiques),1995.
  • Les causes et les raisons : philosophie analytique et sciences humaines, Jacqueline Chambon, 1995.
  • Co-traduction de l'ouvrage de G.E. Moore, "Principia Ethica", Paris, PUF, 1998.
  • Le réalisme moral, Paris, P.U.F, 1999.
  • L’enquête ontologique. Du mode d’existence des objets sociaux, (avec Pierre Livet), EHESS,(Coll. Raisons pratiques), 2000.
  • Raison pratique et sociologie de l’éthique, Paris, CNRS éds, (avec Simone Bateman-Novaes et Patrick Pharo), 2000.
  • La honte est-elle immorale ? Bayard, 2002.
  • Le rasoir de Kant et autres essais de philosophie pratique, L’éclat 2003.
  • Penser la pornographie, PUF, Coll. Questions d’éthique, 2003.
  • La philosophie morale (avec Monique Canto-Sperber ), PUF, 2004.
  • La panique morale, Grasset, 2004.
  • Pourquoi tant de honte ? Nantes, Pleins Feux, 2005.
  • Dictionnaire de la pornographie, (dir. Philippe Di Folco), PUF, 2005
  • La sexualité, (avec Jean-Cassien Billier), Comprendre, PUF, 2005.
  • La morale a-t-elle un avenir ?, Pleins Feux, 2006.
  • L'éthique aujourd'hui. Maximalistes et minimalistes, Paris, Gallimard, 2007.
  • La liberté d'offenser. Le sexe, l'art et la morale, Paris, La Musardine, 2007.
  • Concepts de l'éthique, Paris, Hermann, 2008 (avec Christine Tappolet).
  • La vie, la mort, l'État. Le débat bioéthique, Paris, Grasset, 2009.
  • Le corps et l'argent, Paris, La Musardine, 2010.
  • L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale, Paris, Grasset, 2011.
  • L'État nous rend-il meilleurs ? Essai sur la liberté politique, Folio, 2013.
  • Mon dîner chez les cannibales, Grasset, 2016.
  • Mes mille et une nuits - La maladie comme drame et comme comédie, Albin Michel, 2017

Citations

  • « Les philosophes ont toujours eu du mal à définir la rationalité. Mais ils n'ont jamais été avares d'exemples d’irrationalité. [...] Je me range aux côtés des philosophes pour qui la faiblesse de la volonté n'est pas toujours ou pas nécessairement irrationnelle. La force de volonté n'est pas toujours une vertu et la faiblesse de volonté n'est pas toujours un vice. Lorsque les projets d'un agent sont mauvais, il est bon que sa volonté soit faible, afin qu'il ne puisse pas les réaliser ».

Notes et références

  1. L'interdit kantien qui porte sur la masturbation est l'exemple fétiche de Ruwen Ogien. D'un point de vue kantien, la masturbation est plus grave que le suicide, puisque par le suicide on ne porte atteinte qu'à un seul individu, soi-même (on porte donc atteinte à la "préservation de soi-même"), tandis que par la masturbation on contredit la « loi de conservation de l'espèce ». Ogien remarque d'une part, que de ce point de vue la chasteté serait aussi immorale que la masturbation, et d'autre part, que la masturbation (si elle est occasionnelle) n'empêche pas la reproduction. Schopenhauer critiquait déjà en son temps la morale kantienne (dans Le fondement de la morale) et niait les « prétendus devoirs envers nous-mêmes ».
  2. Ogien, Ruwen, L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale, Paris, Grasset, 2011.
  3. « Le juste concerne notre rapport aux autres, ce que nous leur devons, ce qui constitue une relation interpersonnelle équitable. Par contraste, « bien » renvoie au style de vie personnel qu’on devrait adopter, à ce qu’est une vie bonne : hédoniste ou ascétique, nomade ou sédentaire, individualiste ou tournée vers la collectivité, casanière ou aventurière, etc. » (Ruwen Ogien, L'Obs, 16/06/2016)

Liens externes


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