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Jules Dupuit
Jules Dupuit, de son nom complet Arsène Jules Emile Juvénal Dupuit, était un ingénieur et économiste français né le 18 mai 1804 à Fossano, dans la République cisalpine, et décédé le 5 septembre 1866 à Paris. Il a joué un rôle essentiel dans le développement de la théorie économique, en particulier dans les domaines de la consommation, de la fiscalité, et de la théorie des surplus du consommateur.
Dupuit a été formé à l'École polytechnique en 1822 et il est devenu ingénieur au Corps des ponts et chaussées. En tant qu'ingénieur, il s'est occupé de divers projets d'infrastructure en France, y compris la conception du système d'égouts de Paris et des châteaux d'eau. Cependant, il a également développé un intérêt marqué pour l'économie au cours de sa carrière.
L'époque de Jules Dupuit était marquée par des bouleversements économiques, sociaux et politiques en France et en Europe. Au XIXe siècle, la France était en train de passer de l'ère napoléonienne à une période de transformation économique et industrielle. La Révolution industrielle était en cours, et de nouvelles idées émergeaient dans le domaine de l'économie. C'est dans ce contexte de changement que Jules Dupuit a commencé à explorer les aspects économiques de l'ingénierie et à contribuer à la théorie économique naissante. Ses travaux ont jeté les bases de concepts clés qui sont encore pertinents aujourd'hui, tels que la courbe d'utilité marginale décroissante et le surplus du consommateur, et ont influencé d'autres économistes de renom. Il a contribué à la fusion des sciences de l'ingénierie et de l'économie, apportant ainsi une perspective interdisciplinaire qui a enrichi le champ de l'économie.
Contributions d'ingénieur
Travaux en ingénierie civile, notamment sur les routes et les systèmes d'égouts
Jules Dupuit a consacré une grande partie de sa carrière à des projets d'ingénierie civile majeurs en France. Il a été impliqué dans la conception et la mise en œuvre de projets d'infrastructure cruciaux, notamment la planification du système routier français. Son travail sur les routes était essentiel pour faciliter la circulation des personnes et des marchandises dans le pays, contribuant ainsi au développement économique de la France.
De plus, Dupuit a joué un rôle clé dans la construction du système d'égouts de Paris. À une époque où l'urbanisation rapide posait des problèmes d'assainissement et de santé publique, ses efforts ont permis d'améliorer les conditions de vie en ville en éliminant les eaux usées et en évitant les épidémies liées à la pollution des eaux.
Expériences sur le frottement des roues sur les chaussées
Outre ses contributions à l'ingénierie des infrastructures, Jules Dupuit s'est également intéressé à des questions liées à la mécanique, en particulier au frottement des roues sur les chaussées. Il a mené des expériences visant à comprendre comment les roues des véhicules interagissent avec les surfaces routières et comment le frottement affecte le mouvement.
L'une de ses découvertes notables a été la formulation d'une loi de frottement qui varie inversement avec la racine carrée du rayon des roues. Cette idée s'opposait aux résultats antérieurs, notamment ceux de Coulomb en 1781. La controverse qui en a découlé entre Dupuit et d'autres chercheurs de l'époque a contribué à avancer notre compréhension de la mécanique des véhicules en mouvement, ce qui était crucial pour l'ingénierie des transports et des infrastructures.
L'hypothèse de Dupuit en hydraulique souterraine
Dupuit a également apporté des contributions significatives à l'hydraulique souterraine. Il s'est particulièrement intéressé à la Loi de Darcy, qui régit le mouvement de l'eau dans les sols perméables. Il a formulé ce qu'on appelle aujourd'hui l'"hypothèse de Dupuit," qui concerne le cas où le mouvement de la nappe d'eau est quasi-statique et principalement horizontal.
Cette hypothèse a permis à Dupuit de développer une solution analytique pour évaluer l'efficacité de pompage d'un puits dans un terrain homogène. Ses travaux en hydraulique souterraine ont été essentiels pour la gestion des ressources en eau et ont eu des applications importantes dans l'ingénierie environnementale et l'aménagement du territoire.
Ainsi, les contributions d'ingénieur de Jules Dupuit ont été variées et ont touché des domaines allant des routes à l'hydraulique, en passant par la mécanique, contribuant de manière significative au progrès technologique de son époque. Ses compétences techniques ont joué un rôle clé dans la résolution de problèmes pratiques liés à l'infrastructure et à l'hygiène publique en France.
Transition vers l'économie
Les avantages de sa formation d'ingénieur pour l'économie
La formation d'ingénieur de Jules Dupuit a joué un rôle crucial dans sa transition vers le domaine de l'économie. En tant qu'ingénieur, il avait acquis des compétences analytiques, une solide formation mathématique et une aptitude à résoudre des problèmes concrets. Ces compétences se sont révélées particulièrement précieuses lorsqu'il a commencé à aborder des questions économiques.
En tant qu'ingénieur, Dupuit était habitué à concevoir des solutions pragmatiques pour résoudre des problèmes techniques complexes. Il a appliqué cette même approche rigoureuse à l'analyse économique, ce qui a donné lieu à des modèles économiques basés sur des données concrètes et des méthodes quantitatives. Sa capacité à quantifier des phénomènes économiques a été un atout majeur dans le développement de sa théorie de l'utilité marginale décroissante et d'autres concepts économiques.
L'évolution de Dupuit vers l'économie a été influencée par la nécessité de prendre des décisions éclairées en tant qu'ingénieur des ponts et chaussées, notamment en ce qui concerne l'allocation des ressources limitées à différents projets. Cette expérience l'a amené à formuler des idées novatrices en économie, dont certaines sont devenues des concepts fondamentaux de la théorie économique moderne.
Évolution vers l'économie en formation à l'époque
Au XIXe siècle, l'économie en tant que discipline distincte était en formation. Les économistes classiques tels qu'Adam Smith, David Ricardo et John Stuart Mill avaient jeté les bases de la science économique, mais de nombreuses questions restaient sans réponse. Cette époque était caractérisée par des débats intellectuels animés sur la nature de la valeur, la théorie de la rente, la régulation économique, et d'autres sujets clés.
Jules Dupuit a été l'un des pionniers à s'orienter vers cette discipline naissante. Sa formation d'ingénieur l'a incité à aborder les problèmes économiques de manière empirique et à utiliser des méthodes quantitatives pour résoudre des questions complexes. Son intérêt pour les infrastructures et les projets d'ingénierie l'a conduit à réfléchir aux questions liées à l'utilité publique, à l'efficacité des investissements publics, et à la manière dont les individus évaluent les biens et services.
La courbe d'utilité marginale décroissante
Analyse de l'article de 1844 sur le péage
En 1844, Jules Dupuit a rédigé un article intitulé "De la mesure de l’utilité des travaux publics", dans lequel il abordait la question du péage et introduisait la notion de courbe d'utilité marginale décroissante. L'article portait sur la manière dont le péage pouvait être utilisé pour financer des travaux publics, tels que la construction de ponts ou de routes, et comment les individus évaluaient l'utilité de ces ouvrages.
Dans cet article, Dupuit a développé une théorie selon laquelle la tarification optimale d'un péage devait être basée sur la valeur marginale que chaque utilisateur attribuait à l'ouvrage. Il a souligné que les individus étaient prêts à payer des montants différents pour utiliser une infrastructure en fonction de leur situation personnelle. Par conséquent, il a préconisé que le péage devait être ajusté de manière à maximiser le bénéfice collectif, en tenant compte des différences d'utilité individuelle.
Introduction de la courbe d'utilité marginale décroissante
Dans le même article de 1844, Dupuit a posé les bases de la courbe d'utilité marginale décroissante. Il a avancé l'idée que l'utilité marginale, c'est-à-dire la satisfaction ou le bénéfice supplémentaire qu'un individu retire de l'utilisation d'un bien ou d'un service, décroissait à mesure que la quantité consommée augmentait. Il a formulé l'hypothèse selon laquelle la première unité d'un bien procurait la plus grande utilité, tandis que chaque unité supplémentaire procurait une utilité marginale décroissante.
La courbe d'utilité marginale décroissante est devenue un concept fondamental de la théorie économique. Elle a jeté les bases de l'analyse de la consommation, de la tarification et de la demande des consommateurs. La compréhension que la satisfaction marginale diminue à mesure que la consommation augmente est essentielle pour expliquer des phénomènes tels que les préférences des consommateurs, la tarification optimale des biens et services, et la maximisation de l'utilité individuelle.
Influence de ces idées sur l'économie
Les idées de Jules Dupuit, en particulier sa courbe d'utilité marginale décroissante, ont eu une influence profonde sur le développement de la théorie économique. Plusieurs économistes de renom ont utilisé et développé ses concepts pour enrichir la science économique. Par exemple, William Stanley Jevons, un économiste britannique, a contribué à l'analyse de l'utilité marginale avec des travaux qui correspondent à ceux de Jules Dupuit.
De plus, les idées de Dupuit ont inspiré des économistes ultérieurs, notamment Alfred Marshall, qui a développé la théorie de l'utilité marginale, et Vilfredo Pareto, qui a exploré les concepts de l'optimum de Pareto, qui repose en partie sur l'utilité marginale décroissante.
En résumé, les travaux de Jules Dupuit sur la courbe d'utilité marginale décroissante ont eu un impact significatif sur la théorie économique en fournissant des outils conceptuels cruciaux pour comprendre le comportement des consommateurs, la tarification des biens et services, et l'efficacité de l'allocation des ressources. Ses idées ont contribué à façonner l'économie moderne et continuent d'influencer les analyses économiques contemporaines.
Taux d'imposition optimal
Réflexions de Dupuit sur la définition d'un taux d'imposition optimal
Jules Dupuit a également abordé la question du taux d'imposition optimal dans le cadre de ses réflexions économiques. Dans une citation extraite des annales des Ponts et Chaussées en 1844, Dupuit a formulé l'idée que le taux d'imposition optimal devait être déterminé de manière à maximiser les recettes fiscales de l'État tout en évitant une taxation excessive qui découragerait la production et la consommation. Cette idée est en corrélation avec ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de "principe de Laffer".
Selon Dupuit, le taux d'imposition idéal devrait être fixé de manière à permettre la croissance de l'économie en évitant les distorsions fiscales excessives. Il a avancé l'idée qu'un impôt graduellement croissant, allant de zéro jusqu'à un niveau de taxation équivalent à une interdiction (c'est-à-dire un taux tellement élevé que les gens cessent de produire ou consommer), connaîtrait un profil de recettes fiscales particulier. Initialement, les recettes fiscales seraient nulles, mais elles augmenteraient progressivement jusqu'à atteindre un maximum, puis diminueraient progressivement avant de disparaître.
Ces réflexions de Dupuit ont jeté les bases de l'analyse du taux d'imposition optimal en économie, qui est devenue un sujet central de débat économique. Son approche de la taxation a souligné l'importance de l'équilibre entre la maximisation des recettes fiscales et la minimisation des effets négatifs sur l'incitation à produire et à consommer. Cette idée a influencé la pensée économique ultérieure sur la fiscalité et a ouvert la voie à des débats sur le rôle de l'État dans l'économie.
L'influence sur Arthur Laffer
Les idées de Jules Dupuit sur la fiscalité et le taux d'imposition optimal ont influencé des économistes ultérieurs, dont Arthur Laffer. L'économiste américain est devenu célèbre pour sa "courbe de Laffer", qui illustre la relation entre le taux d'imposition et les recettes fiscales. Cette courbe a été utilisée pour expliquer qu'une fois atteint un niveau de taux d'imposition très élevés, une réduction des impôts pourrait conduire à une augmentation des recettes fiscales en stimulant l'activité économique.
Laffer a explicitement reconnu l'impact des idées de Dupuit sur ses propres réflexions. Il a adapté et popularisé le concept du "taux d'imposition optimal" dans le contexte américain, en particulier en ce qui concerne la réduction des impôts pour stimuler la croissance économique.
La courbe de Laffer est devenue un outil de communication important pour les partisans de la réduction des impôts, et son impact sur les politiques fiscales a été significatif. Le débat sur les taux d'imposition optimaux et la courbe de Laffer continuent d'influencer les discussions sur la fiscalité dans le monde entier.
Le concept du surplus du consommateur
Explication du concept du surplus du consommateur
Le concept du surplus du consommateur, développé par Jules Dupuit, est une idée fondamentale en économie. Il vise à mesurer le bénéfice que les consommateurs retirent de l'acquisition et de la consommation de biens ou de services. Le surplus du consommateur est la différence entre ce qu'un consommateur est prêt à payer pour un bien ou un service et ce qu'il doit effectivement payer pour l'acquérir.
Plus précisément, le surplus du consommateur se compose de deux parties :
- 1. Le surplus de l'acheteur : Il s'agit de la différence entre le montant maximum qu'un consommateur est prêt à payer pour un bien ou un service (sa valeur subjective) et le prix qu'il paie réellement. Ce surplus mesure la satisfaction supplémentaire que le consommateur obtient de l'achat par rapport à ce qu'il était prêt à payer.
- 2. Le surplus du vendeur : C'est la différence entre le prix auquel le vendeur est prêt à vendre le bien ou le service et le prix qu'il obtient réellement. Ce surplus mesure la marge bénéficiaire du vendeur.
Le surplus du consommateur est essentiel pour comprendre comment les consommateurs évaluent l'utilité des biens et services, comment les marchés fonctionnent et comment la tarification peut influencer le bien-être des consommateurs. Il joue un rôle central dans la théorie de la consommation et des marchés, en montrant comment les échanges entre vendeurs et acheteurs peuvent générer un bénéfice net pour la société dans son ensemble.
Application de ce concept aux choix d'investissement en ingénierie
Jules Dupuit, en tant qu'ingénieur, a appliqué le concept du surplus du consommateur à des décisions d'investissement en ingénierie. Lorsqu'il devait choisir parmi les demandes de nouveaux projets d'infrastructure, tels que la construction de ponts ou de routes, il a utilisé le concept du surplus du consommateur pour évaluer l'utilité de ces projets pour la société.
Par exemple, si un péage était envisagé pour financer l'exploitation d'un pont, Dupuit a examiné combien les individus étaient prêts à payer pour traverser ce pont, en fonction de leur utilité personnelle. Si le montant maximal que les individus étaient prêts à payer dépassait le coût de construction et d'exploitation du pont, cela signifiait que le projet était socialement rentable. Le surplus du consommateur, dans ce contexte, représentait la différence entre ce que les individus étaient prêts à payer pour le pont et le coût réel du péage.
Dupuit a ainsi contribué à éclairer les choix d'investissement en ingénierie en fournissant une méthodologie pour évaluer l'efficacité et la pertinence de ces projets du point de vue de la société dans son ensemble.
Importance et impact de ce concept en économie
Le concept du surplus du consommateur est d'une importance cruciale en économie. Il aide à expliquer comment les individus prennent des décisions de consommation et comment les marchés fonctionnent pour répartir les ressources. L'analyse du surplus du consommateur est utilisée pour déterminer l'efficacité d'un marché, la tarification optimale des biens et services, et l'impact des politiques publiques sur le bien-être des consommateurs.
En outre, le concept du surplus du consommateur est lié à la notion d'efficacité de Pareto, qui se réfère à une situation où il n'est pas possible d'améliorer la situation d'une personne sans détériorer celle d'une autre. Il est également lié à la notion d'optimum de Pareto, qui vise à maximiser le bien-être de la société en tenant compte du surplus des consommateurs et des producteurs.
Le concept du surplus du consommateur, introduit par Jules Dupuit, a eu un impact majeur sur la manière dont l'économie est analysée et enseignée. Il est utilisé dans de nombreux domaines de l'économie, de la microéconomie à la macroéconomie, et demeure un outil essentiel pour comprendre les mécanismes de marché et les décisions de consommation.
Jules Dupuit et la Théorie de la Banque Libre
Jules Dupuit est célèbre non seulement pour ses contributions dans les domaines de l'ingénierie et de la théorie de l'utilité, mais aussi pour ses opinions sur la banque et le crédit, en particulier dans le contexte de la banque libre. Ses idées sur ce sujet suscitent l'intérêt des économistes et des historiens car elles offrent un aperçu de sa perspective unique sur le système monétaire et le rôle du crédit dans la stabilité économique. Au milieu du XIXe siècle, Dupuit partagea ses réflexions sur ces questions avec la Société d'économie politique (SEP), une société d'économistes qui suivaient les enseignements de Jean-Baptiste Say.
En novembre 1863, Jules Dupuit s'est adressé à la SEP et a exprimé ses opinions sur la banque et le crédit. Il a fait une déclaration notable, affirmant que "le crédit, aussi élevé soit-il, ne crée pas la moindre quantité de capital". Il a également critiqué certains économistes qui tenaient le point de vue contraire, suggérant qu'ils contribuaient à une incompréhension des principes économiques.
Les Vues de Jules Dupuit sur les banques libres
Jules Dupuit avait une perspective particulière sur la relation entre le crédit et le capital dans le contexte des banques libres. Contrairement à certains économistes de son époque, Dupuit soutenait que le crédit, même s'il était étendu de manière laxiste, ne contribuait pas à la création de capital supplémentaire. Pour Dupuit, il était essentiel de comprendre que le crédit ne générait pas de véritable croissance économique. Il s'opposait ainsi à l'idée que l'expansion du crédit pouvait stimuler l'activité économique et favoriser la formation de capital.
Pour Dupuit, le crédit était un moyen de faciliter les transactions et de permettre aux agents économiques d'ajuster leurs flux monétaires. Cependant, il ne considérait pas que le crédit pouvait être une source d'enrichissement net pour l'économie. Cette perspective mettait en avant la notion que l'augmentation du crédit ne créait pas de richesse réelle, mais simplement modifiait la répartition de la richesse existante. En d'autres termes, il ne croyait pas que le crédit contribuait à l'accumulation de capital physique ou financier. Il soutenait que le capital provenait de l'épargne, et la fourniture de crédit n'était qu'une avance de capital sur le marché des fonds prêtables.
Dupuit avait également des opinions bien définies sur le mécanisme d'émission des billets de banque dans un système de banques libres. Il mettait en garde contre l'émission excessive de billets de banque, craignant que cela ne conduise à l'inflation et à l'instabilité financière. Pour lui, il était essentiel de maintenir la discipline financière et de s'assurer que les émissions de billets étaient proportionnelles aux réserves métalliques disponibles. Il avait des critiques sévères envers John Law, un financier célèbre du XVIIIe siècle, qui affirmait pouvoir créer de la richesse par des combinaisons financières reposant sur l'émission de billets de banque. Jules Dupuit considérait ce genre de financiers comme des escrocs.
Il ne souscrivait pas à l'idée de la création monétaire basée sur la simple confiance et l'extension illimitée du crédit. Au lieu de cela, il insistait sur la nécessité de garantir la stabilité monétaire en s'assurant que les billets de banque émis étaient adossés à des réserves métalliques adéquates. Cette approche reflétait sa préférence pour une approche plus prudente de la création monétaire et sa méfiance à l'égard de l'inflation résultant de l'expansion incontrôlée de la masse monétaire. Il mettait l'accent sur les conséquences de l'augmentation de la monnaie de crédit sur le pouvoir d'achat, notant que cela pouvait provoquer de l'inflation sans augmenter la richesse nationale conformément à la théorie quantitative de la monnaie.
En ce qui concerne le rôle des banques dans les crises économiques, Dupuit avait une perspective qui divergeait de celle de certains de ses pairs. Contrairement à ceux qui pensaient que les banques étaient largement responsables des crises financières, Dupuit soutenait que les crises économiques étaient principalement causées par des facteurs réels, tels que des perturbations dans la production, la demande ou l'offre.
Il était donc d'avis que la régulation bancaire excessive visant à limiter les activités des banques ne résoudrait pas fondamentalement les problèmes économiques. Au lieu de cela, il plaidait en faveur d'une compréhension plus approfondie des véritables causes des crises, ce qui poussait à examiner les aspects économiques plutôt que purement monétaires.
En somme, les vues de Jules Dupuit sur les banques libres se caractérisaient par sa méfiance à l'égard du crédit en tant que générateur de capital, sa préférence pour un mécanisme d'émission de billets de banque prudent, et sa conviction que les crises économiques étaient davantage liées à des perturbations réelles qu'à des déséquilibres monétaires. Cette approche spécifique de Dupuit contribuait à la diversité des opinions parmi les économistes favorables aux banques libres au XIXe siècle.
La relative défiance de Jules Dupuit envers l'économie de marché
Jules Dupuit mettait en avant l'importance de la confiance dans le système monétaire. Il estimait que plus la confiance était élevée, moins les agents économiques exigeaient de monnaie métallique. Toutefois, il préconisait la création d'une institution publique qui émettrait des billets de banque échangeables contre des espèces sur demande pour maintenir la confiance dans le système. Cette institution publique émettrait des billets de banque totalement adossés à des dépôts métalliques. Elle coexisterait avec les banques commerciales et offrirait une alternative aux individus à la recherche de moyens de paiement parfaitement sécurisés.
L'idée de Dupuit était de permettre aux individus de choisir cette "option publique" en cas de manque de confiance dans les billets émis par les banques commerciales, qui utilisaient le système de réserve fractionnaire. L'institution publique émettrait des billets entièrement adossés à des réserves métalliques, offrant ainsi une alternative plus sûre.
Cette proposition de Dupuit était basée sur sa reconnaissance que la confiance dans les billets de banque n'était pas automatique et qu'elle pouvait fluctuer. Il voyait cette "option publique" comme un moyen de garantir la stabilité de la valeur des billets de banque et d'exercer une pression concurrentielle sur les banques commerciales pour qu'elles émettent des billets de meilleure qualité. Dupuit n'a jamais considéré les billets de banque comme de la "fausse monnaie," mais plutôt comme des substituts pratiques à l'argent métallique.
Cette position faiblement libérale de Jules Dupuit reflète sa vision plus pragmatique de l'intervention gouvernementale dans les affaires économiques, conséquente à da formation d'ingénieur de travaux publics et à son expérience de fonctionnaire public. Pour Dupuit, l'intérêt général prime sur les intérêts privés, et l'État doit intervenir pour corriger les défaillances du marché, y compris dans le secteur bancaire.
Comparaison entre les approches de Coquelin et de Dupuit
La comparaison des approches de Charles Coquelin et de Jules Dupuit concernant les banques libres se concentre principalement sur trois aspects clés : la relation entre le crédit et le capital, le mécanisme d'émission des billets de banque, et le rôle des banques dans les crises économiques.
1. Relation entre le crédit et le capital : Coquelin croyait en une étroite relation entre le crédit et le capital. Il considérait que le crédit permettait aux producteurs d'améliorer leurs capacités productives et contribuait ainsi au développement de l'économie. En revanche, Dupuit rejetait l'idée que le crédit puisse créer du capital supplémentaire, soulignant que le crédit modifiait simplement la répartition de la richesse existante sans générer de véritable croissance économique.
2. Mécanisme d'émission des billets de banque : Coquelin était en faveur d'un mécanisme d'émission des billets de banque moins restrictif. Il ne voyait pas la nécessité de limiter strictement l'émission de billets en fonction des réserves métalliques. En revanche, Dupuit mettait l'accent sur la nécessité de maintenir des émissions de billets proportionnelles aux réserves métalliques disponibles, craignant l'inflation résultant de l'expansion incontrôlée de la masse monétaire.
3. Rôle des banques dans les crises économiques : Coquelin attribuait une part significative de la responsabilité des crises économiques aux banques privilégiées, qui avaient le droit exclusif d'émettre des billets de banque. Il considérait que ces privilèges accordés aux banques favorisaient l'émergence et la récurrence des crises économiques. À l'inverse, Dupuit croyait que les crises étaient principalement causées par des facteurs réels, tels que des perturbations dans la production et la demande, minimisant ainsi le rôle des banques dans la genèse des crises.
Il est important de souligner que les divergences d'opinions entre Coquelin et Dupuit sur les questions de banques libres sont préalables à un débat ultérieur qui a eu lieu en 1866 avec Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, Gustave du Puynode, Théodore Mannequin, Henri Cernuschi, Victor Modeste et Edouard Horn. Ce débat portait sur des questions similaires, mais les positions de Coquelin et Dupuit étaient déjà clairement établies lors des réunions de la Société d'économie politique en novembre 1863. Cette préexistence de points de vue divergents souligne la diversité des opinions parmi les économistes favorables aux banques libres en France au XIXe siècle.
L'examen des positions de Dupuit par rapport à celles de Coquelin confirme le caractère dissident de Dupuit au sein de la Société d'économie politique. Dupuit n'hésitait pas à défendre des points de vue minoritaires, en particulier sur des questions aussi cruciales que les banques libres. Cette dissidence par rapport à l'opinion dominante de l'époque souligne l'indépendance d'esprit et la rigueur analytique qui caractérisaient le travail de Dupuit. Ses contributions uniques à la pensée économique, même lorsqu'il s'agissait de sujets en dehors de son domaine d'expertise en ingénierie, continuent d'être une source d'inspiration et de réflexion pour les économistes d'aujourd'hui.
Informations complémentaires
Publications
- 1837, "Essais et expériences sur le tirage des voitures et sur le frottement de seconde espèce"
- 1842, "Considérations sur le frais d'entretien des routes"
- 1844, "De la mesure de l’utilité des travaux publics"
- 1849, "De l'influence des péages sur l'utilité des voies de communication"
- 1851, "De l’impôt payé aux maîtres de poste par les entrepreneurs de voitures publiques"
- 1853,
- a. "De l'utilité et de sa mesure: de l’utilité publique"
- Nouvelle édition en 1933, "De l'utilité et de sa mesure", Turin: La riforma soziale
- b. "Du monopole des chemins de fer"
- a. "De l'utilité et de sa mesure: de l’utilité publique"
- 1854,
- a. "Traité théorique et pratique de la conduite et de la distribution des eaux"
- b. "Péage", In: Charles Coquelin, Gilbert Guillaumin, dir., "Dictionnaire de l’économie politique", pp339-344
- c. "Routes et Chemins", In: Charles Coquelin, Gilbert Guillaumin, dir., "Dictionnaire de l’économie politique", pp555-560
- 1861;
- a. "La Liberté Commerciale: son principe et ses conséquences", Paris: Guillaumin
- b. "Du principe de propriété – Le juste et L’utile”, Journal des économistes
- 1863, "Études théoriques et pratiques sur le mouvement des eaux dans les canaux découverts et à travers les terrains perméables : avec des considérations relatives au régime des grandes eaux, au débouché à leur donner, et à la marche des alluvions dans les rivières à fond mobile". Dunod
- 1865, "Des causes qui influent sur la longueur de la vie moyenne des populations", Journal des Économistes
- 1870, "Traité de l'équilibre des voûtes et de la construction des ponts en maçonnerie", Paris: Dunod
Littérature secondaire
- 1934, Friedrich Hayek, commentaire du livre de Jules Dupuit, "De l'utilité et de sa mesure", The economist Montly book supplement, 9 juin 1934, p47
- 1946, René Roy, "L'ingénieur et le savant", In: "Jules Dupuit et son œuvre économique", Paris, École nationale des ponts et chaussées, pp3-18
- 1968, Robert Ekelund, "Jules Dupuit and the Early Theory of Marginal Cost Pricing", Journal of Political Economy, vol 76
- 1972, Robert Ekelund, "Professor Stigler on Dupuit and the Development of Utility Theory: Comment", Journal of Political Economy, Sept.-Oct, Vol 80, n°5, pp1056-1059
- 1986, Robert Ekelund, Yeung-Nan Shieh, "Dupuit, Spatial Economics and Optimal Resource Allocation: A French Tradition", Economica, vol 53, n°212, Novembre, pp483-496
- 1989, Robert Ekelund, Yeung-Nan Shieh, “Full Price Competition and Dupuit’s Defense of the Long-and-Short Haul ‘Discrimination’", Journal of regulatory economics, December, Vol 1, n°4, pp359-371
- 1990, Robert Ekelund, Robert F. Hébert, "Alternative Visions of the Entrepreneur: Cantillon, Say, Dupuit”, In: D. Mogridge, dir., "Perspective on the history of economic thought", vol 3, Edward Elgar, Aldershot, pp117-123
- 1991,
- Robert Ekelund, Mark Thornton, "Geometric analogies and market demand estimation: Dupuit and the french contribution", History of Political Economy, Durham, Vol 23, n°3, pp397-418
- Robert Ekelund, Robert F. Hébert, "Dupuit's Characteristics-Based Theory of Consumer Behavior and Entrepreneurship", Kyklos, Vol 44, n°1, pp19-34
- 1992, Mark Blaug, dir., "Johann von Thünen (1783-1850), Augustin Cournot (1801-1877), Jules Dupuit (1804-1866)", Aldershot: E. Elgar
- 1999,
- Robert Ekelund, Robert F. Hébert, "The Dupuit-Marshall Theory of Competitive Equilibrium", Economica, London School of Economics and Political Science, vol. 66(262), pages 225-40, May
- Robert Ekelund, Robert F. Hébert, "Secret Origins of Modern Microeconomics: Dupuit and the Engineers", Chicago! University of Chicago Press, ISBN 0-2261-9999-1
- 2000, Robert Ekelund, "The Economist Dupuit on Theory, Institutions, and Policy: First of the Moderns?", History of Political Economy, vol 32, n° 1, pp1-38
- 2002,
- Jean-Pascal Simonin, François Vatin, dir., "L'œuvre multiple de Jules Dupuit (1804-1866). Calcul d’ingénieur, analyse économique et pensée sociale", Angers: Presses universitaires d'Angers
- François Vatin, "La morale utilitaire de Jules Dupuit", In: Jean-Pascal Simonin, François Vatin, dir., "L'œuvre multiple de Jules Dupuit (1804-1866). Calcul d’ingénieur, analyse économique et pensée sociale", Angers: Presses universitaires d'Angers, pp91–116
- 2003, Robert Ekelund, "Ethics, Engineering, and Natural Monopoly: The “Modern Debate” between Leon Walras and Jules Dupuit", History of Political Economy, Vol 35, n° 4, pp655-678
- 2009,
- Yves Breton, Gérard Klotz, dir., "Jules Dupuit: Œuvres économiques complètes", Paris: Economica
- Konstantinos Chatzis, "Jules Dupuit, ingénieur des Ponts et Chaussées", In: Yves Breton, Gérard Klotz, dir., "Jules Dupuit: Œuvres économiques complètes", Volume 1. Paris: Economica, pp615–692
- Jean-Pascal Simonin, "L'analyse des « chertés alimentaires » par Jules Dupuit (1859) et la théorie de la hiérarchie des besoins de René Roy (1943)", Revue économique, vol 60, n°6, pp1455-1467
- 2011, Philippe Poinsot, "Jules Dupuit économiste: de l’oubli à l’édition complète de ses Œuvres", Cahiers d’économie politique, Vol 60, n°1, pp205–215
- 2012, Guy Numa, "Dupuit and Walras on the Natural Monopoly in Transport Industries: What They Really Wrote and Meant", History of Political Economy, Vol 44, n°1, pp69–95
- 2017, Guy Numa, "Charles Coquelin and Jules Dupuit on banking and credit", Journal of the History of Economic Thought, Vol 39, n°2, pp239-256