Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !


John Rae

De Wikiberal
Aller à la navigation Aller à la recherche

John Rae (1796-1872) était un écossais qui a émigré au Canada en 1822, où il a trouvé un emploi comme maître d'école. Il avait obtenu auparavant un diplôme à l'Université d'Aberdeen et il avait étudié la médecine pendant plusieurs années à l'Université d'Édimbourg. Cela ne faisait pas de lui un surdiplômé, cependant, il fit une avancée authentiquement originale dans la théorisation économique lorsqu'il a fait publier, en 1834, à Boston, son livre, : "Quelques nouveaux principes sur le sujet de l'économie politique, exposant les erreurs du système de libre-échange et de quelques autres doctrines maintenues dans "La richesse des nations". De son point de vue, le législateur a un rôle positif à jouer dans l'élaboration de politiques visant à promouvoir l'accumulation de capital et à fournir un climat favorable au progrès économique. Bien que cet éclairage semble être interventionniste au premier abord, sa réflexion est conforme à l'esprit de l'économie classique dans la tradition d'Adam Smith.

Le précurseur de la prise en compte de la préférence pour le temps dans la théorie économique

John Rae accède à une position distinctive et innovante au-delà de tous les économistes de son époque grâce à son explication du processus d'accumulation du capital. Jusqu'alors, l'idée dominante chez les économistes classiques soutenait que l'accumulation était principalement une fonction de l'épargne provenant des profits de la classe capitaliste. John Rae soutient avec brio que la force ou la faiblesse du principe d'accumulation implique des choix intertemporels dans lesquels les décisions de sacrifier des biens actuels pour des biens futurs sont fortement conditionnées par les conditions sociales et culturelles.

Il y a trois leçons à retirer de son approche. Premièrement, une société dans laquelle le principe d'accumulation est fort crée plus d'investissements dans le capital de production. Le pays croît donc plus vite qu'une société dans laquelle le principe d'accumulation est faible. La deuxième leçon fait encore plus, de John Rae, un proto-autrichien. Ce n'est pas uniquement la classe des riches capitalistes qui permet la croissance du pays, dit-il, mais tous ses habitants. John Rae apporte les prémisses d'une loi d'inter-temporalité des choix de l'école autrichienne d'économie (Eugen von Böhm-Bawerk[1] puis Ludwig von Mises), qui est universelle, quelle que soit la richesse des individus et quelles que soit leur situation géographique. Par conséquent, un société ou une communauté élargie qui promeut l'accumulation du capital en s'appuyant sur une culture économique d'inter-temporalité des choix s'assure à terme d'un potentiel de croissance supérieur[2]. Troisièmement, John Rae explique que ce n'est pas tant l'accumulation du capital qui est importante mais ce qu'en font les entrepreneurs inventeurs. Pour lui, c'est l'invention, servie par l'accumulation du capital, qui est la force motrice du développement.

Impressionné par le compte rendu effectué par John Rae, l'économiste Nassau Senior, autre proto-autrichien, en fit part auprès de John Stuart Mill, leader à son époque des économistes classiques, lequel commença une correspondance avec John Rae. Il l'intégra dans ses réflexions, le nota dans son ouvrage de référence "Les principes d'économie" et le suivit intellectuellement de loin par courrier lorsque celui-ci fit d'autres observations en dehors de l'économie, notamment sur ses découvertes de la langue polynésienne pratiquée à Hawaï.

John Rae fut néanmoins méconnu de ses contemporains. Il a fallu attendre 1905 pour que Charles Mixter fasse réimprimer son livre avec un nouveau titre "La théorie sociologique du capital) avec des arrangements éditoriaux critiquables. Un étudiant allemand en 1937[3] a choisi de baser sa thèse sur ses travaux, ce qui semble la seule recherche doctorale connue à ce jour. Malgré les reconnaissances formulées par Nassau Senior, John Stuart Mill, Irving Fisher, Eugen von Böhm-Bawerk et Joseph Schumpeter, le travail de John Rae a été ignoré par la plupart des économistes et par de nombreux historiens de la pensée économique.

La place de l'invention dans le développement social et sa dissidence associée avec Adam Smith

John Rae accorde à l'invention une place de première importance dans le développement social. L'invention peut seule être dite créatrice, écrit-il et, en tant que telle, elle est un élément essentiel dans le processus d'accroissement de la richesse nationale. Il présente sa dissidence avec Adam Smith sur la question de la division du travail qui avait noté la poussée de l'invention comme l'une des conséquences de la division du travail. John Rae soutient que cette présentation inverse le véritable ordre des événements. La connaissance et les découvertes consistent dans la multiplication des instruments. Et, la variété des outils signifie la diversité des métiers. Ainsi la division du travail procède et dépend des progrès antérieurs de l'invention. En effet, l'auteur ajoute que la division du travail a plutôt tendance à émousser et à gêner les facultés des hommes et à décourager ainsi de nouvelles inventions. Ici, il réajuste l'accent smithien de la place de la dextérité dans la théorie de la division du travail. Car la dextérité, précise-t-il n'a d'importance qu'au début de l'art. Avec le progrès, la main fait moins et l'instrument fait plus. Par conséquent, la division du travail n'est pas pour John Rae une cause mais le résultat du progrès ; elle n'est que la conséquence manifeste de cette faculté inventive collective qui élève la société à un niveau supérieur. En niant, l'approche créative et individuelle de l'invention, John Rae se met en porte à faux avec la modernité de la théorie économique, ce qui explique en partie son absence partielle des débats contemporains. Mais ses erreurs ne reposent pas uniquement dans cette méthodologie holiste et non individualiste.

Malheureusement, la faille intellectuelle de John Rae est gigantesque lorsqu'il croit que l'échange est un jeu à somme nulle. Il prétend que lorsque deux personnes échangent, la richesse de l'un s'agrandit au détriment de l'autre. Aussi, selon son point de vue erroné, l'accumulation privée repose en grande partie sur la simple acquisition. Cela suppose qu'il n'y a pas d'identité naturelle entre les intérêts nationaux et individuels. Il pose la question : "L'esprit de négociation acharnée ajoute-t-il quelque chose à la richesse publique ?". De cette manière, il refuse catégoriquement que l'intérêt personnel soit guidé par une main invisible. À tort, il est ainsi conduit à une réfutation de la doctrine du laissez-faire. Dans son plaidoyer, il invite à une ingérence du gouvernement car il avance que c'est la fonction du législateur d'augmenter involontairement et indirectement la richesse nationale. Cette présomption de John Rae d'accroître l'opulence nationale par l'État ne le gêne pas car il estime que les interférences provoquées par les actions de l'État ne perturbent pas le cours naturel des événements et que cela n'est pas préjudiciable pour la société en partie ou en totalité. Ainsi le législateur est appelé à agir, mais à agir avec prudence. Finalement, John Rae fait sortir de son berceau d'économiste l'argument de l'industrie naissante qui sera formalisée par John Stuart Mill après d'autres ébauches d'Alexander Hamilton et de Friedrich List.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. C. W. Mixter, 1897, "A Forerunner of Böhm-Bawerk", The Quarterly Journal of Economics, Vol 11, n°2, pp161-190
  2. Il observa les conditions économiques et culturelles dans le Nouveau Monde et expliqua la pauvreté apparente des tribus indiennes d'Amérique du Nord, de certaines régions asiatiques ou africaines en raison de la faiblesse culturelle du principe d'accumulation du capital. En contraste, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l'Europe occidentale, plus généralement, présentaient des marques culturelles élevées propices à l'accumulation du capital et donc à la prospérité.
  3. Helmut Lehmann, 1937, "John Raes Werk, seine philosophischen methodologischen Grundlagen", ("L'œuvre de John Rae, ses fondements méthodologiques et philosophiques"), Dresde

Publications

  • 1834, "Statement of Some New Principles on the Subject of Political Economy, Exposing the fallacies of the system of free trade, and of some other doctrines maintained in the "Wealth of Nations"
    • Nouvelle édition en 1905 sous le titre, "The Sociological Theory of Capital"
    • Nouvelle édition en 1964, New York: Augustus M. Kelley

Littérature secondaire

  • 1902,
    • Charles W. Mixter, "Letters of Rae (1796-1872) to Mill on the Malthusian Doctrine of Population", The Economic Journal, Vol 12, n°45, pp111–120
    • Charles W. Mixter, "Bohm-Bawerk on Rae", The Quarterly Journal of Economics, Vol 16, n°3, May, pp385-412
  • 1951, R. Warren James, "The Life and Work of John Rae", The Canadian Journal of Economics and Political Science / Revue canadienne d'Economique et de Science politique, Vol 17, n°2, May, pp141-163
  • 1959, Joseph Spengler, "John Rae on Economic Development: A Note", The Quarterly Journal of Economics, Vol 73, n°3, Aug., pp393-406
  • 1966, A. J. Youngson, commentaire du livre de John Rae, "Life of Adam Smith" et celui de Jacob Viner, "Guide to John Rae's Life of Adam Smith", The Economic Journal, Vol 76, n°303, Sep., pp606-609
  • 1972, Robert H. Deans, Janet S. Deans, "John Rae and the problems of economic development", Review of Social Economy, Vol 30, n°1, March, pp97-111
  • 1999, Jacques Laurent Ravix, "Knowledge as a Connecting Principle: John Rae and the Austrian School", In: S. Dow et P. Earl, dir., "Economic Organization and Economic Knowledge : Essays in Honor of Brian J. Loasby", Cheltenham: Edward Elgar
  • 2001,
    • Syed Ahmad, "The Flow and Ebb in Mixter's Treatment of Rae: A Note", History of Political Economy, Vol 33, n°3, Fall, pp627-639
    • Roger Backhouse, commentaire du livre dirigé par Omar Hamouda, C. Lee, D. Mair, "Economics of John Rae", History of Political Economy, Vol 33, n°1, Spring, pp175-177