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Dissonance cognitive

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Développée par Léon Festinger en 1957, la théorie de la dissonance cognitive ou du biais cognitif fournit un cadre pour analyser l'inconfort psychologique ressenti par un individu lorsqu'il a déjà fait un choix et s'aperçoit plus tard qu'il a abandonné des alternatives préférables. La dissonance est un inconfort psychologique qui se crée lorsque le résultat des choix des individus n'est pas cohérent avec leurs croyances existantes avant ce choix. Cependant, elle ne se produit qu'une fois les décisions prises. Donc tout choix est potentiellement susceptible de créer une dissonance. Quelques économistes ont trouvé la théorie psychologique de la dissonance cognitive utile, particulièrement George Akerlof qui en a fait une spécialité pour désavouer l'économie de marché. Cependant, les économistes de l'école des choix publics, particulièrement Jeff R. Clark, claquent la porte à de telles affirmations en préconisant une vision alternative où la dissonance cognitive est intégrée par les acteurs du secteur public qui s'en servent comme outil d'influence, d'échange et de recherche de rente.

Rappel du principe de la dissonance cognitive

Jeff R. Clark explique que la dissonance qui résulte de la prise de décision peut être réduite de quatre manières différentes :

(1) en révoquant sa décision,
(2) en augmentant l'attractivité de l'alternative choisie,
(3) en diminuant l'attractivité de l'alternative non choisie,
et/ou (4) en établissant plus de similarité entre les alternatives.

De nouvelles informations auxquelles un individu est exposé, intentionnellement ou non, peuvent entrer en conflit avec ses opinions ou attitudes, et ainsi provoquer un inconfort psychologique. Des personnes peuvent être involontairement exposées à des informations, accidentellement ou par la force, par le biais des messages des différents médias, comme par exemple lorsqu'un fumeur lit pour la première fois les avertissements sur un paquet de cigarettes. L'exposition à l'information peut changer le comportement de l'individu soit en réduisant la portée cognitive de ce qu'il perçoit (il ferme les yeux de façon symbolique), soit il l'évite intentionnellement, soit il change d'opinion après y avoir été exposé.

Leon Festinger affirme que la dissonance est également créée dans la plupart des contextes sociaux. Plus précisément, le désaccord avec d'autres individus ou groupes d'individus (c'est-à-dire le manque de soutien social) a tendance à créer une dissonance chez l'individu minoritaire. La dissonance causée par le manque de soutien social peut être réduite soit par un acte de conformisme en changeant d'opinion pour être d'accord[1] avec la majorité (les personnes en désaccord), soit par un acte militant en persuadant les parties en désaccord de changer d'opinion ou soit par fatuité en dénigrant les personnes en désaccord.

La dissonance est directement liée à la crédibilité[2] de son adversaire. Si une personne qui exprime son désaccord est considérée comme experte dans son domaine ou très bien informée sur le sujet, la dissonance entre la connaissance de son opinion contraire et les déclarations des acteurs publics, par exemple, seront très fortes. En général, les pouvoirs publics suscitent l'approbation de telles autorités dans un domaine particulier et tentent d'atténuer la dissonance parmi leurs propres partisans tout en essayant, à l'inverse et en même temps, de décrédibiliser leurs opposants en accroissant leur dissonance. Ils laissent alors filtrer dans les médias des informations prétendument involontaires sur des faits divers tiers, inappropriés, passés et souvent inexacts concernant l'endosseur de l'opinion discordante même si celui-ci possède l'expertise sur la question. L'objectif des penseurs attaquants (souvent en mode agressif) est d'accroître la dissonance parmi la population opposante.

Prétendre à la défaillance du marché avec l'outil de la dissonance cognitive

George Akerlof et William Dickens, dans un article de 1983 publié dans l'American Economic Review, appliquent la théorie de la dissonance cognitive à un modèle intégrant des ouvriers dans une industrie potentiellement reconnue pour son insécurité sur la santé des salariés. Ils ont fait valoir que les travailleurs accepteraient d'abord des emplois dangereux car ils seraient attirés par des salaires relativement plus élevés. Mais, plus tard, en raison de cette dissonance cognitive, ils estimeraient que leur travail ne serait pas dangereux et qu'ils n'achèteraient pas l'équipement de sécurité disponible dans le commerce. Les deux auteurs de l'article concluent que la législation sur la sécurité est donc nécessaire pour restaurer l'optimalité de Pareto, au sens économique du terme, puisque les travailleurs ont une évaluation incorrecte du taux marginal de substitution entre le coût de l'équipement de sécurité et le revenu monétaire. Autrement dit, ils seraient incapables de prendre une décision par eux-mêmes, un décideur externe rationnel serait nécessaire afin qu'ils prennent la bonne décision. L'identification de la dissonance cognitive en tant que source de défaillance potentielle du marché est très rapidement suggérée, pas seulement par les économistes mais l'ensemble de la population, dont l'idée est relayée par des leaders d'opinion trop pressés pour prendre du recul sur la question.

La suggestion de faire agir le secteur public pour modifier les résultats comportementaux peut sembler anodine et évidente pour un grand nombre de personnes. Cependant, Jeff R. Clark (1996) et d'autres économistes plus consciencieux sur les problèmes économiques ne sont pas de cet avis là. Car faire appel au secteur public n'est pas neutre puisque les individus qui le composent sont eux-mêmes sujets à des dissonances cognitives, tout comme les salariés de l'industrie dite dangereuse. Par conséquent, les dossiers concernant la sécurité, le social, le pénal ou tout autre type de législation doivent être scrutés à la loupe. Cette analyse doit permettre de vérifier si les acteurs publics, aussi dévoués et intelligents soient-ils, ne sont pas également susceptibles de tomber dans le même travers. Pour Jeff R. Clark, il est clair que le processus législatif induit une dissonance cognitive par le jeu des intérêts personnels de ses agents. Le secteur public devient alors un substitut du marché où la dissonance est échangée comme n'importe quel autre produit.

Le triangle de fer du secteur public échange la dissonance cognitive sur un marché substitut

Il y a un élément où un grand nombre d'économistes sont d'accord. Les choix résultent d'une prise de décision dans l'incertitude. De plus, les coûts psychologiques du choix ne sont pas facilement quantifiables individuellement car ils changent avec les interprétations humaines une fois que le choix est fait. Ils sont également fortement influencés par l'exposition à l'information, à la pression des pairs et au soutien social.

Jeff R. Clark présente le secteur public comme un triangle de fer composé de trois sommets : les législateurs, les bureaucrates et les groupes d'intérêts particuliers[3]. Tous ces acteurs sont dotés d'attributs psychologiques favorables à la dissonance cognitive laquelle devient un outil précieux pour la recherche de rente. Ils orchestrent les informations qui soutiennent leurs objectifs et leurs programmes afin d'influencer les préférences du public. Leur succès à faire passer des lois ou des décrets dépend, en grande partie, de l'efficacité avec laquelle la dissonance cognitive est manipulée. Par conséquent, les défenseurs auto-proclamés de l'intérêt public ciblent spécialement les groupes d'intérêts dont la mission est d'influencer les votes des électeurs ou du comportement de la masse ; les fonctionnaires pivots prioritaires et tous les bureaucrates[4] assermentés qui sont censés augmenter leur pouvoir, leur influence et leur base de ressources de rente.

Lorsque les trois acteurs du triangle de fer abordent un problème sociétal, ils s'engagent activement à la fois à réprimer la dissonance concernant les choix qu'ils soutiennent et à fomenter la dissonance concernant les choix de leurs opposants. Par exemple, les groupes qui soutiennent un projet de loi spécifique s'unissent pour souligner les dommages causés à la société par l'absence d'une telle réglementation dans le passé et le potentiel de dommages futurs en l'absence du projet de loi qu'ils soutiennent. Ils échangent la peur de l'inconnu en accroissant la dissonance ou l'anxiété des électeurs à propos de choix politiques antérieurs. Dans le même temps, ils proposent une action du secteur public comme solution au problème et rassurent ainsi les électeurs sur les coûts et les avantages de leur projet de loi. Ils apaisent également la dissonance des électeurs concernant les échecs antérieurs de l'État en critiquant les agences gouvernementales déviantes. De cette façon, la coalition[5] des acteurs des politiques publiques gère la dissonance comme d'une marchandise qui s'échange sur ce marché substitut, par exemple, recevoir des voix pour une élection, obtenir un conformisme suite à une décision de santé publique etc. contre une tranquillité des citoyens de faire un bon choix pour eux-mêmes et leurs ayants-droits.

Notes et références

  1. Une façon d'augmenter le nombre d'accords sur une question donnée est d'utiliser la technique du logrolling. Selon l'analyse de l'école des choix publics, l'approche du logrolling est simple. Dans une communauté, l'option d'un groupe en accord est de voter pour un projet qui n'est pas forcément l'objectif du groupe. Mais la promesse de réciprocité crée un lien contractuel moral consistant à promettre d'obtenir l'accord de cet autre groupe en échange du soutien sur son propre projet. Ainsi, les deux projets ont l'opportunité d'être acceptés alors que chacun, pris individuellement, a plus de difficultés à faire l'unanimité. En définitive, le système du logrolling institutionnalisé garantit que les bénéficiaires de prestations pour un projet particulier ne s'opposent pas à d'autres bénéficiaires sur un autre projet, s'il y a entente implicite préalable.
  2. Leon Festinger ajoute une autre variable qui affecte l'ampleur de la dissonance cognitive, celle de l'attractivité de la personne exprimant le désaccord au sein du groupe. Il est plausible que la dissonance est affectée si sa propre opinion est en accord ou en désaccord avec l'opinion exprimée par une autre personne reconnue par son attractivité ou sa popularité. Ce cas se rencontre particulièrement quand un artiste de cinéma ou de la chanson soutient un candidat alors qu'il n'a aucune crédibilité sur les sujets qu'il aborde. Aux États-Unis, selon le concept de la sagesse conventionnelle théorisé par John Galbraith, des personnalités du cinéma et de la télévision sont devenues les porte-parole des candidats et des causes politiques et sociales.
  3. Un groupe d'intérêt spécial est composé d'individus qui occupent des positions similaires sur une question donnée. Le groupe peut identifier un enjeu, et à travers ses ressources médiatiques et politiques, fomenter la dissonance pour en faire un enjeu public majeur. Le groupe peut alors se présenter comme la solution au problème et fournir ainsi un moyen de réprimer la dissonance électorale qu'il a suscitée en premier lieu.
  4. Lorsque des groupes d'intérêts et des législateurs concentrent l'attention du public sur une question donnée, il y aura invariablement un appel à une action du secteur public d'un certain type. Par conséquent, chaque nouveau problème identifié et porté à l'attention du public par un groupe d'intérêt spécial offre la possibilité d'augmenter le personnel et le budget de certains fonctionnaires responsables de leur unité.
  5. La coalition des législateurs, des bureaucrates et des groupes d'intérêts particuliers gèrent la dissonance des politiques publiques et de certains avantages du secteur privé à leur avantage et, ce faisant, chaque acteur minimise sa propre dissonance.

Publications

  • 1964, Karl Weick, "Reduction of cognitive dissonance through task enhancement and effort expenditure", The Journal of Abnormal and Social Psychology, Vol 68, n°5
  • 1983, George A. Akerlof, W. T. Dickens, "The Economic Consequences of Cognitive Dissonance", American Economic Review, n°72, June, pp307-319
  • 1995, Gordon L. Brady, Jeff R. Clark, William Davis, "The Political Economy of Dissonance", Public Choice, Vol 82, n°1/2, January, pp37-51
  • 2000, James Ahiakpor, "Hawtrey on the Keynesian Multiplier: A Question of Cognitive Dissonance?", History of Political Economy, Vol 32, n°4, Winter, pp889-908
  • 2011, Detmar Doering, "Freedom, The Rule of Law and Market Economy. Concerning a cognitive dissonance", Occasional Paper 80, Potsdam: Liberal Institute - Friedrich-Naumann-Stiftung für die Freiheit

Voir aussi


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