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College-Business Exchange Program
Le College-Business Exchange Program, lancé en 1948 par la Foundation for Economic Education, offrait à des professeurs d’économie et de commerce la possibilité de passer l’été en entreprise. Conçu pour combler le fossé entre la théorie académique et la pratique des affaires, il permit pendant plus de vingt ans à des centaines d’enseignants d’acquérir une expérience directe du monde économique et de transmettre ensuite cette compréhension à leurs étudiants.
Contexte et origine
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde académique et le monde des affaires apparaissaient profondément séparés aux États-Unis. Les enseignants, notamment dans les disciplines de l’économie et du commerce, passaient très souvent directement de leurs études supérieures à la salle de classe, sans expérience concrète de l’entreprise. Cette situation entraînait une double conséquence : d’un côté, une méfiance des dirigeants d’entreprise face à des professeurs perçus comme trop théoriques, parfois même hostiles aux réalités de l’économie de marché ; de l’autre, une transmission aux étudiants d’une vision incomplète, voire biaisée, des mécanismes économiques réels.
Leonard Read, fondateur en 1946 de la Foundation for Economic Education (FEE), identifia rapidement ce problème comme un obstacle majeur à la diffusion d’une culture de liberté économique. Dès 1947-1948, il décida d’initier un programme qui permettrait de combler le fossé entre l’université et l’entreprise. L’idée était simple mais ambitieuse : offrir aux enseignants l’opportunité d’observer directement le fonctionnement des sociétés commerciales, afin qu’ils puissent enrichir leur enseignement d’exemples vécus et mieux transmettre aux étudiants les principes d’une économie de marché vivante.
Pour donner corps à ce projet, Read sut s’entourer de soutiens influents. L’un des plus importants fut Jasper Crane, haut cadre de la société du Pont, qui voyait dans ce rapprochement une manière de corriger certaines incompréhensions persistantes entre le monde académique et le monde économique. À ses côtés, le professeur Fred R. Fairchild de l’Université de Yale apporta une caution intellectuelle précieuse : un économiste respecté, il plaidait pour une meilleure interaction entre la théorie et la pratique. Grâce à ces deux appuis, le College-Business Exchange Program prit forme, devenant dès 1948 une initiative phare de la FEE.
Dès le début des années 1950, l’intérêt dépassa les frontières américaines. En témoigne la lettre du 10 février 1953 d’un jeune professeur luxembourgeois, Jean-Pierre Hamilius[1] (Differdange), âgé de 30 ans, qui se renseignait sur les modalités d’admission et sur l’existence éventuelle de bourses pour un enseignant européen. Cette demande illustre l’écho international du programme, à peine cinq ans après sa création.
Objectifs du programme
L’objectif central du College-Business Exchange Program était de donner aux enseignants une expérience concrète du monde des affaires, afin de dépasser le simple cadre des manuels universitaires. Comme l’expliquait William Curtiss dans un communiqué de la FEE en 1956, relayé par Charles Wolff, « beaucoup de nos enseignants sont passés directement de leurs études de premier et deuxième cycle à la salle de classe, sans jamais avoir eu l’occasion d’observer comment fonctionne réellement une entreprise »[2]. Le programme entendait donc offrir un correctif à cette lacune en permettant aux professeurs d’économie et de commerce de passer plusieurs semaines d’été dans des entreprises, au contact direct des pratiques industrielles et commerciales.
L’ambition dépassait cependant la formation individuelle. Leonard Read et ses collaborateurs avaient bien conscience de l’effet multiplicateur des enseignants. Chaque professeur, expliquait Curtiss, « peut influencer des milliers d’étudiants, dont beaucoup sont appelés à devenir des dirigeants en affaires et au gouvernement »[3]. Ainsi, en enrichissant les professeurs d’une connaissance pratique, le programme visait à améliorer la qualité de l’enseignement dans les universités, mais aussi à diffuser une compréhension plus équilibrée du fonctionnement de l’économie de marché auprès des générations futures.
Les bénéfices attendus concernaient également les entreprises elles-mêmes. Plusieurs industriels soulignèrent que la présence des professeurs avait eu des effets positifs non seulement sur la compréhension mutuelle entre les entreprises et les universités, mais aussi sur leurs propres cadres. Comme le rapportait un témoignage, « nous avons reçu des idées très utiles de la part de ces candidats, tant durant leurs séjours que dans les rapports qu’ils nous ont remis. Nous pensons que leur présence a même contribué à stimuler notre propre équipe dirigeante »[4].
Le College-Business Exchange Program se voulait un instrument à double effet : d’une part, former les enseignants à la réalité des affaires pour améliorer la transmission des savoirs ; d’autre part, ouvrir les entreprises à un échange d’idées et de perspectives, dans l’espoir de construire un climat de compréhension mutuelle durable entre le monde académique et le monde économique.
Fonctionnement et organisation
Le College-Business Exchange Program fut pensé dès le départ comme une expérience immersive pour les enseignants. Les professeurs retenus passaient en moyenne six à huit semaines durant l’été dans une entreprise, période considérée comme suffisante pour observer en profondeur le fonctionnement des services et dialoguer avec les cadres. Dans l’annonce officielle citée par The Freeman en 1956, W. M. Curtiss expliquait : « Depuis la Seconde Guerre mondiale, un nombre croissant d’entreprises ont permis à des professeurs d’économie, de commerce et de disciplines connexes de passer quelques semaines avec elles durant l’été afin de découvrir ce qui se passe réellement dans le monde des affaires. »[5].
Les activités confiées aux enseignants étaient variées : l'observation des procédés de production, l'étude de la politique des prix, l'analyse des coûts, la recherche de marché, l'organisation des incitations salariales et des retraites, la gestion des relations industrielles et financières. L’objectif n’était pas de transformer les professeurs en praticiens de l’entreprise, mais de les confronter à la réalité quotidienne du monde des affaires afin d’enrichir leur enseignement.
L’encadrement du programme fut assuré d’abord par A. D. Williams, avant que William Curtiss n’en prenne la direction en 1948. Sous sa responsabilité, le programme devint rapidement une activité centrale de la FEE. Dès 1948, le programme a été mis en place avec neuf professeurs dans six entreprises. Curtiss notait en 1956[6]. qu’au cours des quatre étés précédents, plus de cent professeurs ont consacré six semaines à une étude sur place dans une entreprise. Cette croissance rapide démontrait que la formule répondait à un besoin réel, tant du côté des enseignants que des entreprises partenaires.
Expansion et succès (1948–1970)
Depuis des débuts mieux que modestes (neuf professeurs accueillis dans six entreprises), le programme connut une croissance rapide. En quelques années, le chiffre croissant des participants illustre le succès du programme : il ne s’agissait plus d’une expérience isolée, mais d’un mouvement durable, rassemblant chaque été des cohortes entières d’enseignants avides de confronter leurs savoirs théoriques à la réalité économique.
La demande dépassa rapidement l’offre. En 1955, la FEE reçut près de 500 candidatures pour seulement 108 places disponibles. Curtiss soulignait ce déséquilibre dans son annonce officielle. L’enthousiasme des professeurs se doublait d’un retour positif du côté des entreprises participantes.
Au fil de deux décennies, le College-Business Exchange Program s’imposa comme l’une des expériences les plus originales de la FEE. Selon Mary Sennholz[7], entre 1948 et le début des années 1970, plus de 1 600 professeurs issus de 189 universités et collèges purent participer grâce au soutien de 102 entreprises partenaires.
L’influence du programme ne se limita pas à l’amélioration immédiate de l’enseignement : il inspira également des travaux de recherche majeurs. Ainsi, Edith Penrose, accueillie comme Fellow au sein de la Hercules Powder Company, tira de son expérience les premières réflexions qui aboutirent à son ouvrage fondateur The Theory of the Growth of the Firm (1959). Ce cas emblématique illustre comment le programme put nourrir la pensée économique elle-même, en reliant directement l’observation des pratiques industrielles à l’élaboration de nouvelles théories académiques[8].
Ces chiffres traduisent la consolidation du programme : d’une initiative expérimentale, il devint un réseau institutionnalisé, réunissant chaque été un grand nombre d’acteurs du monde académique et du monde économique. L’expérience n’était pas seulement individuelle ; elle produisait des effets cumulatifs. Chaque enseignant, une fois revenu dans son université, intégrait dans ses cours une compréhension plus vivante de l’entreprise. Indirectement, ce sont donc des milliers d’étudiants qui furent exposés à une vision plus nuancée et pratique de l’économie de marché.
De leur côté, les entreprises partenaires bénéficiaient d’un regard extérieur critique et parfois novateur. Loin de percevoir ces « fellows » comme une charge, plusieurs industriels affirmèrent avoir tiré profit de leur présence. Un dirigeant expliquait qu'il avait reçu des idées très précieuses de la part de ces candidats durant leurs séjours. Il pensait aussi que la présence de ces enseignants tendait à stimuler leur propre équipe dirigeante. Les rapports rédigés par les fellows pouvaient inspirer de nouvelles approches en matière d’organisation ou de relations industrielles.
Ces témoignages montrent que le programme produisait un double bénéfice : il permettait aux enseignants de transmettre une vision plus réaliste et concrète à leurs étudiants, et il offrait aux entreprises un regard neuf sur leurs pratiques. À la croisée de ces deux univers, le College-Business Exchange Program renforçait ainsi un climat de confiance et de coopération mutuelle.
La reconnaissance mutuelle et l’ouverture intellectuelle constituaient ainsi l’un des héritages les plus durables du programme. En atteignant cette dimension nationale, le College-Business Exchange Program représentait un pont rare et précieux entre deux sphères souvent cloisonnées. Son apogée illustrait la capacité de la FEE à transformer une intuition initiale en une entreprise éducative d’ampleur.
Déclin et suspension du programme (années 1970)
À partir du milieu des années 1960, le College-Business Exchange Program entra dans une phase de déclin. Le contexte social et politique pesait lourdement : les campus universitaires américains étaient secoués par des mouvements de contestation contre la guerre du Vietnam, l’autorité académique et, plus largement, contre « l’establishment » économique et politique. Dans ce climat de radicalisation, la confiance entre les entreprises et le monde universitaire s’effrita.
Mary Sennholz rappelle que l’intérêt des entreprises pour le programme diminua fortement : alors que la demande des enseignants restait très élevée, plus de 400 candidatures certaines années, le nombre de sociétés prêtes à accueillir des fellows tomba à moins de vingt[9]. Cet écart grandissant entre l’offre et la demande rendait le dispositif intenable.
Face à ce déséquilibre, Leonard Read choisit de suspendre le programme. Loin d’y voir un échec, il considérait que la FEE devait recentrer ses efforts sur son cœur de mission : la diffusion des idées de liberté par la publication d’essais, l’organisation de séminaires et la formation intellectuelle de jeunes leaders. Le College-Business Exchange Program, qui avait incarné l’espoir d’un rapprochement durable entre l'université et l'entreprise, s’achevait donc, victime des tensions idéologiques de son époque.
Sur le plan intellectuel et institutionnel, ce programme incarna l’esprit de Leonard Read et de la FEE : bâtir des ponts entre des mondes cloisonnés, privilégier l’éducation plutôt que la politique, et promouvoir la liberté par l’expérience et la compréhension mutuelle. Même interrompu, il demeura un exemple inspirant de la coopération volontaire entre des universités et des entreprises, démontrant que des contrats libres et volontaires peuvent êtres négociés pour le bien commun sana l'intervention de l'État.
- ↑ Le 10 février 1953, Jean-Pierre Hamilius, professeur d’économie et de commerce à Differdange (Luxembourg), adresse une lettre à William Curtiss pour se renseigner sur le College–Business Exchange Program. Âgé de 30 ans et polyglotte ; il maîtrise l’anglais, le français, l’allemand, avec des notions de néerlandais et d’italien, il met en avant ses compétences en comptabilité, correspondance commerciale et en mathématiques financières. Disponible durant ses vacances d’été, du 15 juillet au 15 septembre, il explique que la traversée en bateau via Le Havre prendrait une semaine et s’interroge sur l’existence d’une bourse pour couvrir les frais d’un professeur européen. Il indique comme références Rose Wilder Lane et Ludwig von Mises. Tout en exprimant son vif intérêt pour le programme, il souligne son désir d’enrichir son enseignement par une expérience concrète dans les domaines de la finance, de la fabrication ou de la distribution.
- Jean-Pierre Hamilius to W.M. Curtiss Letter, February 10, 1953 sur le site di Grove city college
- ↑ Charles Wolf, 1956, "News From Irvington", The Freeman, January, Vol 6, n°1, p38
- ↑ Ibid p38
- ↑ Ibid p39
- ↑ News From Irvington, The Freeman, January 1, 1956, Vol. 6, n°1, p. 38).
- ↑ News From Irvington, The Freeman, January 1, 1956, Vol. 6, n°1, p. 38).
- ↑ (Mary Sennholz, Leonard E. Read: Philosopher of Freedom, FEE, 1993, p. 161)
- ↑ "Edith Penrose’s ‘The Theory of the Growth of the Firm’ Fifty Years Later", working paper de Christos Pitelis, publié le 13 mars 2009
- ↑ Mary Sennholz, Leonard E. Read: Philosopher of Freedom, FEE, 1993, p. 162