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Vente d'organes

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La question de la vente de ses organes est un point de désaccord entre libéraux classiques et certains libertariens. Pour les libéraux classiques, un tel droit n'existe pas. Les libertariens le voient à l'inverse comme une simple extension de la doctrine de la propriété de soi-même, car elle relève de la liberté exclusive de chaque individu de disposer de son propre corps.

Vision libertarienne

Vision d'avenir ? « Le docteur Uba achète au meilleur prix vos organes...» (il s'agit en fait d'une fausse annonce, pour la promotion d'un film d'horreur sud-africain, Night Drive)

Les lois punissant la vente d'organes sont des lois illégitimes au regard des droits naturels. Dans les pays où prévaut l'interdiction[1], La législation est en réalité absurde et incohérente, car elle autorise le don d'organe, signifiant que notre corps tantôt est notre propriété (le don est autorisé), tantôt ne l'est pas (la vente est interdite). Elle tente d'imposer une morale particulière fondée sur un postulat de l'« inviolabilité de la personne humaine ». Elle dénie la possibilité juridique d'être propriétaire de son corps au nom justement du respect du corps de chacun ! Le comble de l'absurdité est atteint quand la loi dit qu'une personne décédée est automatiquement présumée donneuse, sauf indication contraire ou volonté des proches : on ne peut vendre un organe, mais à sa mort, par défaut, il appartient à tout le monde. Le comble du cynisme est atteint lorsqu'on considère qu'un organe que le propriétaire original n'a pas eu le droit de vendre, comme son sang, est ensuite vendu par les intermédiaires, et taxé par l'État comme une marchandise normale.

La question de la vente ou du don d'organes remet au premier plan une distinction fondamentale du point de vue libéral : celle qui existe entre le droit et la morale. La confusion entre ces deux concepts produit un droit arbitraire "à géométrie variable", alors que pour le libéralisme est permise toute action qui ne viole pas un droit d'autrui, peu importe ce que les "moralistes" de tous horizons peuvent en penser.

En pratique, on recense, selon les pays, de 10 à 40 donneurs d'organes volontaires pour un million d'habitants, ce qui est très insuffisant. Du seul point de vue utilitariste, interdire la vente d'organes revient à condamner à mort ceux qui en ont besoin et ne pourraient se les procurer autrement :

La proscription de la vente d’organes contribue clairement à une carence qui perpétue la coûteuse et pénible dialyse chronique de l’insuffisant rénal, condamne à la cécité l’individu atteint d’opacité cornéenne, sans parler des conséquences funestes pour le patient en attente d’un cœur ou d’un poumon. La compensation financière permettrait indubitablement d’augmenter le nombre de donneurs et d’atténuer ainsi cette douloureuse attente. (Alphonse Crespo, Libres !!)

Comme à chaque fois que l'on s'en prend à la liberté des personnes, l'interdiction de la vente n'empêche pas l'existence d'un marché noir (estimé à 10000 opérations clandestines par an selon l'OMS[2]), avec des conditions sanitaires bien moindres, de par sa clandestinité.

Enfin, il faut distinguer clairement la vente des organes d’un individu vivant de celle d’un individu mort. Dans le second cas, les objections éventuelles sont totalement différentes.

À noter qu'en raison de l'inaliénabilité de la volonté humaine, on ne peut réellement vendre de façon définitive qu'un organe qui a déjà été extrait. En aucun cas on ne peut forcer quelqu'un à se faire oter un organe même s'il s'y est engagé par contrat[3].

Objections courantes

Gary Becker[4] traite des différentes objections à l'encontre de la vente d'organes :

  • ce serait immoral car on traite le corps comme une marchandise : pas plus que pour les mères porteuses ou l'engagement de mercenaires par un État ;
  • seuls les organes des plus pauvres seraient sur le marché : d'une part on ne voit pas pourquoi les pauvres n'auraient pas le droit de tirer bénéfice d'un tel échange, d'autre part un certain niveau de vie est requis pour pouvoir offrir des organes sains, capables de trouver preneur ;
  • les donneurs pourraient agir sur une impulsion et ne pas mesurer tous les risques d'une opération irréversible : il suffit, pour cette raison, de faire bénéficier les donneurs d'une longue période de réflexion ;
  • un marché des organes réduirait l'incitation au don d'organes altruiste : actuellement, l'altruisme ne suffit pas à fournir suffisamment d'organes, pas plus qu'une armée de patriotes ne suffit à défendre un pays ; en outre, le paiement peut inciter davantage les donneurs qui ont déjà une fibre altruiste.

La vente d'un organe est du ressort de la liberté de chacun, certes, mais peut-on dire par exemple qu'une personne en difficulté qui vendrait un rein pour nourrir ses enfants soit libre ?

Cette objection résulte d'une définition erronée de la liberté (voir ce terme), fréquente chez les collectivistes, par laquelle on confond liberté sociale (au sens du droit, c'est-à-dire absence de coercition) et capacité à faire une action, abusivement nommée "liberté" (c'est la vieille distinction marxiste entre liberté réelle et liberté formelle). Une telle objection peut en fait s'appliquer à tous nos besoins et dans toutes les situations. Par exemple je suis libre d'acheter ce que je veux qui est en vente, mais en fait je ne suis pas libre de le faire si je n'ai pas l'argent nécessaire : mais alors, pourquoi n'ai-je pas cette liberté ? qui doit me la donner ? et que dois-je faire pour l'obtenir ? Peut-on dire vraiment qu'il s'agit d'un manque de liberté ? De la même façon, on prétendra que le salarié pauvre qui vend librement sa force de travail n'est en réalité pas libre de le faire (théorie collectiviste de l'échange inégal), comme si on était mieux placé que lui pour savoir ce qui était bon pour lui, et comme s'il était un irresponsable tout juste bon à être assisté ; c'est le vieux mépris paternaliste qui réapparaît dans ce point de vue.

Interdire la vente d'organes revient à se substituer à la personne concernée et à lui imposer un choix moral qui n'est pas le sien. Qui mieux que la personne est le meilleur juge d'une action qui ne concerne personne d'autre qu'elle-même ? L'interdiction relève de l'oppression, car à travers elle on exerce un droit illégitime sur le corps d'autrui. Que propose celui qui déplore qu'une personne en difficulté doive vendre un rein ? Que la personne vole pour assurer sa subsistance ? Si l'objecteur est cohérent, rien ne l'empêche d'exercer sa solidarité envers la personne dans le besoin, plutôt que d'en appeler à une interdiction légale coercitive qui va fermer une issue possible pour une personne conduite à une telle extrémité. En réalité, l'objecteur ne se soucie pas d'être solidaire, il veut imposer de force sa vision morale des choses, peu importe si cela gêne en dernier ressort les personnes directement concernées (tant les vendeurs que les acheteurs potentiels).

Autoriser la vente d'organes aboutirait à la création d'un marché dont profiteraient les riches aux dépens des plus pauvres

Cette objection reflète plusieurs fantasmes très courants : le marché qui serait coercitif, alors que c'est un lieu d'échanges, rien n'obligeant un pauvre à vendre quoi que ce soit ; le pouvoir des riches, supposé sans limite, et permettant d'acheter même ce qui n'est pas à vendre ; et toujours une morale qui prétend régenter par la contrainte le comportement des personnes, tant de celles qui seraient disposées à vendre que de celles qui attendent des transplantations et seraient disposées à acheter. C'est la même morale liberticide qui condamne la prostitution ou l'usage de la drogue, attitude antilibérale qu'on peut résumer en quelques mots : 'on sait mieux que vous ce qui est bon pour vous.

Il suffit de privilégier le don d'organes, la vente d'organes n'apporte rien de plus

La vente d'organes permet de sauver des vies que le don d'organes à lui seul ne pourrait sauver.

Par exemple, supposons que vous ayez un proche qui a besoin d'un rein. Vous seriez prêt à lui donner le vôtre mais vous n'êtes pas compatible. S'il y a un marché des reins alors vous pouvez vendre votre rein et avec l'argent acheter le rein de quelqu'un d'autre qui est compatible.

Vous soutenez des pratiques qui ont cours dans les pays totalitaires

Certainement pas. Que certains pays, comme semble-t-il la Chine, aient organisé des trafics d'organes à partir de condamnés à mort, ou de prisonniers des camps de concentration existants, est totalement illégitime, puisqu'il n'y a pas consentement de la part des victimes.

L'argument du consentement ne peut tout absoudre ni tout permettre

Refuser sous divers prétextes l'argument du consentement, qui est pourtant au centre même du libéralisme, conduit à l'arbitraire le plus paternaliste, invoqué pour interdire la prostitution, le suicide, le travail mal payé, etc. Il est évident que le consentement doit être éclairé. On peut adopter à cette fin un protocole bien précis destiné à s'assurer de sa validité, sachant que le consentement est récusable par la personne jusqu'au tout dernier moment[5].

Les libertariens regrettent qu'en matière de vente d'organes l'émotionnel prenne le dessus sur le rationnel : parce que vous ne pourriez envisager de vendre un de vos organes, vous voulez imposer à autrui votre point de vue. On aboutit ainsi à une interdiction de type religieux : "le corps humain est sacré", affirmation qui n'a aucune justification rationnelle (respectable tant qu'on ne l'applique qu'à soi-même), mais qui sert efficacement à limiter la liberté d'autrui.

Vision libérale

Si on excepte le cas particulier du sacrifice (y compris pour cause médicale) et le don des fluides (renouvelables), un individu réellement libre ne peut concevoir de son vivant de réduire volontairement la capacité fonctionnelle de son corps, puisqu’il sait que l’intégrité de celui-ci est essentielle pour pouvoir exercer pleinement sa liberté. Il sait que la valeur de son corps considéré dans son ensemble est infiniment supérieure à la valeur de chaque organe pris séparément.

La question de la liberté du commerce des organes du point de vue du donneur vivant est un faux problème. Il peut y avoir une demande sur ce marché, mais jamais d’offre réellement libre : de ce qui précède, toute clause contractuelle en ce domaine est léonine. On notera d’ailleurs que cette question apparaît systématiquement dans des circonstances où l’environnement politique (donc économique) supprime ou réduit la liberté individuelle et la dignité humaine.

Il suit que ceux qui font commerce des organes (des autres) atteignent au plein exercice de la vie, de la liberté et de la propriété. Ils sont condamnables de ce fait.

En réponse à la position libertarienne, la vision libérale ne comprend pas pourquoi on limite artificiellement ce commerce à certains organes, jugés sans doute moins importants que d’autres. Pourquoi la vision libertarienne n’aborde-t-elle pas avec la même assurance la question de la vente du cerveau ou du coeur, par exemple ? Comment aborder la question morale, alors que la vision libertarienne impose sa propre éthique ?

Références

  1. Par exemple en France l'article 1128 du Code civil empêche de conclure des conventions sur tout ou partie du corps humain, en tant que "chose hors commerce". En Suisse, la "Loi sur la transplantation" du 8 octobre 2004 (Acrobat-7 acidtux software.png [pdf]Loi sur la transplantation 810.21) interdit en son article 7 "de faire le commerce d’organes, de tissus ou de cellules d’origine humaine en Suisse ou à l’étranger, à partir de la Suisse".
  2. Trafic d'organes : un commerce juteux en plein boom
  3. En littérature, on trouve l'exemple du Marchand de Venise de Shakespeare, où Antonio autorise par contrat l'usurier Shylock à lui prélever une livre de chair en cas de défaut de paiement. Ce "contrat" (bien différent d'un contrat de vente d'organe) est en réalité inexécutable en droit naturel, en raison de l'inaliénabilité de la volonté humaine, ce n'est pas un échange, mais une simple promesse d'échange. Dans la pièce de Shakespeare, une issue est trouvée en jouant sur les termes du contrat : en effet, celui-ci spécifie "une livre de chair", ni plus ni moins : si une goutte de sang coule, l'exécuteur sera en tort.
  4. Introducing Incentives in the Market for Live and Cadaveric Organ Donations
  5. C'est ce que font, dans un contexte comparable, les associations qui pratiquent le suicide assisté, comme Exit et Dignitas en Suisse.

Bibliographie

  • 2005,
    • Bart Croughs, "A Man's Body, A Man's Right", Liberty Magazine, June, Vol 19, n°6, pp20-22, p25
    • Bertrand Lemennicier, La morale face à l'économie, Editions d'organisation, ISBN 2708134434
    • James Stacey Taylor, "Why Not a Kidney Market?", Free Inquiry, August/September, Vol 25, n°5
    • James Taylor, "Stakes and Kidneys: Why Markets in Human Body Parts Are Morally Imperative", Hampton: Ashgate

Citations

  • «  Il se pourrait qu'à l'avenir, progrès de la médecine aidant, nous finissions par voir nos organes comme des choses assez étrangères à nous-mêmes, qui ne déterminent pas notre identité. L'existence de marchés d'organes deviendrait alors aussi peu révoltante que celle de marchés de légumes ou de meubles vendus en pièces détachées. »
        — Ruwen Ogien, L'Influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale, Grasset, 2011

  • «  A qui appartient le corps d'un être humain ? Est-il la propriété de ses parents, ce qui était le cas, dans une large mesure, pendant la période de son enfance ? Appartient-il à l’État ? au souverain ? à Dieu ? ou bien encore, tout simplement à lui-même ? Combien de polémiques s'épuisent, au nom de la morale ou de la psychiatrie, sur des sujets tels que l'avortement, la contraception, la drogue, la sexualité ou le suicide, effleurant cette question fondamentale sans jamais la formuler de façon explicite ! »
        — Thomas Szasz, Le péché second, 1973

  • «  Ce n'est pas en privant un pauvre d'un choix possible que l'on améliore sa vie. »
        — Ken Schoolland

  • «  Quand je me sais en mesure de sauver une vie humaine, dois-je dire au patient que je ne peux pas le faire parce que c'est illégal ? Comment est-ce possible ? »
        — Dr Zaki Shapira, chirurgien en Israël, interviewé dans Voyage au coeur du trafic d'organes, Arte, 21 janvier 2014

  • «  Un prix monétaire fixé arbitrairement à zéro, que ce soit pour la promesse de céder ses organes après sa mort ou l'offre d'un organe de son vivant, n'a rien de plus moral que n'importe quelle autre valeur. L'interdiction des échanges à d'autres prix s'avère catastrophique en termes de conséquences pour la santé et la vie de nombreuses personnes. Pourquoi dès lors ne pas autoriser le libre commerce d'organes, afin de laisser enfin l'offre égaliser la demande, et éviter des morts inutiles ? »
        — Jan Krepelka

  • «  Les principes moraux ou religieux qui s’opposent au commerce d’organes doivent être reconnus pour ce qu’ils sont : des opinions personnelles. Celles-ci doivent être respectées lorsqu’une personne s’oppose au prélèvement de ses propres organes, mais elles ne lui donnent pas le droit d’empêcher d’autres personnes de donner ou vendre leurs organes si elles le souhaitent. »
        — Jan Krepelka

  • «  En prohibant l’indemnisation financière du donneur, nos sociétés prolongent inutilement la souffrance d’êtres humains gravement malades et en attente d’une greffe salvatrice. Elles s’arrogent en outre un droit illégitime de propriété sur nos organes, en violation de notre liberté inaliénable de disposer en toute indépendance de notre propre personne. »
        — Alphonse Crespo, Du Droit individuel à la vente d’organes, Libres !!, 2014

  • «  On ne peut pas se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes. »
        — Gary Becker

Liens externes


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