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Banque

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Une banque est une entreprise qui fait le commerce de l'argent et offre des services financiers : elle peut recevoir et garder des fonds, proposer divers placements (épargne), fournir des moyens de paiement (chèques, cartes bancaires, etc.) et de change, prêter de l'argent (crédit).

Dans le système financier moderne, la banque bénéficie d'un pouvoir de création monétaire, via le système de réserves fractionnaires qui lui permet de prêter davantage que le montant des capitaux propres qu'elle détient, et par le principe de la transformation bancaire, qui lui permet de financer des crédits à plus long terme (risqués) avec une base de ressources disponibles à plus court terme (peu risquées).

Avant l'instauration du monopole de la banque centrale, les banques avaient un pouvoir d'émission de monnaie qu'elles n'ont plus aujourd'hui.

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Introduction

Aujourd'hui, on n'enseigne plus dans les manuels l'expérience de la pluralité d'émission des banques sous le Directoire et le Consulat. Ce phénomène s'est pourtant beaucoup enseigné au XIXe siècle et même jusqu'en 1914 ; cet enseignement s'est encore poursuivi au XXe siècle grâce à Louis Lair et Edmond Servais de la Banque de France (le dernier livre de Servais date de 1967). Dans ce livre, qui est l'histoire de la Banque de France, on trouve une large place consacrée au système bancaire précédant celui de la Banque de France, à savoir la pluralité des instituts d'émission. Il est amusant d'observer que l'on présente souvent la Banque de France comme le premier et le seul institut d'émission en France, alors que les étudiants préparant le concours d'entrée de cette Banque centrale utilisent des manuels présentant le système de la multiplicité des banques d'émission qui régna sous le Directoire et ensuite le Consulat.

Pourquoi traiter un sujet comme celui-là ? Aujourd'hui, l'idée couramment admise est que si on laissait les banques libres d'émettre des billets, et complètement libres de leur gestion, il se produirait des catastrophes. Il faudrait donc règlementer, contrôler et n'admettre qu'un seul institut d'émission, à savoir une banque centrale. Voilà l'idée contemporaine : s'il existait une pluralité de banques d'émission, il en résulterait le chaos ou des catastrophes tels que l'inflation. On prétend donc que les banques libres n'ont jamais existé. C'est le premier argument. Deuxième argument : oui, c'est vrai, ce système a existé, mais il a très mal fonctionné. Par exemple, aux États-Unis dit-on, il existait de nombreuses banques d'émission faisant fréquemment faillite. Il est donc intéressant d'observer ces différentes expériences de pluralité d'instituts d'émission et d'en analyser le fonctionnement en se posant deux questions :

  • Est-ce que ce système produit de l'inflation ?
  • Est-ce qu'il engendre des crises régulières ?

Dans un système de marché, le processus est simple : l'offre s'ajuste à la demande. Précisément lorsque l'État n'intervient pas, l'allocation des ressources est la plus efficace, elle se fait spontanément. L'ordre spontané fonctionne bien. C'est en gros ce que l'on admet aujourd'hui plus ou moins explicitement, sauf pour la monnaie. On prétend généralement que l'allocation naturelle des ressources ne se produit plus, que l'équilibre ne s'établit pas spontanément. L'ajustement de l'offre à la demande ne s'effectuerait plus. Au contraire, l'instabilité s'installerait irrévocablement. Cette thèse correspond-elle à la réalité historique ? C'est ce que l'on va tenter d'examiner avec l'exemple français sous le Directoire et le Consulat.

Il existe naturellement plusieurs formes de systèmes bancaires. Certains sont plus ou moins contrôlés par les gouvernements et les Parlements, d'autres sont peu ou pas réglementés du tout. Ainsi, l'histoire enregistre quelques expériences peu nombreuses, mais à l'évidence très concluantes de liberté bancaire. Dans ce cas, les banques peuvent librement émettre des billets convertibles, gérer leurs actifs et leurs différents éléments de passif sans autre contrainte que celle de la concurrence.

L'exemple le plus intéressant des banques multiples et réglementées est probablement celui des États-Unis au XIXe siècle. Des crises cycliques réapparaissent à intervalles réguliers dans des périodes de sept à onze ans à peu près, et même un petit peu plus. Elles se caractérisaient par une amplitude significative. Certaines ont été fortes, en 1837 et 1857 mais il fallut attendre 1907 pour qu'une crise assez importante fasse réfléchir un certain nombre de responsables sur le thème « puisque le système multiple ne fonctionne pas bien, il faut créer un institut pour éviter le retour périodique de ces perturbations économiques ». Il en résulta en 1913 la création de la Federal Reserve System. Que s'est-il passé après ? En 1920, sept ans plus tard : crise économique importante, ruée sur les banques et par conséquent dépression économique comparable à celles du XIXe siècle.

Quant à la décennie qui suit, tout le monde connaît le krach de 1929. Ce qui est moins connu, c'est que la crise s'est aggravée en 1930 puis en 1931, 32 et 33. Jamais les États-Unis n'avaient connu une crise économique de pareille envergure. On pourrait multiplier les exemples de systèmes bancaires dans lesquels l'État intervient beaucoup et montrer qu'à chaque fois le dirigisme engendre des échecs retentissants. Tous les échecs des systèmes réglementés ne pourront être abordés ici, mais on citera quelques systèmes non règlementés pour en montrer la diversité.

La liberté des banques écossaises

Commençons par le système écossais. Assez connu au XIXe siècle, son mécanisme a été étudié en détail par l'économiste américain Lawrence White. Le système écossais a duré plus d'un siècle. Il a commencé au début du XVIIIe siècle et a pris fin en 1845. Voilà un système où toutes les banques, fort nombreuses, étaient pratiquement des banques d'émission : elles détenaient non seulement des dépôts, c'est-à-dire de la monnaie scripturale, et elles émettaient des billets remboursables, convertibles en métal, argent ou or. L'expérience de l’Écosse est tout à fait intéressante parce que dénuée de fluctuation cyclique. Dès 1776, Adam Smith dans La Richesse des nations fait référence à une perturbation intéressante : en Écosse, la Banque de Ayr subit une faillite retentissante après deux années et demi d'existence. Quelle a été la réaction du système écossais dans son ensemble ? Cette banque avait pratiqué de la sur-émission de billets, mais d'autres banques, relativement conservatrices, émettant relativement peu de billets, ont eu une réaction de crainte. Par conséquent, elles ont encore réduit leur émission de billets. La conclusion d'Adam Smith (livre 2, chap. 2) est que la concurrence bancaire est le système qui permet de réguler, de limiter au maximum et au mieux l'émission des billets de banque.

Les systèmes américains

Observons à présent le système, ou plutôt les systèmes, aux États-Unis. Il faut savoir qu'avant la guerre de Sécession il n'existait pas de législation fédérale pour les banques. Elles étaient réglementées et soumises aux lois de chaque État. Autrement dit, il existait autant de systèmes bancaires que d'États. Cela n'a donc aucun sens de parler d'un système bancaire américain avant 1860-65, date de la guerre de Sécession et des grandes lois bancaires fédérales. Ce qui compte alors pour les banques 1860, c'est la législation de l'État où elles fonctionnent.

Il existe une quantité de systèmes bancaires aux États-Unis, en particulier des systèmes assez réglementés dans les États de New York, du Michigan, du New Jersey, ou les États du Centre en général. Les États du Sud sont encore plus strictement règlementés que les précédents ; ces systèmes dirigistes ne produisent d'ailleurs pas de bons résultats et donnent lieu à des sur-émissions de billets et souvent de dépôts. Ils engendrent ainsi des crises assez graves, en particulier les paniques bancaires de 1837 et 1857 à New York.

Mais la grande particularité des États-Unis, c'est justement qu'il existe un certain nombre d'États sans réglementation de banques. On considère qu'elles sont des établissements commerciaux comme les autres, et qu'en conséquence, elles doivent être soumises aux lois du commerce. La totalité des règlements bancaires de l'État du Massachusetts tient en un petit livre de 37 pages. Les banques ne sont soumises qu'aux lois générales des affaires. Aujourd'hui, dans le même État, les règlements bancaires en vigueur remplissent les rayonnages d'une pièce entière. Il est en effet indispensable pour les banques commerciales de se tenir informées des nouveaux réglements apparaissant régulièrement.

La liberté des banques de la Nouvelle-Angleterre

Qu'advient-il dans les six États de la Nouvelle-Angleterre, Massachusetts, Rhode Island, Connecticut, et les trois États un peu plus agricoles que sont le Maine, le New Hampshire et le Vermont ? Les banques peuvent s'établir comme elles le veulent, il leur sufift de déclarer leur existence et une autorisation leur est accordée quasi automatiquement. Un grand nombre de banques apparaît, possédant toutes le droit d'émettre des billets. Cela fait partie de l'ensemble des libertés dont elles jouissent et dont elles disposent. Qu'advient-il en 1837 et en 1857 ? Crise à New York, panique, ruée sur les banques de l'État de New York, puis effondrement du système bancaire dans cet État, puis dans les États voisins. Où ces dépressions se transmettent-elles ? À Paris et à Londres, mais ni en Écosse ni dans les six États de la Nouvelle-Angleterre. Autrement dit, une crise démarre à New York, se propage de l'autre côté de l'océan Atlantique, mais ne se transmet pas dans la grande ville industrielle et bancaire qu'est Boston à quelques centaines de kilomètres à peine. Ce phénomène si paradoxal demande une explication.

Celle-ci est donnée par deux économistes de l'époque : Richard Hildreth et Henry Charles Carey. Pour eux, lorsqu'elles sont soumises à la libre concurrence au niveau de la gestion d'un côté, mais aussi au niveau de l'émission, les banques possèdent la caractéristique très particulière d'être financées par des fonds propres extrêmement élevés. Quelques exemples : en moyenne, ceux des banques de l'État du Massachusetts représentent plus de 60 % du passif. Dans l'État voisin du Rhode Island, ce ratio est encore plus élevé, soit 72 %. Ce qui signifie que lors de demandes de remboursement de billets ou de dépôts, la banque dispose de liquidités non seulement sous forme de réserves, mais aussi sous forme d'actifs réalisables très rapidement. Ces banques très liquides se caractérisent par conséquent par une grande solvabilité. Conclusion : même en perdant une partie de leurs actifs, elles étaient protégées de la faillite. Et c'est cela qui caractérise les banques libres de la Nouvelle-Angleterre : on ne constate que des faillites sporadiques sans dommages pour les détenteurs de billets ou de dépôts, alors qu'à New York, à Paris et à Londres, instabilité, dépression et faillites se reproduisent à intervalles réguliers.

En France aussi, des banques d'émission libre se sont également développées durant une période beaucoup plus courte, au demeurant tout aussi intéressante. Elle se situe dans un contexte bien différent. La période est connue, mais les études précises n'ont été effectuées que récemment. Le professeur François Crouzet avait dans son dernier livre, La Grande inflation, fait référence à ces expériences et Eugen White, professeur aux États-Unis à l'Université de Rutgers, a fait plusieurs études sur cette période. Il a même découvert que des caisses patriotiques entre 1790 et 1792 fonctionnaient comme des banques, accordaient des crédits et émettaient des billets. Il en a recensé plusieurs centaines, dont certaines sous forme de société commerciale dépendaient de nombreux actionnaires et disposaient d'un bilan. Ce qui signifie qu'a existé une relative liberté d'établissement des banques. Évidemment, après 1792 cette expérience fut interrompue par l'inflation des assignats et les mesures restrictives prises par la Convention.

Le fonctionnement des banques d'émission sous le Directoire et sous le Consulat

Comment fonctionnaient les monnaies à l'époque ?

Jusqu'en 1795 circulaient en France toutes sortes de monnaies, le système décimal n'existait pas. En 1795, on crée le franc qui fait suite en quelque sorte à la livre. La différence est extrêmement faible au niveau du poids. Le franc est donc défini en 1795, comme 5 grammes d'argent avec 90 % d'argent fin. Les pièces qui vont être frappées seront des pièces de 5 francs. Ces pièces de 5 francs argent vont se mettre à circuler assez rapidement. La monnaie a donc maintenant a une unité, c'est le franc argent. Mais il y a un problème : à ce moment-là les espèces, c'est l'argent et l'or. En ce qui concerne l'or, il faut savoir que le franc or a été défini plus tard, à la fin de la période dont il va être question, en 1803. On a frappé des pièces de 20, 40 et 50 francs en or avec un rapport fixe qui était de 15,5 entre l'or et l'argent. On devait échanger un gramme d'or contre 15,5 grammes d'argent. C'était la naissance du bimétallisme en France, avec tous les inconvénients dans la fixité de ce rapport de valeur entre les deux métaux. Mais en France, les fluctuations de valeur entre l'or et l'argent ne présentant au XIXe siècle que de faibles amplitudes décelables généralement sur le long terme, le système n'a donc pas trop mal fonctionné.

En ce qui concerne les banques[1], il faut distinguer plusieurs types de banques. Toutes les banques de l'époque émettaient des billets convertibles qui circulaient. Certaines banques émettaient des billets libellés en francs et remboursables en espèces, en argent ou parfois en or. Dans certains cas, les billets étaient remboursables en monnaie de cuivre, c'est-à-dire dans une monnaie divisionnaire. Il est tout à fait intéressant de noter que ces billets de banque remboursables en monnaie divisionnaire ne subissaient pas de décote par rapport aux billets des banques convertibles directement en métal, argent ou or. Une tentative d'explication a été donnée dans une thèse de doctorat en 1990 sur cette question par Gilles Jacoud : il est plus facile de faire circuler des billets que des pièces qui sont encombrantes, et c'est assez logique que la décote ne se produise pas. La différence se trouve entre les banques parisiennes et celles de province. Les banques parisiennes pratiquent toutes l'émission. Elles émettent entre autres des billets de banque de 500 francs, de 1000 francs, et parfois même de 2500 francs, ou moins. La plus connue est la Caisse des comptes courants, créée en 1796 en partie par les anciens dirigeants de la Caisse d'escompte qui avait fonctionné de 1776 à 1793. C'est en quelque sorte la suite de cette ancienne banque, mais elle va surtout apporter sa clientèle à la Banque de France et fusionnera en 1800 avec elle pour devenir ensuite à Paris l'Institut d'émission unique (1803). Fondée par des banquiers privés, cette banque a donc une certaine importance. Quelle est la différence entre un banquier privé, une banque commerciale et une banque d'émission ? Tout d'abord, il est bien rare que le banquier privé émette des billets. Ensuite, une banque commerciale fonctionnant sous forme de société commerciale bénéficie nécessairement d'une assise financière beaucoup plus grande que celle d'un simple banquier privé. L'intérêt des banques commerciales fonctionnant sous le statut de société commerciale réside donc dans le grand avantage économique représenté par sa forte surface financière.

Cette première banque présentait deux avantages parce qu'elle permettait aux banquiers de pratiquer l'escompte sur une grande échelle, et en même temps, de financer ce crédit par ses fonds propres ou par émission de billets. Ces billets, en partie monnaie fiduciaire, ne financent qu'une faible proportion des crédits alloués à l'économie. La majeure partie des fonds prêtés par cette banque, comme d'ailleurs par ses concurrentes, proviennent des actionnaires, c'est-à-dire d'une épargne réelle. À l'époque, la technique d'escompte des effets de commerce représentait l'essentiel du crédit attribué. Il existe donc deux sortes de crédits alloués par cette banque : un crédit qu'on peut appeler un crédit réel, fondé sur l'épargne réelle, et un crédit fictif, dit de « circulation », accordé sans épargne préalable. Certains dépôts ne sont pas rémunérés, mais d'autres dépôts le sont. Le problème de cette banque est que c'est une banque de banquiers. Cette « banque de banquiers » essaie de se constituer un privilège à une époque qui vient de supprimer les privilèges. Pour se protéger, ces banquiers demandent aux escompteurs d'effets de commerce, non pas deux mais trois signatures sur leurs effets. En conséquence de quoi les commerçants, même dans le commerce de gros, les petits détaillants et les petits industriels, ne peuvent pas escompter leurs effets (ou s'ils le font, cela leur coûte beaucoup plus cher car ils doivent utiliser un banquier privé pour apposer une troisième signature qui coûte 1, 2 ou 3 %, ce qui est relativement cher). En conséquence, cette banque voit donc sa clientèle limitée et les commerçants importants, les industriels d'une certaine dimension pensent qu'en s'associant, ils pourront financer une nouvelle banque pour pratiquer l'escompte à deux signatures, et donc à meilleur marché. Ils pourront donc à la fois prêter et emprunter des fonds avec une meilleure rentabilité globale de leurs transactions, sans avoir besoin de payer les banquiers privés pour obtenir cette fameuse troisième signature. Ainsi se crée une deuxième banque, la Caisse d'escompte du commerce, localisée à peu près au même endroit que la Caisse des comptes courants. Cette deuxième banque fait donc une concurrence très forte à la première, émet des billets, prête des fonds principalement par le processus de l'escompte. C'est une banque de commerçants relativement aisés. Ils ont échappé à l'emprise des banquiers et refusent de prêter aux petits commerçants. De ce fait, ils érigent à leur tour une barrière : en effet, ne peuvent escompter leurs effets de commerce que les actionnaires de cette banque à l'exclusion de tous les autres. La valeur nominale des actions a été placée si haut que les petits commerçants ne peuvent pas utiliser cette Caisse d'escompte du commerce. Par conséquent, Paris se retrouve avec deux banques : une banque de banquiers et une banque de gros commerçants. Mais la liberté résultant du 4 août 1789, de la chute de Robespierre en 1794 et de l'arrivée au pouvoir du Directoire, fait que toutes les lois restrictives sont devenues caduques et n'existent plus. Des banques commerciales d'émission peuvent en conséquence s'établir sous le régime courant du droit des affaires : les petits commerçants décident à leur tour de créer leur banque, avec des actions à valeur nominale plus faible. Cette banque, le Comptoir commercial, escompte les effets des petits commerçants, des petits industriels, et des artisans. Tout un chacun peut utiliser cette banque. Cela fait trois banques créées précisément par la liberté d'établissement dans ce secteur. Par la suite, trois autres banques d'émission s'établissent dans la capitale. La première banque instituée en août 1799 est la Banque territoriale. Cette banque comptait à son actif non pas des effets de commerce mais des terrains, des biens immobiliers ; avec la vente des biens nationaux, cela correspondait aux besoins de l'époque. Cette banque émettait des billets, remboursables à vue en métal. L'actif immobilier de cette banque, principalement des terrains, était évidemment très peu liquide. En conséquence, cette banque n'a pas connu le même succès que les trois premières qui ont progressé considérablement, leur chiffre d'affaires et le nombre de leurs clients augmentant sensiblement en quelques années seulement. La Banque territoriale, bien que relativement stagnante, n'a pas subi de crise majeure. Deux autres banques d'émission parisiennes doivent aussi être présentées : ce sont la Caisse d'échange des monnaies et la Factorie du commerce. Ces deux institutions émettaient des billets libellés en francs et remboursables à vue. Tout détenteur de ces billets pouvait se présenter à son guichet pour s'en faire rembourser le montant en monnaie de cuivre ou en billons, c'est-à-dire en une monnaie divisionnaire. Apparemment ces billets de banque s'échangeaient à Paris exactement au même cours que les billets convertibles directement en métal or ou argent.

Six banques d'émission fonctionnaient donc concurremment à Paris. Les deux dernières furent appelées banques de sol car leurs billets n'étaient pas directement convertibles en monnaie or ou argent. Elles furent nombreuses : les historiens en ont recensé au moins deux autres émettant à Paris et un grand nombre dans toute la France. À l'extérieur de Paris, à Rouen, grande ville sur le plan monétaire, il existait plusieurs banques de sol dont une Caisse d'échange des monnaies, ainsi qu'une banque plus classique, la banque de Rouen, la Société générale de commerce de Rouen, qui émettait des billets libellés en franc, en petites coupures remboursables en argent et en or. En conséquence, il ne s'agissait pas d'une banque de sol mais d'une banque commerciale analogue aux grandes banques parisiennes.

Dans certaines villes de province s'établirent des banques de sol pratiquant l'émission, accordant du crédit et jouant ainsi un rôle d'intermédiaire financier. Ces banques établissaient des succursales dans les départements. Apparemment, ce système de banque d'émission assez généralisé exista partout en France, pas seulement à Paris. Cependant, la quantité de billets circulant en province était plus faible que celle circulant à Paris. Mais les chiffres restent discutables. Les recherches continuent sur le rapport entre les banques parisiennes et les banques de province. Rouen possédait une banque importante, Troyes également. Il existait des différences de fonctionnement plus ou moins grandes par rapport à celles de Paris.

Quelles sont les grandes caractéristiques de ces banques ? On invoque souvent les « banques libres », ou la multiplicité des instituts d'émission. Ces deux expressions sont identiques. Pour les économistes français, c'est évident car ils n'ont jamais utilisé le terme de liberté bancaire autrement. Le terme de Free banking d'origine écossaise n'a pas posé de problème en Angleterre non plus. En revanche, il a engendré de nombreuses confusions aux États-Unis où le terme de Banque libre faisait référence à un système qui ne l'était pas du tout. Il s'agissait au contraire d'un régime très règlementé appelé Bond Deposit System. Il est plus exact de parler de liberté des banques, de liberté d'émission ou de multiplicité des instituts d'émission. Nous allons voir comment fonctionnent les banques de ce type.

Dans ce système, la banque possède à son actif, d'une part des réserves en métal, d'autre part, et cela représente l'essentiel, des fonds prêtés sous forme d'effets de commerce. Le passif comprend tout d'abord les billets dont il vient d'être question, mais aussi, dès cette époque, des dépôts non rémunérés. La concurrence aidant, certaines de ces banques rémunèrent parfois les dépôts. Cette rémunération coûtait relativement cher. Les taux des crédits prêtés ne pouvaient donc pas être artificiellement baissés. Voilà une caractéristique du passif. Les fonds propres représentaient, quant à eux, 20, 30 ou 40 % (60 % dans un cas) du passif, c'est-à-dire une partie très importante du passif. Ces fonds propres n'ont donc rien de commun avec ceux des banques d'aujourd'hui. L'influence de ce phénomène agira profondément sur la régulation du système.

Est-ce que ce système présente des défauts de fonctionnement ? Est-il susceptible d'engendrer de l'inflation ? La réponse est un non catégorique. Les historiens ont constaté que ces banques n'amenèrent pas d'inflation des prix. Les sources dont nous disposons montrent un système de prix étonnamment stable durant cette période. En ce qui concerne le deuxième problème, dans la mesure où ces banques créent des instruments fiduciaires, sous forme de billets ou de dépôts non couverts par de la monnaie métallique, on pourrait s'attendre à des crises, des ruées sur ces banques avec faillites éventuellement. L'histoire montre qu'il n'en fut rien. On constate seulement qu'en 1798 il se produisit un incident avec la Caisse des comptes courants, à laquelle fut volée une partie de ses liquidités. Le directeur de la banque partit avec 10 % de l'actif. Il est clair qu'aujourd'hui une perte de 10 % de ses actifs rendrait toute banque automatiquement insolvable. Or, la caractéristique de la Caisse des comptes courants était précisément sa solvabilité. Possédant 20 % de fonds propres, perdre 10 % signifiait en perdre la moitié sans faire faillite pour autant. Elle s'est donc engagée à rembourser tous les détenteurs de billets et tous les déposants. En conséquence, en un bref délai, la Caisse des comptes courants a pu faire face à tous ses engagements.

Sur cette période de sept ans, il ne s'est produit qu'un autre incident, aux alentours de 1802 avec la Caisse d'escompte du commerce qui fut soumise à des demandes de remboursement massives. Que firent les actionnaires ? Les réserves étant insuffisantes, ils se sont engagés à vendre immédiatement autant d'actifs qu'il faudrait pour pouvoir rembourser les détenteurs de billets. Tous les créanciers furent payés, et la confiance reparut à nouveau.

Les autres établissements n'ont en aucune façon été touchés par ces deux mini-crises. Aujourd'hui, le choc serait considérable, mais à l'époque (1802) cette perte de 10 % de l'actif n'a pas entraîné de perturbation majeure, et la ruée ne se communiqua pas non plus à l'ensemble du système. Ce n'est plus le cas aujourd'hui aux États-Unis. Dans l'État du New Hampshire en 1991, la faillite d'une banque a entraîné une dizaine d'autres dans sa chute. L’État du New Hampshire s'est ainsi trouvé plongé en l'espace de quelques mois dans une situation de crise économique et bancaire considérable. Au début des années 1980, lors de la faillite de la banque Continental Illinois, le président Reagan a nationalisé immédiatement cette institution de façon à éviter la propagation à l'ensemble du secteur bancaire. Il s'agissait d'éviter un effet boule de neige parfaitement possible à cette époque, comme plus tard dans l'État du New Hampshire. À l'époque du Directoire et du Consulat, la solvabilité des banques rendit cet effet boule de neige tout à fait impossible.

La première raison résidait dans la liquidité des banques, dont les actifs, à part ceux de la Banque territoriale, pouvaient se vendre éventuellement à perte, mais certainement très rapidement. En second lieu, la solvabilité de ces banques était très forte, car leurs fonds propres suffisaient largement pour faire face à n'importe quelle crise et même, le cas échéant à des pertes très importantes, sans pour autant faire faillite.

Voilà pour les banques de la place de Paris. Il faut en tirer un enseignement quant aux quantités d'instruments monétaires émises. On peut observer que les quantités d'instruments monétaires produites sont indépendantes du pouvoir politique, et qu'il en est de même des pièces de monnaie (or, argent, ou divisionnaire). Si le public n'en veut plus, ou moins, les pièces s'exportent ou sont thésaurisées, leur quantité n'est pas directement contrôlable par un gouvernement. D'autre part, les dépôts rémunérés ou non, ou les billets, les quantités utilisées, dépendent de la production de ces instruments monétaires par les banques, et cette production dépend de la demande des utilisateurs de billets ou de monnaie scripturale. Si certains préfèrent les pièces, d'autres les chèques, fonctionnant à l'époque sous forme de transferts, ou si d'autres préfèrent les billets, la quantité de chacun de ces moyens monétaires dépend exclusivement de la demande des utilisateurs. Donc, aucune espèce de règlementation par un gouvernement n'est nécessaire. Il est intéressant de constater que la régulation se fait tout à fait spontanément. L'inflation des assignats et des mandats territoriaux a disparu, la déflation n'existe pas non plus. La seule chose que l'on puisse avancer, c'est la brièveté de la période, et par conséquent, que ce bon fonctionnement a été limité dans le temps. Il reste à savoir pour quelles raisons cette expérience a été interrompue, et ce qui s'est produit dans les pays possédant un système bancaire à peu près analogue.

On a examiné succinctement l’Écosse et les six États de la Nouvelle-Angleterre, mais le Canada et un certain nombre de pays sont également passés par des expériences analogues s'étendant sur de plus longues périodes. En Nouvelle-Angleterre, la liberté bancaire a duré cinq décennies, en Écosse plus d'un siècle. On peut donc constater que dans ces différents pays, peu nombreux mais très concluants sur une période de temps assez importante, des expériences analogues ont produit exactement la même stabilité, la même prospérité économique. L'accroissement considérable de la clientèle de ces banques permit le financement de l'économie française dans un contexte politique particulièrement troublé. Pourtant, ces banques s'établirent facilement et financèrent efficacement l'économie de la région parisienne. La question reste de savoir pourquoi l'expérience n'a pas duré plus longtemps. Un nouveau régime monétaire fut établi en 1795 fondé sur des pièces en argent. Le franc fut défini par un poids d'argent métal. L'or n'était pas encore utilisé d'une façon officielle. Le franc or ne débuta qu'en 1803, ce qui n'empêcha pas l'utilisation des pièces d'or de l'époque[2].

Le contexte idéologique dans lequel s'est présentée cette expérience

Cette expérience s'est effectuée dans le contexte suivant : le philosophe économiste de Gournay a popularisé la formule Laissez-faire, laissez-passer, qui signifiait laisser produire, libre-échange. Ce principe ne s'arrêtait pas aux biens et aux services. Il existe des textes, de Turgot notamment, montrant que de Gournay était totalement opposé au contrôle des taux d'intérêt par l'État. Et comme Turgot fut son premier disciple, on voit très bien la filiation intellectuelle. Turgot, disciple de Gournay applique les principes physiocratiques du laissez-faire et laissez-passer au système bancaire. Il autorise donc l'établissement d'une première banque, la Caisse d'escompte, en 1776. Dans l'esprit de Vincent de Gournay, il ne s'agissait pas de créer une banque centrale, il s'agissait simplement d'ouvrir la France à un système moderne comme celui existant à l'époque en Écosse. L'exemple écossais était présent, et par conséquent l'idée de Turgot était de laisser se développer en France un système analogue, où toutes les banques pourraient se former et émettre des billets partout où les utilisateurs en auraient besoin. Après de Gournay et Turgot, on aperçoit d'autres influences, en particulier celle du comte de Mirabeau, mort en 1791. Dans son livre De la Caisse d'escompte (1785), il prend aussi position pour la multiplicité des instituts d'émission. Il est intéressant de noter qu'il lie aussi ce problème à celui des fluctuations cycliques qui n'apparaîtra régulièrement qu'un peu plus tard : Mirabeau fait remarquer que de fait il ne fonctionne qu'une seule banque qui se permet de temps en temps des facilités. Alors que s'il existait plusieurs banques concurrentes ces facilités ne pourraient franchir que des limites très étroites. En conséquence de quoi Mirabeau explique qu'on assiste à de petites fluctuations cycliques sans conséquences parce que ses billets étant convertibles, la Caisse d'escompte doit faire face à toutes les demandes de remboursement.

Après Mirabeau, il faut citer un autre grand économiste : Du Pont de Nemours. Lui aussi est un physiocrate qui occupera quelque temps la présidence de l'Assemblée nationale constituante. Dans cette assemblée, Du Pont de Nemours fait un grand discours sur les banques, dans lequel il explique que les banques doivent être libres. Ce discours est très apprécié à l'Assemblée, qui décide immédiatement de le publier sous la forme d'un petit livre qui paraîtra en novembre 1789. Ce petit ouvrage de Du Pont de Nemours paraît et c'est juste après que commence cette expérience de caisses patriotiques prêtant du crédit et émettant des billets. Cette expérience a été analysée par Eugen White. Cette expérience étant limitée, probablement à cause des assignats et de l'incertitude régnant à l'époque, il n'était sans doute pas commode de faire fonctionner des banques dans un contexte de cette nature où l'instabilité des prix, due à la production d'assignats, devait singulièrement gêner le calcul économique prévisionnel des banques.

Le livre d'Adam Smith, La Richesse des Nations, publié en 1776, traduit au moins trois fois, et édité au moins six fois, circulaient au début de la Révolution française. Or, Adam Smith était tout à fait favorable à la liberté d'émission qu'il voyait fonctionner quotidiennement en Écosse. Il en avait conclu que ce système fonctionnait beaucoup mieux que les autres systèmes existants à son époque, y compris la Banque d'Angleterre et celle d'Amsterdam.

Un autre auteur appartient à cette tradition des grands économistes, Camille Saint-Aubin, un peu moins connu aujourd'hui qu'autrefois. Dans un petit livre, Des banques particulières, il défend, pour la France, un système à l'écossaise. Son importance a été soulignée par l'économiste français Alphonse Courtois dès 1875.

L'abolition politique du système bancaire libre

Si ce système fonctionnait efficacement, comment expliquer sa disparition ? Les historiens de cette période concluent tous que la fin de ce régime bancaire n'est pas spontanée, mais résulte au contraire d'une décision du pouvoir politique. Il s'agit de Bonaparte, qui malgré les organes législatifs, décide de tout. Il initie une loi en 1803, accordant le privilège exclusif d'émission des billets à une seule banque. De 1800 à 1803, il existait plusieurs banques d'émission dont la Banque de France. Au départ simple société commerciale, elle ne disposait d'aucune clientèle (cf. Gabriel Ramon, auteur d'une monumentale Histoire de la Banque de France). Il lui a donc fallu fusionner avec une autre banque, la Caisse des comptes courants, qui lui apporta la clientèle. Le premier actionnaire de la Banque de France fut Bonaparte. Il fut entouré d'anciens partisans de la liberté des banques qui participèrent au coup d'État du 18 Brumaire trois ans auparavant. On accusa les banques concurrentes de la Caisse des comptes courants, et maintenant de la Banque de France, d'engendrer de sérieux inconvénients. Le premier était l'émission des billets. Le billet possède la caractéristique de ne pas coûter cher. Lorsqu'une banque dispose à de beaucoup de billets, elle peut prêter des fonds qui ne lui coûtent presque rien, et qu'elle peut reprêter à un taux d'intérêt très rentable. La concurrence tend à augmenter le coût des fonds d'une part et à diminuer le revenu de ces fonds d'autre part. C'est-à-dire que par la concurrence, la marge entre le revenu des fonds et le coût tend à devenir très faible. En conséquence, la multiplicité des banques d'émission diminue la rentabilité des billets pour chacune d'entre elles. Tel est le résultat de l'absence de privilèges. En revanche, dès qu'une banque dispose d'un privilège d'émission elle peut prêter des fonds qui ne coûtent pas grand-chose et rapportent beaucoup. Cette situation de monopole lui permet d'augmenter sensiblement la rentabilité de ses fonds propres, et donc les dividendes de ses actionnaires. Le taux de rentabilité des actions des banques libres de la Nouvelle-Angleterre ou même d’Écosse tournait autour de 6 ou 7 % tendant ainsi vers le taux spontané de l'intérêt de l'époque dans ces pays. En revanche, l'attribution du privilège d'émission à la Banque de France permit à ses actionnaires de bénéficier de taux très élevés passant parfois les 25 % ou 28 %.

Quelles sont les raisons qui justifient l'abolition de ce système ? Elle sont au nombre de quatre.

  1. La première raison invoquée est le goût excessif de la centralisation chez Bonaparte.
  2. La deuxième tient au fait que pour financer ses guerres, il avait besoin de contrôler une banque (il appelait d'ailleurs la Banque de France « ma banque »).
  3. Bonaparte et plusieurs de ses proches en étaient actionnaires. Ils estimaient, à juste titre, que la suppression du droit d'émission des banques concurrentes permettrait une augmentation sensible de la rentabilité financière de leurs actions.
  4. La quatrième raison, apparemment la seule à être dotée d'une certaine justification théorique, a été avancée par un des responsables de la Commission qui travaillait à la préparation de la loi, M. Cretet. Dans un long rapport il explique que le système en question provoque un inconvénient majeur : la concurrence limite radicalement l'émission de monnaie fiduciaire, en particulier de billets. Par conséquent, si l'on souhaite pratiquer une politique monétaire expansionniste ou inflationniste, il est indispensable de supprimer la pluralité de l'émission. La raison invoquée en 1803 pour détruire la liberté d'émission est donc exactement la raison inverse de celle donnée à partir de 1860. À cette époque un débat se développe sur cette question, et l'on affirme l'impossibilité de laisser la liberté d'émission (par exemple à la banque de Savoie) car celle-ci engendrerait nécessairement l'inflation. En 1867, l'économiste Edouard Horn, remarqua dans La Liberté des banques qu'il fallait choisir. On ne peut pas reprocher à une banque libre d'une part d'être inflationniste, d'autre part d'empêcher toute inflation. Or, la raison donnée en 1803 fait valoir que la concurrence entre les banques limite très strictement la production de monnaie fiduciaire.

Voilà pour les grandes raisons de cette loi de 1803 qui détruisit le système par son article 1er accordant le privilège exclusif d'émission de billets à la Banque de France en pénalisant toutes les autres banques. L'article 30 supprime expressément le droit d'émission de tous les concurrents et leur demande nommément de bien vouloir retirer leurs billets de la circulation. En conclusion nous affirmerons, comme Gilles Jacoud à la fin de ses travaux[3], que :

«  La Banque de France est aussi l'établissement qui se prête le mieux à des opérations de secours au Trésor. L'État a donc intérêt à son renforcement. Or, ce renforcement passe par l'attribution d'un privilège qui amènera la suppression d'une concurrence dommageable à la Banque. Les considérations politiques l'emportent sur une rationalité économique qui aurait sans doute consisté à laisser subsister les divers diffuseurs de crédit. »

«  L'hérésie économique que constitue la mise au pas des concurrents de la Banque de France transparaît dans les difficultés que connaît le commerce parisien après l'attribution du privilège. »
    — Gilles Jacoud[4]

La tradition monétaire des économistes français au XIXe siècle

La tradition de la liberté des banques domine largement chez les économistes français du XIXe siècle. Le premier à la défendre est Jean-Baptiste Say, en 1803, dans son Traité d'économie politique. Son point de vue intéresse d'autant plus l'historien de la théorie économique que, dans les années qui suivent, Say développe une théorie des fluctuations cycliques. La première crise vraiment sérieuse apparaît dès 1805, deux années seulement après l'abolition de la liberté d'émission ; c'est une crise de sur-émission de billets, qui ne s'est pas produite pendant l'époque de la libre concurrence bancaire, mais après, et à cause de sa suppression. La théorie des fluctuations cycliques élaborée par J-B Say attribue une origine bancaire à ces dérèglements, mais il ne montre pas clairement le rapport avec l'absence de libre concurrence.

Un autre économiste, Charles Coquelin, auteur du très remarquable Dictionnaire de l’Économie politique (plus de 1800 pages, publié en 1854) analyse les problèmes liés à la liberté ou monopole de l'émission et conclut très nettement que le système engendrant le plus haut niveau de prospérité et de stabilité, est incontestablement la libre concurrence de plusieurs instituts d'émission. Il défend cette position avec une cohérence croissante de 1828 à 1852. Il décède relativement jeune (1852), ainsi que son ami Frédéric Bastiat deux ans auparavant. Georges de Nouvion note que Bastiat partageait la même analyse que Coquelin sur cette question, comme sur beaucoup d'autres d'ailleurs. Ils ont eu de nombreux disciples sur le plan monétaire, dont Michel Chevalier. Ancien saint-simonien, les argumentations de Coquelin l'ont convaincu, non seulement pour la France, mais aussi pour l’Écosse et la Nouvelle-Angleterre. Pour ce partisan du libre-échange, la liberté économique doit s'étendre aux banques pour les stabiliser et mieux financer le commerce et l'industrie. Dans les années 1860, avec le rattachement de la Savoie à la France, la question va se poser. Le débat sera rouvert lors d'une enquête parlementaire sur la question. À cette époque, la Société d'économie politique regroupait l'ensemble des économistes français, soit à peu près deux cents membres. Parmi ceux-ci, Michel Chevalier débattra avec Louis Wolowski, le seul économiste à défendre le principe de l'unicité d'émission en France. Dans ce débat, les économistes sont donc tous d'accord, à cette exception près, pour estimer la banque libre plus efficace que le monopole d'émission. Certains mêlaient à cet argument d'efficacité et de stabilité monétaire celui du droit naturel des banques d'émettre des billets. Mais l'argument central, essentiel reste celui de l'utilité.

Karl Marx constate le même phénomène et fait l'éloge des grandes banques libres d’Écosse :

« Ce sont avant tout les banques écossaises que l'on présente à juste titre comme modèles ; il n'en reste pas moins que l’Écosse n'a pas connu de crise monétaire proprement dite ; L’Écosse est importante ici parce que d'une part elle montre comment le système monétaire peut sur la base actuelle être parfaitement réglé, et supprimés tous les défauts que déplore Darimon — sans abandonner la base sociale »[5] — c'est-à-dire le système économique libéral dans lequel on vivait à l'époque.

En France la tradition de la banque libre remonte à bien avant la Révolution française ; elle a perduré pendant tout le XIXe siècle, et même au début du XXe siècle.

La pertinence de la banque libre pour les problèmes d'aujourd'hui peut être résumée comme suit :

Dans un marché bancaire libre,

  1. les mauvais billets de banque ne chassent pas les bons ;
  2. la fausse monnaie ne constitue pas un problème important ;
  3. les banques ne sont pas intrinsèquement disposées à la sur-émission et à la suspension des paiements ;
  4. les banques ne tiendront pas des réserves chroniquement insuffisantes ou excessives ;
  5. les ruées sur les banques ne sont pas un problème endémique ;
  6. il n'y a pas un besoin réel d'un prêteur en dernier ressort ;
  7. ni de réserves pyramidales, ce qui évite de rendre le crédit instable ;
  8. aucun monopole naturel n'existe dans la production de papier-monnaie ;
  9. la prolifération de billets d'émetteurs différents ne pose aucun problème (L. White, 1996, p. 147).

Demain, la liberté monétaire

Les expériences de liberté bancaire ne peuvent être considérées comme une réponse toute faite aux problèmes d'aujourd'hui. Néanmoins, elles montrent que le régime de la banque centrale est inutile pour résoudre les problèmes monétaires, et, qu'au contraire, la libre concurrence bancaire offre des solutions alternatives plus attrayantes.

Une monnaie commune est-elle utile ? Peut-on imaginer l'introduction d'un étalon privé parallèle ? Oui, sans aucun doute. L'introduction de la concurrence des monnaies frayerait un chemin pour au moins une monnaie commune et parallèle. Après une période de transformation progressive et spontanée, une dernière mesure pourrait éradiquer la concurrence injuste de la monnaie fiduciaire par la vente des réserves en or de la banque centrale.

La concurrence des monnaies

La privatisation de la monnaie

Afin d'éviter la concurrence injuste provenant du papier-monnaie géré par des institutions publiques (banques centrales ou d'autres) :

  1. une ou plusieurs banques centrales pourraient entreprendre de vendre leurs réserves en or (moyennant le retour des billets ou remboursement des créances des banques à la banque centrale) ;
  2. les billets de 200 francs et de 500 francs pourraient être échangés contre des pièces d'une valeur équivalente, libellés en francs et en grammes d'or. La parité serait déterminée par le marché, après une période de stabilité suffisante.

À ce stade, les billets et les dépôts seraient échangés contre des pièces en or, libellées en francs ou en unités de poids d'or. Ainsi, l'once ou le gramme d'or seraient l'unité de compte, à la place du franc actuel. Si deux pays adoptaient ce système, l'or ferait d'abord figure de monnaie commune. Plus tard, au moment de la convertibilité à une parité de marché, la monnaie-or commune serait de facto une monnaie-or unique pour chaque pays ayant adopté la convertibilité métallique.

Ainsi, les monnaies nationales inconvertibles seraient radicalement transformées, passant du stade de papier-monnaie fiduciaire (après abolition de l'inconvertibilité et du cours forcé) en des créances par rapport à la monnaie unique, c'est-à-dire l'or. Les utilisateurs seraient toujours libres de compter en francs, mais ils pourraient également utiliser des unités telles que l'once ou le gramme d'or. Ils seraient libres d'utiliser des pièces, des billets convertibles ou des dépôts bancaires, rémunérés ou non. Cela permettrait de maintenir la diversité des instruments monétaires, laquelle serait un résultat du libre choix des utilisateurs. On verrait émerger plusieurs types de monnaies privées, avec de nouvelles exigences monétaires. Il est probable cependant que les quantités considérables d'or déjà entre les mains de millions de personnes seraient d'abord utilisées.

Ce système ne conduirait pas à l'un ou l'autre des régimes de l'étalon-or du passé, mais du moins à un étalon-or privé d'un genre nouveau, à l'abri des manipulations du pouvoir politique. En tant que propriété des utilisateurs, la masse monétaire serait déterminée par les détenteurs de pièces ou de titres monnayables en or (billets ou dépôts). Libérée de la tutelle étatique, la nouvelle monnaie (ou les nouvelles monnaies) seraient à l'origine d'une unification (intégration) monétaire progressive et spontanée en Europe, sans recours au constructivisme étatique. Elle ne serait pas assujettie à des taux administrés et exercerait un effet stabilisateur sur les taux de change des autres papiers-monnaies (en particulier le dollar et le yen). Or, de par sa dispersion géographique, l'or tendrait probablement à devenir une monnaie commune universelle, et peut-être à retrouver son rôle traditionnel de monnaie-marchandise à l'échelle mondiale. Les peuples disposeraient alors d'un étalon-or privé, source de stabilité monétaire et de progrès économique.

À l'intérieur de ce système, la production de monnaie métallique de base serait libre. Puisque la frappe des pièces d'or serait également libre, l'offre s'ajusterait à la demande. La nouvelle concurrence des monnaies aurait fait de l'or au minimum une monnaie commune parallèle. La vente par les banques centrales de leurs importantes réserves d'or, et la convertibilité des billets élimineraient de facto leur pouvoir d'accroître artificiellement l'offre de monnaie et le crédit bancaire. Ce serait en effet la création d'un régime proche de celui de la banque libre. Libéré du fardeau des fluctuations des taux de change et des changes administrés, ainsi que de la mauvaise allocation des investissements qui en résultent, le commerce international se développerait de manière considérable et soutenue. Les risques de protectionnisme et de guerres commerciales diminueraient rapidement. La disparition de la dépréciation monétaire tendrait à pousser fortement les taux d'intérêt vers le bas, et à accroître le taux d'épargne. L'étalon-or privé aurait pour conséquence l'émergence d'une croissance non inflationniste réelle et continue. L'unification monétaire spontanée et progressive s'établirait en Europe, sans recours à une banque centrale "européenne". En réalité, ces mesures représentent le chemin le plus rapide et le plus simple pour sortir du chaos monétaire actuel.

Citations

  • « Un dépôt est une contribution charitable à l'avenir de votre banque. » (Ambrose Bierce)
  • « Lorsqu’on parle de banques, il y a un problème sémantique, car le mot banque recouvre plusieurs fonctions et activités très différentes. En particulier, la banque moderne mélange et confond deux opérations différentes ayant des effets très différents : les prêts et les dépôts. » (Murray Rothbard)

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Cette période a été étudiée par différents économistes au XIXe siècle : Alphonse Courtois, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, Charles Coquelin, et surtout Paul Coq dans Le Sol et la Haute banque ou les intérêts de la classe moyenne, tome 1, Paris, Librairie démocratique, 1850. Au XXe siècle, il faut noter les contributions de : E. Servais, Louis Lair (1967), François Crouzet (1993), Eugen White (1990), Philippe Nataf (1990 et 1992). Il fallut attendre les travaux de Gilles Jacoud pour obtenir une étude reposant sur un travail d'archives considérable qui permit d'interpréter de façon plus solide le fonctionnement des banques de cette époque. Il faut lire en particulier La Monnaie fiduciaire : d'une émission libérée au privilège de la Banque de France (1796-1803), Paris, L'Harmattan, 1996.
  2. Gilles Jacoud, Le Billet de banque en France (1796-1803), Paris, L'Harmattan, 1996.
  3. Ibid., p. 284.
  4. G. Jacoud (1990), p. 520.
  5. Karl Marx, Gründrisse, Paris, Éditions sociales, 1980, p. 66-6

Bibliographie

  • 2003,
    • Antoine Gentier, Économie bancaire, Essai sur les effets de la concurrence et de la réglementation sur le financement du crédit, Editions Publibook Université, Paris
    • Karlheinz Muhr, "What Modern Banking owes the Austrian School of Economics - A Practitioner's View", In: Kurt Leube, dir., "Austrian Economics Today I: Analyses, Ideas and Suggestions", The International Library of Austrian Economics, Vol 7, Frankfurt am Main: F.A.Z. Institut fur Management, Markt und Medieninformationen GmbH, pp85-88

Voir aussi

Liens externes


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